Le 6 janvier, un Boeing 737 Max perdait en plein vol un bout de son fuselage, heureusement sans faire de blessés. Quelques semaines après, alors même que 171 avions de ce modèle étaient cloués au sol pour être inspectés, plusieurs autres incidents sont venus mettre en lumière les carences de construction de Boeing : un avion a perdu une roue au décollage, un autre a dû se poser en urgence car une de ses ailes était en train de se décomposer, etc.

Alors que Boeing bénéficiait autrefois d’une réputation d’excellence, ses avions avaient déjà été touchés par une « série noire » d’accidents en 2018 et 2019. En avril 2018, le moteur d’un Boeing 737-900 explosait en vol et tuait une passagère. Deux 737 Max s’étaient ensuite écrasés à quelques mois d’intervalle, en octobre 2018 et mars 2019, tuant 346 personnes.

Omerta patronale

Les enquêtes avaient montré que ces accidents à répétition étaient dus à la façon même dont Boeing produit ses avions. Pour combattre son déclin relatif sur le marché mondial, Boeing a externalisé autant que possible sa production, dont les différentes étapes se retrouvent dispersées parmi un véritable labyrinthe de sous-traitants. Cela multiplie les risques d’erreur et rend plus difficile la mise en place de services efficaces pour contrôler la qualité des différents éléments.

L’entreprise a aussi comprimé les coûts et les délais au maximum – notamment en ce qui concerne la recherche et le développement. Les deux crashs dramatiques de 2018 et 2019 ont par exemple été causés par la défaillance d’un logiciel qui visait lui-même à couvrir un défaut de conception du Boeing 737 Max. Confronté à la concurrence d’Airbus, Boeing avait choisi cette solution pour gagner du temps et pouvoir vendre au plus vite son nouvel avion.

L’entreprise avait ensuite dissimulé ce défaut aux inspecteurs de l’Agence américaine de l’aviation civile, la FAA. Cela avait été d’autant plus facile que, pour faire des économies, cette dernière avait chargé Boeing de mener lui-même les inspections techniques sur ses nouveaux modèles. Pour ne rien arranger, les pilotes n’avaient même pas été informés de l’existence du nouveau logiciel ! Ils étaient donc totalement impuissants lorsqu’il a dysfonctionné et précipité les avions vers le sol.

Course au profit

En 2019, de nombreuses voix avaient critiqué la priorité accordée par Boeing aux profits de ses actionnaires plutôt qu’à la sécurité de ses avions. Le patron de l’entreprise avait démissionné et son remplaçant, Dave Calhoun, s’était engagé « à renforcer son approche de la sécurité, à améliorer la transparence et à reconstruire la confiance ». Des enquêtes avaient été ouvertes par la Justice américaine contre Boeing, mais elles n’avaient pas été très loin. Comme l’expliquaient Marx et Engels, l’Etat capitaliste sert à défendre la domination de la bourgeoisie et à gérer ses affaires courantes. Occasionnellement, cela signifie que ses institutions judiciaires doivent sévir contre des entreprises comme Boeing, mais ces punitions servent uniquement à calmer la colère des masses en montrant que l’Etat ne reste pas inactif. Elles n’empêchent pas ces mêmes institutions de nouer des arrangements avec les entreprises concernées. Ce n’est donc pas une surprise si Boeing a réussi à éviter qu’un quelconque procès se tienne et si de nouvelles subventions publiques – accompagnées de commandes massives de l’armée américaine – ont fait pleuvoir des milliards de dollars sur l’entreprise.

Cela n’a pourtant pas suffi à sortir Boeing de ses problèmes financiers. Les accidents et les scandales ont fait baisser les commandes et chuter le cours de ses actions. Même si elle détient toujours une position dominante avec 42 % du marché mondial, l’entreprise a été incapable de générer un bénéfice depuis 2019. Ses pertes nettes depuis 5 ans s’élèvent à 26,7 milliards de dollars.

Cette situation désastreuse n’a fait que pousser davantage ses dirigeants sur la voie des économies à tout prix et de l’externalisation à outrance. L’incident du 6 janvier dernier, par exemple, est le résultat direct de coupes budgétaires chez un sous-traitant de Boeing, Spirit AeroSystems. Durant l’assemblage d’une partie du fuselage, quatre boulons avaient été soit mal fixés, soit oubliés ! Quelques semaines auparavant, des salariés de Spirit avaient averti leur direction qu’un incident de ce type était très probable car des inspections avaient révélé que des outils mal calibrés avaient été utilisés. Plutôt que de prévenir qui que ce soit, les dirigeants de Spirit avaient puni les travailleurs qui avaient lancé l’alerte et Boeing n’avait rien trouvé à y redire.

Alors que Boeing est en pleine tourmente après cette nouvelle série d’incidents, son PDG Dave Calhoun a démissionné fin mars. Nul doute que son remplaçant fera à son tour des promesses sur l’amélioration de la sécurité et que la Justice américaine donnera une tape symbolique sur les doigts de Boeing. Mais cela ne changera rien au fond du problème : la recherche du profit à tout prix qui est inhérente au capitalisme.

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