Ukraine

L e 17 février, la bataille d’Avdiivka s’est achevée par une lourde défaite pour l’Ukraine. Après des mois de résistance, le nouveau commandant en chef de l’armée ukrainienne, le général Oleksandr Syrskyi, a annoncé que ses troupes quittaient la ville « pour éviter un encerclement et préserver la vie et la santé des soldats ».

Ce repli a viré à la débâcle. Les forces ukrainiennes étaient déjà presque complètement encerclées et ont dû fuir à pied à travers champs, sous le feu de l’artillerie russe. La chute de cette ville est une victoire décisive pour la Russie, après la prise de Bakhmout, au printemps dernier, et l’échec total de la contre-offensive ukrainienne cet été.

Une guerre d’attrition

Depuis l’automne 2022, l’armée russe s’est montrée fidèle au principe selon lequel l’objectif des opérations militaires n’est pas de conquérir des territoires, mais de briser la capacité de l’ennemi à combattre. Elle profite de sa supériorité numérique et matérielle pour saigner l’armée ukrainienne. Ce faisant, elle a été grandement aidée par la stupidité des dirigeants de Kiev, qui ont refusé de céder le moindre pouce de terrain et ont sacrifié des unités entières dans des offensives perdues d’avance devant Bakhmout ou sur le front de Zaporijia.

Aujourd’hui, l’armée ukrainienne est exsangue. Pour tenter d’enrayer les assauts russes qui se multiplient sur tout le front, ses chefs ne peuvent plus compter que sur une poignée d’unités solides – dont la brigade d’assaut « Azov », héritière directe de l’unité paramilitaire fasciste du même nom. Ses soldats sont jetés d’un point chaud à l’autre sans jamais réussir à arrêter durablement la marée montante des assauts russes. Ils ont été envoyés à Avdiivka quelques jours à peine avant que Syrskyi n’annonce en catastrophe son évacuation.

L’impasse dans laquelle est plongée l’armée ukrainienne s’ajoute au poids des défaites passées et vient affaiblir encore plus le moral déjà défaillant de la population et des soldats. Les vidéos montrant des civils « mobilisés » de force par la police, dans les rues, se multiplient sur les réseaux sociaux, tandis que les cimetières militaires s’étendent sans cesse. Cette situation a mis le régime de Kiev sous tension et a provoqué une crise politique qui a culminé avec le renvoi du chef d’état-major Valeryi Zaluzhnyi par le président Zelensky.

Les Occidentaux dans l’impasse

La défaite de l’Ukraine semble aujourd’hui inéluctable, même si certains politiciens bourgeois occidentaux n’osent pas encore le reconnaître ouvertement – ou sont trop stupides pour le comprendre. Mi-février, la tête de liste du PS pour les élections européennes, Raphaël Glucksmann, exigeait que la France « passe en mode économie de guerre ». De son côté, Emmanuel Macron annonçait qu’il n’excluait plus l’envoi de troupes françaises en Ukraine. Faute d’un bilan présentable en matière d’économie et de politique intérieure, Macron essaye d’aguicher les électeurs en leur proposant une guerre contre la Russie !

Tout cela n’est pas sérieux. Macron a d’ailleurs été immédiatement désavoué par les dirigeants de l’OTAN et de l’UE. Ils ont rappelé qu’il n’était pas question d’envoyer des troupes en Ukraine. Les dirigeants bourgeois les plus sensés se disent même qu’il est temps d’arrêter les frais.

Sur fond d’austérité et de crise économique, les défaites ukrainiennes nourrissent l’opposition à la guerre dans l’opinion publique française. Par exemple, un sondage publié le 17 février indiquait que le soutien à l’envoi d’armes en Ukraine avait reculé de 10 points depuis le mois de juin 2023. Ce n’est pas étonnant : alors que le gouvernement multiplie les annonces de coupes budgétaires dans l’éducation et la santé, il est peu probable que les appels de Glucksmann à « mobiliser l’épargne des Français » pour la guerre contre la Russie suscitent beaucoup d’enthousiasme au-delà d’une poignée de détraqués et de fanatiques.

Une telle situation est grosse de crises politiques. En Slovaquie, le rejet de la guerre et de l’austérité a permis à l’aventurier bourgeois Robert Fico de revenir au pouvoir, au grand dam des dirigeants de l’UE. En Allemagne, l’AfD (extrême droite) est le seul parti à s’opposer explicitement à l’envoi d’armes en Ukraine, ce qui a contribué à le hisser à la deuxième place dans les sondages d’opinion, devant les « socialistes » du SPD et les Verts.

Les dirigeants européens cherchent un moyen de se sortir du piège dans lequel ils se sont eux-mêmes jetés. S’ils multiplient les annonces grandiloquentes – le Danemark s’est déclaré prêt à offrir « toute son artillerie » à Kiev –, il s’agit souvent des promesses creuses. L’Ukraine n’a reçu que 30 % des obus que lui avaient promis les pays de l’UE, et le grand « Sommet » convoqué par Macron, à Paris, pour augmenter l’aide européenne à l’Ukraine, n’a débouché sur rien de concret.

Après avoir été poussé par les Occidentaux dans une guerre perdue d’avance avec la Russie, le peuple ukrainien paie aujourd’hui les conséquences du désastre, alors même que ses « protecteurs » impérialistes se préparent à l’abandonner en rase campagne.

Lorsqu’Evgueni Prigojine a lancé sa tentative de putsch, le 23 juin dernier, nombre de commentateurs occidentaux annonçaient le début d’une guerre civile qui pouvait balayer le régime de Poutine et mettre fin à la guerre en Ukraine. Quelques heures plus tard, l’offensive du chef de Wagner s’effondrait – et la dictature de Poutine en sortait renforcée, au moins provisoirement.

Cet épisode a donné un prétexte au Kremlin pour resserrer les rangs. Une vague de répression s’est abattue sur les militaires soupçonnés de complicité avec Prigojine, mais aussi sur nombre d’opposants ou de critiques. Des militants de gauche ont été arrêtés, comme l’universitaire Boris Kagarlitsky [1], mais aussi des nationalistes. Par exemple, l’ancien chef paramilitaire russe de la guerre du Donbass de 2014, Igor Girkin, a été arrêté car il critiquait le « manque de fermeté » du Kremlin dans la conduite de la guerre en Ukraine. Près de deux mois après son coup d’Etat raté, c’est Evgueni Prigojine lui-même qui mourrait dans le crash très suspect de son avion.

L’échec de la contre-offensive ukrainienne

Après le succès des offensives ukrainiennes de septembre 2022, la guerre a pris un tour plus favorable à la Russie, suite à plusieurs mesures prises par le Kremlin. La mobilisation de 300 000 réservistes a permis de réduire – voire d’éliminer – l’infériorité numérique dont souffrait l’armée russe face aux troupes ukrainiennes. L’évacuation de Kherson et de toute la rive droite du Dniepr a raccourci la ligne de front et l’a rendue plus défendable par les Russes. L’offensive menée à Bakhmut par les troupes de Wagner, au printemps dernier, a infligé de fortes pertes aux forces ukrainiennes en engageant très peu de troupes régulières russes. Dans le même temps, de vastes travaux de fortification ont permis à l’armée russe de constituer des lignes de défense solides dans la région de Zaporojie, où ne manquerait pas de s’engager la contre-offensive ukrainienne.

Dans le camp de l’OTAN, la contre-offensive ukrainienne a été précédée par de longs mois d’une propagande qui en vantait d’avance les mérites et le succès. D’après ces laudateurs de Kiev et les médias occidentaux, il s’agissait non seulement de percer les lignes russes, mais aussi de marcher jusqu’à la mer Noire et, ainsi, de couper en deux les territoires occupés par la Russie. Certains annonçaient même la « libération de la Crimée » dès l’été 2023. Pour réaliser ce tour de force, l’armée ukrainienne allait pouvoir s’appuyer sur les troupes fraîches formées en Occident et sur les armes livrées par les pays de l’OTAN, y compris des chars modernes « Léopard-2 ».

Après plusieurs reports, la contre-offensive ukrainienne a commencé le 4 juin. Loin du scénario annoncé par les « experts » occidentaux, il s’agissait d’une suite d’assauts très meurtriers et globalement infructueux. Sans appui aérien, les colonnes ukrainiennes ont avancé vers les lignes russes à travers des champs de mines et sous le feu nourri de l’artillerie et de l’aviation. Les pertes ukrainiennes ont été énormes. Le 17 août, sur ABC News, un volontaire américain servant dans l’armée ukrainienne expliquait que les pertes de son unité avoisinaient les 85 %. Au total, les morts et les blessés de la contre-offensive se chiffrent probablement en dizaines de milliers.

Les équipements militaires occidentaux ont souffert, eux aussi. Sur la cinquantaine de « Léopard-2 » livrés à l’Ukraine, une quinzaine – au moins – auraient été détruits ou gravement endommagés en l’espace de quelques semaines. En outre, plusieurs blindés occidentaux ont été capturés en état de marche par les troupes russes et exposés au public en Russie : une véritable humiliation pour l’OTAN.

Le résultat global de la contre-offensive est dérisoire. Les assauts ukrainiens n’ont entamé les lignes russes qu’en quelques points. En quatre mois, seuls quelques villages totalement détruits par les combats ont été repris aux Russes. Dans ces conditions, le moral des troupes ukrainiennes a beaucoup souffert, de l’aveu même de la presse ukrainienne. Le 22 juillet, le Kyiv Post écrivait : « des soldats de première ligne nous disent que leurs unités souffrent d’un moral très bas à cause des pertes constantes et de plus en plus élevées, du manque de soutien et des faibles gains de l’offensive d’été (...) ».

Dès le 10 septembre, le chef d’Etat-major des Etats-Unis, le général Mark Milley, affirmait à la BBC qu’il ne restait « probablement plus que 30 à 45 jours de météo adaptée au combat ». Dès la fin du mois de septembre, les pluies, la boue et les premières neiges de l’automne, la fameuse Raspoutitsa (« le temps des mauvaises routes », en russe), ont énormément compliqué les déplacements de matériels lourds sur les plaines ukrainiennes. La pluie va aussi gonfler le débit du Dniepr, que l’armée ukrainienne aura donc plus de mal à franchir. En bref, il est très peu probable que l’Ukraine remporte des victoires majeures au cours des prochains mois.

Crise en Occident

Pour les classes dirigeantes des puissances occidentales, cette impasse militaire se combine au coût politique et économique de la guerre. Alors que la crise économique et l’inflation font des ravages, il est de plus en plus difficile de justifier les milliards d’euros et de dollars investis dans une guerre qui semble perdue. Cet été, pour la première fois, un sondage a indiqué qu’une majorité d’Américains s’opposaient à toute aide supplémentaire à Kiev. Alors que les élections présidentielles approchent aux Etats-Unis, cette évolution de l’opinion publique est devenue un élément central dans la lutte que mènent Donald Trump et les Républicains contre Joe Biden. Les représentants républicains au Sénat ont même exclu l’aide à l’Ukraine du budget négocié en urgence, le 30 septembre, pour éviter une mise à l’arrêt de l’administration fédérale.

Ce phénomène est encore plus marqué en Europe, car les sanctions contre la Russie ont eu des effets très négatifs sur l’économie européenne. En coupant l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe, les sanctions ont aggravé la crise économique et accentué la poussée inflationniste (qui cependant a d’autres causes). Les dirigeants européens ne pourront pas tenter de résoudre cette crise sans renouer avec la Russie. Cette situation met sous pression la plupart des classes dirigeantes européennes, dont une partie cherche à mettre fin, d’une façon ou d’une autre, à la guerre en Ukraine. C’est ce qui explique les prises de position publiques de Nicolas Sarkozy, mi-septembre. Il déclarait notamment : « Nous avons besoin des Russes et ils ont besoin de nous ».

