Bolivie

Le Mouvement pour le Socialisme (MAS) est revenu au pouvoir, en Bolivie, après une large victoire dès le premier tour des élections présidentielles, le 18 octobre dernier. C’est une défaite cinglante pour la droite bolivienne, qui, en novembre 2019, avait renversé le gouvernement d’Evo Morales au moyen d’un coup d’Etat – évidemment soutenu par les Etats-Unis et l’Union Européenne.

Dans la foulée de ce putsch, la droite a dirigé un gouvernement de transition s’appuyant directement sur les sommets de l’armée. Pour tenter de trouver une légitimité démocratique, elle a annoncé la tenue de nouvelles élections présidentielles. Mais sa gestion catastrophique de la crise sanitaire et économique a ouvert la voie à une nouvelle et écrasante victoire du MAS (au pouvoir entre 2006 et 2019). Son candidat, Luis Arce Catacora, a recueilli 55 % des voix dès le premier tour. La droite a été forcée de reconnaître sa défaite car une nouvelle tentative de coup d’Etat aurait provoqué une puissante mobilisation des travailleurs et des paysans pauvres.

L’impasse de « l’unité nationale »

Cependant, à peine arrivés au pouvoir, les dirigeants du MAS ont montré qu’ils n’avaient tiré aucune leçon du passé. Dès son premier discours, Luis Arce a tendu la main aux capitalistes et leur a demandé de faire partie d’un gouvernement d’union nationale. De son côté, Evo Morales a lancé un appel « à tous les partis, hommes d’affaires et ouvriers pour organiser [...] un pacte de réconciliation ». C’est pourtant cette même politique de concessions aux capitalistes et aux multinationales qui avait miné la base de soutien du gouvernement Morales. Face au coup d’Etat de novembre 2019, une large fraction de la classe ouvrière était restée passive.

Comme tous les dirigeants réformistes, Luis Arce espère que ses appels à la « paix sociale » seront entendus par la classe dirigeante. Mais celle-ci n’a pas la moindre intention de concéder quoi que ce soit aux travailleurs, surtout dans un contexte de profonde crise de son système. De son côté, la classe ouvrière bolivienne a montré qu’elle était prête à lutter massivement pour défendre ses droits et ses conditions de vie. Elle n’a pas délivré au MAS un blanc-seing. En août dernier, elle a participé à l’une des plus grandes grèves générales de l’histoire du pays. Ainsi, le gouvernement du MAS sera pris en étau entre les travailleurs et les capitalistes. Et il devra rapidement trancher – dans un sens ou dans l’autre.

Le 10 novembre à 16h50, le président bolivien Evo Morales a annoncé sa démission. Ce fut le dernier acte d’un coup d’Etat qui se préparait depuis un certain temps.

Le 8 novembre s’est déclarée une mutinerie de la police anti-émeute de Cochabamba. Le lendemain, la mutinerie avait gagné huit des neuf départements du pays. Les policiers refusaient de quitter leurs commissariats et d’intervenir dans les rues. Immédiatement, l’armée a déclaré qu’elle ne « descendrait pas dans les rues ». A cette heure, elle n’appelait pas encore Evo Morales à la démission, mais elle indiquait clairement qu’elle ne le défendrait pas. Le gouvernement avait perdu le contrôle des forces de répression de l’Etat.

Le 10 novembre, à 2 heures du matin, l’Organisation des Etats Américains (OEA) a publié une déclaration préliminaire de la commission chargée de vérifier les résultats des élections du 20 octobre dernier. La publication des résultats officiels de cet audit était prévue pour le 12 novembre. La déclaration préliminaire affirmait que la commission ne pouvait « pas valider les résultats des élections ». Elle « recommandait » que de nouvelles élections soient organisées et qu’un nouveau comité électoral s’en charge. C’était un coup sévère contre Evo Morales, qui avait insisté – contre l’opposition, qui réclamait un second tour ou sa démission – pour que tout le monde attende et respecte les résultats de l’audit de l’OEA.

Une victoire de la réaction

A 7 heures du matin, Evo Morales a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé l’annulation des élections du 20 octobre et l’organisation de nouvelles élections, afin de « pacifier le pays ». Le secrétaire général de l’OEA, Almagro, a souligné que Morales devait rester au pouvoir, en attendant, et finir son mandat. L’impérialiste Almagro voulait un transfert de pouvoir « ordonné », de façon à ne pas laisser planer l’idée qu’il est acceptable de renverser un gouvernement par des mobilisations de masse. Dans les faits, à cette heure, Morales tentait de s’appuyer sur l’OEA.

Bien sûr, l’opposition de droite, dirigée par Camacho, chef du « Comité civique » de Santa Cruz et représentant de l’oligarchie réactionnaire locale, a rejeté la proposition de Morales. La réaction se sentait en position de force grâce aux mobilisations importantes dans les rues, à la présence de gangs fascistes bien organisés, au soutien de larges sections de la police et à la bénédiction des sommets de l’armée. Elle a demandé la démission de Morales ; elle était prête à l’obtenir pour tous les moyens possibles. Elle savait comment parvenir à ses fins et a procédé étape par étape. A l’inverse, le gouvernement vacillait, hésitait, faisait des concessions – et s’emmêlait dans ses propres nœuds légaux et constitutionnels.

Carlos Mesa, le candidat de l’opposition aux élections du 20 octobre, qui représente une aile plus « modérée » de l’opposition bourgeoise, a également rejeté la proposition d’organiser de nouvelles élections et a appelé Morales à la démission. Entre Mesa et Camacho, il n’y a qu’une différence de méthode. Mesa voulait un coup d’Etat « ordonné et constitutionnel », sous son contrôle ; Camacho voulait une rupture nette – sous le sien.

En début d’après-midi, l’armée n’obéissait plus aux ordres de Morales. Puis elle a publié une déclaration demandant la démission de Morales. Le coup d’Etat était parachevé. A 16h50, Morales annonçait sa démission. Son entourage gouvernemental a fait de même dans la journée. Certains dirigeants du MAS (le parti de Morales) ont démissionné sous la menace, leurs maisons ayant été incendiées et leurs familles menacées ou kidnappées.

Une politique de concessions fatale

Il faut comprendre comment on en est arrivé là. Lors des élections de 2014, Morales avait réuni 63 % des voix ; le 20 octobre dernier, il en a réuni 47 %. Soyons clairs : l’érosion de sa base dans la classe ouvrière et la paysannerie est le résultat d’une politique de collaboration de classe et de concessions aux capitalistes, aux multinationales et aux grands propriétaires terriens.

Donnons quelques exemples. Morales avait passé un accord avec les capitalistes de l’agro-business de Santa Cruz, leur faisant toutes sortes de concessions : levée de l’interdiction des OGM, autorisation de poursuivre la déforestation, accords avec la Chine sur l’exportation de viandes, etc. Morales était tellement sûr de son fait que lors d’un meeting de campagne à Santa Cruz, il a félicité « les businessmen de Santa Cruz (…), qui proposent toujours des solutions pour toute la Bolivie », et s’est aussi félicité de l’accord avec la Chine sur l’exportation de viandes, de soja et de quinoa.

A Potosí, la mobilisation de masse contre Morales n’avait pas la même composition sociale que le mouvement réactionnaire de Santa Cruz. Elle était plus populaire. Et il y a des raisons à cela. Une mine de lithium de la région a été cédée par le gouvernement à une multinationale allemande, ACI Systems, et ce pour 70 ans. ACI Systems a pris le contrôle des organes dirigeants de l’entreprise. Beaucoup de travailleurs de Potosí étaient en colère contre le gouvernement, qui se déclare « anti-impérialiste », mais cède les ressources naturelles du pays à des multinationales étrangères – sans grand bénéfice pour la population locale. Bien avant les élections du 20 octobre, l’opposition à ce contrat avait suscité des mobilisations anti-gouvernementales massives. Le 9 novembre, acculé, Morales a annoncé l’annulation du contrat. Mais c’était trop peu, trop tard.

Comme si cela ne suffisait pas, Morales a accordé l’investiture au poste de Sénateur de Potosí à Orlando Careaga, grand propriétaire minier et ancien politicien de droite. Il avait fait partie du gouvernement de droite renversé par un mouvement révolutionnaire des paysans et des travailleurs, en 2003. Son investiture a suscité la colère des militants du MAS et d’autres mouvements sociaux, au niveau local.

A Chuquisaca, la candidate du MAS, Martha Noya Laguna, était aussi une ancienne politicienne de droite. Tout ceci a contribué à miner la base sociale du MAS, tout en alimentant contre lui un mouvement de masse – et ce dans des départements qui, par le passé, soutenaient fermement Morales.

Renouer avec les traditions révolutionnaires !

La victoire de la réaction, en Bolivie, aura un impact au-delà des frontières du pays. L’opposition réactionnaire, au Venezuela, s’en trouve déjà enhardie. En Bolivie, il y a une lutte ouverte entre deux fractions de la classe dirigeante. Camacho et l’oligarchie de Santa Cruz veulent une rupture nette, l’arrestation des officiels du MAS, un gouvernement de transition auquel participeraient la police et l’armée, puis des élections dont les conditions leur seraient favorables. De son côté, Mesa réclame frénétiquement une « continuité constitutionnelle ». Il demande que l’actuel Parlement organise les prochaines élections. Quelle que soit l’issue de cette lutte, la droite a pris le pouvoir en Bolivie et formera le prochain gouvernement – qui voudra se légitimer par des élections, à un certain stade. Ce gouvernement lancera une vague d’offensives contre les travailleurs, les paysans et les indigènes. Il cherchera à détruire ce qu’il reste des conquêtes sociales des 14 dernières années.

Les travailleurs et les paysans de Bolivie devront organiser la riposte. Pour ce faire, ils devront tirer les leçons du gouvernement Morales. C’est la politique de concessions aux capitalistes et aux multinationales (notamment de l’agrobusiness) qui a miné la base de soutien du gouvernement, ouvrant la voie à un coup d’Etat. Tout en empochant les concessions, les capitalistes n’ont jamais renoncé à renverser ce gouvernement dirigé par un syndicaliste indigène, arrivé au pouvoir grâce aux soulèvements révolutionnaires de 2003 et 2005. Ils ont juste attendu le bon moment pour passer à l’action. C’est chose faite. Le renversement de Morales est une nouvelle illustration de la faillite des méthodes réformistes.

