Japon

En annonçant, début septembre, qu’il ne serait pas candidat à sa propre succession comme chef du Parti Libéral Démocrate (PLD), et donc du gouvernement, le Premier ministre Yoshihide Suga a donné une expression limpide à la crise de régime du capitalisme japonais. Ce qui s’achève, ce n’est pas seulement la carrière d’un politicien bourgeois à bout de souffle ; c’est aussi, et surtout, la longue période de relative stabilité dont a bénéficié la classe dirigeante japonaise.

Crise économique et sociale

Pour le grand public, Suga est d’abord apparu comme l’un des proches collaborateurs du Premier ministre Shinzo Abe, au pouvoir de 2012 à 2020. Ce dernier a mis en place toute une série de mesures d’austérité et de réduction des dépenses publiques (les « Abenomics »), qui étaient censées sortir le Japon de la crise économique. Mais du fait de la crise mondiale du capitalisme et de la forte concurrence – notamment chinoise et sud-coréenne – à laquelle est confrontée l’économie japonaise, celle-ci n’est pas sortie de sa longue phase de stagnation, suivie d’une récession en 2020. L’arrivée au pouvoir de Suga, en septembre 2020, a coïncidé avec la fin de cette « stabilité » de château de cartes.

La crise sanitaire a été extrêmement mal gérée par l’État japonais [1], obligeant le gouvernement à multiplier les phases de confinement. Le taux de vaccination y est très bas pour un pays capitaliste avancé : à peine 50 % à la mi-septembre. L’économie, qui a reculé de 4,8 % en 2020, peine à rebondir : le FMI table sur seulement 3,3 % de croissance en 2021. La dégradation rapide des conditions de vie des masses a provoqué une nette augmentation du taux de suicide chez les femmes, les enfants et les adolescents.

Dans ce contexte économique et social déjà très tendu, Yoshihide Suga a pris des décisions extrêmement impopulaires, telles que l’évacuation des eaux irradiées de Fukushima dans l’océan Pacifique – ou encore le maintien des Jeux olympiques en pleine flambée épidémique, malgré l’opposition de 83 % de la population. Et comme si cela ne suffisait pas, son propre fils est impliqué dans un scandale de corruption.

Sans surprise, la popularité du gouvernement s’est effondrée. Ces derniers mois, le PLD a perdu plusieurs élections locales ou partielles. Pour les dirigeants du parti, il devenait urgent de se débarrasser de Suga. Une guerre fractionnelle a éclaté au sein du parti, qui s’est conclue par la capitulation officielle de Suga. Mais cela ne signifie pas que le PLD est tiré d’affaire. Au contraire. Que ce parti gagne ou perde les prochaines élections, en novembre, la crise du capitalisme japonais, et donc du PLD, ne peut que s’aggraver.

Impasse politique

Le Parti Libéral Démocrate a été au pouvoir pendant la quasi-totalité des 66 années écoulées depuis sa création, en 1955. Il est inextricablement lié à l’appareil d’État japonais. Lors de sa fondation, ce parti représentait une alliance entre la grande bourgeoisie, les nationalistes petits-bourgeois et le crime organisé. Si cette coalition conservatrice a réussi à se maintenir au pouvoir aussi longtemps, c’est parce qu’elle n’avait pas à affronter de véritable opposition – et parce que la bourgeoisie japonaise était relativement unanime. Aujourd’hui, sous l’impact de la crise économique et sociale, la classe dirigeante se divise, et cette division s’exprime par des affrontements féroces au sein du parti. Cela signifie aussi que la bourgeoisie japonaise ne dispose d’aucune alternative solide pour remplacer un PLD défaillant.

Aucun autre parti n’est assez puissant pour, à lui seul, remplacer le PLD. Le très bourgeois Parti Démocrate Constitutionnel (PDC) est le plus important parti d’opposition, mais il reste très faible et devrait obligatoirement s’appuyer sur une coalition de partis, pour diriger le pays. En outre, son programme se cantonne aux étroites limites fixées par le capitalisme japonais, et se révélera donc incapable de résoudre la crise.

Les masses japonaises sont animées d’un profond désir de changement politique. Tous les partis voient leur soutien populaire diminuer, dans les sondages. C’est l’ensemble du système politique qui est rejeté. Cependant, il n’existe pour l’instant aucune force politique capable de canaliser la colère de la classe ouvrière vers un mouvement de transformation révolutionnaire de la société.