L’unité de façade de l’OTAN commence à se fissurer sous le coup de la crise économique. Le 20 septembre, le gouvernement polonais annonçait qu’il n’enverrait plus d’aide militaire à l’Ukraine, alors qu’il était l’un des premiers contributeurs. Ce revirement s’explique simplement : après le début de la guerre, l’UE a levé les barrières douanières sur le blé ukrainien, ce qui a durement frappé le secteur agricole polonais. Sous pression de son opinion publique, le gouvernement de Varsovie a dû sacrifier Kiev pour ne pas perdre une partie de sa base électorale.

En Slovaquie, le parti du démagogue de droite Robert Fico a remporté les élections le 1er octobre, après avoir fait campagne en promettant d’arrêter tout envoi d’aide à l’Ukraine. Sur fond de profonde crise économique, ce scénario pourrait se répéter dans d’autres pays européens. En Allemagne par exemple, le parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD) s’est opposé, depuis le début de la guerre, à tout envoi d’armes en Ukraine. Il prône un rapprochement avec la Russie. L’AfD est désormais le deuxième parti dans les sondages, devant le SPD (sociaux-démocrates).

Une guerre impérialiste

Comme nous l’expliquons depuis le début, cette guerre n’est pas menée pour sauvegarder l’indépendance de l’Ukraine ou pour défendre les « valeurs » de la démocratie occidentale. Elle oppose deux impérialismes rivaux : l’impérialisme russe et l’impérialisme américain, le plus puissant de la planète, qui utilise l’Ukraine comme une arme contre la Russie. Cet été, le sénateur américain Mitt Romney a résumé cela à sa manière, dans un tweet : « Soutenir l’Ukraine affaiblit un adversaire, renforce notre sécurité nationale, et ne requiert pas de verser du sang américain ». L’administration Biden n’a pas beaucoup apprécié la franchise de Mitt Romney, précisément parce qu’elle exposait les véritables objectifs de l’impérialisme américain.

Désormais que la défaite se profile et que le coût de la guerre devient trop important pour les impérialistes, les Ukrainiens vont connaître le même sort que les Kurdes de Syrie. Ces derniers ont été soutenus tant qu’ils étaient utiles à l’impérialisme américain, avant d’être abandonnés lorsqu’Erdogan a envahi une partie de la Syrie.

Mi-août, face au piétinement de la contre-offensive ukrainienne, Stian Jenssen, le chef de cabinet du secrétaire général de l’OTAN, a brisé un tabou en affirmant que l’Ukraine pourrait céder des territoires à la Russie pour mettre fin à la guerre. Le gouvernement ukrainien a protesté et Jenssen a dû revenir sur ses propos. Il avait pourtant dit tout haut ce que de nombreux diplomates occidentaux pensent tout bas.

Ce changement de cap a même commencé à se faire sentir dans la presse occidentale. Un nombre croissant d’articles a commencé à souligner que la victoire ukrainienne n’était pas garantie, que les pertes ukrainiennes étaient très lourdes – et même… que des néo-nazis combattent dans les rangs ukrainiens ! Il y a à peine quelques mois, les mêmes journaux rejetaient catégoriquement toutes ces évidences. Mais comme dit le proverbe : « celui qui paye l’orchestre choisit la musique ». Or l’impérialisme occidental doit préparer l’opinion publique à une défaite.

Quelle que soit la façon dont finira cette guerre, cela ne mettra pas fin à la crise économique mondiale, que ce conflit n’a fait qu’exacerber. Les travailleurs vont devoir continuer à en payer le prix, tandis que le capitalisme agonisant provoquera de nouvelles guerres et de nouvelles souffrances. Seule une révolution socialiste permettra d’en finir avec « l’horreur sans fin du capitalisme », selon la formule de Lénine.


[1] Lire notre déclaration à ce propos.

Le 20 février, près d’un an après l’invasion de l’Ukraine par les forces russes, Joe Biden s’est rendu en visite surprise à Kiev. Cette opération de propagande soigneusement orchestrée s’est déroulée alors que le soutien des opinions publiques occidentales à l’envoi d’armes en Ukraine a significativement baissé, ces derniers mois, et que l’armée ukrainienne a dû céder du terrain depuis le mois de décembre.

« Bourrage de crâne »

Dès ses premiers jours, cette guerre a été marquée, en France et ailleurs, par un véritable « bourrage de crâne », pour reprendre une expression datant de la Première Guerre mondiale. Tous les faits qui ne cadrent pas avec le discours de la presse bourgeoise occidentale – comme par exemple la présence importante de néo-nazis dans l’armée ukrainienne – sont qualifiés de « propagande russe ». Cette même presse « démocratique » a claironné continuellement l’inéluctabilité d’une défaite imminente de la Russie, en exagérant chaque succès ukrainien, aussi petit soit-il, et en répétant une bonne partie des mensonges du gouvernement de Kiev.

A ce jour, la situation sur le front est très différente de ce qu’en dit la propagande occidentale. Après les offensives ukrainiennes de septembre, la mobilisation de centaines de milliers de réservistes et l’abandon de Kherson ont permis aux Russes de rétablir l’équilibre sur le plan numérique et de reprendre l’initiative des opérations. Depuis, l’armée russe a repris quelques portions de territoires qu’elle avait perdues en septembre et, surtout, a concentré ses efforts sur le Donbass. Les Russes ont conquis la ville de Soledar à la mi-janvier, avant d’entamer l’encerclement de Bakhmout en février.

Ces reculs ont poussé Zelensky à réclamer toujours plus d’armes, mais l’OTAN et les puissances occidentales ne semblent pas très pressées de satisfaire ces demandes. Lors de sa visite éclair à Kiev, Biden a promis de nouveaux envois d’armes, mais sans donner d’échéances claires sur leur livraison. De même, les pays de l’OTAN ne fournissent du matériel moderne qu’au compte-goutte et, surtout, se débarrassent de leurs vieux armements. Au passage, les entreprises qui remettent ces derniers en état empochent de juteux bénéfices. Comme le disait Lénine : « la guerre est une chose horrible, oui, horriblement profitable ».

Une guerre impérialiste

Cette limitation de l’aide occidentale est due au fait que, contrairement au discours officiel, l’objectif des impérialistes occidentaux n’est pas d’aider Kiev à « gagner la guerre » pour défendre la « souveraineté » de l’Ukraine ou la « démocratie ». Les « valeurs » humanistes et démocratiques brandies à tout bout de champ, depuis février dernier, n’ont jamais empêché les puissances occidentales d’assister au massacre des Palestiniens ou à la guerre menée au Yémen par l’Arabie Saoudite sans lever le petit doigt pour y mettre un terme.

En réalité, nombre de stratèges occidentaux sont très sceptiques quant aux chances d’une victoire ukrainienne. Dès le mois de novembre, Mark A. Milley, le plus haut commandant des forces armées américaines, déclarait : «En termes de probabilité, la perspective d’une victoire ukrainienne consistant en l’expulsion des Russes de toute l’Ukraine comme ils la définissent, c’est-à-dire y compris la Crimée… la probabilité que cela se produise bientôt n’est pas très importante, d’un point de vue militaire ».

Les impérialistes occidentaux se servent en fait de l’Ukraine comme d’une arme contre Moscou. Cela leur permet de porter des coups à l’armée et à l’économie russes sans avoir à intervenir directement. Loin de soutenir Kiev « tant qu’il le faudra », comme l’affirme Biden, les Occidentaux – Washington en tête – ne le feront qu’aussi longtemps que cela servira leurs intérêts. D’ailleurs, en « privé », plusieurs politiciens et diplomates occidentaux ont critiqué l’intransigeance de Zelensky et son refus de toute négociation avec la Russie.

Ces dirigeants s’inquiètent notamment des conséquences politiques de la guerre et de la crise énergétique, laquelle a été aggravée par les sanctions contre la Russie. Par exemple, un sondage Euroskopia conduit récemment dans neuf pays européens (Portugal, Autriche, Pays-Bas, Pologne, Espagne, France, Italie, Allemagne et Grèce) montre que 48 % des sondés sont désormais favorable à « une paix rapide, même si cela doit signifier la perte de territoires pour l’Ukraine », et que seuls 32 % s’opposent à une telle issue. La même évolution est à l’œuvre aux Etats-Unis. Cela explique les efforts de propagande de Biden : il s’agit avant tout de justifier les énormes dépenses qu’implique l’aide militaire à l’Ukraine, alors que les Etats-Unis sont au seuil d’une nouvelle récession.

Aucun des deux camps impérialistes en lutte ne pourra améliorer d’une quelconque façon le sort des travailleurs d’Ukraine, de Russie ou d’ailleurs. La victoire de Kiev ne signifierait pas la « souveraineté » de l’Ukraine, mais sa soumission – économique et politique – aux impérialistes d’Europe et d’Amérique. Inversement, la victoire de la Russie signifierait le renforcement du régime de Poutine et l’aggravation de l’exploitation des travailleurs d’Ukraine et de Russie. Quant au rôle du mouvement ouvrier français, dans ce contexte, c’est de démasquer l’hypocrisie de la bourgeoisie française – qui condamne en Ukraine ce qu’elle approuve ailleurs – et de dénoncer ses véritables objectifs dans cette guerre.

L’offensive ukrainienne sur Izioum, début septembre, a marqué un changement soudain du rythme de la guerre en Ukraine. Les mois précédents avaient été marqués par des offensives russes dans le Donbass. Après la chute de Marioupol, de Slaviansk et de Severodonetsk, plusieurs contre-offensives ukrainiennes vers Kherson avaient échoué.

La récente percée ukrainienne, dans le nord du pays, a permis aux Ukrainiens de reconquérir en quelques jours des territoires occupés par les Russes depuis des mois. Dans cette zone, les défenses russes se sont effondrées, cependant que des milliers de civils fuyaient vers la frontière russe pour échapper aux représailles des troupes ukrainiennes. En effet, celles-ci avaient annoncé qu’elles puniraient les « collaborateurs », un terme dont la définition précise est souvent laissée à l’appréciation des milices d’extrême-droite qui composent une partie de l’armée ukrainienne.

La presse occidentale a bruyamment salué cette victoire ukrainienne, qui était presque inespérée après des mois de reculs et de défaites. Pour autant, la guerre est loin d’être finie.

Une guerre impérialiste

Rappelons d’abord quelques éléments généraux. Contrairement à ce qu’affirment la plupart des politiciens et journalistes occidentaux, il ne s’agit pas d’une guerre pour la défense de la « démocratie européenne ». Cette guerre est le point culminant de la confrontation entre l’impérialisme russe et les puissances impérialistes occidentales, Etats-Unis en tête. Depuis la chute de l’URSS, au début des années 90, les Etats-Unis n’ont pas cessé d’étendre leur domination dans les zones d’influence traditionnelles de la Russie, au point d’atteindre ses frontières directes (via l’élargissement de l’OTAN). L’Ukraine est devenue le principal champ de bataille de cet affrontement.

Washington et ses alliés européens soutiennent l’effort de guerre ukrainien, influencent lourdement la politique du gouvernement Zelensky et mènent une guerre économique contre la Russie. Ce soutien a pesé lourd dans les récents succès de l’armée ukrainienne. Depuis l’invasion russe, l’Ukraine a reçu une énorme quantité de matériel militaire en provenance d’Occident. A cela s’ajoute un soutien financier massif. Les fonctionnaires ukrainiens sont payés essentiellement grâce aux prêts consentis par les chancelleries occidentales. Enfin, Kiev bénéficie des services de renseignements occidentaux, qui lui fournissent une estimation très précise des forces et des faiblesses du dispositif défensif russe. C’est ce qui a permis à Kiev d’identifier le triangle Izioum-Koupiansk-Balakliia comme son point le plus vulnérable.