La conclusion est claire : le seul moyen de définitivement consolider les conquêtes des travailleurs et des paysans, c’est la mobilisation révolutionnaire des masses opprimées en vue de briser le pouvoir économique de l’oligarchie et de l’impérialisme. Seule l’expropriation, sous le contrôle des travailleurs, des moyens de production, de la terre et des ressources naturelles, permettra de planifier l’économie dans l’intérêt de la majorité de la population. Les travailleurs et paysans boliviens ont de grandes traditions révolutionnaires. Ils doivent renouer avec ces traditions, renouer avec l’esprit et le programme des Thèses de Pulacayo, adoptées par le syndicat des mineurs en 1946 – et qui déclaraient : « le prolétariat des pays sous-développés est forcé de combiner les tâches bourgeoises-démocratiques avec la lutte pour le socialisme. »

Après avoir largement remporté le référendum du 10 août, le président de la Bolivie, Evo Morales, a proposé à l’oligarchie de négocier. Comme il fallait s’y attendre, l’oligarchie a répondu à Morales par une nouvelle offensive contre le gouvernement démocratiquement élu, en utilisant tous les moyens à sa disposition : la violence, les gangs fascistes, le sabotage économique, etc.

La nuit du référendum lui-même, Ruben Costas, le préfet de Santa Cruz – et l’une des principales figures de l’opposition de droite – a déclaré que les résultats confirmaient son projet réactionnaire sur « l’autonomie » de Santa Cruz. Il a annoncé qu’il allait commencer à promulguer ses propres lois et mettre sur pied des forces de police et un agence fiscale départementales. Cette provocation montre que la classe dirigeante cherche à prendre le contrôle de l’appareil d’Etat dans le but d’empêcher tout changement, dans le pays.

Quant aux préfets réactionnaires de Tarija, Pando, Beni et Chuquisaca, ils ont finalement accepté de rencontrer des représentants du gouvernement central, mais ce ne fut qu’une formalité. Au bout de quelques heures, ils ont quitté la réunion en déclarant qu’ils ne reprendraient pas les négociations. Puis ils ont annoncé une « grève civique » – en réalité, un lock-out patronal – pour le 19 août.

Polarisation vers la droite…

Loin de résoudre le conflit, dans le pays, les résultats du référendum du 10 août ont eu pour conséquence d’accentuer la polarisation politique. Dans le camp de la classe dirigeante, le parti PODEMOS, considéré comme l’opposition la plus « modérée » et « raisonnable » à Morales, s’est littéralement effondré et a pratiquement disparu de la scène politique. Désormais, les porte-parole les plus en vue de la droite sont les préfets réactionnaires et les membres des soit-disant « Comités Civiques » des départements de l’Est du pays. Ces Comités Civiques représentent les intérêts des grands propriétaires terriens, des capitaliste et des banquiers. C’est la colonne vertébrale de la classe dirigeante. C’est elle qui reçoit le soutien, les conseils et l’appui financier de l’impérialisme américain.

Leur tactique s’inspire de celle utilisée par l’opposition réactionnaire au Venezuela, lors de la préparation du coup d’Etat d’avril 2002 – ou encore de celle qui a mené au coup d’Etat contre Salvador Allende, au Chili, en 1973. La mobilisation des classes moyennes – excitées par des fables sur la « dictature communiste », sur un « complot Cubano-vénézuélien », ou par une propagande raciste à l’égard du président « indien », etc. –, le sabotage économique, les lock-out patronaux, l’organisation de gangs fascistes (l’Union Juvenil Cruceñista - UJC), sont combinés avec des accusations de fraude électorale, des pressions diplomatiques et des appels aux officiers de l’armée pour qu’ils organisent un coup d’Etat.

…et vers la gauche

Dans le camps des travailleurs et des paysans, le référendum du 10 août a reflété la nouvelle vague de radicalisation qui a commencé avec le mouvement de masse contre le référendum autonomiste illégal du 4 mai dernier, à Santa Cruz. Alors, des centaines de milliers de Boliviens sont descendus dans les rues à Cochabamba, El Alto, La Paz, Oruro et Potosí. A Santa Cruz même, des milliers de travailleurs et de paysans ont – activement ou passivement – résisté à l’intimidation de l’oligarchie et de ses gangs armés. Ces mobilisations n’avaient pas été organisées par le gouvernement du MAS, qui au contraire en appelait au calme. Il a notamment retenu le syndicat des mineurs et d’autres organisations, qui voulaient marcher sur Santa Cruz pour empêcher la tenue du référendum réactionnaire. Evo Morales lui-même avait annoncé que ce référendum devait juste être ignoré et considéré comme un simple « sondage ».

Cependant, les masses ont massivement répondu, dans les rues, grâce aux appels et à la mobilisation des organisations sociales – syndicats paysans, comités de quartier, syndicats départementaux, etc. – qui constituent la base sociale du MAS et qui ont porté Morales au pouvoir, en 2005. Ces organisations sont fatiguées des appels de Morales à la conciliation et des vacillations des dirigeants du MAS face aux offensives de l’oligarchie. Elles se sont mobilisées pour soutenir le gouvernement qu’elles ont élu, avec pour objectif de battre la droite – mais aussi de pousser le gouvernement vers la gauche.

Immédiatement après la victoire du référendum révocatoire, toute une série d’organisations paysannes et ouvrières ont demandé un tournant à gauche du gouvernement. Dans une réunion avec Evo Morales, le dimanche 17 août, des représentants de différentes organisations de masse ont désigné des ministres qu’ils considèrent comme un obstacle à la révolution –  le ministre de la Présidence Juan Ramón Quintana, le vice-ministre des Mouvements Sociaux Sacha Llorenti et la ministre du Développement Rural Susana Rivero – et demandé qu’ils soient limogés. Remigio Figueredo, le Secrétaire Général du CSUTCB, un syndicat paysan, a dit : « Ces camarades ne sont pas pour le processus de changement. Ils doivent partir. » Ils ont également demandé à Morales d’organiser un référendum sur la Constitution proposée (qui comporte une vaste réforme agraire, et que l’oligarchie combat) et de ne pas faire de concessions à l’oligarchie sur la question de savoir qui contrôle les revenus générés par la nationalisation du gaz.

L’offensive de l’oligarchie

Dans le cadre de sa stratégie pour reprendre en main l’appareil d’Etat, l’oligarchie de Santa Cruz cherche à prendre le contrôle la police nationale dans ce département – laquelle est toujours loyale au gouvernement central. Le vendredi 15 août, les bandes de l’Union Juvenil Cruceñista et d’autres organisations fascistes ont attaqué les locaux de la police nationale de Santa Cruz. Plus tard, dans la journée, les commandants de la police sont allés négocier avec le Comité Civique. Lorsqu’ils sont sortis de la réunion, ils ont été agressés par les gangs de l’UJC. Le commandant de police Wigle Obleas et son second ont été projetés à terre et roués de coups. Suite à cet incident, Obleas a démissionné. Le préfet réactionnaire Ruben Costas a alors annoncé que la nomination d’un nouveau commandant de police devrait avoir son approbation, pour être effective. C’est un nouveau gant jeté à la face du gouvernement central.

Le 19 août, la « grève civique » qui s’est déroulée dans cinq des neuf départements du pays coïncidait avec l’anniversaire du coup d’Etat du dictateur Banzer, en 1971. Cette prétendue « grève » fut très violente. Dès l’aube, des groupes de fascistes armés et transportés dans des véhicules officiels des gouvernements locaux – contrôlés par l’oligarchie – ont forcé les entreprises, les magasins et les marchés à fermer, puis ont bloqué des routes. Dans plusieurs villes, les organisations paysannes et syndicales ont été prises d’assaut par ces gangs armés.

Malgré cela, la « grève » n’a que partiellement paralysé les villes – et n’a eu aucun impact dans les zones rurales, qui soutiennent fermement le gouvernement de Morales.

La réaction des masses

Encouragées par le très bon résultat du référendum du 10 août, les masses ont activement défié les gangs à la solde de l’oligarchie. A Santa Cruz, quelques 300 membres de l’UJC armés de barres, de couteaux et d’armes de poing ont débarqué à l’entrée de « Plan 3000 », un immense quartier ouvrier qui est aussi un bastion du MAS. Mais les fascistes se sont heurtés à des milliers d’habitants de ce quartier, qui les ont affrontés et ont garanti la sécurité des boutiquiers et vendeurs à la sauvette.

Plus tard, le même jour, une Assemblée ouverte massive (cabildo abierto) s’est tenue, à Plan 3000. Elle a rejeté l’autorité du gouvernement de Santa Cruz et proclamé l’établissement d’un « Conseil égalitariste », dont le territoire sera « libéré du fascisme, du racisme, de la discrimination et de l’oligarchie ».

A San Julian, un autre bastion du MAS à Santa Cruz, un meeting de masse a proclamé son opposition à l’oligarchie, et menacé de bloquer la ville de Santa Cruz si Rubén Costas ne met pas un terme à ses provocations. Plus tard, ils ont annoncé que le blocage commencerait le lundi 25 août.

Jusqu’à présent, les préfets de l’opposition et les Comités Civiques ont eu plus ou moins les coudées franches. S’ils ont été en mesure de mobiliser des sections des classes moyennes, c’est parce que les travailleurs et les paysans n’offraient que peu de résistance. S’ils apparaissaient comme plus forts qu’ils ne le sont en réalité, c’est du fait que les dirigeants du MAS refusaient de mobiliser leur propre base dans la rue. Mais ceci est terminé. Désormais, on assiste à une réaction organisée contre l’oligarchie de ces départements, y compris dans son bastion, Santa Cruz. Depuis le 4 mai dernier, la masse des travailleurs et des paysans est de retour dans les rues.

La plupart des petit-bourgeois ne sont pas courageux. Ils tendent même à être assez lâches. Ils se sentent en sécurité lorsqu’ils pensent avoir le contrôle de la situation et détenir le pouvoir. Et c’était le cas jusqu’alors. Ils étaient mobilisés par les préfets et les maires. Tous les hommes d’influence, dans les Comités Civiques, étaient de leur côté. Mais face au mouvement de masse des travailleurs et des paysans, ils peuvent rapidement être dissous – et le rapport de force réel peut alors être clairement révélé. Même bien entraînés, organisés et équipés, quelques centaines ou quelques milliers de jeunes fascistes ne pèsent pas lourd face à la masse des travailleurs et des paysans, dès lors que ceux-ci sont mobilisés et en ordre de bataille. C’est la principale leçon de la « grève civique » à Santa Cruz.