Reste le fait majeur : le Japon est entré dans une nouvelle période de son histoire. L’instabilité politique ne peut que s’intensifier. On doit s’attendre à des mobilisations de masse telles que le pays n’en a pas connu depuis des décennies. Pour la couche la plus consciente des travailleurs et de la jeunesse, ces luttes mettront à l’ordre du jour la nécessité de renverser le capitalisme, et donc de construire une organisation dotée d’un programme marxiste et de perspectives internationalistes. Les jours paisibles du capitalisme japonais sont bel et bien terminés. 


 [1] : Par exemple, les japonais devaient utiliser exclusivement le fax pour signaler les nouveaux cas de Covid !

La société japonaise connaît une crise profonde. Après des décennies de stagnation économique, les élites politiques tentent désespérément de relancer l'économie, tout en cherchant à attiser le nationalisme antichinois afin de consolider ses soutiens. Malgré tout, l’actuel mouvement de masse contre la réécriture de la « clause pacifiste » de la constitution est symptomatique du fait que ce système a atteint ses limites.

Le régime d’après-guerre au Japon s’effrite sous le coup des réductions d’impôts pour les entreprises, de leur augmentation, à l’inverse, pour les travailleurs, et la fin du standard des emplois à vie. La remilitarisation n’est qu’un autre élément témoignant de la fin du système de l’après-guerre. Le taux de participation aux élections est tombé de 69 à 53 %, ce qui est un symptôme flagrant de la désillusion des masses vis-à-vis de la politique bourgeoise. Dans le même temps, le parti communiste a doublé ses scores, passant à 13 % l’an dernier, soit 2 millions de votes supplémentaires. Ceci prépare le terrain pour des convulsions révolutionnaires au Japon, le mouvement contre le changement de la clause pacifiste n’en étant que le début.

« Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux.

« Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'Etat ne sera pas reconnu. » — Article 9 de la Constitution japonaise.

Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, les Japonais ont été contraints au pacifisme, un revolver sur la tempe. Les Etats-Unis voulaient éliminer la menace d’une force militaire indépendante dans le Pacifique ; ils ont donc saisi cette occasion pour démanteler l’armée nippone et inscrire la renonciation à l’emploi de la force dans la Constitution japonaise. Ils ont néanmoins rapidement regretté cette manœuvre. Le pacifisme a gagné un fort soutien au sein de la population japonaise, qui y voyait un moyen de rediriger les dépenses militaires vers des tâches socialement plus utiles. Pendant ce temps, la situation de guerre froide obligea les forces américaines à assurer elles-mêmes les coûts de la défense du Japon.

Tandis que les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale s’estompaient, la nécessité de contrecarrer l’influence de la Chine et de l’Union soviétique dans la région devenait de plus en plus pressante. A partir du moment où les avantages potentiels d’une armée japonaise apparurent évidents, les classes dirigeantes du Japon et des Etats-Unis cherchèrent un moyen de remilitariser l’Etat japonais. Mais ce projet n'a pas été sans susciter d'opposition. Si le Japon a de facto une armée, sous la forme de forces « d’autodéfense », depuis 1954, il n’a été capable de participer aux missions de « maintien de la paix » de l’ONU qu’à partir de 1992, et ne participe à leur soutien logistique que depuis 2004. Tout ceci alors que l’impérialisme américain est en déclin et que la compétition avec l'impérialisme chinois pour l'influence régionale devient de plus en plus importante. Les USA ont aujourd’hui besoin de l’aide japonaise pour contenir l’expansion de la Chine, tandis que la bourgeoisie nippone ne considère plus que les USA soient capables de défendre ses intérêts.

En dépit de cette militarisation rampante et des efforts en ce sens du premier ministre Shinzo Abe, l’Article 9 n’est pas prêt d’être révisé. Le prolétariat japonais tient à défendre ce qu’il voit comme la « Constitution pacifiste » du Japon. Cette lutte a ravivé les souvenirs de la lutte de 1960 contre le « traité de sécurité», qui cédait des territoires japonais pour l’implantation de bases militaires états-uniennes.

Les Japonais ne sont pas enclins à se lancer dans des expéditions impérialistes pour le compte de la bourgeoisie japonaise et de ses alliés américains. Les aventures impérialistes japonaises du passé ont été désastreuses, avec 3 millions de morts durant la Seconde Guerre mondiale et des atrocités de masses commises en Chine et en Corée. De plus, le programme de réarmement ne coûterait pas moins de 240 milliards de dollars, et ce, alors que le gouvernement applique par ailleurs une politique d’austérité drastique dans les services publics.