Déséquilibre sur le front

Un autre atout majeur des forces ukrainiennes réside dans leur supériorité numérique. Sur le papier, les forces de la Fédération de Russie sont numériquement très supérieures à celles de l’Ukraine, mais les troupes russes engagées sur le front s’élèvent tout au plus à 150 000 hommes, soit à peine le tiers des forces ukrainiennes. Celles-ci ont été massivement renforcées par la mobilisation générale proclamée en février. Côté russe, cette guerre est menée exclusivement par des soldats professionnels, des mercenaires, des miliciens tchétchènes et un petit nombre de conscrits mobilisés dans le Donbass. Poutine espérait qu’en envoyant au front un nombre limité de soldats, il éviterait que de lourdes pertes ne nuisent à sa popularité et ne fragilisent son régime.

Après des percées initiales, en février, l’armée russe s’est retrouvée paralysée par son manque de troupes. Poutine a été obligé de renoncer à son plan d’une chute rapide de Kiev ; l’armée a redéployé et concentré ses forces dans le Donbass et devant Kherson. Appuyées par une très puissante artillerie, les troupes russes ont pu reprendre leur progression dans le Donbass, tout en repoussant les offensives ukrainiennes devant Kherson. Mais cela supposait d’évacuer certaines positions, comme les faubourgs de Kiev ou l’Ile des Serpents, et d’en dégarnir d’autres. Début septembre, le front d’Izioum n’était plus occupé que par un faible nombre de troupes de second ordre.

Moscou sous pression

Grâce à leur supériorité numérique, les Ukrainiens ont pu mener deux contre-offensives quasi-simultanées. Celle qui visait Kherson avait été annoncée à grand renfort de publicité depuis des semaines, et visait sans nul doute à attirer un maximum de troupes russes sur ce front. Après une brève percée initiale, cette contre-offensive a été un échec sanglant. Certaines estimations parlent de plus de 10 000 soldats ukrainiens tués. Mais quelques jours plus tard, une autre attaque était menée par les Ukrainiens à l’autre extrémité du front. Et celle-ci s’est déroulée bien différemment : après une percée initiale, des pointes mécanisées se sont enfoncées profondément dans les arrières des troupes russes, contraignant celles-ci à une retraite précipitée. Depuis, les lignes de défense russes se sont plus ou moins rétablies quelques dizaines de kilomètres plus à l’Est, cependant que les Ukrainiens continuent à mener des offensives localisées.

Ce fut une victoire incontestable pour Kiev et, dès lors, pour ses sponsors occidentaux. Après des mois de reculs et de défaites, l’armée ukrainienne a prouvé qu’elle pouvait remporter des succès. Zelensky peut respirer : son armée a donné des arguments supplémentaires aux politiciens occidentaux pour qu’ils continuent à le soutenir. Cependant, cela ne signifie pas que la victoire finale de l’Ukraine – et donc de Washington – est désormais acquise. Le coup porté au prestige de l’armée russe et du régime de Vladimir Poutine a poussé ce dernier à réagir.

Depuis le début de la guerre, le Kremlin est pris dans un dilemme. L’issue de cette aventure militaire est désormais une question de survie pour le régime, qui ne se relèverait pas d’une défaite. Or la Russie ne peut pas espérer vaincre sans régler le problème de son infériorité numérique sur le front, donc sans mobiliser massivement des réservistes ou des conscrits. Or, une telle mobilisation constitue un risque politique énorme, car ce ne serait plus seulement des soldats professionnels ou des mercenaires qui mourraient en Ukraine. L’opinion publique russe pourrait basculer vers une opposition massive à la guerre. C’est précisément pour cela que le Kremlin s’était refusé, jusqu’alors, à mobiliser massivement des réservistes et des conscrits.

Cette tactique avait suscité des doutes jusque dans les cercles proches du pouvoir, mais ces doutes ont été étouffés. Derrière son apparente puissance, un régime bonapartiste comme celui de Poutine est en réalité très fragile. Poutine ne pouvait pas laisser s’exprimer des critiques, d’où qu’elles viennent. Mais la débandade d’Izioum a cristallisé et révélé toutes les tensions accumulées au sein du régime. Le président de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, a publiquement questionné la façon dont la guerre était menée. Ce faisant, il visait implicitement l’inamovible ministre de la Défense, Serguei Choïgu. Poutine était forcé de prendre une décision – non sans mal, précisément du fait des remous au sein du régime. Signe de ses hésitations, son discours « exceptionnel » du 20 septembre a été in extremis reporté au lendemain, sans aucune explication.

« Mobilisation partielle »

L’option retenue par les dirigeants russes est un compromis dont l’habillage politique est peu subtil. Le 20 septembre, des référendums sur le rattachement à la Russie des territoires occupés par les troupes russes ont été annoncés. Leur résultat ne faisait aucun doute : ils ont donné une écrasante majorité en faveur de l’annexion à la Russie. Bien sûr, cela s’explique par le fait que, dans les territoires ukrainiens placés sous occupation militaire russe, toute opposition au Kremlin a été écrasée. Mais cela s’explique aussi par le fait que la population de ces régions, majoritairement russophone, a été la cible, depuis 2014, de toute une série de mesures vexatoires de la part du gouvernement de Kiev, mesures auxquelles s’ajoutent les bombardements meurtriers menés par l’armée ukrainienne depuis huit ans. Il est significatif que Kiev ait menacé de punir de 12 ans de prison tous ceux qui participeraient aux référendums organisés par Moscou. Si le gouvernement de Zelensky était convaincu du patriotisme de la population des territoires occupés, il n’aurait pas besoin de la menacer. Toujours est-il qu’à l’issue de ces référendums et de l’annexion des territoires concernés, devenue officielle le 30 septembre, toute contre-offensive ukrainienne dans ces régions devient une attaque contre la Fédération de Russie – et donc un prétexte légal à une déclaration de guerre officielle.

Dans son discours du 21 septembre, Poutine a annoncé une mobilisation « partielle », soit le rappel de 300 000 réservistes. Théoriquement, cette mesure pourrait fournir à la Russie les effectifs suffisants pour résister aux offensives ukrainiennes, et peut-être même repasser à l’offensive. Mais cela représente un risque politique majeur, pour le Kremlin. Même l’intégration de ces réservistes est loin d’être une opération facile. On a assisté à des manifestations de protestation, en Russie, et à la fuite à l’étranger d’un certain nombre de réservistes. S’il est clair que la presse occidentale a exagéré l’ampleur de ce phénomène, la mobilisation n’en a pas moins écorné la popularité du régime. Et cela ne peut que s’aggraver si les pertes s’avèrent importantes parmi les réservistes.

Pour autant, la défaite de la Russie n’est pas inéluctable. Sur un plan strictement militaire, il n’est pas garanti que l’Ukraine obtienne rapidement d’autres victoires importantes, surtout si les Russes disposent d’effectifs plus nombreux grâce à la mobilisation partielle. Par ailleurs, l’armée russe fait désormais preuve de moins de « retenue » qu’au début de la guerre : les infrastructures ukrainiennes sont frappées de façon bien plus systématique.

Enfin, il n’est pas certain que les puissances occidentales maintiendront indéfiniment le même niveau de soutien à l’Ukraine. La crise économique et l’inflation croissante ont déjà eu un impact important en Europe – et menacent d’avoir des conséquences politiques majeures. Début septembre, une manifestation de masse s’est tenue, à Prague, pour protester à la fois contre les politiques d’austérité et contre le soutien au gouvernement de Kiev. D’autres manifestations de ce type pourraient tout à fait se produire ailleurs en Europe, surtout à l’approche de l’hiver : la hausse du prix du gaz fait exploser les factures de chauffage dans toute l’Europe.

Peu de travailleurs européens seront prêts à « avoir froid pour soutenir l’Ukraine », comme le leur demande les politiciens bourgeois. Moscou le sait et compte bien utiliser le gaz comme un moyen de pression. L’unité de façade de l’Union européenne commence à se fissurer : la Hongrie a signé avec la Russie un contrat de fourniture de gaz qui est, de facto, une violation des sanctions. D’autres pays pourraient suivre la Hongrie. Les lamentations hypocrites des dirigeants occidentaux sur le « chantage » de Poutine ne pèseront pas lourd dans la balance.

S’il est difficile de prévoir quelle sera l’issue de cette guerre, une chose est sûre : ce sont les travailleurs d’Ukraine, de Russie et d’Europe (entre autres) qui devront en payer le prix. Cette guerre impérialiste n’est qu’une nouvelle démonstration de l’impasse du système capitaliste. Comme le disait déjà Lénine il y a près d’un siècle : « le capitalisme, c’est l’horreur sans fin ».

Mi-mai, l’offensive des forces russes dans le Donbass a fini par percer le front ukrainien sur au moins trois points. A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’armée russe menace d’encercler plusieurs concentrations de troupes ukrainiennes, notamment autour de Severodonetsk. Même s’il est toujours possible que cette offensive s’essouffle et que les forces ukrainiennes se rétablissent un peu plus loin, la perspective d’une défaite majeure de l’armée ukrainienne, dans le Donbass, est bien réelle. C’est ce qui a poussé le gouvernement de Kiev à annoncer, de nouveau, qu’il était prêt à négocier avec la Russie.

Pressions contradictoires

Cependant, Zelensky reste soumis à une autre pression, opposée à celle de l’armée russe, et qui vient de Washington. Il y a un mois, le gouvernement américain et l’OTAN avaient déjà fait échouer les négociations de paix à peine entamées. Outre la dépendance de l’armée ukrainienne aux envois d’armes occidentales, Zelensky sait que même après la guerre, son gouvernement aura besoin de l’aide des Etats-Unis et de l’Europe pour assurer la reconstruction du pays. Washington agite ces carottes sous le nez de Zelensky pour le pousser à prolonger la guerre.

Les gouvernements des Etats-Unis et d’Ukraine n’ont pas exactement les mêmes objectifs. Le gouvernement de Kiev veut conserver sous son contrôle autant de territoire que possible, ce qui peut impliquer de négocier avec les Russes avant qu’ils n’occupent une plus grande partie de l’Est du pays. De son côté, l’administration Biden veut faire durer la guerre au maximum pour « saigner » l’armée russe. Le député démocrate américain Seth Moulton l’a reconnu ouvertement. Le 7 mai, sur une chaîne de télévision américaine, il affirmait qu’il ne s’agissait pas seulement « de soutenir les Ukrainiens. Nous sommes essentiellement en guerre contre la Russie, même s’il s’agit d’une guerre par procuration ». La Maison Blanche a formellement critiqué cette déclaration trop franche, mais la formule de Moulton est exacte : les Etats-Unis mènent une guerre contre la Russie par le biais de l’armée ukrainienne et sur le territoire de l’Ukraine.

Divisions entre alliés

Après une phase d’unanimité de façade, des contradictions se sont également manifestées entre les Etats-Unis et plusieurs de leurs alliés européens – à propos de la même question : jusqu’où doit aller la guerre contre la Russie ? Comme le disait De Gaulle, « les Etats n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts ». Or les puissances impérialistes occidentales ont des intérêts divergents.

Les Etats-Unis veulent affaiblir la Russie, son armée et son économie. Ayant peu de liens économiques avec la Russie, les Etats-Unis peuvent se permettre de pousser cette logique assez loin. Du point de vue des impérialistes européens, la situation est plus délicate. Les pays européens sont davantage liés à l’économie russe. Beaucoup sont notamment très dépendants du gaz et du pétrole importés de Russie. Des sanctions trop strictes contre ces importations pourraient provoquer une nouvelle hausse dramatique des prix de l’essence et du gaz, au risque de préparer des explosions sociales en Europe.

C’est pour cette raison que plusieurs pays européens, dont l’Allemagne et la Hongrie, ont exprimé des réticences à l’idée de sanctions supplémentaires contre la Russie. C’est la même raison qui a poussé la France et l’Italie à se proposer récemment comme médiatrices pour de futures négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie. Leurs économies sont trop fragiles pour supporter trop longtemps le poids de cette guerre par procuration.