A Chuquisaca, où Morales a remporté une nette victoire au référendum du 10 août, il y a  également eu une réponse massive des organisations paysannes contre la « grève » de l’oligarchie. Les paysans ont demandé que les sous-préfets (autorités provinciales) soient élus. Dans la mesure où cela aboutirait nécessairement à l’élection de sous-préfets du MAS, c’est un acte de défi à l’égard du préfet – récemment élu – de l’opposition. La situation à Chuquisaca est particulière. L’opposition n’est parvenue à l’emporter (de très peu) qu’en présentant une indigène ex-membre du MAS, Savina Cuellar. Les syndicats de ce département ont annoncé un blocage de sa capitale, Sucre, jusqu’à ce que Savina Cuellar donne satisfactions à leurs revendications. A l’heure où ces lignes sont écrites, cette menace a été mise à exécution, et la ville de Sucre est presque complètement coupée des zones rurales et du reste du pays.

L’oligarchie s’acharne

Sentant sa propre faiblesse, l’oligarchie n’a pas cherché à prolonger sa « grève », comme l’avait fait l’oligarchie vénézuélienne, en 2002, lorsque le lock-out patronal avait duré plus de deux mois. Pour autant, elle n’a pas renoncé à sa campagne de provocation et de défiance à l’égard du gouvernement national. Les producteurs de viandes de Santa Cruz et de Beni ont annoncé qu’ils allaient cesser d’envoyer de la viande à La Paz et El Alto. Ils cherchent à utiliser leur pouvoir économique contre le gouvernement démocratiquement élu. En même temps, ils multiplient les appels à un coup d’Etat militaire. Roxana Sandoval, une député du MNR, a demandé aux forces armées et à la police de désobéir aux ordres du gouvernement national. Dans les cinq départements dirigés par des préfets de l’opposition, il y a des appels de la réaction à bloquer les routes et à prendre le contrôle des institutions publiques.

Malgré tout cela, des sections du gouvernement continuent d’en appeler à la conciliation. Par exemple, le porte-parole du gouvernement Iván Canelas a déclaré : « Le gouvernement continuera de tendre la main et de proposer le dialogue, dans le but de résoudre tous les problèmes du pays de la façon la plus pacifique possible. » Felix Rojas, le chef du groupe parlementaire du MAS, a annoncé que le MAS était prêt à négocier avec l’opposition sur le contenu de la nouvelle Constitution, et qu’il préférait un « dialogue démocratique » avec l’opposition qu’un référendum sur la nouvelle Constitution – alors qu’un référendum est précisément ce que réclament les organisations de masse.

L’oligarchie joue un jeu très dangereux. Comme on l’a vu lors des événements du 19 août, la masse des travailleurs et des paysans a perdu patience. Elle demande que le gouvernement agisse avec une mano dura (une « main ferme ») contre l’oligarchie. Elle prend l’initiative de descendre dans la rue et de montrer sa propre force. De nouvelles provocations de l’oligarchie pourraient pousser les travailleurs et les paysans à des actions encore plus radicales – et de telles actions sont précisément la seule chose qui puisse briser l’actuel équilibre entre les classes. A l’inverse, si cet équilibre devait se maintenir longtemps, il y a un risque sérieux qu’une section de l’armée et de la police intervienne pour « restaurer l’ordre » et le « règne de la loi ».

Il est temps de prendre des mesures décisives contre l’oligarchie. Si elle sabote la distribution de nourriture, alors ses terres, ses ranchs, ses entreprises agro-alimentaires et de transport doivent être occupés par les paysans et les travailleurs – et expropriés par le gouvernement. Si l’oligarchie met à exécution ses menaces de prendre le contrôle des champs de gaz et de pétrole, les travailleurs et les paysans doivent les reprendre et les placer sous contrôle ouvrier, comme ce fut le cas au Venezuela. Si la réaction bloque les routes, les masses doivent s’organiser pour les rouvrir.

Evo Morales a averti – a juste titre – qu’un « coup civique » se préparait. Mais pour le mettre en échec, les appels à la négociation et à la conciliation sont inutiles. Il faut mobiliser la pleine puissance des masses qui soutiennent Morales pour briser le pouvoir économique et politique de l’oligarchie.

Jorge Martin, le 22 août 2008

Si l’on en croit les grands médias capitalistes, le référendum révocatoire qui s’est tenu en Bolivie, le 10 août, aurait produit un résultat contradictoire. Le Président Evo Morales et le vice-président García Linera ont été ratifiés par 67,5% des suffrages – contre 57,3% lors des élections de 2005. De même, à Oruro et Potosi, les deux préfets (gouverneurs départementaux) du MAS, le parti de Morales, ont été ratifiés. Mais en même temps, quatre des six préfets de l’opposition ont été ratifiés à une nette majorité. Donc, qui a gagné, et qui a perdu ?

Tout d’abord, regardons les résultats définitifs – et non seulement les résultats « sortis des urnes », sur lesquels les médias capitalistes se sont appuyé et qui sous-évaluent l’ampleur de la victoire de Morales.

A l’échelle nationale, les résultats concernant Morales et le vice-président sont les suivants : plus de 2 millions de personnes ont demandé à ce qu’ils poursuivent leur mandat, soit près d’un demi-million de plus que lors des élections de 2005. Cela représente plus des 2/3 des suffrages. Dans tous les départements du pays, le vote pour Morales a augmenté par rapport à 2005 – et dans plusieurs cas d’une façon très nette. Sa part des suffrages, par rapport à 2005, est passée de 66,6 à 82,6% à La Paz (qui concentre un tiers de la population du pays), de 62,5 à 82,9% à Oruro, de 57,8 à 83,9% à Potosi, de 64,8 à 70,9% à Cochabamba, et de 54,1 à 56,8% à Chuquisaca.

Ainsi, Morales a remporté une victoire nette dans 5 des 9 départements du pays – qui plus est parmi les plus peuplés. Viennent ensuite les 4 départements de l’Est du pays, où l’oligarchie contre-révolutionnaire a concentré ses forces, et où elle est parvenue à gagner une base de soutien par une propagande démagogique sur le thème de l’autonomie régionale. Mais malgré cela, dans tous ces départements, Morales a augmenté sa part des suffrages. A Pando, il l’emporte avec 52,2% des voix, contre 20% pour le MAS en 2005. A Tarija, les voix « pour » et « contre » arrivent pratiquement à égalité : 66 645 pour Morales et 67 102 contre, soit à peine 457 voix d’écart. A Beni, Morales perd par 42,3% contre 57,6%, mais cela représente quand même une très nette progression comparé aux 16,9% de voix pour le MAS en 2005. L’opposition y a perdu 50% de ses voix de 2005.

Venons-en finalement à Santa Cruz. C’est le principal bastion de l’oligarchie. Le maire et le préfet y ont constitué une alliance très étroite avec les principaux propriétaires terriens (organisés dans le Comité Civique), les banquiers et les industriels – qui, avec l’aide de Washington, organisent les bandes armées fascistes de l’Union Juvenil Cruceñista (UJC). Ces derniers ont attaqué les bureaux du MAS, intimidé les militants du MAS et d’autres organisations de gauche, physiquement empêché l’avion du président Morales d’atterrir à l’aéroport et publiquement appelé l’armée à renverser le président. Or, malgré ce climat d’intimidation, malgré la « surveillance » des bureaux de vote par les bandes armées de l’UJC (avec l’aide et la complicité de la police locale et régionale), Evo Morales a recueilli 39,4% des suffrages. Et ce ne sont là que des résultats provisoires, puisqu’à l’heure où ces lignes sont écrites, 15% des votes de ce département n’ont pas été dépouillés, principalement dans des secteurs favorables au MAS, comme par exemple Ñuflo de Chávez. Dépasser plus de 40% des suffrages serait une grande victoire, dans ce département, comparé aux 33% de 2005 – et compte tenu du climat de peur et d’intimidation.

Ces résultats dans ces départements de Bolivie sont d’autant plus significatifs qu’ils sont officiellement annoncés par les Cours Electorales Départementales, lesquelles sont complètement contrôlées par l’oligarchie et sont en conflit ouvert avec le gouvernement central.

Ces résultats réfutent également le mythe d’un « soutien écrasant » aux « référendums autonomistes » organisés par l’oligarchie, le 4 mai dernier, à Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija. Lorsque l’oligarchie rapporte les résultats du 4 mai (respectivement 85,6%, 79%, 81% et 78,7% « pour l’autonomie »), elle « oublie » de mentionner l’abstention massive qui a marqué ces référendums illégaux et inconstitutionnels.

Pour en revenir au scrutin du 10 août, il concernait également 8 des 9 préfets du pays. Et là encore, la droite a subi une nouvelle défaite, en perdant La Paz et Cochabamba, dont les préfets ont été révoqués à une très large majorité (64,4% et 64,8%). A Oruro, le préfet du MAS ne l’a emporté que de peu, ce qui est un vote de protestation contre la répression gouvernementale qui a frappé une grève de mineurs, dont deux sont morts. Le préfet du MAS de Potosi a, quant à lui, obtenu 78% des suffrages. Ceci dit, les préfets contre-révolutionnaires de Santa Cruz (67%, résultats partiels), Pando (56%), Beni (64%) et Tarija (58%) ont également été ratifiés.

Les médias capitalistes, en Bolivie et ailleurs, parlent tous d’un « pays divisé » qui ne peut être réunifié que par la négociation et la conciliation. Or, la réalité qu’illustrent les résultats du 10 août est toute autre. Les hautes terres et le centre du pays soutiennent massivement la perspective d’une transformation révolutionnaire du pays – alors que l’Est de la Bolivie est divisé, l’oligarchie ayant réussi à consolider le soutien des classes moyennes des villes.

Ces résultats montrent le soutien énorme et croissant dont bénéficie Morales, qui a placé la question du changement de la Bolivie au centre d’une campagne extrêmement polarisée. Quelques jours avant le scrutin, et pour la première fois, Morales a parlé de socialisme. Il a déclaré avoir lu un sondage établissant qu’une majorité de Boliviens étaient favorables au socialisme. Morales a commenté ainsi ce sondage : « si le peuple bolivien demande le socialisme, nous allons avancer vers le socialisme ».

Malgré toutes les vacillations du gouvernement, ces deux dernières années, l’instinct révolutionnaire des masses boliviennes est toujours vivant. Comme nous l’avons expliqué précédemment, les travailleurs et les paysans ont massivement répondu aux référendums illégaux et réactionnaires du 4 mai, ce qui a une fois de plus modifié le rapport de forces, dans le pays. Cela s’est reflété dans les résultats du scrutin du 10 août.