Pour contourner l’opposition grandissante, Abe a lancé une campagne pour réinterpréter la Constitution afin d’y introduire l’idée d’une soi-disant « autodéfense collective ». Celle-ci autoriserait les forces d’autodéfense japonaises à participer aux opérations pour « défendre » ses alliés — au lieu de s’en tenir à la protection du territoire japonais — et autoriserait la vente d’armes à des puissances étrangères. Ces mesures sont particulièrement impopulaires au Japon et la plupart des experts les qualifient de fondamentalement anticonstitutionnelles. Mais dans le contexte d’une économie stagnante et d'accroissement du mécontentement social, la perspective de ventes d’armes particulièrement lucratives a pour conséquence que le droit élémentaire du peuple japonais de décider s’il veut ou non modifier sa constitution a été jeté aux orties.

Le pacifisme du Japon était le produit du rapport de force existant après la Seconde Guerre mondiale, avec la révolution chinoise et la montée en puissance de l’Union Soviétique. La classe dirigeante japonaise n’a pas soudainement changé d’avis à propos du pacifisme. Les guerres et la militarisation ne sont pas causées par des politiciens sournois n’aspirant pas suffisamment à la paix, elles sont le fruit des contradictions réelles du développement économique et social. Les manœuvres d’Abe sont simplement l’expression des besoins actuels de l'impérialisme japonais. Le militarisme et l’impérialisme ne peuvent être séparés du système capitaliste. Ils proviennent de celui-ci et ne pourront être éradiqués définitivement que lorsque le capitalisme lui-même sera aboli : pour mettre fin aux guerres, nous devons mettre fin au capitalisme ! Ce mouvement montre les premières fissures du régime et prépare la voie à une lutte non seulement contre l’impérialisme, mais contre le capitalisme lui-même dans un des bastions clés du système actuel.

La catastrophe nucléaire de Fukushima a envoyé une onde de choc à travers le monde entier, poussant des millions de travailleurs à réfléchir aux risques liés à cette industrie, à la façon dont les capitalistes et les gouvernements la gèrent – et au problème plus général des ressources énergétiques.

En regardant les images de l’explosion des réacteurs de Fukushima, une question vient immédiatement à l’esprit : pourquoi des hommes ont-ils décidé de construire 55 réacteurs nucléaires sur une île exposée aux séismes et aux tsunamis ? Ignoraient-ils les risques ? Non. Ce qui est en cause, ici, ce n’est pas l’intelligence ou les connaissances scientifiques de ceux qui ont pris la décision de construire ces centrales. Ce qui est en cause, c’est le système capitaliste, dont la course aux profits est le moteur central qui détermine tout le reste. Il n’hésite pas à balayer des milliers de vies humaines d’un revers de main. Le peuple japonais en déjà fait la douloureuse expérience. Après tout, ce sont les intérêts des capitalistes américains qui les ont décidé à larguer des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, en 1945.

Le nucléaire génère d’énormes profits. Et comme dans les autres secteurs, les capitalistes cherchent à en améliorer la rentabilité en réduisant au maximum les frais de production. Parmi ces frais, il y a les investissements dans la sécurisation des centrales nucléaires, mais aussi dans la protection des salariés qui y travaillent. Dans le cas de la multinationale japonaise TEPCO, qui exploitait la centrale de Fukushima, un coin de voile a été levé sur toutes les mesures prises pour réduire les coûts au détriment de la sécurité. Par exemple, le recours à la sous-traitance a atteint d’énormes proportions. En 2008, il y avait 1108 salariés réguliers de TEPCO ou d’autres entreprises, à Fukushima, contre 9195 employés de sous-traitants, qui sont moins bien payés, moins expérimentés et moins protégés. A la différence des salariés de TEPCO, qui sont affectés à une seule centrale, les employés sous-traitants passent d’une centrale à l’autre et ne font pas l’objet d’un suivi global de leur exposition aux rayons ionisants. Par ailleurs, TEPCO a falsifié une trentaine de rapports d’inspection de réacteurs nucléaires, dans les années 80 et 90, afin de cacher des carences et des accidents sérieux.