L’impact des sanctions

Par ailleurs, il faut souligner que les sanctions ont eu un impact limité sur la Russie. Les accords économiques qu’elle a signés avec la Chine, d’une part, et d’autre part le maintien de liens économiques – et notamment énergétiques – entre la Russie et l’Europe, malgré les sanctions, ont eu pour effet de limiter leur impact sur l’économie russe. L’effondrement catastrophique prophétisé par les stratèges de Washington ne s’est pas réalisé. Par contre, comme après l’occupation de la Crimée en 2014, les sanctions ont eu pour effet de rallier la population russe autour du Kremlin. Alors que la popularité de Poutine était en chute libre avant le début de la guerre, les sanctions économiques contre la Russie lui ont donné l’occasion de se poser, une fois de plus, en « défenseur de la nation ».

Nous l’expliquions dès le mois de février : quelle que soit l’issue de cette guerre, les travailleurs d’Ukraine, de Russie, d’Europe et des Etats-Unis n’y gagneront rien. Au contraire. La guerre aggrave la crise économique, les sanctions provoquent des pénuries, attisent l’inflation et menace de famine des pays entiers. Par contre, les entreprises d’armements prévoient des profits records lorsque les armées de l’OTAN voudront remplacer les armes qu’elles ont livrées à Kiev. Par exemple, la Pologne vient d’annoncer qu’elle allait acheter des chars neufs pour remettre à niveau ses stocks, qui ont été réduits par ses envois à l’Ukraine. Comme dans toute guerre impérialiste, les travailleurs en paient le prix avec leur sang et par la dégradation de leurs conditions de vie, pendant que les capitalistes engrangent d’énormes profits. 

Le 19 avril dernier, le ministre des Affaires étrangères de Russie, Serguei Lavrov, annonçait l’ouverture d’une « nouvelle phase » de la guerre en Ukraine : le lancement d’une offensive majeure dans le Donbass.

Jusqu’à présent, l’armée ukrainienne n’a jamais réussi à monter une contre-offensive majeure. Tous ses « gains » territoriaux importants ont consisté à réoccuper des territoires préalablement évacués par la Russie, comme par exemple dans le nord ou entre Mykolaïv et Kherson. Cela reflète le déséquilibre des forces en présence. Face à la supériorité matérielle et technique de l’armée russe, la résistance ukrainienne a dû se limiter à des opérations essentiellement défensives et à quelques raids symboliques, comme le bombardement d’un dépôt de carburant en Russie ou la destruction du croiseur russe Moskva. A l’inverse, une fois concentrées dans le Donbass, les forces russes semblent en capacité d’y percer les lignes ukrainiennes.

L’aide de l’OTAN n’est pas suffisante pour atténuer ce déséquilibre d’une façon significative. Les pays occidentaux livrent des armes, fournissent des renseignements, mais n’interviennent pas directement. Dans ces conditions, les stratèges de l’impérialisme occidental savent très bien qu’une victoire de la résistance ukrainienne est improbable. En « appuyant » l’Ukraine, ils cherchent surtout à faire durer la guerre, dans le but d’épuiser les armées russes.

La guerre en Ukraine est avant tout un conflit entre les puissances occidentales (Etats-Unis en tête) et la Russie. Depuis 1991, l’OTAN et l’UE ont méthodiquement empiété sur les sphères d’influence traditionnelles de l’impérialisme russe – en Europe de l’Est, dans le Caucase, en Asie centrale et au Moyen-Orient. L’Ukraine n’est que l’un des champs de bataille – parmi d’autres – de cette confrontation entre puissances impérialistes.

Par exemple, le Mali et la Centrafrique sont le théâtre d’un conflit entre la France et la Russie. L’an passé, en Centrafrique, l’impérialisme français a même mené une opération de soutien militaire aux rebelles locaux, dans le but de renverser le gouvernement centrafricain, qui est soutenu par la Russie. Elle s’est d’ailleurs soldée par un échec, face à l’intervention russe.

Les erreurs de la gauche

Malheureusement, comme à chaque guerre impérialiste majeure, la plupart des dirigeants de gauche mordent à l’hameçon de la propagande que les médias français diffusent ad nauseam. C’est notamment le cas des directions du PCF, de la FI et du NPA, qui approuvent – avec plus ou moins de « réserves » – les sanctions contre la Russie, c’est-à-dire « l’effort de guerre » de l’OTAN et de l’UE. Pourtant, aucun des deux camps ne joue un quelconque rôle « progressiste » ou « anti-impérialiste », dans cette guerre.

Le régime de Zelensky n’est pas plus démocratique ou progressiste que celui de Poutine. Depuis le début de la crise mondiale de 2008, et plus encore depuis le coup d’Etat de 2014, les travailleurs d’Ukraine sont écrasés sous les mesures d’austérité et les contre-réformes. Des partis d’opposition sont interdits (dont le Parti Communiste ukrainien) ; des militants de gauche régulièrement arrêtés par la police. Enfin, selon l’ONU, la guerre menée par le gouvernement de Kiev contre les rebelles du Donbass – qui sont soutenus par la Russie – a fait près de 3400 victimes civiles entre 2014 et 2021.

Zelensky défend les intérêts des différentes cliques de l’oligarchie ukrainienne, laquelle s’est enrichie en pillant les propriétés d’Etat dans la foulée de la chute de l’URSS. Son régime encourage le nationalisme réactionnaire ukrainien ; il a réhabilité des collaborateurs du nazisme et a intégré des milices fascistes au sein des forces armées. C’est le cas notamment du régiment Azov, qui est ouvertement fasciste.

De son côté, le Kremlin se contrefiche de la soi-disant « dénazification » promue par ses services de propagande. Il défend les intérêts de l’impérialisme russe, qui veut assurer le contrôle de ses sphères d’influence et faire la démonstration de sa force face à l’OTAN. Par ailleurs, Poutine s’efforce de mobiliser le nationalisme russe pour tenter de consolider son régime. Depuis 2018, le gouvernement russe a été confronté à toute une série de mobilisations d’une ampleur croissante : contre la réforme des retraites, contre la corruption et les fraudes électorales, etc.

Poutine, Zelensky, Macron et Biden représentent les intérêts de leurs classes capitalistes respectives. Ils sont totalement indifférents aux souffrances des masses d’Ukraine, du Donbass ou de Russie. Pour défendre les intérêts communs des travailleurs ukrainiens et russes, il faut lutter contre l’impérialisme russe, mais aussi – et, en France, d’abord – contre l’impérialisme occidental. La tâche de lutter contre le régime de Poutine ne doit pas être confiée à l’OTAN et à l’UE, mais à la classe ouvrière russe. Quant à nous, notre priorité est de combattre notre propre bourgeoisie, en commençant par dénoncer les mensonges et l’hypocrisie de l’impérialisme français. Comme le disait le révolutionnaire allemand Karl Liebknecht en 1914 : « l’ennemi principal est dans notre pays ! »

Fin mars, après six semaines de combats, l’armée russe a évacué l’ensemble des positions qu’elle avait conquises autour de Kiev. Ce retrait marque l’échec du plan originel du Kremlin, qui espérait mettre l’armée ukrainienne « KO debout » et faire chuter le gouvernement de Zelensky grâce à une offensive terrestre sur trois côtés de la frontière ukrainienne, des frappes aériennes visant les infrastructures militaires du pays et un raid aéroporté contre la banlieue de Kiev.

Moscou a manifestement sous-estimé le renforcement de l’armée ukrainienne, depuis 2014, et la motivation de ses troupes. Cependant, le retrait du nord de l’Ukraine ne marque pas la fin de la guerre, ni même un ralentissement des combats. Poutine a simplement révisé ses objectifs. Il concentre les efforts de l’armée russe sur la défense des positions conquises sur le Dniepr (autour des villes de Kherson et d’Enerhodar), sur une offensive sur le front de l’Est ukrainien (le Donbass) et sur la conquête de Marioupol.

Guerre et propagande

Le repli russe a été suivi de la découverte de cadavres de civils et d’accusations de crimes de guerre, notamment dans les villes de Boutcha et de Hostomel (au nord-ouest de Kiev). En réponse, plusieurs gouvernements occidentaux ont expulsé des diplomates russes, et des sanctions économiques – contre les exportations russes de charbon – ont été annoncées par l’UE.

Il est tout à fait probable que des soldats russes aient tué des civils durant l’occupation de ces territoires. Pour autant, les déclarations de Zelensky, qui parle d’actes de « génocide », « pires que l’occupation nazie », relèvent de la pure et simple propagande. D’un autre côté, les allégations du Kremlin, qui dénonce des « mises en scène » à base de « faux cadavres », ne sont pas du tout convaincantes. En temps de guerre, le mensonge est une arme. Depuis le début du conflit, Moscou, l’OTAN et le gouvernement ukrainien ne cessent de mentir. Parfois, le mensonge se retourne contre son auteur, comme dans l’affaire de la garnison ukrainienne de l’Ile aux Serpents. Selon le gouvernement de Kiev, tous ses membres avaient été tués après avoir refusé de se rendre à la marine russe. Ils ont été décorés à titre posthume comme « héros de l’Ukraine ». Leurs « derniers mots » de défi – « Navire de guerre russe, va te faire foutre » – ont été élevés au rang de symbole de la résistance ukrainienne. Mais finalement, il s’est avéré que les membres de cette garnison s’étaient rendus aux troupes russes. Certains ont été renvoyés vivants en Ukraine, dans le cadre d’un échange de prisonniers. Zelensky n’en a pas moins organisé une cérémonie pour leur remettre des médailles récompensant leur résistance jusqu’à la mort !

Par ailleurs, il faut souligner que la réaction aux crimes de guerre est très variable. En Afghanistan, l’OTAN a tué de très nombreux civils, souvent de façon délibérée. En 2015, par exemple, l’hôpital de Médecins sans frontières, à Kunduz, a été bombardé par l’aviation américaine, qui savait pertinemment qu’il s’agissait d’un hôpital. Il y a eu 42 morts parmi les patients et le personnel médical. Mais aucun diplomate américain n’a été expulsé en conséquence.

A Gaza, en 2014, l’aviation israélienne a visé des habitations civiles, des écoles et des hôpitaux avec des bombes incendiaires. Plus de 1500 civils palestiniens sont morts. Loin de prendre des sanctions contre l’économie israélienne, le gouvernement français a interdit les appels au boycott d’Israël.

Les bourgeoisies occidentales sont totalement indifférentes aux souffrances du peuple ukrainien, de même qu’elles sont indifférentes aux souffrances des Palestiniens et des Afghans. Le sort des peuples ne les « intéresse » qu’à des fins de propagande, c’est-à-dire lorsque des crimes sont perpétrés par une puissance rivale. Et si elles n’ont pas de véritables crimes à leur disposition, elles n’hésitent pas à en inventer. Ce fut le cas en 1989 avec le faux charnier de Timisoara (Roumanie) – ou encore avec le soi-disant « génocide planifié » des Albanais du Kosovo, en 1999.

Les nazis ukrainiens

Les grands médias occidentaux se sont unanimement rangés derrière l’OTAN. Par exemple, les journaux français s’acharnent à minimiser – voire à nier – la présence de néo-nazis dans l’armée ukrainienne, et notamment le rôle du célèbre régiment Azov. Dans un article publié le 23 mars, Le Monde affirme que « seule une minorité des soldats du régiment [Azov] sont aujourd’hui portés par des idées d’extrême droite ou néonazies ». Par ailleurs, Le Monde nous informe qu’Azov ne représente que 2 % de l’armée ukrainienne – et que l’extrême-droite est « quasi inexistante aux élections » en Ukraine. Conclusion : « circulez, il n’y a rien à voir ! »

Rien de tout cela ne tient debout. Le régiment Azov et ses milliers de combattants ne sont qu’une des multiples facettes de l’extrême-droite dans l’armée ukrainienne. Il y a d’autres unités de volontaires d’extrême-droite, telles que Aïdar ou Dnipro. Quant à Azov lui-même, son caractère nazi est explicite, ne serait-ce que par ses emblèmes, repris directement de la Waffen-SS. Son fondateur et principal dirigeant politique, Andriy Biletsky, fut aussi l’un des créateurs de l’« Assemblée Social-Nationaliste d’Ukraine ». En 2010, il déclarait que l’Ukraine avait pour mission de mener « les races blanches [...] dans la croisade finale contre les sous-hommes dirigés par les Sémites ».