Dans la lutte électorale du 10 août dernier, la volonté des masses était claire : « d’abord on remporte cette bataille – puis on nettoiera notre propre maison pour aller de l’avant. » Immédiatement après le référendum, la puissante Confédération Unitaire des Travailleurs Agricoles de Bolivie (CSUTCB), qui avait clairement appelé à ratifier Morales, a publié un communiqué demandant le remplacement de la Ministre de l’Agriculture, Susana Rivero, par quelqu’un de plus fermement déterminé à mettre en œuvre la réforme agraire. Quant à l’immense foule venue écouter le discours de victoire d’Evo Morales, à La Paz, elle criait « Mano dura ! Mano dura ! » (« Une main ferme ! »).

Offensive contre l’oligarchie… ou conciliation ?

Cependant, une fois de plus, au lieu de s’appuyer sur la démonstration de force du 10 août pour lancer une offensive contre l’oligarchie, Evo Morales a insisté, dans son discours de victoire, sur « l’unité nationale » et la nécessité de discuter avec les préfets d’opposition pour concilier la nouvelle constitution qui est proposée avec les « statuts » d’autonomie « adoptés » lors des référendums illégaux du 4 mai.

Une telle politique est suicidaire. De fait, elle renforce l’oligarchie des régions concernées. Même affaiblie par les résultats du référendum, l’oligarchie n’est pas disposée à trouver un compromis. Ce qu’elle veut est très clair : le renversement d’Evo Morales et du gouvernement du MAS, qu’elle considère comme le représentant du mouvement de masse des travailleurs et des paysans qui se sont soulevés en 2003 et 2005. Dès l’annonce des premiers résultats, Ruben Costas, le préfet de Santa Cruz, a déclaré que le vote avait « confirmé la mise en œuvre de l’autonomie décidée le 4 mai dernier ». Puis il est passé à l’offensive en annonçant la création d’une « agence fiscale autonome » et de « nos propres forces de sécurité, de façon à faire appliquer les lois départementales ». Il a également rejeté toute rencontre avec des représentants du gouvernement national. Les autres préfets d’opposition ont adopté un ton plus conciliant, en acceptant l’idée d’une rencontre avec le gouvernement – mais ils ont ensuite refusé la date proposée par ce dernier.

La vérité, c’est que ce conflit ne pourra pas être résolu par la seule voie parlementaire. C’est un conflit entre les intérêts des grands propriétaires terriens et ceux des masses paysannes, entre les intérêts des capitalistes et ceux des travailleurs, entre la volonté du peuple bolivien de contrôler les ressources naturelles et la soif de profit des multinationales. Des intérêts de classe fondamentaux s’affrontent, et toute l’histoire montre que la classe dirigeante n’abandonnera pas ses pouvoirs économiques et politiques sans une lutte acharnée, au cours de laquelle elle utilisera tous les moyens à sa disposition. Cette loi historique est confirmée par les événements des derniers mois et des dernières années, en Bolivie, et par l’expérience de la révolution vénézuélienne.

La classe dirigeante n’a pas hésité à armer des bandes fascistes (qui, parties de Santa Cruz, commencent à gagner d’autres régions). Elle n’a pas hésité à briser sa propre légalité bourgeoise en organisant des référendums anti-constitutionnels ; à utiliser la force brute pour empêcher le président démocratiquement élu d’atterrir, en avion, dans l’un des départements du pays ; à utiliser des méthodes terroristes pour attaquer les bureaux et des ministres du MAS ; à recourir au sabotage économique pour déstabiliser le gouvernement ; et finalement à en appeler publiquement et ouvertement à un coup d’Etat.

Le problème, c’est que malgré tout le courage et toute la détermination des masses boliviennes, leur direction n’a pas été à la hauteur de la tâche. D’un côté, une section de la direction du MAS – en particulier autour du vice-président Garcia Linera – ne démord pas de l’idée de construire un « capitalisme andin ». Et ces gens combinent cette idée utopique avec une foi quasi-religieuse dans la légalité parlementaire, comme si l’oligarchie pouvait être battue dans les urnes seulement. Ils cherchent à s’appuyer sur de subtiles combinaisons légales plutôt que sur le mouvement de masse qui les a portés au pouvoir. Ce faisant, ils ont permis à l’oligarchie de regrouper ses forces.

D’un autre côté, la direction de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB, la plus grande structure syndicale) n’a cessé d’osciller entre une posture ultra-gauchiste – Jaime Solares ayant appelé au boycott des élections de 2005 et avancé le mot d’ordre « ni avec Evo, ni avec l’opposition » lors du référendum révocatoire – et une adaptation opportuniste à l’aile droite du MAS.

Le jour du référendum révocatoire, le gouvernement a trouvé un accord avec la COB, qui a mis un terme à la grève générale qu’elle avait organisée. Le gouvernement a accepté de prendre en charge le Fonds de Retraite (jusqu’alors contrôlé par des banquiers espagnols et suisses), et d’abroger une loi de 1996 qui privatisait de facto le système de retraites. Mais cette victoire du mouvement ouvrier a été payée au prix fort : deux mineurs ont été tués dans des affrontements avec la police que le gouvernement Morales avait mobilisée.

Au lieu d’appeler à une grève générale contre le gouvernement Morales, au moment précis où les capitalistes et les impérialistes lancent une offensive majeure contre lui, les dirigeants de la COB auraient dû mobiliser les masses contre l’oligarchie – tout en exigeant du gouvernement Morales un tournant décisif vers la gauche, l’élimination des éléments capitalistes et droitiers du gouvernement et l’application de « l’Agenda d’Octobre », c’est-à-dire des revendications qui ont mobilisé des centaines de milliers de travailleurs et paysans lors des insurrections de 2003 et 2005.

Cela devrait s’accompagner d’une campagne sérieuse pour organiser des assemblées populaires et des comités d’action dans chaque usine, chaque quartier et chaque village, de façon à riposter à l’offensive de l’oligarchie et mettre en œuvre le programme d’expropriation des terres et de nationalisation de l’industrie et des ressources naturelles sous contrôle ouvrier.

En dernière analyse, le conflit qui divise la Bolivie n’est pas régional ou ethnique : c’est un conflit entre des intérêts de classe irréconciliables, qui ne pourra se résoudre que dans la rue, dans la lutte des forces vivantes. Son issue dépend entièrement du niveau d’organisation des travailleurs et paysans boliviens – et de la qualité de leur direction.

La guerre de l’eau à Cochabamba, les insurrections de février et octobre 2003, l’insurrection de mai-juin 2005, l’élection de Morales en décembre 2005, la lutte contre le préfet de Cochabamba en janvier 2007, le mouvement de masse contre le référendum autonomiste de Santa Cruz en mai 2008, la récente mobilisation du référendum révocatoire – toutes ces mobilisations illustrent que les masses sont prêtes et déterminées à se battre. La seule chose qui a empêché les travailleurs et les paysans boliviens de prendre le pouvoir, c’est l’absence d’une direction déterminée à mener la révolution à son terme. La construction d’une telle direction est désormais la tâche la plus urgente. Il n’y a pas de temps à perdre.

Cette résolution a été adoptée à l’unanimité par le Congrès mondial de la Tendance Marxiste Internationale, le 3 août, à Barcelone.


Le 10 août, en Bolivie, se tiendra un référendum révocatoire concernant le président Evo Morales et huit des neuf préfets réactionnaires (gouverneurs régionaux).

A l’occasion de ce référendum, des intérêts de classe opposés s’affrontent : d’un côté, les travailleurs et les paysans qui demandent un profond changement dans le pays – de l’autre, l’oligarchie, les grands propriétaires terriens, les propriétaires des banques, de l’industrie et des médias de masse, l’impérialisme et les multinationales, qui ont engagé une campagne agressive contre le référendum révocatoire. Ces derniers veulent à tout prix éviter la légitimation du gouvernement de Morales et la révocation des préfets réactionnaires.

Dans cette bataille, la Tendance Marxiste Internationale se tient résolument du côté des masses boliviennes. Face aux manœuvres de l’oligarchie et de l’impérialisme, qui cherchent à saboter le référendum et menacent de ne pas en reconnaître les résultats, nous en appelons à la vigilance du mouvement ouvrier et des organisations de solidarité du monde entier.

La classe dirigeante bolivienne n’abandonnera pas son pouvoir économique, son pouvoir politique et ses privilèges sans livrer bataille. Comme elle l’a montré à Santa Cruz, elle utilisera tous les moyens à sa disposition : l’organisation de gangs fascistes, le sabotage économique, les campagnes de mensonges dans les médias, les pressions diplomatiques – et, si les conditions sont réunies, un coup d’Etat.

A de nombreuses reprises, au cours des dernières années, les travailleurs et les paysans boliviens ont montré leur ferme détermination à lutter contre le capitalisme, l’impérialisme et le latifundisme : lors de la « guerre de l’eau » à Cochabamba, en 2000, lors des insurrections de février 2003, d’octobre 2003 et de mai-juin 2005, puis lors de l’élection d’Evo Morales, en décembre 2005. Chaque fois, leur message a été clair.

Les aspirations des travailleurs et des paysans boliviens ne peuvent être satisfaites sans briser de façon décisive le pouvoir de la classe dirigeante. Le 10 août, nous devons gagner le référendum révocatoire, confirmer Morales dans ses fonctions et révoquer les préfets réactionnaires. Cela n’est possible que par une large mobilisation des masses dans la rue, non seulement pour voter, mais aussi pour défendre les résultats du référendum face aux manœuvres de l’opposition.

Cependant, ce n’est là qu’une étape. En menant une politique de négociation et de conciliation avec l’oligarchie et les multinationales, des sections du gouvernement et de la direction du MAS n’ont fait qu’encourager la classe capitaliste – tout en semant la confusion et la désorientation parmi les travailleurs et les paysans. Pour satisfaire les aspirations des masses, tous les leviers des pouvoirs économique et politique doivent être arrachés des mains de la classe dirigeante et de l’impérialisme. Les grands propriétaires terriens doivent être expropriés. Les banques et les grandes entreprises doivent être nationalisées sous le contrôle démocratique des travailleurs.

Organisons la solidarité avec la révolution bolivienne !
Ratification de Morales, révocation des préfets réactionnaires !
Mobilisation des travailleurs et des paysans, dans la rue, pour défendre le référendum révocatoire et appliquer l’« Agenda d’Octobre » !
Nationalisation des banques, des grandes entreprises, des multinationale et des latifundia !
Tout le pouvoir aux travailleurs et aux paysans !