Il y a plus de 400 réacteurs nucléaires, dans le monde, dont 90 sont situés sur des zones d’importante activité sismique. En France, où 58 réacteurs sont en activité, les patrons d’AREVA et d’EDF nous jurent qu’ils font de la sécurité leur « priorité absolue ». Nous n’avons aucune raison de leur faire confiance, car nous savons bien que la priorité absolue, sous le capitalisme, c’est l’extraction d’un maximum de profits. C’est aussi le point de vue des syndicats CGT du nucléaire, dont nous publions ci-dessous un récent communiqué de presse. Ils dénoncent « une gestion uniquement tournée vers l’argent »et le recours massif à la sous-traitance, qui ont pour conséquence de « diluer les responsabilités », de « complexifier l’organisation du travail » et donc de « fragiliser la sécurité ». Nous accordons beaucoup plus de crédit à cette déclaration de syndicalistes qu’aux discours lénifiants des multi-millionnaires qui dirigent ce secteur.

Sortir du capitalisme !

On ne peut pas laisser une industrie aussi dangereuse entre les mains de la classe capitaliste. Une première mesure d’urgence s’impose donc : la renationalisation complète d’EDF et d’AREVA, sous le contrôle des salariés et de leurs organisations syndicales, et leur fusion dans une seule entité publique. Il faut également nationaliser toutes les entreprises sous-traitantes et intégrer leurs effectifs dans le groupe public, à égalité avec tous les autres salariés. Au-delà, c’est l’ensemble du secteur énergétique qu’il faut nationaliser, et notamment GDF-Suez.

Cependant, même de telles mesures ne suffiraient sans doute pas à éliminer les risques et la pollution inhérents au nucléaire. Par exemple, la centrale du Blayais, non loin de Bordeaux, n’est pas passée loin d’une catastrophe majeure lors de la tempête de décembre 1999. La centrale de Fessenheim, en Alsace, est quant à elle exposée à d’importants risques sismiques. On doit pouvoir prendre la décision de les fermer – et d’en fermer d’autres – indépendamment de toute considération de rentabilité financière. Et bien sûr, les salariés d’une centrale qui ferme doivent être immédiatement reclassés et indemnisés, avec maintien de leur salaire et de leurs acquis.

Sarkozy affirme qu’« il n’y a pas d’alternative au nucléaire ». Mais dans le même temps, il coupe les crédits de la recherche. Ici, on atteint les limites de ce qui est possible dans le cadre du capitalisme. La course au profit à court terme est en complète contradiction avec la nécessité d’investissements colossaux et de longue durée dans la recherche et le développement. Cela vaut pour les « énergies alternatives » comme pour l’énergie nucléaire. Par exemple, la technique de la « fusion » nucléaire laisse entrevoir d’immenses possibilités en matière de production énergétique, y compris en termes de sécurité. Mais les capitalistes refusent d’investir dans un secteur qui n’est pas rapidement profitable. Seule une planification socialiste et démocratique de l’économie permettra de dégager les investissements nécessaires pour développer des énergies plus sûres et moins polluantes. En refusant de remettre en cause le système capitaliste, les Verts se condamnent à l’impuissance – jusqu’à ce qu’ils entrent au gouvernement : l’impuissance se transforme alors en complicité, comme la Ministre Dominique Voynet en a fourni l’exemple entre 1997 et 2002.

« Sortir du nucléaire » – pour toujours – est une idée qui rate sa cible. Rien ne permet d’affirmer que l’humanité ne sera jamais en mesure de développer une production d’énergie nucléaire sûre et propre. Il n’y a pas de limites a priori aux progrès scientifiques et technologiques. Par contre, le système capitaliste a atteint ses limites de longue date, et constitue désormais un danger mortel pour l’ensemble de l’espèce humaine.

Jérôme Métellus (PCF Paris 18e)

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Communiqué de presse des syndicats CGT du nucléaire

Les syndicats CGT des travailleurs du Nucléaire, sous-traitants, EDF, AREVA, CEA, IRSN, se sont réunis le 13 avril à Montreuil. […]

Depuis plusieurs années, la CGT dénonce la manière dont les sites nucléaires sont exploités en France. En effet, l’affichage de l’exemplarité de notre industrie ne résiste pas à la réalité vécue par les salariés. Qu’ils soient donneurs d’ordre ou sous-traitants, tous disposent de compétences et de connaissances grâce auxquelles les installations fonctionnent ; ce sont eux les premiers garants de la sûreté. Pourtant, dans leur course effrénée au profit maximum, enfermées dans leurs dogmes, les Directions d’entreprise, le MEDEF et le gouvernement ont délibérément choisi la politique du pire.