A partir de 2014, Azov est devenu un centre de formation pour les néo-nazis d’Europe et d’Amérique, qui venaient y recevoir une formation politique et militaire. Par ailleurs, ce régiment est directement lié à une attaque meurtrière commise, en 2018, contre la communauté rom dans l’Ouest de l’Ukraine. En mars dernier, à Lviv, des miliciens ukrainiens ont attaché des réfugiés roms à des lampadaires, avant de leur peindre le visage au détergent. Naturellement, ceci n’a soulevé aucune protestation dans les rédactions parisiennes.

S’il est vrai que les néo-nazis déclarés ont peu de succès aux élections, ce n’est pas la seule mesure de leur influence politique. Les gouvernements de Poroshenko et de Zelensky ont intégré une partie de leurs dirigeants à l’appareil d’Etat. En 2016, un membre d’Azov a pris la direction de la police ukrainienne, tandis que Biletsky était promu lieutenant-colonel. Le gouvernement a aussi mené une campagne de réhabilitation des nazis ukrainiens. Des monuments ont été inaugurés pour rendre hommage à Roman Choukhevytch (l’un des organisateurs de la Shoah dans l’Ouest de l’Ukraine) et à la Division Waffen-SS Galicie, composée d’Ukrainiens ralliés à l’occupant hitlérien (entre 1943 et 1945). Dans le même temps, le gouvernement a interdit la diffusion de livres soulignant le rôle des nationalistes ukrainiens dans l’extermination des Juifs.

Précisons que ces informations ne viennent pas du Kremlin. Elles sont très bien documentées. Avant la guerre, la BBC, le Guardian et La Croix ont publié de nombreuses enquêtes à ce sujet. En 2018, le FBI a même rédigé un rapport inquiet sur les liens entre le régiment Azov et l’extrême-droite américaine. Il n’empêche : les hommes de ce régiment figurent parmi les premiers à bénéficier des livraisons d’armes de l’OTAN, depuis le début de la guerre.

Perspectives

Zelensky n’est pas le « héros de la démocratie » que nous dépeint la presse occidentale, depuis deux mois. Il est le représentant d’une des cliques rivales d’oligarques qui se sont partagé l’économie et le pouvoir, en Ukraine, après la chute de l’URSS. Zelensky a profité de la guerre pour interdire plusieurs partis d’opposition et placer toutes les chaînes de télévision sous l’autorité de l’Etat. Si son gouvernement n’a pas abandonné le pouvoir aux néo-nazis, il les utilise pour mener une campagne d’intimidation contre le mouvement ouvrier. Des militants de gauche et des syndicalistes ont été arrêtés. Certains ont même été torturés.

Cependant, le régime de Zelensky reste fragile. Des factions rivales de la bourgeoisie sont en embuscade et pourraient utiliser une défaite militaire – ou une « paix » signée sous la contrainte de l’armée russe – pour l’accuser de trahison et provoquer sa chute. Par ailleurs, lorsque la guerre finira, le gouvernement de Kiev devra aussi gérer le problème des néo-nazis. Malgré leurs pertes au combat, ils sont aujourd’hui plus nombreux, mieux armés et plus influents qu’avant la guerre. Et ils seront très hostiles à tout accord de paix entérinant la partition de l’Ukraine.

Enfin, il faudra payer la facture de la guerre, qui s’ajoutera à la crise économique. Alors, pour Washington, Paris ou Londres, il ne sera plus question d’aider l’Ukraine. Les dirigeants occidentaux sont prêts à « soutenir » les Ukrainiens – de loin – quand il s’agit de tirer sur des chars russes, mais pas quand il s’agit d’empêcher que les masses ukrainiennes ne sombrent dans la misère. Entre 2014 et 2022, alors que l’Ukraine se débattait dans une crise économique catastrophique, la principale « aide » apportée par les occidentaux fut de conseiller au gouvernement de Kiev d’intensifier les politiques d’austérité.

En Russie, le régime de Poutine est assis sur un tonneau de poudre, lui aussi. N’oublions pas que les guerres peuvent très mal se terminer pour les régimes en place. En 1904, le ministre de l’Intérieur du Tsar Nicolas II, Viatcheslav Plehve, disait que, pour éviter une révolution, il fallait « une petite guerre victorieuse contre le Japon ». Loin de raffermir le trône du Tsar, la guerre avait accéléré l’éclatement de la révolution de 1905. Pour renforcer son régime fragilisé par la crise économique et une contestation croissante, Poutine a fait le même pari que Plehve en son temps. Sa « petite guerre victorieuse » contre l’Ukraine est devenue la guerre la plus importante que l’Europe ait connue depuis 1945. Elle a coûté des milliers de vies russes et pourrait se terminer par une défaite, du moins au regard des objectifs que Poutine s’était fixés.

Plus la guerre se prolongera, plus les privations qu’elle cause grandiront, plus les soldats rapporteront des informations sur les traitements infligés aux civils ukrainiens – et plus l’opposition, en Russie, se développera. C’est d’autant plus vrai qu’une colère existe déjà contre le régime de Poutine, suite aux contre-réformes qu’il a imposées depuis 2018.

Du fait du caractère dictatorial du régime russe, il n’est pas facile d’évaluer l’ampleur de l’opposition à la guerre. Mais des voix dissidentes se sont déjà élevées – non seulement dans la presse et chez les intellectuels libéraux, mais aussi dans les organisations de la classe ouvrière. Par exemple, nos camarades russes ont défendu les positions de l’internationalisme révolutionnaire dans la Jeunesse Communiste du pays.

En Ukraine comme en Russie, les fumées de la guerre et de la propagande nationaliste finiront par se dissiper. Pour les travailleurs de Russie et d’Ukraine, la seule solution sera de passer par-dessus les rivières de sang que Poutine, Zelensky et l’OTAN ont fait couler pour les diviser, et de lutter ensemble pour mener une révolution socialiste. Ce ne sera pas facile, mais c’est la seule voie réaliste pour tirer l’Ukraine et la Russie du bourbier sanglant où les ont plongés le capitalisme et l’impérialisme.

Le gouvernement de Zelensky utilise l’invasion russe, d’une façon complètement cynique, pour justifier la répression contre les opposants politiques. Lors d’une allocution télévisée le 20 mars, le président Zelensky a annoncé l’interdiction de onze organisations politiques pour toute la durée d’application de la loi martiale. Si certaines de ces organisations sont grotesques, et que quelques-uns de leurs membres sont en effet favorables à l’invasion russe, aucune preuve d’une « collaboration » effective n’a néanmoins été présentée pour justifier leur interdiction.

Si une poignée de membres de ces organisations ont effectivement applaudi à l’invasion, la plupart d’entre elles ne sont coupables que d’être hostile au gouvernement Zelensky. Parmi ces organisations se trouve l’« Opposition de Gauche », héritière du Parti Communiste d’Ukraine (PCU) dont les activités avaient été rigoureusement limitées en 2015 par les lois de « décommunisation ». Il faut souligner que cette interdiction a été grandement facilitée par l’attitude de son parti frère, le Parti Communiste de la Fédération de Russie. Celui-ci a en effet honteusement appuyé l’invasion de Poutine et s’est donc aliéné les travailleurs ukrainiens opposés à l’invasion russe.

Aucune preuve n’a non plus été apportée pour justifier l’interdiction du principal parti de l’opposition bourgeoise (le « Bloc d’Opposition »), partisan de longue date d’un rapprochement économique avec la Russie. La situation est encore plus risible en ce qui concerne la « Plate-forme d’opposition – Pour la vie » (PO-PV – centre-droit), qui dispose de 43 députés à la Rada, le parlement ukrainien. La PO-PV a récemment exclu de ses rangs un de ses députés, car il avait soutenu l’invasion russe, a publiquement condamné cette dernière et a même appelé ses membres à s’engager dans la Défense Territoriale. Zelensky n’en a pas moins annoncé son interdiction pour « collaboration avec l’agresseur ». Il faut dire que la PO-PV était arrivée en seconde place aux dernières élections législatives en 2019, avec 1,9 million de voix (13 % des suffrages). A eux trois, les partis représentés au Parlement qui viennent d’être dissous représentaient alors près de 2,7 millions d’électeurs (soit 18 % des suffrages).

D’autres partis qui ne sont pas représentés au parlement semblent avoir été interdits parce que leur nom comprend les mots « socialiste » ou « gauche », ou parce que leur électorat est essentiellement russophone. Tout ceci n’a rien à voir avec la défense nationale, c’est une tentative du parti de Zelensky pour s’arroger un monopole sur le pouvoir politique après un potentiel cessez-le-feu.

Dans le même mouvement, Zelensky a aussi utilisé les pouvoirs que lui donne la loi martiale pour regrouper toutes les chaînes de télévision du pays dans un seul groupe soumis au contrôle du gouvernement. Cela lui permet notamment de réduire au silence une chaîne liée à l’ancien président (de droite) Petro Poroshenko, qui avait récemment critiqué l’abandon par Zelenskiy des demandes d’entrée dans l’OTAN. Il ne s’agissait sans doute là que d’une manœuvre politicienne de Poroshenko, qui espère toujours revenir au pouvoir. Le fait n’en reste pas moins que le gouvernement a maintenant interdit la diffusion à la télévision de toutes les voix critiques, y compris celles qui ne pouvaient pourtant pas être soupçonnées d’être favorables à l’invasion russe.

Par ailleurs, de multiples arrestations de militants d’opposition ou de gauche ont été signalées dans de nombreuses villes. Par exemple, le journaliste Yuriy Tkachev du journal Timer a été arrêté chez lui à Odessa par la sécurité intérieure (SBU). Tkachev a écrit sur le conflit de façon objective, c’est-à-dire notamment en décrivant les ravages causés par les bombardements russes. Il n’en a pas moins été arrêté et accusé de possession d’armes et d’explosifs. Tkachev était surtout un vieil ennemi des nationalistes ukrainiens, car il a joué un rôle clé pour faire connaître au public la réalité du massacre d’Odessa le 2 mai 2014. Les nationalistes avaient alors incendié la Maison des Syndicats de la ville et brûlé vives les 42 personnes qui s’y trouvaient.

Des arrestations de militants sont rapportées tous les jours. Nous devons nous opposer aux manœuvres cyniques de Zelensky qui persécute sans aucune preuve l’opposition politique. Il ne fait pas de doute que le pouvoir espère qu’en utilisant ces accusations calomnieuses de « collaboration », il pourra démoraliser toute potentielle future opposition quand les choses reviendront à la normale et au règne de l’oligarchie. C’est pour cela que tellement d’organisations différentes ont été visées en bloc par cette répression.

Les brèves thèses qui suivent ont été rédigées par des partisans de la TMI en Ukraine puis traduites. Elles traitent des origines de la guerre actuelle et des effets réactionnaires qu’elle a en Ukraine. Pour une solution internationaliste à la guerre en Ukraine, et à toutes les guerres ! Pour la révolution socialiste ! L’original en ukrainien est consultable ici.

1. La guerre en Ukraine est une conséquence d’un conflit entre bandits impérialistes.

D’un côté, nous avons le puissant impérialisme américain, qui occupe une position dominante dans l’arène mondiale depuis la fin de la guerre froide. De l’autre, il y a l’impérialisme du Kremlin, qui a hérité la plus grande part de ses ressources naturelles, et de ses forces productives et militaires de l’ancienne URSS. Il s’agit d’un impérialisme fort, mais pas d’une puissance mondiale.

Quels sont les éléments de conflits dans le cas présent ?

