En annonçant, début septembre, qu’il ne serait pas candidat à sa propre succession comme chef du Parti Libéral Démocrate (PLD), et donc du gouvernement, le Premier ministre Yoshihide Suga a donné une expression limpide à la crise de régime du capitalisme japonais. Ce qui s’achève, ce n’est pas seulement la carrière d’un politicien bourgeois à bout de souffle ; c’est aussi, et surtout, la longue période de relative stabilité dont a bénéficié la classe dirigeante japonaise.

Crise économique et sociale

Pour le grand public, Suga est d’abord apparu comme l’un des proches collaborateurs du Premier ministre Shinzo Abe, au pouvoir de 2012 à 2020. Ce dernier a mis en place toute une série de mesures d’austérité et de réduction des dépenses publiques (les « Abenomics »), qui étaient censées sortir le Japon de la crise économique. Mais du fait de la crise mondiale du capitalisme et de la forte concurrence – notamment chinoise et sud-coréenne – à laquelle est confrontée l’économie japonaise, celle-ci n’est pas sortie de sa longue phase de stagnation, suivie d’une récession en 2020. L’arrivée au pouvoir de Suga, en septembre 2020, a coïncidé avec la fin de cette « stabilité » de château de cartes.

La crise sanitaire a été extrêmement mal gérée par l’État japonais [1], obligeant le gouvernement à multiplier les phases de confinement. Le taux de vaccination y est très bas pour un pays capitaliste avancé : à peine 50 % à la mi-septembre. L’économie, qui a reculé de 4,8 % en 2020, peine à rebondir : le FMI table sur seulement 3,3 % de croissance en 2021. La dégradation rapide des conditions de vie des masses a provoqué une nette augmentation du taux de suicide chez les femmes, les enfants et les adolescents.

Dans ce contexte économique et social déjà très tendu, Yoshihide Suga a pris des décisions extrêmement impopulaires, telles que l’évacuation des eaux irradiées de Fukushima dans l’océan Pacifique – ou encore le maintien des Jeux olympiques en pleine flambée épidémique, malgré l’opposition de 83 % de la population. Et comme si cela ne suffisait pas, son propre fils est impliqué dans un scandale de corruption.

Sans surprise, la popularité du gouvernement s’est effondrée. Ces derniers mois, le PLD a perdu plusieurs élections locales ou partielles. Pour les dirigeants du parti, il devenait urgent de se débarrasser de Suga. Une guerre fractionnelle a éclaté au sein du parti, qui s’est conclue par la capitulation officielle de Suga. Mais cela ne signifie pas que le PLD est tiré d’affaire. Au contraire. Que ce parti gagne ou perde les prochaines élections, en novembre, la crise du capitalisme japonais, et donc du PLD, ne peut que s’aggraver.

Impasse politique

Le Parti Libéral Démocrate a été au pouvoir pendant la quasi-totalité des 66 années écoulées depuis sa création, en 1955. Il est inextricablement lié à l’appareil d’État japonais. Lors de sa fondation, ce parti représentait une alliance entre la grande bourgeoisie, les nationalistes petits-bourgeois et le crime organisé. Si cette coalition conservatrice a réussi à se maintenir au pouvoir aussi longtemps, c’est parce qu’elle n’avait pas à affronter de véritable opposition – et parce que la bourgeoisie japonaise était relativement unanime. Aujourd’hui, sous l’impact de la crise économique et sociale, la classe dirigeante se divise, et cette division s’exprime par des affrontements féroces au sein du parti. Cela signifie aussi que la bourgeoisie japonaise ne dispose d’aucune alternative solide pour remplacer un PLD défaillant.

Aucun autre parti n’est assez puissant pour, à lui seul, remplacer le PLD. Le très bourgeois Parti Démocrate Constitutionnel (PDC) est le plus important parti d’opposition, mais il reste très faible et devrait obligatoirement s’appuyer sur une coalition de partis, pour diriger le pays. En outre, son programme se cantonne aux étroites limites fixées par le capitalisme japonais, et se révélera donc incapable de résoudre la crise.

Les masses japonaises sont animées d’un profond désir de changement politique. Tous les partis voient leur soutien populaire diminuer, dans les sondages. C’est l’ensemble du système politique qui est rejeté. Cependant, il n’existe pour l’instant aucune force politique capable de canaliser la colère de la classe ouvrière vers un mouvement de transformation révolutionnaire de la société.

Reste le fait majeur : le Japon est entré dans une nouvelle période de son histoire. L’instabilité politique ne peut que s’intensifier. On doit s’attendre à des mobilisations de masse telles que le pays n’en a pas connu depuis des décennies. Pour la couche la plus consciente des travailleurs et de la jeunesse, ces luttes mettront à l’ordre du jour la nécessité de renverser le capitalisme, et donc de construire une organisation dotée d’un programme marxiste et de perspectives internationalistes. Les jours paisibles du capitalisme japonais sont bel et bien terminés. 


 [1] : Par exemple, les japonais devaient utiliser exclusivement le fax pour signaler les nouveaux cas de Covid !

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