FraudaLe référendum sur l’autonomie illégalement organisé, le 4 mai dernier, par la droite et l’oligarchie bolivienne de Santa Cruz, a clairement été un échec. Dans toute la Bolivie, il a provoqué des mobilisations massives d’ouvriers et de paysans. Santa Cruz est un département riche en terres fertiles et matières premières (gaz, pétrole, etc.). Le peuple s’est mobilisé par millions, dans la rue, pour rejeter les manœuvres des capitalistes pour soustraire ce département à l’autorité du gouvernement central.

La droite s’est félicitée des résultats officiels, qui proclament la victoire du « oui » (à l’autonomie de Santa Cruz) avec 85%  des voix, contre 15% pour le « non ». Mais ces chiffres sont loin d’illustrer la réalité de la situation, sur le terrain. D’une part, 40% des électeurs de Santa Cruz se sont abstenus. Mais surtout, malgré les appels des porte-parole du gouvernement à laisser ce « sondage d’opinion » se dérouler, de nombreux syndicats et organisations de gauche ont activement un boycotté le scrutin, dans tout le département.

A Montero, la deuxième ville du département, des affrontements ont eu lieu entre, d’un côté, les éléments de droite autonomiste, et, de l’autre, les organisations ouvrières et paysannes. Plusieurs bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir, et l’abstention a atteint 60%. Une situation semblable s’est développée dans la ville de Camiri.

Fraude BolivieDans le quartier ouvrier Plan 3000 de Santa Cruz (200 000 habitants), des urnes et des bulletins de vote ont été brûlés. Les militants locaux ont montré aux caméras de télévision des urnes préalablement remplies de bulletins marqués d’un « oui », avant même que les bureaux de vote ne soient ouverts ! 

Des affrontements ont également opposé les habitants de Plan 3000 aux groupes fascistes de l’Union Juvenil Crucenista, une organisation étudiante armée et financée par l’oligarchie. Il y a eu 25 blessés graves et un mort.

Marche BolivieDans toute la Bolivie, des manifestations de masse ont été organisées contre l’oligarchie et pour la défense de l’unité du pays. 500 000 personnes sont descendues dans les rues d’El Alto, l’un des principaux foyers de la révolution bolivienne. A La Paz, il y avait plus de 100 000 personnes, et 500 000 à Cochabamba. A Oruro s’est tenu un rassemblement de plus de 20 000 personnes. Il s’est conclu par un avertissement clair du dirigeant syndical Jaime Solares : « les mineurs et les étudiants sont prêts à marcher sur Santa Cruz pour écraser l’oligarchie et sa clique. » Il y avait de très grandes manifestations dans d’autres ville du pays. Ces chiffres sont d’autant plus impressionnants que la Bolivie ne compte que 9,2 millions d’habitants.

Dans la ville d’El alto, un cabildo (assemblée populaire) a rassemblé des centaines de milliers de travailleurs, paysans et étudiants. L’Assemblée a exigé – par un vote – la démission de Jose Luis Paredes, le préfet du département de La Paz, qui essaye lui aussi d’organiser un référendum séparatiste. Les manifestants ont également exigé l’expropriation des entreprises de l’oligarchie. Certains ont tenté d’occuper les chaînes de Télévision qui ont joué un rôle important dans la campagne de l’oligarchie. Ils ont jeté des pierres sur le bâtiment de Canal 24, qui est la propriété du préfet Jose Luis Paredes.

Poudre aux yeux

Les mois précédant le référendum, la propagande de l’oligarchie a été énorme. Tous les médias louaient les bienfaits à attendre de l’« autonomie » de Santa Cruz. L’oligarchie a essayé de duper les ouvriers et les paysans en prétendant que cette autonomie leur serait profitable. Par exemple, le « statut d’autonomie » du département – c’est-à-dire le projet proposé par l’oligarchie – prévoyait la création d’un « salaire minimum départemental toujours supérieur au salaire minimum national » (article 57).

Mais les masses ont appris par l’expérience ce que valent les promesses de l’oligarchie. Par exemple, sur la question clé du droit à la terre, le statut d’autonomie « reconnaît, protège et respecte le droit à leur terre des peuples indigènes du Département Autonome de Santa Cruz » (article 13). Mais les populations de Guaraní et de Camiri qui ont manifesté pour exiger ces droits ont été attaquées, kidnappées et torturées par les hommes de main des grands propriétaires terriens et du gouvernement régional.

En fait, le statut d’autonomie prévoit que les grands propriétaires obtiendraient tous les droits sur la terre. Ils auraient également le contrôle des politiques agraires, forestières et des aires protégées, ce qui fait qu’ils pourraient continuer de condamner le pays à la pauvreté et de détruire l’environnement – comme ils l’ont toujours fait. (articles 6, 102 et 103).

Les capitalistes locaux auraient également le droit de fixer les conditions de travail des salariés. Ainsi, ils pourraient continuer d’exploiter les travailleurs. En outre, le statut d’autonomie ne reconnaît pas l’existence des syndicats (articles 6 et 7). Enfin, l’oligarchie reprendrait le contrôle intégral des ressources naturelles (articles 8, 114-115).

Plan 3000 BolivieLe gouvernement régional et le prétendu « Comité civil de Santa Cruz » ont donné carte blanche aux activités des groupes fascistes, sur lesquels ils s’appuient. Les éléments les plus extrêmes parlent de procéder à un nettoyage ethnique, pour chasser de Santa Cruz tous les Boliviens originaires de l’Altiplano (les « hautes terres »). La veille du référendum, les petits commerçants du centre ville de Santa Cruz ont rapporté que des tracts avaient été distribués, dans le quartier, dont le texte menaçait les « collas » (les autochtones) et leur donnait trois jours pour fuir Santa Cruz.

Vacillations du gouvernement

Au fond, l’oligarchie bolivienne compte utiliser la question du référendum pour arracher de nouvelles concessions au gouvernement. C’est ce qu’a très clairement expliqué Branko Marinkovic, membre du « Comité civique de Santa Cruz », le 3 mai dernier : « J’espère que, désormais, une nouvelle Assemblée Constituante sera convoquée, où cette fois-ci le principe des décisions à la majorité des 2/3 sera respectée. » Les vacillations du gouvernement d’Evo Morales, qui a accepté ce principe des 2/3 pour légiférer à l’Assemblée Constituante, et qui n’a pas mené une campagne sérieuse pour l’expropriation des terres, ont encouragé l’oligarchie. De son côté, la classe dirigeante, qui contrôle les moyens de production, a organisé un sabotage de l’économie dans le but de démoraliser les couches populaires.

Ces dernières semaines, plusieurs responsables du gouvernement se sont empressés de « dialoguer » avec l’oligarchie, ouvrant même des discussions sur la nouvelle Constitution, pourtant déjà entérinée par l’Assemblée Constituante.

Certains analystes prétendent que le gouvernement bolivien est désormais en position de faiblesse, car il n’a pas pu empêcher par la force la tenue de ce référendum. Mais en réalité, c’est exactement le contraire : les mobilisations massives, à Santa Cruz comme dans tout le pays, renforcent le gouvernement et lui ouvrent la possibilité de frapper un grand coup contre la droite et la classe capitaliste.

L’oligarchie a joué avec le feu – et elle s’est brûlé les doigts. Les vacillations du gouvernement ont d’abord renforcé les capitalistes et leur ont permis de réorganiser leurs forces, ces deux dernières années. Mais l’offensive du référendum a provoqué une puissante réaction des masses boliviennes.

Le 1er mai, Evo Morales a nationalisé par décret la compagnie de télécommunications ENTEL. L’Etat bolivien dispose désormais de la majorité des actions de cette entreprise. Des mesures semblables ont été prises contre plusieurs compagnies pétrolières. Ce sont là des pas dans la bonne direction. Cependant, le message des masses boliviennes – celles-là même qui ont porté Evo Morales au pouvoir – est parfaitement clair : le gouvernement doit cesser de « dialoguer » avec l’oligarchie et mener la révolution jusqu’à son terme !

https://www.youtube.com/watch?v=Rs-B910hAks

https://www.youtube.com/watch?v=vanNgU03bLI

La Bolivie traverse des heures décisives. La réaction fait flèche de tout bois pour saper le gouvernement Morales.

Le soulèvement révolutionnaire de mai-juin 2005 et la victoire du MAS aux élections présidentielles, fin 2005, ont défait et démoralisé l’oligarchie. Mais la propension manifestée par Evo Morales à ne pas transgresser les limites du capitalisme a été utilisée par l’oligarchie pour reprendre l’offensive. Bien plus que le gouvernement du MAS lui-même, l’oligarchie craignait les masses ouvrières et paysannes qui le soutenaient.

Chaque concession de Morales (notamment sous l’influence du vice-président Alvaro García Linera, l’idéologue du « capitalisme andin ») a été exploitée par l’oligarchie pour reconstituer ses forces et étendre son influence au sein de la petite-bourgeoisie et des couches les plus politiquement arriérées des régions qu’elle contrôle, en particulier dans le « croissant oriental » autour de Santa Cruz.

Depuis les élections de l’Assemblée Constituante, il y a un an et demi, le gouvernement Morales a constamment cédé aux pressions de l’oligarchie. Le MAS a fait concession sur concession. Ses représentants ont accepté que chaque article de la future constitution ne puisse être adopté qu’à la majorité des deux tiers, ce qui a permis à l’opposition de droite de bloquer tout débat par simple refus de vote.

D’autre part, ils ont accepté que les sessions de l’Assemblée Constituante soient tenues à Sucre, à bonne distance des pressions de La Paz et El Alto, cœur de la révolution bolivienne. L’oligarchie a profité de cette occasion pour déclencher un conflit politique sur la question du choix de la capitale. Ils réclamaient que, 100 ans après, Sucre redevînt le siège du parlement et du gouvernement. Fin novembre, ils ont utilisé des bandes réactionnaires pour assiéger l’Assemblée Constituante. Pendant les affrontements qui s’ensuivirent, deux manifestants pro-oligarchie furent tués par des inconnus armés. L’oligarchie avait besoin de « martyrs » pour entretenir la frénésie de sa base sociale et a fait porter la responsabilité de ces deux morts à la police et au gouvernement Morales.

Face aux menaces de lynchage, les députés du MAS quittèrent Sucre et reprirent les séances de l’Assemblée Constituante, malgré le boycott de la droite, dans le région minière de Oruro. Ils adoptèrent un projet de constitution, rejeté par la droite en dépit du fait qu’il garantissait la propriété privée et l’« autonomie » des départements. Cette dernière mesure était pourtant une revendication de l’oligarchie qui voulait l’utiliser pour s’assurer le contrôle des ressources pétrolifères et gazières des régions qu’elle contrôlait, dans le but de les remettre à disposition des multinationales.