Dans la période récente, les intérêts des Etats-Unis et de l’OTAN se sont de plus en plus rapprochés des frontières de la Russie. Par conséquent, les intérêts régionaux du Kremlin sont menacés par l’impérialisme occidental qui manœuvre pour encercler la Russie. La goutte d’eau de trop fut le fait que les autorités installées à Kiev après le mouvement de Maïdan ont avancé la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE de façon répétée. Poutine a donc décidé de renforcer la position fragile de l’impérialisme russe en menant une guerre impérialiste en Ukraine.

2. Pourquoi Washington n’a pas envoyé de troupes en Ukraine ?

Même pour la nation impérialiste la plus puissante au monde, les ressources disponibles pour la guerre ne sont pas infinies. L’impérialisme américain a récemment été vaincu en Afghanistan, et la crise économique mondiale a dévoilé le talon d’Achille de Washington. Par conséquent, il n’a pas d’autre choix que de continuer à imposer des sanctions et à attendre les actions de l’impérialisme du Kremlin.

3. L’Ukraine a été victime de ce conflit.

La guerre renforce de plus en plus le nationalisme ukrainien et son hostilité envers le peuple russe. Ces idées réactionnaires n’offrent aucune issue aux masses ukrainiennes dans la lutte contre l’impérialisme russe. Nous appelons à la solidarité internationale des masses opprimées. Ni l’OTAN, ni l’UE, ni les Etats-Unis ne vont nous aider. Ils ont déjà prouvé que leur principal intérêt repose dans les profits de leurs propres capitalistes. Seule l’unité internationale des travailleurs pourra nous aider dans la lutte contre l’impérialisme et contre notre propre bourgeoisie.

Le nationalisme ukrainien défend les intérêts de ceux qui ont vite abandonné le peuple ukrainien dans les jours précédant le 24 février : les bureaucrates, les oligarques et tous les parasites de la société ukrainienne. Nous disons « non » au nationalisme ukrainien, mais prônons plutôt l’unité et la communauté des prolétaires du monde entier.

Seule une lutte commune avec la classe ouvrière russe peut nous permettre de vaincre l’impérialisme de la clique du Kremlin. Nous soulignons encore une fois que le nationalisme étroit n’est pas une issue à cette crise et ne fait que désorienter la classe ouvrière dans la lutte contre l’impérialisme de toute nuance.

Cet article a été écrit le 14 mars 2022.


Alors que l’armée russe continue à bombarder les villes d’Ukraine, les travailleurs du monde sont consternés par les destructions et les morts causées par l’invasion. La presse et les politiciens occidentaux font de leur mieux pour dissimuler le rôle de leur propre impérialisme dans ce désastre. Loin d’être une tierce partie neutre, les puissances occidentales ont contribué à provoquer ce conflit pour leurs propres intérêts impérialistes.

La guerre en Ukraine n’oppose pas seulement l’Ukraine et la Russie, il s’agit d’une guerre par procuration entre l’Occident et la Russie. Depuis 2014, l’armée ukrainienne a été équipée et entraînée par les pays de l’OTAN. Aujourd’hui, l’effort de guerre de l’Ukraine est financé par l’UE et les Etats-Unis, qui envoient des armes et de l’argent. L’Allemagne a même rompu avec sa longue tradition de ne pas envoyer d’armes dans un pays en guerre. Le Congrès américain a approuvé un prêt de 13 milliards de dollars à l’Ukraine. Et ainsi de suite.

Aujourd’hui que la guerre a éclaté, les capitalistes occidentaux considèrent que l’argent envoyé en Ukraine est bien investi. On pourrait se demander où était cet argent lorsque l’Ukraine se débattait dans une profonde crise économique ?

Aussi démonstratif qu’il soit, ce soutien aura pourtant peu d’impact sur le cours de la guerre. En réalité, il s’agit surtout de tenter de prolonger le conflit, pour tenter de saigner à blanc l’armée russe. Bien sûr, ce ne sont pas les politiciens, les journalistes ou les PDG d’Europe ou d’Amérique qui devront en payer le prix, mais les millions d’Ukrainiens dont les vies et les maisons sont détruites. Quelle que soit l’ampleur de la résistance ukrainienne, l’armée russe rasera l’Ukraine plutôt que de la laisser rejoindre l’OTAN.

Les travailleurs européens paieront eux aussi le prix de ces mesures, notamment par la hausse des prix de l’énergie. Et c’est sans parler des travailleurs et des pauvres d’Egypte ou du Liban, qui sont complètement dépendants du blé russe et ukrainien. Malgré tout cela, d’après le président américain Biden ou la ministre britannique des Affaires étrangères Liz Truss, « cela en vaut la peine ». C’est plus facile à dire pour eux.

Ce qui est en jeu pour les pays de l’OTAN, c’est de garder l’Ukraine fermement ancrée dans leur sphère d’influence et de ne pas permettre qu’elle repasse sous celle de la Russie. Tout cela est enrobé dans de beaux discours sur la souveraineté et l’autodétermination, mais, comme souvent, toute cette phraséologie cache des intérêts impérialistes.

Promesses

Les sources de ce conflit remontent à la chute de l’Union soviétique. A l’époque, le Pacte de Varsovie représentait une force dans toute l’Europe orientale et regroupait tous les pays satellites de l’URSS. Cette alliance militaire avait été créée spécifiquement pour riposter à l’adhésion de l’Allemagne de l’Ouest à l’OTAN. Des soldats soviétiques étaient stationnés dans toute l’Europe de l’Est, à la fois comme une mesure défensive contre une éventuelle attaque occidentale et pour assurer le contrôle de la bureaucratie russe sur les nations membres du Pacte.

En 1989, néanmoins, cette alliance se désintégrait. Les capitalistes occidentaux y ont vu une gigantesque opportunité de faire des investissements rentables dans toute l’Europe de l’Est, y compris en Russie, en profitant du rétablissement du capitalisme qui était alors à l’ordre du jour. Cependant, ils craignaient que l’armée soviétique n’intervienne pour interrompre ce processus.

La bureaucratie soviétique avait utilisé ses troupes pour écraser des mouvements révolutionnaires en Hongrie en 1956 et à Prague en 1968. A l’époque, ces soulèvements avaient visé à une révolution politique contre la bureaucratie plutôt qu’à la restauration du capitalisme, mais, en 1989, cela n’empêchait pas les capitalistes de craindre que l’armée n’intervienne à nouveau. Au sein de l’establishment militaire soviétique, il existait en effet un attachement très fort, non pas au socialisme, mais au prestige militaire de l’Union soviétique et du Pacte de Varsovie.

Cette situation poussa l’Occident à faire toute une série de promesses aux dirigeants soviétiques, et notamment à s’engager à ne pas étendre l’OTAN. Le président américain Bush promit même à Gorbachev qu’il ne profiterait pas des mouvements qui éclataient alors en Europe de l’Est pour nuire aux intérêts de sécurité soviétiques. Cette question fut particulièrement sensible lors de la réunification allemande en 1990.

Le ministre des Affaires étrangères d’Allemagne de l’Ouest, Hans-Dietrich Genscher, fit alors un discours dans lequel il déclarait que, pour ne pas nuire à la sécurité de l’URSS, l’OTAN devait exclure toute « extension de son territoire vers l’Est, c’est-à-dire toute avancée vers la frontière soviétique ». Le Traité sur l’unification allemande, signé par les deux Républiques allemandes, l’Union soviétique, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, stipulait que, même si la nouvelle Allemagne unifiée était libre de rejoindre l’OTAN, aucun soldat étranger ne devait être stationné sur l’ancien territoire de la RDA.

En mars 1991, quelques mois à peine avant la dissolution du Pacte de Varsovie, le Premier ministre britannique John Major affirmait à Gorbachev qu’il n’était « pas question de renforcer l’OTAN » et qu’une « extension de l’OTAN était inenvisageable ». Le Pacte de Varsovie fut donc dûment dissous le 1er juillet 1991.

Sous le titre Extension de l’OTAN – ce que Gorbachev a entendu, les « Archives sur la Sécurité Nationale » de l’Université Georges Washington ont rassemblé une série de documents qui montrent la frénésie diplomatique qui fut alors de mise pour offrir des garanties aux dirigeants soviétiques. Ces documents ne laissent pas de place au doute sur ce qui fut promis ou non à cette époque. Ces promesses furent néanmoins violées à peine quelques années plus tard.

Le pillage de l’Europe de l’Est

L’oligarchie qui était alors créée en Russie par le pillage des propriétés d’Etat était encore trop faible pour s’affirmer. L’économie était en chute libre et la résistance de la classe ouvrière n’avait pas encore été vaincue. La Russie des années 1990 était devenue un terrain de jeu pour les oligarques et pour le capital financier occidental.

Ce processus se personnifiait dans la figure du président Eltsine, qui s’appuyait sur l’Ouest pour se maintenir au pouvoir. Si Gorbachev avait essayé de faire l’équilibre entre les réformes capitalistes et l’ancienne économie planifiée, Eltsine devint l’incarnation des réformes libérales et de la contre-révolution franche et ouverte. A plusieurs moments, l’Occident a dû intervenir pour affermir la position de Gorbachev contre les mobilisations des travailleurs et contre une fraction de la bureaucratie qui n’avait pas encore été complètement gagnée au capitalisme.

Lorsque Poutine se prépara à prendre la relève d’Eltsine, il s’appuya lui aussi sur l’Occident, et rencontra même Tony Blair en public. Il était supposé être le nouvel « homme des Occidentaux » à Moscou. A ce moment-là, la restauration du capitalisme signifiait que la Russie était soumise à l’impérialisme occidental.

L’Occident développait son influence dans toute l’Europe de l’Est. La classe ouvrière de la région avait été profondément démoralisée par le processus de restauration du capitalisme. Elle était mûre pour l’exploitation et c’est précisément cela que le capital occidental recherchait.

Le capitalisme allemand joua un grand rôle dans ce processus, et devint un acteur majeur en Europe centrale et orientale ainsi que dans les Balkans. Il joua notamment un rôle décisif dans la dislocation réactionnaire de la Yougoslavie. De son côté, le capital financier suédois prit le contrôle du secteur bancaire des pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie). Dans toute l’Europe de l’Est, des industries entières, et avant tout les plus profitables, furent raflées par les entreprises européennes, comme ce fut le cas avec l’absorption de Škoda par Volkswagen. Mais ces nouvelles acquisitions restaient vulnérables face à une Russie qui commençait à se remettre sur pied.

La guerre de Tchétchénie, lors de laquelle la Russie écrasa brutalement les aspirations indépendantistes tchétchènes, fut un signe que la Russie n’était plus aussi négligeable qu’elle l’était jusqu’alors. Cette guerre fut aussi un élément clé de la campagne présidentielle de Poutine. Celui-ci plaça son mandat présidentiel sous le signe d’une résurgence de la Russie, et alla même jusqu’à restaurer l’hymne national soviétique – doté de nouvelles paroles nationalistes russes.

Des promesses brisées

Si les oligarques russes étaient des voleurs, leurs homologues d’Europe de l’Est s’étaient eux aussi enrichis par le dépeçage des propriétés d’Etat, mais ils s’inquiétaient alors à nouveau de leur puissant voisin de l’Est. L’intégration officielle dans la sphère d’influence occidentale était donc une option séduisante pour s’en protéger.

Très rapidement, entre 1999 et 2004, la plupart des pays de l’ancien Pacte de Varsovie furent intégrés à l’OTAN. Cette inclusion, et en particulier celle des pays baltes, amena l’OTAN aux frontières de la Russie.

Des troupes américaines pouvaient maintenant être déployées à la frontière russe, à deux heures de route de Saint-Pétersbourg. Pour éviter que la provocation ne soit trop grande, aucune troupe américaine ne fut déployée dès ce moment-là. Les Etats-Unis s’en tenaient encore à l’accord qui stipulait qu’aucun de leurs soldats ne devait stationner de façon permanente à l’Est de l’Allemagne. Cela n’allait pas durer.