Politique du pire pour les salariés de la sous-traitance, ballottés de contrat en contrat, de site en site, subissant la majorité des pénibilités pour des salaires de misère et des conditions de travail et de vie indignes d’un pays qui se prétend leader du nucléaire. La sous-traitance en France, c’est d’abord une maltraitance insupportable. Cela a assez duré !

Politique du pire en diminuant les crédits de recherche, élément pourtant fondamental d’une sûreté de haut niveau. Politique du pire en matière de retour d’expérience de l’accident de Fukushima. En limitant l’audit des Centrales à la seule dimension technique, l’Etat nie la dimension humaine et la place centrale qu’elle occupe dans la sûreté nucléaire.

En occultant le problème de la sous-traitance, manière pour les donneurs d’ordre d’externaliser 80% des risques professionnels (en particulier les doses) et les dégâts sociaux qu’eux-mêmes engendrent, le gouvernement et les entreprises refusent d’aborder le véritable débat sur le nucléaire : celui de sa gestion uniquement tournée vers l’argent.

Nous le répétons avec force : nucléaire et libéralisme sont incompatibles. Aujourd’hui, le plus grand danger pour l’activité nucléaire, ce sont les Directions elles-mêmes et leurs choix de gestion dont les salariés sont les premières victimes. Le recours massif à la sous-traitance entraîne une dilution des responsabilités et une complexification de l’organisation du travail. Ces modes de gestion ne permettent pas aux travailleurs du Nucléaire, malgré les compétences, de travailler dans la sérénité. Cela conduit à une fragilisation de la sûreté.

Pour que sur tous les Sites Nucléaires, ce soit la sûreté et non la recherche du profit maximum qui soit la priorité, les syndicats CGT des travailleurs du Nucléaire exigent : 
Un statut pour tous les travailleurs du Nucléaire, basé sur celui des salariés EDF, AREVA et CEA ; Retour ligne manuel
L’arrêt de la sous-traitance massive, de la sous-traitance en cascade et de la précarité ; Retour ligne manuel
Un renforcement des CHSCT et une véritable démocratie dans l’entreprise ; Retour ligne manuel
La maîtrise 100% publique et citoyenne de l’industrie nucléaire.

Les salariés du Nucléaire n’ont pas vocation à rester les bras croisés et à subir sans réagir. Si les pouvoirs publics n’assument pas leurs responsabilités en faisant accéder rapidement les salariés de la sous-traitance du Nucléaire à des garanties sociales de haut niveau, la CGT assumera les siennes en appelant l’ensemble des travailleurs à l’action.

Montreuil, le 14 avril 2011

Nous publions ci-dessous l’article d’un militant japonais qui donne un aperçu très intéressant de la situation de la classe ouvrière japonaise, qui est frappée de plein fouet par la crise économique, et ce depuis des années. A noter que le Parti Communiste Japonais (PCJ), désormais la principale force de la gauche japonaise, connaît ces derniers temps une vague de soutien et d’adhésion significative, en particulier parmi les jeunes.


Les « réfugiés des cybercafés »

D’après une enquête inédite sur les « réfugiés des cybercafés », commanditée par le Ministère du travail et de la protection sociale, il s’est avéré que les cybercafés du Japon abritent 5400 réfugiés. Sur 3246 cafés interrogés, 1173 ont répondu. D’après l’analyse du ministère, il y a environ 5400 sans-abris dans les cybercafés. Parmi eux, 2700 sont des travailleurs précaires, 1300 sont des chômeurs en recherche d’emploi, 900 sont des chômeurs qui ne cherchent pas d’emploi et 300 sont des travailleurs « ordinaires ». En fonction de l’âge, les 20-29 représentent 26,5%, les 50-59 ans représentent 23,1%. Ces deux tranches d’âge comptent le plus grand nombre de chômeurs et de travailleurs précaires.

D’après d’autres enquêtes, réalisées à Tokyo et Osaka, 40% couchent dans la rue, 40% passent la nuit dans des fast-foods et 32% dans des bains publics, qu’on appelle « saunas ». Il leur est difficile de louer un appartement du fait qu’ils n’ont pas suffisamment d’économies pour avancer une partie du loyer. D’autres n’ont pas la certitude de pouvoir payer les loyers suivants. Et enfin, ils ne peuvent souvent pas trouver de garant pour leur location. Même quand ils trouvent du travail, ils ne peuvent pas louer une chambre s’ils n’ont pas d’adresse à indiquer dans les documents.