La droite s’est violemment opposé au nouveau décret gouvernemental garantissant une allocation mensuelle de 25 dollars aux personnes de plus de 60 ans, financée par les revenus du pétrole de chaque département. L’oligarchie qualifia cette mesure de pillage des caisses départementales et refusa d’appliquer le décret dans les régions qu’elle contrôlait.

Dans le cadre de leur agitation réactionnaire autour de ces thèmes, l’oligarchie a organisé des grèves régionales à la fin août, en novembre et décembre, avec des rassemblements de masse et des grèves de la faim.

Malgré tout cela, le gouvernement a persévéré dans ses appels au calme et à la réconciliation, amplifiant ainsi le découragement dans ses propres rangs.

La stratégie de l’oligarchie est de fragiliser la base du gouvernement Morales et de démoraliser ses troupes, créant ainsi les conditions d’une contre-offensive. A moyen terme, ils envisagent la possibilité d’un coup d’Etat militaire. Parallèlement, ils jouent aussi la carte sécessionniste, en déclarant l’indépendance des départements qu’ils contrôlent par rapport au reste de la Bolivie.

Comme l’écrivent nos camarades d’El Militante, en Bolivie : « c’est le résultat de deux années d’erreurs et d’hésitations du gouvernement du MAS face aux multinationales, à l’impérialisme, à l’oligarchie et à une droite qui semblait pourtant avoir été marginalisée et réduite au silence par les élections de 2005. C’est la conséquence de l’abandon des thèses de Pulacayo, des enseignements et des analyses de Marcelo Quiroga Santa Cruz et autres grands révolutionnaires de l’histoire du pays ».

Que faire dans une telle situation ? L’alternative est de mobiliser les masses de travailleurs et de paysans, pas seulement avec des slogans, mais aussi par des mesures concrètes et pratiques afin de briser la domination économique de la bourgeoisie pro-impérialiste.

Comme l’expliquent nos camarades boliviens : « Face aux attaques des forces de droite et à leur sabotage politique et économique, le gouvernement doit engager une contre-offensive tous azimuts en s’appuyant sur la mobilisation des masses : tout d’abord en repoussant toute concertation avec la droite ; en abolissant toutes les lois de la décennie de néo-libéralisme effréné qui nous a réduits à la misère ; en nationalisant les banques, les entreprises et les grandes exploitations agricoles qui sont sur la ligne de front dans la guerre économique menée par la droite ; en centralisant les ressources économiques dans le but d’élaborer une planification de mesures sociales qui puissent garantir des emplois stables et le développement des infrastructures du pays.

« D’autre part, nous appelons la centrale syndicale COB, les organisations ouvrières, l’avant-garde des mineurs, ainsi que l’ensemble des organisations sociales et les activistes du MAS eux-mêmes à ne pas rester les bras croisés :
-pour mettre en place des brigades d’auto-défense face à la possibilité imminente d’une action contre-révolutionnaire ;
-pour appeler à une grève nationale générale et la préparer en organisant des manifestations partout dans le pays, dans le but de défendre, réorienter et approfondir le cours du processus révolutionnaire.

« Cette grève doit être :
-contre l’oligarchie, la droite, l’impérialisme et leur sabotage – pour défendre le processus révolutionnaire ;
-pour l’abolition de tous les décrets à l’origine des politiques néolibérales et de l’inégalité entre les travailleurs ;
-pour un nouveau système de sécurité sociale fondé sur une loi garantissant les retraites et l’assurance-maladie universelle ;
-pour la nationalisation de toutes les ressources naturelles sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes ;
-pour la nationalisation des grandes entreprises alimentaires, des grandes propriétés foncières et des banques, à commencer par celles qui sont impliquées dans le sabotage et la guerre économique ;
-pour la restitution au peuple du processus constituant dans le cadre des Assemblées populaires ».

Le 11 décembre 2007

Il y a un peu plus d’un an, en janvier 2006, Morales accédait au pouvoir sur la base d’une nette majorité (53 % des voix). Cette victoire électorale était le prolongement d’une longue période de lutte des travailleurs et paysans boliviens. A deux reprises – en octobre 2003, puis en mai-juin 2005 – le mouvement a pris des formes insurrectionnelles, et la question du pouvoir a été posée d’une façon brûlante. Dans les deux cas, cependant, les dirigeants du mouvement ne savaient pas quoi faire, et ont donné à l’oligarchie bolivienne la possibilité de sauver son régime en proposant une « solution » parlementaire. Tout le mouvement s’est transféré sur le plan électoral, et s’est exprimé par la victoire écrasante de Morales, le chef du MAS (Mouvement Vers le Socialisme).

Ainsi, la victoire de Morales et du MAS est directement liée au mouvement révolutionnaire. Cela créé une relation particulière entre le MAS et les millions de travailleurs et paysans boliviens. D’un côté, Morales bénéficie d’un large soutien, en particulier dans les régions qui ont été les foyers des luttes de ces dernières années : El Alto, La Paz et Cochabamba – entre autres. Mais en même temps, ce soutien est étroitement lié aux revendications du mouvement. Le peuple n’a pas simplement voté pour Evo Morales : il a voté pour Morales comme représentant de « l’agenda d’octobre », qui comporte des revendications clés comme la nationalisation des hydrocarbures, la réforme agraire, le jugement de l’ex-président Goni Sanchez de Lozada (responsable de la mort de près de 100 manifestants, en octobre 2003) et la convocation d’une Assemblée Constituante.

Vacillations

Au cours des 13 deniers mois, le gouvernement de Morales a pris des mesures qui allaient dans le sens cet « agenda d’octobre ». Mais il l’a fait en essayant de ne pas trop irriter l’oligarchie et les multinationales. Face aux menaces des capitalistes et des propriétaires terriens, chaque pas en avant a été suivi d’un pas en arrière. On l’a vu sur la question des hydrocarbures. Le gouvernement les a nationalisés, en mai 2006, et a même envoyé l’armée occuper les champs de pétrole et de gaz. Bien qu’il s’agissait d’une mesure partielle, qui ne prévoyait aucune expropriation, les multinationales ont immédiatement réagi en exerçant une énorme pression sur Morales – notamment par le biais du Brésil, son puissant voisin – pour qu’il limite au maximum la portée des nationalisations. Et finalement, le gouvernement bolivien a choisi la voie d’un « compromis » extrêmement fragile.

Morales a également mis en place une réforme agraire progressiste, mais limitée. Elle propose la redistribution des terres appartenant à l’Etat, mais ne s’attaque qu’aux « latifundia improductifs ». Or, malgré le caractère limité de la réforme agraire, elle a provoqué une réaction furieuse de la part l’oligarchie terrienne, qui a publiquement appelé à la constitution de « gardes blanches » pour défendre la propriété privée. L’Union Juvenil Cruceña est désormais l’aile paramilitaire fasciste de l’oligarchie. Dans la région de Santa Cruz, bastion de l’oligarchie, elle mène des assauts et des actes d’intimidation contre des paysans, des syndicalistes et de militants du MAS.

Depuis 2005, l’opposition réclame l’« autonomie » de certaines régions, ce qui est une revendication complètement réactionnaire. Cela signifie, au fond, qu’elle réclame le droit de ne pas obéir aux lois du gouvernement démocratiquement élu, et donc de conserver le contrôle sur les ressources concentrées dans les régions où elle est majoritaire. Or, García Linera, le vice-président, a conclu avec l’opposition un accord suivant lequel celle-ci s’engageait à « limiter » ses revendications autonomistes. En échange, toute décision de l’Assemblée Constituante devait se prendre à la majorité des 2/3, ce qui donnait un droit de veto de fait à l’opposition, puisque le MAS, qui est majoritaire à l’Assemblée Constituante, n’a cependant pas les 2/3 des sièges. Fin août, dans une tentative de sortir de cette impasse, Ramon Loayza, le chef du MAS à l’Assemblée Constituante, a fait voter une série de lois permettant à la nouvelle Constitution d’être votée à la majorité simple (plus de 50%). Cela a provoqué des affrontements physiques dans l’Assemblée Constituante elle-même, ainsi que son boycott par les représentants de l’oligarchie.

La révolte de Cochabamba

Toutes ces vacillations du gouvernement ont encouragé la droite et semé de la confusion parmi les masses qui soutiennent le gouvernement. L’oligarchie a pu reprendre l’offensive. Elle a notamment lancé une campagne massive, à Santa Cruz et dans d’autres départements, sur la base de revendications « autonomistes », tout en accusant Cuba et le Venezuela d’interférer en Bolivie, etc. Elle a mobilisé les classes moyennes dans la rue, exactement comme l’avait fait la classe dirigeante vénézuélienne à la veille du coup d’Etat d’avril 2002. Elle s’est également servi de l’arme du « lock-out » patronal. En décembre, des dirigeants des « Comités Civiques » ont même entamé une grève de la faim. A Santa Cruz, les syndicalistes et paysans qui tentaient d’organiser des contre-manifestations ont été violemment réprimés par la police et les gangs paramilitaires.

En réponse, le MAS a mobilisé les organisations paysannes et syndicales dans des manifestations contre les gouverneurs des régions concernées, et en particulier contre ceux de Cochabamba et La Paz. Morales voyait dans ces manifestations un moyen de renforcer sa position à la table des négociations. Il a notamment proposé que tous les élus soient soumis à un référendum révocatoire. Mais le mouvement qu’il a suscité lui a échappé. Le 8 janvier, à Cochabamba, des dizaines de milliers de personnes qui demandaient la démission du gouverneur honni Reyes Villa ont été durement réprimées par la police et les paramilitaires. Deux paysans cocalero ont été tués, et une douzaine blessés. Cela n’a fait qu’accroître la colère populaire. Les bâtiments des autorités régionales ont été partiellement incendiés. C’était un tournant. Les masses ne voulaient pas attendre le référendum révocatoire promis par Morales. Elles voulaient immédiatement se débarrasser de Reyes Villa. « Les dirigeants ont perdu le contrôle de leur base », confessait le vice-ministre Alfredo Rada, qui appartient à l’aile modérée du MAS.

Le 12 janvier, un cabildo abierto – une assemblée de masse – a été organisé, à Cochabamba. L’ambiance y était électrique. Les paysans et travailleurs, armés de pierres et de bâtons, exigeaient le renversement de Reyes Villa. L’un des dirigeants cocalero a parlé de « le pendre, comme Saddam Hussein ». L’intéressé, craignant pour ses jours, s’est envolé vers Santa Cruz. Cependant, le gouvernement avait un tout autre point de vue. Garcia Linera a insisté sur le fait que Reyes Villa avait été élu, et qu’il fallait respecter ce vote. Evo Morales, de son côté, a demandé aux « mouvements sociaux de ne pas se venger » et de « chercher une solution dans le cadre de la démocratie ».