En 1998, Madeleine Albright, la secrétaire d’Etat de Clinton, décrivait quelle était alors l’opinion des Russes : « Eltsine et ses compatriotes étaient fermement opposés à l’agrandissement [de l’OTAN], qu’ils percevaient comme une stratégie visant à tirer profit de leur faiblesse et à les isoler ».

A peu près au même moment, l’OTAN mena une campagne de 78 jours de bombardements contre la Yougoslavie, causant d’énormes dégâts économiques. Dans une conférence sur la crise de 2014 en Ukraine, le professeur John Mearsheimer, de l’université de Chicago, expliquait ce que représentait cette campagne : « non seulement l’OTAN est intervenue dans les affaires intérieures d’un Etat non-membre de l’OTAN, mais il a pris position contre les Serbes, alliés des Russes, et l’a fait sans aucun accord du Conseil de Sécurité de l’ONU ».

Cela fut suivi de l’occupation du Kosovo, lors de laquelle des unités russes eurent un face-à-face tendu avec les troupes de l’OTAN ; de l’invasion de l’Afghanistan, pour lequel les Américains eurent abusivement recours à l’article 5 du traité fondateur de l’alliance, qui traite de la défense mutuelle ; et plus récemment, de l’intervention en Libye. Il était évident que l’OTAN n’était pas qu’une alliance défensive, mais pouvait être utilisée par l’Occident au détriment de la Russie.

La Russie trace une ligne dans le sable

L’OTAN continua son programme d’extension. En 2008, un sommet de l’Alliance atlantique à Bucarest adopta une déclaration qui, si elle refusait la demande d’adhésion immédiate de la Géorgie et de l’Ukraine, stipulait néanmoins que « l’OTAN accueille favorablement les aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie et leur volonté de rejoindre l’OTAN. Nous avons convenu aujourd’hui que ces deux pays deviendront membres de l’OTAN ».

En réponse à cette déclaration, le ministre adjoint aux Affaires étrangères de Russie déclara : « l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine à l’alliance est une erreur stratégique majeure qui aura des conséquences sérieuses sur la sécurité pan-européenne ». Poutine affirma que l’appartenance de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN serait une « menace directe » contre la Russie.

Dans un message du 1er février 2008, qui a fuité ensuite, l’ambassadeur américain à Moscou expliquait quelle était la position russe :

« Les aspirations de l’Ukraine et de la Géorgie à rejoindre l’OTAN ne touchent pas seulement une corde sensible en Russie, elles causent de sérieuses inquiétudes quant à leurs conséquences sur la stabilité de la région. Non seulement la Russie se sent encerclée, et victime de manœuvres pour affaiblir son influence dans la région, mais elle craint aussi des conséquences imprévues et incontrôlées qui pourrait affecter sérieusement les intérêts russes en matière de sécurité. Des experts nous disent que la Russie est particulièrement inquiète que les divisions en Ukraine sur la question de l’adhésion à l’OTAN, à laquelle est opposée la majorité de la communauté ethnique russe en Ukraine, ne débouchent sur une crise, sur des violences, voire même sur une guerre civile. Dans cette situation, la Russie se retrouverait placée devant le choix d’intervenir ou non, et c’est une décision qu’elle ne veut pas avoir à prendre. » (Cable: 08MOSCOW265_a)

A la même époque, les Etats-Unis entretenaient l’idée d’implanter un système de défense anti-missile en Pologne. Le gouvernement polonais poussait dans ce sens, non pas tant parce que cela aurait protégé la Pologne d’éventuels missiles, mais parce que cela signifiait l’établissement d’une base militaire américaine de façon permanente dans le pays. En juillet 2008, une déclaration du ministère des Affaires étrangères russe reprenait une formule déjà utilisée plus tôt par Poutine en affirmant que, si le projet était poursuivi, « nous serons contraints de réagir non par la diplomatie, mais par des moyens militaires et techniques ». Officiellement, le projet polonais était défensif et ne visait pas la Russie, mais il ne s’agissait là que de formules officielles.

Il existe des précédents en matière de positionnement de missiles. Les Etats-Unis et leurs alliés aiment prétendre qu’implanter des soldats ou des missiles en Europe de l’Est n’est pas du tout une manœuvre agressive. Par contre, Washington défend la « doctrine Monroe » qui s’oppose à ce qu’une autre puissance impérialiste positionne des troupes où que ce soit dans les Amériques. Savoir ce que les Etats-Unis feraient si une puissance rivale positionnait ses troupes et des missiles dans les Caraïbes, par exemple, ne suppose pas un effort d’imagination, car cela s’est déjà produit. Pendant la crise des missiles de Cuba, Washington a menacé de déclencher une guerre nucléaire, après l’implantation de troupes et de missiles soviétiques à Cuba. On peut facilement imaginer quelle serait la réaction du gouvernement américain aujourd’hui si la Chine positionnait des troupes ou des missiles à Cuba ou au Mexique.

Les provocations constantes de l’OTAN ont poussé la Russie et Poutine à tracer une ligne dans le sable. Ils ont profité du conflit entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud pour envahir la Géorgie. Après douze jours de guerre, la Géorgie a été contrainte d’accepter l’indépendance de facto de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Par ailleurs, même si cela n’a jamais été écrit dans les accords formels, cette guerre a aussi empêché la Géorgie d’adhérer à l’OTAN.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais l’Occident n’avait pas abandonné ses espoirs d’étendre sa sphère d’influence. Des concessions ont certes été faites par les Américains, notamment à travers l’abandon des projets de bases de missiles en Pologne. Néanmoins, un nouveau et sérieux point de tension apparut en Ukraine – qui fut le prélude à la guerre actuelle.

Le mouvement de Maïdan

En 2013, le président ukrainien Ianoukovitch négociait des accords commerciaux avec l’Europe et essayait de maintenir un certain équilibre entre la Russie et l’Occident. Il avait négocié un accord d’association avec l’UE, mais cela menaçait les relations entre l’Ukraine et la Russie.

Poutine s’opposa à cet accord, qu’il voyait (à raison) comme une tentative de placer l’Ukraine sous l’influence de l’UE. Les oligarques d’Ukraine orientale se rangèrent du côté de Poutine, car ils craignaient de perdre l’accès au marché russe. Poutine proposa alors la tenue de négociations trilatérales entre la Russie, l’UE et le FMI, mais Bruxelles refusa cette proposition. L’offre faite par l’UE à l’Ukraine était clairement « à prendre ou à laisser », car les Européens n’avaient pas envie de s’engager largement pour soutenir la fragile économie ukrainienne. Le milliard de dollars promis par les Européens était en réalité dérisoire, surtout alors que la Russie offrait une somme quinze fois supérieure, si l’Ukraine acceptait un accord commercial avec elle. Sans surprise, Ianoukovitch choisit l’offre russe.

Commentant l’opposition des Russes à l’accord avec l’Ukraine, Angela Merkel déclara alors que « la guerre froide était finie ». Mais les actes tant du gouvernement russe que de l’Occident montraient que ce n’était pas le cas. Elle ajouta d’ailleurs qu’elle « avait espéré mieux » de la part de Ianoukovitch.

Les Occidentaux avaient utilisé la promesse d’une association à l’UE pendant assez longtemps, en l’accompagnant de promesses d’investissements et d’un accès au marché du travail européen. Cela poussa une couche de la population à descendre dans les rues pour soutenir l’accord d’association, au sein du mouvement « EuroMaïdan ». Ces mobilisations furent ensuite appuyées par les dirigeants européens.

Comme l’a bien montré la suite des événements, l’UE n’avait en réalité aucune intention d’accepter la demande d’adhésion de l’Ukraine. Elle se satisfaisait d’arracher définitivement l’Ukraine à l’orbite russe, même au prix d’une guerre civile, mais elle ne voulait pas lui fournir un véritable appui économique. Encore aujourd’hui, les dirigeants européens sont opposés à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Si cela devait se produire, les Ukrainiens auraient accès à la libre circulation européenne et aux budgets communs, et c’est un scénario qui n’intéresse pas le moins du monde les capitalistes européens.

Alors que les manifestations de Maïdan se développaient, les Européens n’en étaient pas moins prêts à défendre le droit de principe pour l’Ukraine de rejoindre l’UE. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, déclarait que les mobilisations montraient que « le cœur des Ukrainiens bat à l’européenne ». Cela ne signifiait néanmoins pas qu’ils pourraient rejoindre l’Union européenne.

Alors que les manifestations se développaient, les Etats-Unis commencèrent à s’impliquer. Le 3 décembre 2013, le porte-parole de la Maison-Blanche Jay Carney déclarait :

« La violence et l’intimidation ne devraient avoir aucune place dans l’Ukraine d’aujourd’hui. Nous continuons à soutenir les aspirations du peuple ukrainien à une démocratie européenne prospère. L’intégration européenne est la voie la plus sûre vers la croissance économique et le renforcement de la démocratie européenne. »

Mais l’aile la plus agressive de la bourgeoisie américaine voulait aller encore plus loin. Le sénateur John McCain fit alors plusieurs déclarations martiales et vint même faire un discours sur la place Maidan le 15 décembre. La préparation d’un coup d’Etat était en marche.

Un enregistrement d’une conversation entre le secrétaire d’Etat américain et l’ambassadeur des Etats-Unis en Ukraine a été posté sur YouTube, très probablement par les services secrets russes. Il s’agit néanmoins d’une preuve claire de l’implication des Etats-Unis dans la planification du renversement de Ianoukovitch.

Cette implication américaine visait un but simple : installer un gouvernement favorable à l’Occident, qui signerait l’accord avec l’UE et pousserait pour l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. On peut douter que Washington ait vraiment eu l’intention de laisser l’Ukraine rejoindre véritablement l’OTAN, mais les dirigeants occidentaux prévoyaient en tout cas de continuer à agiter l’espoir de la prospérité (sous la forme d’une inclusion dans l’UE) et de la sécurité militaire (sous la forme d’une adhésion à l’OTAN) sous le nez des Ukrainiens.

Le coup d’Etat eut finalement lieu le 22 février 2014. Le nouveau régime fit immédiatement la démonstration de ses intentions anti-russes. Le lendemain même de son arrivée au pouvoir, le parlement abrogeait la loi sur les langues minoritaires, qui donnait un statut officiel à la langue russe dans certaines régions du pays. Un mois plus tard, il signait l’accord d’association avec l’UE.

Dans le cadre de la mobilisation contre Ianoukovitch, les impérialistes et les oligarques pro-occidentaux avaient ramené à la vie les fantômes des groupes fascistes collaborateurs des nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Les néo-nazis ont fourni les troupes de choc du mouvement de Maïdan. Le nouveau régime intégra ensuite l’héritage des collaborateurs nazis dans ses institutions, y compris le slogan « Gloire à l’Ukraine ! Gloire aux héros ! », qui devint même une devise officielle de l’armée ukrainienne. D’une façon assez répugnante, ce slogan a été repris ces dernières semaines par les libéraux d’Occident.

La réaction de Poutine et du gouvernement russe à ces événements fut, sans surprise, hostile. Le nouveau régime représentait une menace, en particulier contre la base navale russe de Sébastopol. En l’espace d’un mois, Poutine avait occupé et annexé la Crimée pour assurer l’accès de la flotte russe à la mer Noire. Il apporta aussi un appui aux rebelles séparatistes du Donbass – d’abord avec réticence, puis en force. Cet appui se manifesta notamment lors des deux occasions où il semblait qu’ils allaient être vaincus par l’armée ukrainienne.

D’une façon assez ironique, le principal acquis du mouvement nationaliste ukrainien fut donc la perte de trois importantes régions d’Ukraine. Tout ceci fut clairement encouragé du début à la fin, par les Etats-Unis, mais aussi, bien que de façon plus réticente, par l’UE.