D’après une autre enquête en direction de 10 agences d’intérim, elles s’occupent en moyenne de 65 000 travailleurs par jour, parmi lesquels 54 000 travaillent avec un contrat de moins d’un mois, et parmi ces 54 000, 51 000 sont des journaliers. Ils travaillent en moyenne 14 heures par jour et reçoivent 133 000 yens (831 euros) par mois. Parmi eux, 68,8% ont moins de 35 ans.

Le ministère analyse ainsi leurs conditions de vie : « Parce qu’ils n’ont pas de travail, ils ne peuvent pas avoir de logement. Parce qu’ils n’ont pas de logement, ils ne peuvent pas avoir de travail. Nous devons demander aux organisation non-gouvernementales de les aider à trouver travail, logement et argent. » (Déclaration du 28 août 2007).

Des mineurs sans-abri

D’après l’étude du Ministère du travail et de la protection sociale, il y avait en janvier 2008 quelque 18 564 sans-abri « habitant » dans des parcs et au bord des rivières. Leur âge moyen est de 57,5 ans. Pour la première fois, on a enregistré des mineurs parmi les sans-abri.

Ces gens se sont retrouvés à la rue pour les raisons suivantes :Retour ligne manuel
- 31,4% en raison de la baisse du nombre d’emplois disponibles.Retour ligne manuel
- 26,6% parce que leurs compagnies ont fait faillite ou parce qu’ils ont été licenciés.

70,1% n’ont jamais sollicité d’aide publique et 3,2% se sont vus refuser cette aide.

Un homme de 68 ans qui habite au bord de la rivière Sumida a dit : « Le gouvernement de Tokyo a prévu des chambres à 3000 yens (19 euros) pour les sans-abri, mais comme je n’ai pas de travail, je ne peux pas payer cette somme, et je n’ai pas eu d’autre possibilité que de revenir ici. Chaque jour je fais la queue pour un repas gratuit et je survis ainsi. »

Les « administrateurs nominaux »

Un homme de 28 ans a été promu administrateur d’un magasin 9 mois après son embauche. Il en était très content, mais des instructions très dures de la part de l’entreprise l’attendaient. Il devait travailler presque jour et nuit sans temps de repos et sous contrôle. Malgré cela, son salaire a diminué, puisqu’il étant désormais administrateur, et non plus simple employé, et n’était donc pas payé pour ses heures supplémentaires ! C’était un « administrateur nominal » typique. Après cinq mois, il a fait une dépression. Il a déclaré avec colère : « L’entreprise m’a fait travailler comme un esclave. J’avais tellement de pression psychologique que je ne pouvais pas dormir. »

81 suicides pour excès de travail

Le ministère du travail et des affaires sociales a publié le nombre de suicides, de maladies et d’accidents du travail reconnus en 2007. D’après lui, 952 personnes ont demandé au ministère d’être reconnues comme déprimées par excès de travail (16,2% de plus qu’en 2006, deux fois plus qu’en 2003). Seuls 268 cas ont été reconnus comme tels. Parmi eux, il y a eu 81 suicides (80 hommes et une femme). 22 avaient entre 40 et 49 ans, 21 entre 30 et 39 ans, 19 entre 50 et 59 ans, et 15 entre 20 et 29 ans. Parmi eux, 20 faisaient de 100 à 119 heures supplémentaires par mois, 11 faisaient entre 80 et 99 heures supplémentaires, et 12 moins de 40 heures supplémentaires.

932 personnes ont demandé a être reconnues malades du cœur ou du cerveau, et 392 ont été reconnues comme telles (10,4% de plus qu’en 2006 : un record). Parmi ces 392, il y en a 142 qui ont été reconnus comme morts en raison d’un excès de travail. 54 d’entre eux faisaient entre 80 et 99 heures supplémentaires, 25 faisaient entre 100 et 119 heures supplémentaires. 101 travaillaient dans les transports et 74 à l’usine.

La Constitution japonaise

Dans la constitutions japonaise, proclamée en 1947 à la suite de la défaite dans guerre du Pacifique Asiatique, les articles suivants traitent du travail et du de la vie de la population. (Texte de M. Inoue et R. Hasegawa).