C’est dans cette atmosphère surchauffée qu’un nouveau cabildo abierto s’est tenu, le 16 janvier. Tout le monde s’attendait à ce que l’assemblée décide de renverser Reyes Villa et de le remplacer par un autre gouverneur. Mais plusieurs dirigeants des organisations paysannes et ouvrières, de concert avec les dirigeants du MAS, ne voulurent pas briser la « légalité démocratique », et tentèrent de faire passer une vague résolution disant qu’il fallait trouver une solution constitutionnelle au problème.

Les masses ne l’entendaient pas de cette oreille. Elles envahirent la salle où se réunissait le Conseil Départemental, et forcèrent les conseillers départementaux de nommer une nouvelle « Assemblée régionale Populaire », avec à sa tête Tiburcio Herradas comme nouveau gouverneur. Diaz Estrada, conseiller départemental de Cochabamba, décrit les événements comme suit : « On nous a attaqués et obligés d’élire un nouveau gouverneur. Les conseillers ont expliqué que ce n’était pas légal, mais les gens menaçaient de nous lyncher, et on a dû élire un nouveau gouverneur. » Un gouvernement régional a été formé, constitué de délégués de 15 organisations.

Mais le gouvernement du MAS, surtout à travers son vice-président Garcia Linera, s’est catégoriquement opposé à la proclamation d’un « gouvernement régional du peuple ». Dans une conférence de presse, Garcia Linera a déclaré : « un cabildo de 80 à 100 000 personnes est une chose. Autre chose est la décision ferme du pouvoir exécutif de reconnaître la légalité des autorités démocratiquement élues ». Face à cette situation, le mouvement s’est épuisé, et Reyes Villa a fini par reprendre les rennes de l’autorité régionale.

Pas de « troisième voie »

Cependant, les enseignements de cette lutte sont très clairs. Face aux provocations de la droite, les masses sont de plus en plus impatientes, et commencent à prendre d’elles-mêmes les choses en main. A l’inverse, la politique des dirigeants du MAS, et en particulier de Garcia Linera, est criminelle – même du simple point de vue de la survie de ce gouvernement. La seule façon de répondre aux provocations contre-révolutionnaires de l’oligarchie, c’est de mobiliser les travailleurs et les paysans qui ont voté pour Morales. S’ils voient qu’ils ont un gouvernement qui les soutient, qui tient fermement tête à l’oligarchie et répond à leurs justes revendications, leur enthousiasme révolutionnaire sera sans limite. A l’inverse, toutes les vacillations et tous les compromis avec l’oligarchie ne feront que semer la confusion et la désillusion parmi les travailleurs et les paysans. Elles encourageront l’oligarchie à redoubler d’agressivité. C’est ce que montre toute l’expérience de ces 13 derniers mois.

Il n’y a que deux voies pour le gouvernement Morales. Soit il s’appuie sur les mobilisations de masse qui l’ont porté au pouvoir pour exproprier les capitalistes, les propriétaires terriens et les multinationales ; soit il va de concessions en compromis avec l’oligarchie, perdant du soutien parmi sa base sociale – et finira par être violemment renversé. Le « capitalisme andin » dont parle tant Garcia Linera est une chimère. Il n’est pas possible de développer la Bolivie sur la base du capitalisme. Comme au Venezuela, le socialisme est la seule issue. Telle est la conclusion centrale que le mouvement révolutionnaire doit tirer de la première année du gouvernement Morales.

Le jeudi 5 octobre, des affrontements violents ont éclaté dans la ville minière de Huanuni, en Bolivie. Il y a eu 16 morts et de nombreux blessés. Les affrontements ont commencé lorsque 4000 « coopérativistes » ont tenté d’occuper la principale mine de Huanuni. Les 1100 mineurs qui y travaillent, organisés dans la puissante Féderation Syndicale des Travailleurs Miniers Boliviens (FSTMB), ont défendu la mine.

Les origines de ce conflit remontent aux défaites essuyées par les mineurs, dans les années 80, après des luttes héroiques. Les mineurs ont toujours été la section la plus révolutionnaire et militante de la classe ouvrière bolivienne. Travaillant dans des conditions d’exploitation extrême, ils étaient très organisés. La FSTMB était l’une des principales organisations des travailleurs boliviens. En 1946, ils ont adopté les célèbres « Thèses de Pulacayo », qui fixaient des objectifs socialistes à leur lutte, et restent le programme le plus avancé jamais défendu par les travailleurs d’Amérique latine.

Au milieu des années 80, le gouvernement de Paz Estenssoro a introduit de nombreuses mesures « néolibérales ». Mais tout comme le gouvernement de Thatcher, en Grande-Bretagne, la mise en œuvre de ces contre-réformes supposait d’écraser le puissant pouvoir des mineurs. En 1986, la grève des mineurs fut battue et, en conséquence, plus de 20 000 mineurs ont été licenciés. Dans les entreprises minières d’Etat – créées dans la foulée de la révolution de 1952 –, la main d’œuvre est tombée de 30 000 à 7 000 salariés.

Des milliers de mineurs et leurs familles ont dû quitter les villes minières, car les logements qu’ils occupaient appartenaient à l’entreprise pour laquelle ils ne travaillaient plus. Beaucoup se sont installés dans la région tropicale de Chaparé, où ils se sont convertis en cultivateurs de coca. Ils ont apporté avec eux leurs traditions militantes et ont créé des syndicats de paysans qui, par la suite, sont devenus la colonne vertébrale du Mouvement Vers le Socialisme (MAS) d’Evo Morales. D’autres mineurs licenciés se sont installés dans la ville d’El Alto, qui est désormais un foyer central de la lutte révolutionnaire.

Enfin, d’autres mineurs se sont regroupés et ont occupé des mines abandonnées. Au fil du temps, dans ces coopératives, une couche dirigeante a surgi et s’est enrichie, alors que la majorité de ses membres était de simples salariés, privé de droit syndical, et travaillant dans des conditions pires que celles des mineurs de la Comibol (l’entreprise minière d’Etat).

Les origines immédiates du conflit de Huanuni remontent à 2002, lorsque le gouvernement bolivien de l’époque a retiré sa licence d’exploitation à l’entreprise privée qui gérait la mine, la multinationale britannique RGB. Depuis, les mineurs de Huanuni dirigent la mine dans le cadre d’une sorte de contrôle ouvrier. Du fait de la hausse du prix de l’étain sur le marché mondial, cette mine – nationalisée, de facto – est devenue très rentable, constituant une source de revenus considérable pour l’Etat bolivien. Les 1100 mineurs de Huanuni produisent 300 à 350 tonnes d’étain raffiné par mois, pour des bénéfices annuels de 12 millions de dollars.

C’est justement cette hausse du prix de l’étain qui a aiguisé la véracité de la FENCOMIN (la fédération des « coopérativistes »), qui emploie au total 60 000 personnes. Ces dernières années, ils se sont déjà appropriés des mines à Caracoles, et des secteurs de Coliquiri et Vinto – qui ont ainsi été privatisés. La FENCOMIN est devenue un puissant groupe de pression économique dans les régions minières. Ils ont signé des accords avec les gouvernements succesifs pour garantir leur statut et maintenir la privatisation des mines. Pour faire contrepoids à la puissante FSTMB (de gauche), qui à son tour contrôle la Confédération des Ouvriers Boliviens (COB), les dirigeants du MAS se sont alliés à la FENCOMIN. Ainsi, lorsqu’Evo Morales a remporté les élections de décembre 2005, le Ministère des Mines a été confié à Walter Villaroel, un dirigeant de la FENCOMIN, qui a commencé à gouverner en faveur des « coopératives » privées.

En septembre dernier, les représentants de la FENCOMIN sont allés à Londres, où ils ont rencontré Grant Thornton, qui travaille pour le compte de la RGB. Grant Thornton a promis aux représentants de FENCOMIN la vente du contrat d’exploitation de RGB sur la mine de Huanuni – alors qu’en réalité, comme on l’a dit, la RGB avait perdu ce contrat en 2002. Cela a directement mené à la tentative des « coopérativistes » d’occuper Huanuni, le 5 d’octobre. Quant aux mineurs de Huanuni, ils se sont battus pour défendre le caractère nationalisé de la mine.

Le syndicat des mineurs a dénoncé la responsabilité du gouvernement de Morales dans les affrontements. Ils l’avaient d’ailleurs prévenu de l’imminence de ce conflit. En fait, les mineurs de Huanuni étaient parvenu à un accord avec les organistations paysannes de la région pour défendre la mine. Cet accord prévoyait l’extension des activités minières et la création de 1500 emplois.

Tel est le cœur de la question. La FSTMB se bat pour la nationalisation de tout le secteur minier et la refondation de la Comibol comme seule entreprise minière de la Bolivie, sous le contrôle des travailleurs.

Suite aux affrontements de ces derniers jours, le ministre des Mines, Walter Villaroel, a démissionné. Le nouveau ministre nommé par le gouvernement est lié aux mineurs syndicalistes. De son côté, la FENCOMIN a annoncé qu’elle rompait tous ses accords politiques avec le gouvernment du MAS.

Ce conflit tragique est le résultat des vacillations du gouvernement du MAS. Chaque pas que fait le gouvernement dans l’intérêt des travailleurs et des paysans – et contre les privilèges de l’oligarchie et des multinationales – se heurte à la résistance féroce de ces derniers. Face à cette résistance, le gouvernement du MAS, et en particuler l’aile qui gravite autour du vice-président, Garcia Linera, a fait des concessions (sur les questions de la nationalisation des hydrocarbures, de la réforme agraire, les projets réactionnaires d’autonomie des régions orientales, de l’Assemblée Constituante, etc…)

Cette politique a renforcé la détermination de la droite, qui désormais intensifie sa campagne contre le gouvernement : attaques diplomatiques internationales, hystérie des grands médias, mobilisations réactionnaires à Santa Cruz, « grève » des patrons des autobus de la Paz, rumeurs de coup d’Etats militaires, etc.

La seule façon de sortir de cette impasse, qui menace de démoraliser la base sociale du gouvernement de Morales, consiste à prendre des mesures décisives pour nationaliser les ressources naturelles du pays – gaz, mines et terres – et les placer fermement sous le contrôle des travailleurs et des paysans boliviens. Si le gouverment de Morales veut survivre, il doit se libérer des élements réformistes et s’appuyer sur les organisations des travailleurs et des paysans, sur la base d’un programme socialiste. Ne pas prendre cette voie, ce serait renforcer la détermination de l’oligarchie et l’impérialisme, démoraliser les masses boliviennes – ce qui, au final, mènerait à un bain de sang.