Les ingérences de l’OTAN

En 2017 et 2020, l’OTAN a intégré deux nouveaux pays qui étaient auparavant dans la sphère d’influence de la Russie : le Monténégro et la Macédoine. En elles-mêmes, ces intégrations n’ont rien de décisif, mais elles montraient que l’OTAN est prête à continuer son extension, peut-être même en Ukraine.

Les Etats-Unis et l’UE ont continué à pousser l’Ukraine contre la Russie, et l’ont même encouragée à violer les accords de Minsk, auxquels les nationalistes ukrainiens étaient opposés dès le début. Des drones de combat furent fournis à l’Ukraine par la Turquie, et des missiles anti-chars « Javelin » par les Etats-Unis. Tout cela préparait une nouvelle offensive contre le Donbass. En janvier de cette année encore, le secrétaire du Conseil ukrainien de Défense et de sécurité nationale, Oleksiy Danilov, déclarait :

« L’application des accords de Minsk signifie la destruction du pays. Quand ils ont été signés avec un revolver russe sur notre tempe – et sous le regard des Allemands et des Français – il était déjà clair pour toute personne sensée qu’il serait impossible de les appliquer. »

Le gouvernement ukrainien continuait à se montrer hostile envers la minorité russophone : en 2019, Zelensky mit en place une loi sur les langues, qui imposait l’usage de l’ukrainien dans les services et dans l’éducation. Il était maintenant passible d’une amende pour le serveur d’un café d’accueillir quelqu’un en russe, sauf si le client le demande explicitement. Parallèlement, les écoles qui avaient jusqu’à présent enseigné en russe, se le voyaient interdire. C’était une nouvelle provocation contre la minorité russe – et la Russie.

Et la pression continuait de s’accumuler. Au printemps 2021, l’OTAN a organisé un gigantesque exercice militaire nommé « Defender Europe 2021 », qui comprenait notamment des manœuvres dans les pays baltes et en Pologne. L’Ukraine était l’un des 26 pays participants. D’après l’armée américaine, cet exercice « démontre la capacité [des Etats-Unis] à être un partenaire stratégique de sécurité dans les Balkans et autour de la mer Noire, tout en maintenant nos capacités en Europe du Nord, dans le Caucase, en Ukraine et en Afrique ». C’est-à-dire toutes les zones que la Russie et l’Occident se disputent. L’OTAN affirme bien sûr que tout cela n’est en rien hostile à la Russie. Mais ces exercices sont aussi amicaux que l’étaient les exercices organisés par la Russie en Biélorussie avant l’invasion de l’Ukraine. Durant ces exercices de l’OTAN, des bombardiers stratégiques américains B1 ont frôlé l’espace aérien russe, forçant la Russie à mobiliser des avions de chasse en urgence.

A l’été 2021, le gouvernement britannique a envoyé un navire de guerre, le « HMS Defender », dans les eaux territoriales russes, au sud de la Crimée. Il s’agissait d’envoyer un signal à la Russie, pour lui montrer que la Grande-Bretagne ne reconnaissant pas la Crimée comme russe et qu’il s’agissait là des « eaux territoriales ukrainiennes ». En octobre, les Etats-Unis ont à nouveau envoyé des bombardiers aux limites de l’espace aérien russe, cette fois au-dessus de la mer Noire. En septembre, sous le couvert du « Partenariat pour la Paix », l’OTAN a organisé des exercices en Ukraine, avec la participation de troupes américaines.

Par ailleurs, les pays de l’OTAN ont largement contribué à la formation des forces armées ukrainiennes. Au sein du centre d’entraînement de Yaroviv, entre Lviv et la frontière polonaise – aussi connu sous le nom orwellien de « Centre international pour la sécurité et le maintien de la paix » – des instructeurs de l’OTAN forment depuis 2015 l’armée ukrainienne selon les standards de l’OTAN. Cela concerne notamment les bataillons néo-nazis membres de la garde nationale ukrainienne. C’est cette base qui a été détruite par des frappes russes le 12 mars.

Le but de tout ceci est clair. L’OTAN le reconnaît même assez franchement : il s’agit de montrer sa capacité à envoyer des troupes en Europe de l’Est, pour préparer un conflit contre Moscou et soutenir l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie. Bien sûr, comme l’ont montré les événements, l’OTAN n’avait aucune intention de réellement mener une guerre, mais ils voulaient envoyer un signal.

Un journaliste de MSNBC, Zeeshan Aleem, a très bien résumé ce processus : « en faisant miroiter à l’Ukraine son adhésion à l’OTAN pendant des années sans jamais la mettre en pratique, l’OTAN a créé une situation qui a poussé l’Ukraine à jouer les durs face à la Russie – sans avoir la moindre intention de défendre l’Ukraine par la force si jamais Moscou décidait que Kiev est allé trop loin. »

Le professeur Mearsheimer l’a résumé encore plus crûment en 2015 : « L’Occident est en train de pousser l’Ukraine dans une voie sans issue et elle n’en sortira pas intacte ». Il ajoutait :

« Nous encourageons les Ukrainiens à jouer les durs face à la Russie. Nous poussons les Ukrainiens à penser qu’ils vont être intégrés à l’Occident parce qu’au final, nous nous allons vaincre Poutine et faire les choses comme nous voulons. »

Au final, après avoir joué des muscles face à la Russie, l’Ukraine est en train d’être détruite. Il n’y a aucun moyen de savoir si les dirigeants occidentaux, comme Biden et Johnson, étaient conscients que la Russie envahirait réellement l’Ukraine, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils étaient prêts à prendre ce risque. Ils sont montés sur leurs grands chevaux pendant tout l’automne et l’hiver dernier, pour défendre le droit de l’Ukraine à rejoindre l’OTAN, comme ils avaient défendu son droit à rejoindre l’UE. Plus exactement, ils défendaient son droit à demander de rejoindre l’OTAN et l’UE, parce qu’il n’est pour l’instant pas prévu que l’Ukraine soit acceptée dans l’une ou l’autre de ces deux organisations.

Qui est responsable ?

Avec aujourd’hui près de deux millions de réfugiés et la plupart des villes d’Ukraine assiégées et bombardées, beaucoup s’interrogent sur les responsabilités de ce gâchis. L’Occident blâme Poutine et se demande même s’il ne serait pas devenu fou. Mais, si l’on regarde au-delà des gros titres, ce conflit n’est en fait que la partie visible de la confrontation entre la Russie et les pays de l’OTAN.

L’impérialisme occidental a constamment tenté de repousser les frontières de l’OTAN et de l’UE vers l’Est. Tout au long de ce processus, la Russie a expliqué qu’elle ne l’accepterait pas et a même menacé d’employer la force. Lorsque les menaces ne suffisaient pas, elle a utilisé la force, comme en Géorgie, dans le Donbass ou en Syrie. Il était évident que la Russie était prête à utiliser des moyens militaires pour défendre ses intérêts.

L’Occident ne savait sans doute pas jusqu’où il pouvait aller avant que Poutine ne réagisse. Cela ne l’a pas empêché de parier la vie des Ukrainiens sur la probabilité que Moscou bluffe. Le peuple ukrainien en paie le prix aujourd’hui.

Cet hiver, les Etats-Unis auraient pu faire des concessions. Ni l’UE, ni l’OTAN n’étaient réellement prêtes à laisser l’Ukraine les rejoindre. Ils auraient donc pu conclure un accord avec Poutine, qui réclamait des garanties écrites puisque les paroles semblaient de peu de valeur.

Au lieu de cela, Biden, Johnson et Macron sont montés sur leurs grands chevaux, parlant de la « souveraineté ukrainienne », de son « droit à rejoindre l’OTAN », etc. Ils poussèrent aussi le gouvernement ukrainien à adopter une ligne de fermeté face à la Russie. Le message était : « allez-y, on est derrière vous ». Tout ceci, loin de rassurer les Russes, n’a fait que les inquiéter davantage.

Seuls Macron et Scholtz semblent avoir eu quelques doutes. Ils craignaient l’afflux de millions de réfugiés, le coût monstrueux que supposerait une reconstruction de l’Ukraine, et, surtout, la menace qui planait sur les approvisionnements en essence et en gaz.

Les puissances occidentales étaient alors (et continuent aujourd’hui à être) prêtes à se battre jusqu’à la dernière goutte de sang pour défendre le droit de l’Ukraine à rejoindre l’OTAN – la dernière goutte de sang ukrainien, bien sûr.

Il n’y a, bien sûr, absolument rien de progressiste dans l’invasion russe. Tous les discours de Poutine sur la dénazification, même s’ils peuvent être populaires en Russie, ne sont que de la propagande. L’effet immédiat de cette invasion est au contraire de renforcer, au moins temporairement, les forces réactionnaires des deux camps. Cela menace aussi de susciter de profondes divisions entre les travailleurs ukrainiens et russes.

Pour autant, réduire cette crise à la seule invasion russe de l’Ukraine n’est pas correct, et ne fait que dissimuler le rôle que l’OTAN a joué et continue de jouer en aggravant les tensions. Loin d’une alliance défensive, il s’agit d’une organisation dirigée avant tout contre la Russie en Europe de l’Est, et qui continue de faire avancer ses positions de plus en plus.

L’OTAN, tout comme l’UE, est un outil de défense des intérêts occidentaux en Europe de l’Est contre ceux de la Russie – et de la Chine, si cela est nécessaire. La guerre en Ukraine porte précisément sur le niveau d’influence que les pays de l’OTAN (et avant tout les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne) auront en Ukraine. Puisqu’aucun pays de l’OTAN n’est prêt à intervenir directement, c’est une guerre par procuration qui oppose l’armée russe aux Occidentaux, à travers l’armée ukrainienne qui est armée, financée et équipée par l’OTAN.

De cela, nous pouvons aussi conclure que cette guerre n’a rien à voir avec « l’autodétermination » de l’Ukraine, ou sa « souveraineté » mais vise plutôt à savoir quelle puissance impérialiste pourra la dominer. Sera-t-elle placée sous la domination russe, sous la domination occidentale ou arriveront-ils à un accord pour l’exploiter en commun ? N’ayant pas réussi à régler cette question par la diplomatie, ils essaient de la résoudre par la force. Comme le disait Clausewitz, « la guerre est le prolongement de la politique par d’autres moyens ».

Il y a un peu plus d’un siècle, Lénine soulignait que le capitalisme menait inévitablement à l’impérialisme. C’est le sens du titre de son livre l’impérialisme, stade suprême du capitalisme. La bourgeoisie et les différentes nuances de pacifistes prétendent que c’est faux, et qu’en fait le capitalisme (et même l’impérialisme) mène à la paix et à la stabilité. C’est ainsi qu’ils justifient l’existence de l’OTAN : « si seulement l’OTAN pouvait dominer toute l’Europe orientale, alors nous aurions la paix », prétendent-ils. Mais la réalité est toujours concrète, et elle est à l’opposé de leurs racontars.

L’effondrement de l’URSS n’a pas produit de « dividendes de la paix », comme le prétendaient Thatcher et Bush. Au contraire. Les dépenses militaires atteignent des niveaux inédits, et les conflits entre impérialistes ne font que s’intensifier. L’expansion de l’OTAN en est une des manifestations.

Cette guerre est le produit d’intérêts capitalistes opposés. Il s’agit de savoir jusqu’où l’OTAN peut mener ses projets impérialistes, et jusqu’où l’impérialisme mineur de la Russie peut résister et regagner une partie de ses sphères d’influence.

La tâche des marxistes est d’expliquer patiemment tout cela aux travailleurs de tous les pays. Nous devons expliquer que tant que le capitalisme survivra, les guerres à propos des marchés et des sphères d’influence continueront. La barbarie capitaliste ne s’arrêtera pas avec la guerre en Ukraine. D’autres guerres sont inévitables. Ce n’est que lorsque les travailleurs de tous les pays mettront fin au capitalisme que nous en verrons la fin.