Article 13

Tout citoyen doit être respecté en tant qu’individu. Ses droits à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur doivent être, s’ils ne s’opposent pas au bien et à la prospérité publique, respectés au maximum lors de l’élaboration des lois et dans les autres domaines de la gouvernance.

Article 18

Personne ne doit être réduit à une quelconque forme d’esclavage, ni forcé à effectuer des travaux pénibles, sauf en cas de punition pour un crime.

Article 19

La liberté de pensée et de conscience doivent être intouchables.

Article 22

1) Toute personne doit avoir la liberté de choisir et de changer son lieu de vie et également de choisir sa profession, si cela ne va pas à l’encontre du bien et de la prospérité publique.

Article 25

1) Tout citoyen doit avoir le droit de jouir d’une vie saine avec un minimum d’accès à la culture.

2) Dans tous les domaines de l’existence, l’Etat doit s’efforcer de faire progresser le bien social, la sécurité sociale et l’hygiène publique.

Article 27

1) Tout citoyen a le droit et le devoir de travailler.

2) Les normes concernant le salaire, le temps de travail, le repos et toutes les conditions de travail doit être fixées par la loi.

3) Les enfants ne doivent pas être exploités.

Article 28

Le droit des travailleurs à s’organiser, à négocier et à agir collectivement doit être garanti.

Depuis la proclamation de la constitution jusque dans les années 80, le peuple et les travailleurs japonais ont combattu pour forcer le gouvernement conservateur à appliquer les promesses de la constitution, et cela a en partie réussi. Au sujet de l’article 25, il y a eu une accusation de Asahi Shigeru, qui habitait dans un sanatorium national, et recevait une aide du gouvernement pour « jouir d’une vie saine avec un minimum d’accès à la culture ». Mais en réalité, il ne recevait à l’époque que 600 yens par mois (en 1957, d’après le cours actuel, 600 yens équivalaient à 38 euros) pour ses besoins quotidiens. Il recevait cette aide en fonction du règlement qui stipulait que la personne aidée doit recevoir, par exemple, un caleçon et un rouleau de papier toilette par mois. Il s’est plaint que cette aide ne garantissait pas « un niveau de vie décent ». Il a gagné devant la cour du district de Tokyo, mais a perdu devant la haute cour de Tokyo et a de nouveau perdu devant la cour suprême. Pourtant, sa protestation a eu une grande influence sur la politique qui a suivi, et le gouvernement a dû s’efforcer d’améliorer les conditions de vie de la population. Les travailleurs se sont également battus pour améliorer leurs conditions de vie, pour augmenter les salaires et faire diminuer le temps de travail.

Mais un changement brutal est intervenu à la fin des années 90. Dans les années 80, le Japon a beaucoup prospéré et les conditions de vie des travailleurs se sont globalement améliorées. Mais cela n’a pas duré longtemps. La stagnation, puis la récession sont arrivées. Ce furent d’abord des licenciements de travailleurs, puis leur remplacement par des précaires recrutés par des agences d’intérim fondées pour l’occasion. Ces précaires sont très pratiques pour les entreprises, puisque les patrons peuvent les faire travailler à bas coût et les licencier facilement lorsque la situation économique se dégrade. Le gouvernement et le patronat, passant outre la législation qui protège les travailleurs, ont fait voter en 1999 un ensemble de lois sur la libéralisation des recrutements, qui s’est ensuite étendue à d’autres domaines.

De nombreuses entreprises ont accueilli cette loi à bras ouverts, puisqu’elle leur permet de réduire le coût du travail. De nombreux travailleurs en CDD ont été remplacés par des intérimaires. La mode du téléphone portable a encore amplifié cette tendance : les employeurs pouvaient embaucher des journaliers sur un simple coup de fil. Les agences d’intérim exploitent aussi les travailleurs. Même de grandes entreprises, connues au niveau mondial, ont ainsi embauché des travailleurs à bas prix, à l’encontre de la législation. Les travailleurs sont, plus que jamais, devenus de simples forces de travail, voire des marchandises. Dans les entreprises, on ne les appelle pas par leur nom, mais par le terme « haken » (l’envoyé). Aujourd’hui, un tiers des travailleurs japonais sont des précaires qui reçoivent un petit salaire et vivent dans la peur constante du licenciement.