Le 11 octobre 2006

La nationalisation des hydrocarbures boliviens par le gouvernement d’Evo Morales, le 1er mai, et la façon dont cette décision a été mise en œuvre - l’occupation des champs et des installations par l’armée - ont pris les multinationales de court.

Lors d’un discours prononcé Plaza Murillo, le 1er mai, le vice-président bolivien, Garcia Linera, a présenté cette nationalisation en ces termes : « le gouvernement du peuple, le gouvernement des travailleurs, a pris la décision la plus importante de ce siècle : c’est la première nationalisation du XXIe siècle. »

Le texte du décret établit clairement que « la nationalisation des ressources du pays en hydrocarbures [...] est une mesure de souveraineté nationale, qui répond au mandat du peuple bolivien. [...] L’Etat recouvre la propriété et le contrôle absolus de ces ressources. » A compter du 1er mai, toutes les entreprises qui opèrent dans le pays doivent céder toute leur production à l’entreprise nationale YPFB. Celle-ci, « au nom de l’Etat, exercera son plein droit à la propriété des hydrocarbures, et prendra en charge sa commercialisation, ainsi que la définition des conditions, des volumes et des prix aussi bien pour le marché intérieur que pour l’exportation et l’industrialisation. »

En même temps qu’il annonçait cette mesure, le gouvernement a envoyé l’armée occuper les champs d’hydrocarbures et les installations. Evo Morales lui-même a personnellement supervisé les opérations sur un champ qu’exploite l’entreprise brésilienne Petrobras, l’une des plus grandes multinationales du gaz en Bolivie. « Le jour tant attendu, le jour historique est venu, pour la Bolivie, de reprendre le contrôle absolu de ses ressources naturelles », a-t-il dit, pendant que des soldats fixaient des bannières disant : « Nationalisé. Propriété des Boliviens. »

Cette mesure a pris les multinationales par surprise. Elles s’attendaient à ce que le gouvernement de Morales renégocie les contrats, mais elles pensaient que cela se ferait dans le cadre de négociations, et non de façon imposée. Ceci-dit, les multinationales n’ont aucune raison de se plaindre. Elles ont opéré, en Bolivie, dans le cadre du régime fiscal et de royalties qu’avait mis en place le gouvernement honni de Gomez de Lozada. De nombreux contrats sont d’ailleurs considérés comme illégaux, puisqu’ils n’ont jamais été ratifiés par le Parlement.

La nationalisation a été décidée au lendemain d’une visite de Morales à Cuba, où il a signé un certain nombre d’accords avec Fidel Castro et Hugo Chavez. Ces accords sont clairement dirigés contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) que défend Washington, et qui prône l’ouverture des marchés de tout le continent aux multinationales américaines. Du fait de l’opposition du Venezuela, l’accord relatif à la ZLEA, qui devait être signé en janvier 2005, a fait complètement faillite, ce qui a obligé les Etats-Unis à s’engager dans des accords bilatéraux avec les pays d’Amérique Centrale et des Andes. Cela a provoqué, fin avril, le retrait du Venezuela de la Communauté des Nations Andines (CAN), car comme l’a expliqué Hugo Chavez à juste titre, la signature d’accords avec le Pérou et la Colombie, qui font partie du CAN, est une façon de réintroduire la ZLEA pour l’ensemble des nations du CAN.

La décision du gouvernement bolivien affecte tout particulièrement la multinationale brésilienne, Petrobras, ainsi que l’espagnole Repsol, qui sont les principaux acteurs sur le marché très lucratif du gaz bolivien. Cependant, la nationalisation engagée n’est pas complète : elle est par exemple moins radicale que les nationalisations des mines, en 1937 et 1969. L’Etat prend des majorités dans toutes les entreprises (51% des parts), mais pas davantage. L’argument est que l’Etat bolivien ne dispose pas de la technologie et des compétences nécessaires pour exploiter ces ressources. Ceci-dit, dans les nouveaux contrats qui sont proposés, l’Etat bolivien recevra 82% de tous les revenus à travers des taxes et des royalties, ce qui fait pencher de façon décisive la balance en faveur de la Bolivie. Il y a de nombreux aspects juridiques du décret qui méritent d’être étudiés plus en détail. Mais même si, au final, la nationalisation ne revenait qu’à réévaluer les contrats passés avec les multinationales, il s’agirait clairement d’une mesure progressiste.

L’oligarchie bolivienne et les multinationales concernées ont accueilli cette décision avec des cris d’alarme. Comme toujours en ces circonstances, ils ont brandi la menace d’une chute des investissements étrangers et d’un retrait pur et simple des multinationales. Ainsi, une nationalisation partielle est déjà trop pour les intérêts des multinationales, et place le gouvernement bolivien dans une situation de conflit direct avec ces entreprises.

Comme nous l’avons dit à l’époque de la victoire du MAS, en décembre 2005, le gouvernement Morales ne pourra pas servir deux maîtres, et sera soumis à d’énormes pressions de la part du mouvement révolutionnaire (qui a catapulté Morales au pouvoir, bien qu’il n’ait joué aucun rôle dans le mouvement lui-même), mais aussi de la part de l’oligarchie et des multinationales. Chaque décision qu’il prendra en faveur des travailleurs et des paysans sera considérée par l’oligarchie comme une provocation, quel que soit le nombre de discours qu’il fera pour rassurer les investisseurs étrangers.

Cette nationalisation ne peut être comprise indépendamment de la vague révolutionnaire qui déferle sur l’Amérique latine. Sans la révolution vénézuélienne, qui a par ailleurs brisé l’embargo sur Cuba, un gouvernement comme celui de Morales n’aurait jamais osé prendre des mesures de cet ordre.

Abstraction faite des détails et de l’envergure de cette semi-nationalisation, il s’agit d’un pas en avant pour le mouvement ouvrier et paysan bolivien, mais aussi pour l’ensemble du continent - et il sera considéré comme tel. Cela va renforcer la confiance des masses appauvries de Bolivie, et va les inciter à mettre encore plus de pression sur le gouvernement d’Evo Morales pour qu’il nationalise d’autres secteurs de l’économie : les mines, la terre, la compagnie aérienne en faillite (LAB), etc.

En fait, Evo Morales lui-même a déclaré : « Ce n’est que le début. A la fin du mois de mai, nous nationaliserons d’autres ressources énergétiques. [...] Nous commençons par les hydrocarbures, mais demain on s’occupera des mines, des forets et de toutes les ressources naturelles. »

Ces mesures sont présentées par le gouvernement comme visant à développer un « capitalisme andin », pour reprendre une formule du vice-président du pays, Garcia Linera. Mais le problème, c’est qu’il n’existe pas, en Bolivie, de classe capitaliste nationale distincte et indépendante des propriétaires terriens et des multinationales. Toute tentative de créer une telle classe capitaliste nationale par le biais de l’Etat se heurtera inévitablement aux véritables capitalistes : les propriétaires des banques, de l’industrie, des mines et de la terre, qui ne forment qu’un bloc avec les intérêts impérialistes. Il n’y a qu’une seule alternative : socialisme ou domination impérialiste.

Le sectarisme des dirigeants de la COB

Malheureusement, les dirigeants des organisations de masse des travailleurs boliviens ne semblent pas avoir retenu les leçons de l’élection de Morales. Déjà, les leaders de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) n’avaient pas su profiter des deux opportunités révolutionnaires qui s’étaient présentées, en octobre 2003 et en mai-juin 2005. Ils ont même publiquement admis, à l’époque, que si les travailleurs n’avaient pas pris le pouvoir, c’était à cause de l’absence d’un parti révolutionnaire. Par la suite, le mouvement s’est inévitablement transféré sur le plan parlementaire. Or, au lieu de présenter des candidats et d’apporter un soutien critique à Morales, les dirigeants de la COB ont pris la décision incorrecte d’appeler au boycott des élections. Ils sont allés jusqu’à dire que ni Morales, ni les candidats de l’oligarchie ne règleraient les problèmes des masses, et qu’il n’y avait donc rien à choisir entre les deux.

Que s’est-il passé ? Les travailleurs et les paysans ont massivement voté pour Morales. Dans la ville ouvrière d’El Alto, qui fut l’épicentre des soulèvements révolutionnaires, le MAS a récolté près de 80% des voix. Mais les dirigeants de la COB, et en particulier Jaime Solares, ont persévéré, comme si de rien n’était, dans leur ligne ultra-gauchiste, et se sont complètement coupés de la masse des paysans et des travailleurs. Cela fut clairement démontré le 21 avril, à La Paz, lorsqu’ils n’ont mobilisé que quelques centaines de personnes dans une manifestation organisée dans le cadre d’une prétendue « grève générale » contre le gouvernement de Morales. Les masses considèrent ce gouvernement comme le leur. Or, au lieu d’organiser la lutte des travailleurs pour leur propres revendications, et de mettre ainsi la pression sur le gouvernement de Morales pour qu’il tienne ses promesses et aille encore plus loin, les dirigeants de la COB lancent des ultimatums qui les isolent, y compris de l’avant-garde.

En conséquence, le 1er mai, la manifestation à l’appel de la COB était nettement moins importante que celle organisée par le MAS, où la nationalisation des hydrocarbures a été annoncée. Lors du prochain congrès de la COB, qui a été reporté suite au fiasco de la « grève général » du 21 avril, il y aura des affrontements entre l’actuelle direction et les partisans du MAS.

Dans des périodes révolutionnaires, des erreurs stratégiques et tactiques peuvent être fatales. Une authentique direction marxiste ne peut être construite, en Bolivie, qu’en tenant compte de l’humeur des masses et de leur rapport au gouvernement de Morales. Les marxistes doivent maintenir leur propre programme politique, et doivent être clair sur le point essentiel : une authentique souveraineté et le contrôle des ressources naturelles au profit de la majorité ne pourront être accomplis que sur la base d’une nationalisation et d’une planification des principaux leviers de l’économie - c’est-à-dire sur la base d’un programme socialiste. Mais pour que ce cela soit possible, il faut d’abord gagner la majorité des travailleurs et des paysans, qui pour le moment font confiance à Morales. Il faut expliquer patiemment et participer aux luttes, tout en soutenant chaque mesure progressiste que prend le gouvernement, et en poussant en avant le mouvement.

Le 4 mai 2006