Avant la « libération de la force de travail », les japonais ne pensaient jamais au licenciement. Ils travaillaient comme des enfants au service de chefs d’entreprise paternalistes. Dans cette ambiance, ils travaillaient loyalement pour la même entreprise pendant toute leur vie. Ils croyaient tous appartenir à la « classe moyenne », parce qu’ils n’étaient pas très riches, mais pas très pauvres non plus. La société était très stable, mais maintenant elle devient de plus en plus instable à cause des licenciements, du travail précaire et de la pénurie d’emplois. Les japonais se divisent essentiellement en deux groupes : les riches et les pauvres. Il n’y a pratiquement pas de « classes moyennes ».

Un début de riposte

Les travailleurs pauvres avaient l’habitude de se reprocher à eux-mêmes leur situation misérable. Mais ils commencent à comprendre que le patronat et le gouvernement sont responsables. Ceux qui ont remarqué cela organisent des manifestations. Voici quelques exemples de luttes et de victoires :

Takahashi Mika, une jeune fille de 24 ans, qui travaillait pour la chaîne de restaurants Tsubohatchi, à Hokkajdo, a organisé un syndicat de travailleurs. Elle a exigé de l’entreprise le paiement de son travail de nuit et a gagné (d’après Akahata, 13/4/2008).

Des travailleurs de la chaîne de restaurants Sukiya ont accusé leur patron, Ogawa, en exigeant le paiement de leurs heures supplémentaires. Quand les travailleurs à temps partiels ont été licenciés, ils ont organisé un syndicat, et en septembre 2007, l’entreprise a accepté d’annuler les licenciements et de payer leurs heures supplémentaires. Mais elle n’a pas tenu sa promesse. Les travailleurs ont intenté en procès l’entreprise en justice (Akahata, 9/4/2008).

Des guides ont attaqué en justice une agence de voyages. Ooshima Yuki, une travailleuse de 43 ans, a porté plainte contre l’agence Hankiyuu-Trav-Support pour exiger le paiement de ses heures supplémentaires. De nombreux guides ont un contrat « à heures fixes » : les agences de voyage ne payent qu’un nombre d’heures fixées, sous prétexte qu’il est difficile de calculer combien de temps les guides travaillent pendant un voyage. Elle dit : « Avec ce genre de contrat, les guides travaillent déjà au-delà de leurs limites. Nous devons changer ce système » (D’après Mainichi, 23/5/2008).

Le 20 avril 2008, un McDonald japonais a annoncé la décision de payer les heures supplémentaires de 2000 « administrateurs nominaux ». Cependant, en même temps, elle a annulé leurs indemnités d’administration, ce qui fait que leur salaire n’augmentera probablement pas. De plus, elle envisage de diminuer le nombre d’heures supplémentaires, ce qui signifie qu’une partie d’entre elles sera maquillée en « travail bénévole ».

L’entreprise mondialement connue Toyota a introduit une « amélioration » (kaizen) en 1964, qui consistait en du travail volontaire. Les employés étaient censés participer à l’amélioration des conditions de travail et du processus de production. Environ 40 000 travailleurs ont prit part à cela. Toyota payait pour deux heures de travail supplémentaire, mais pas plus. En décembre 2007, la cour du district de Nagoya a jugé que la mort d’un travailleur de 30 ans employé par Toyota était due au surmenage. Et elle a souligné que le « kaizen » était un travail sous le contrôle de l’entreprise. Toyota a du changer sa politique à ce sujet.

Pendant huit ans, jusqu’en 2000, j’ai travaillé dans une université. A cette époque, la situation économique était très mauvaise et les entreprises commençaient à remplacer les travailleurs en CDI par des précaires. Il était très difficile de trouver du travail. Par désespoir, une étudiante avait cessé de chercher du travail à force d’échouer à des concours où il y avait trop de candidats. D’autres ont plusieurs fois visité des entreprises en divers endroits. Est-ce qu’ils ont réussi et travaillent en CDI ? Quand je lis des nouvelles au sujet des jeunes désespérés, je pense toujours à eux. Je suis en colère contre le gouvernement, qui suit toujours les injonctions du patronat. Il ne s’occupe jamais de la vie des gens ordinaires. Il devrait voir la réalité dans la société, où abondent les malades et les morts pour cause de surmenage, ainsi que les sans-abri qui dorment dans les cafés et dans la rue. Les travailleurs japonais sont dans la même situation qu’au Japon avant la seconde guerre mondiale, où même comme juste après la révolution industrielle en Angleterre, lorsque les travailleurs devaient travailler de très nombreuses heures en situation de quasi-esclavage.