Il y a un peu plus d’un an, nous écrivions : "Les événements du mois de juillet en Iran marquent un tournant dans l’histoire du pays. Les manifestations massives des étudiants dont les aspirations sont partagées par une majorité d’Iraniens, est un signe sûr que l’Iran s’achemine vers une nouvelle crise révolutionnaire." (La Riposte, n°4, septembre 1999.) L’évolution rapide de la situation en Iran, au cours de ces derniers mois, confirme cette perspective.

Les élections du mois de février dernier ont renforcé la position de président Khatami et des "réformistes", traduisant la volonté de la grande majorité de la population iranienne de sortir du carcan dictatorial des Mullahs. Cependant, au lieu de réformes, le peuple n’a eu droit qu’à des discours sur la nécessité des réformes. Concrètement, Khatami n’a rien changé. Un éditorialiste du Chicago Tribune a bien résumé la situation en écrivant que les programme des réformistes au parlement est "difficile à définir, au-delà de quelques promesses fumeuses de nouvelles libertés." (10.7.99)

Les élections n’ont manifestement rien résolu. Bien au contraire, elles n’ont fait que pousser à l’extrême les tensions sociales et politiques du pays. Grosso modo, les réformistes détiennent le pouvoir exécutif et législatif, alors que les Mullahs les plus réactionnaires ont conservé l’appareil judiciaire, l’armée et les forces répressives. Les réactionnaires, regroupés autour de Khamenei, se servent de leur pouvoir pour intimider Khatami et saborder toute tentative de réforme. Khamenei lui-même, sentant la terre trembler sous ses pieds, est obligé de reconnaître la nécessité de réformes. Mais, en même temps, il adresse ce grave avertissement à la classe dirigeante : "Si on réalise trop vite les réformes, elles aboutiront à terme à des dérives".

La préoccupation primordiale des "réformistes" est d’empêcher le déchaînement d’un mouvement populaire.

Jusqu’à présent, Khatami ne peut faire valoir qu’un seul projet de réforme. Il s’agit de la tentative de réformer les lois sur la censure de la presse. Mais cette réforme n’a pas été efficace. Elle n’a pas empêché l’arrestation de nombreux journalistes et la fermeture d’une bonne vingtaine de journaux et de magazines. Khamenei insiste sur le fait que la loi islamique doit être maintenue. Le sabotage ne se limite pas à des manœuvres politiques. Au mois de mars dernier, un conseiller de Khatami, un certain Saïd Hajarian, a été la victime d’une tentative d’assassinat qui était en toute probabilité commanditée par l’entourage de Khamenei.

La préoccupation primordiale des "réformistes" est d’empêcher le déchaînement d’un mouvement populaire. Comme l’a remarqué le Chicago Tribune : "Les réformistes qui ont emporté les élections au mois de février dernier s’efforcent aujourd’hui de modérer les attentes de ceux qui les suivent." Cependant, la majorité des Iraniens s’impatiente, et en particulier les jeunes, qui constituent 60% de la population. Pour eux, force est de constater que "rien n’a changé". Au fond, les divergences entre les réformistes et les conservateurs se réduisent à deux façons différentes de sauvegarder les privilèges et le pouvoir de la classe dirigeante. La démarche de Khatami consiste à avertir la classe dominante que si les réformes ne sont pas entreprises, il y aura une révolution. Khamenei, de son côté, leur dit qu’au contraire les réformes ne feront qu’encourager cette même révolution. Et, d’une certaine façon, tous les deux ont raison.

"Mort aux dictateurs !"

A l’occasion de l’anniversaire des événements de juillet 1999, les étudiants sont de nouveau descendus dans la rue. Les dirigeants réformistes de l’organisation étudiante dénommée "Bureau de la Consolidation Unitaire" (BCU) avait prévu une action commémorative plutôt anodine, dite "de sourires et de fleurs", offrant aux passants une fleur en leur demandant de bien vouloir "sourire à la réforme". Cependant, les événements ont pris une tournure bien différente. Les étudiants sont allés bien au-delà des consignes du BCU : ils sont descendus massivement dans les rues de Téhéran, et se sont retrouvés, dans la manifestation, à marcher au coude à coude avec de nombreux travailleurs. Les jeunes scandaient "mort aux dictateurs !". Les Ansar i Hezb Allah (amis du parti de Dieu), munis de matraques, de pierres, de chaînes et d’armes à feu, se sont alors jetés sur les manifestants. Des événements similaires se sont déroulés à Shiraz et à Isfahan.

La violence répressive ne sauvera pas le régime. Au contraire, elle élargira le fossé qui le sépare du peuple. Les jeunes apprennent par la lutte. Il est particulièrement significatif que bon nombre de mots d’ordre scandés par la foule visaient directement Khatami et les réformistes : "Khatami ! Agissez ou démissionnez !", ou encore "Khatami ! Dernier avertissement !" La classe dirigeante ne sait pas comment faire face à la marée montante de la contestation. Son dilemme s’exprime dans la division entre réformistes et conservateurs parmi les Mullahs. Mais chaque fois que la contestation gagne la rue, ces deux ailes de la classe dirigeante parlent d’une même voix pour la condamner. Le fait que les travailleurs se joignent aux étudiants signifie que le mouvement passe désormais à un stade supérieur, qualitativement différent. Les jours du régime islamique sont comptés. Il connaîtra bientôt le même sort que celui du Shah.

La victoire du socialisme en Iran changerait la situation à travers le Moyen Orient et au-delà.

Au cours de l’histoire, les travailleurs d’Iran ont fait preuve, à plusieurs reprises, d’une grande énergie révolutionnaire. Alors qu’approche l’heure de la confrontation décisive avec le régime des Mullahs, ils ne resteront pas sur le bord de la touche. Les travailleurs du secteur pétrolier constitueront les bataillons de choc lors des affrontements à venir. Il est urgent de doter le mouvement ouvrier iranien d’organisations indépendantes et solides, armées d’un programme et de perspectives à la hauteur du défi historique qui se présente. Il faut rompre avec les libéraux-réformistes rassemblés autour de Khatami. La voie du compromis et de la collaboration est sans issue. Il est nécessaire de mettre au point un programme authentiquement révolutionnaire, liant la lutte pour les libertés démocratiques à la lutte pour résoudre les problèmes les plus pressants des jeunes, des femmes et de tous les salariés. Un tel programme implique nécessairement une rupture avec le capitalisme et mettra à l’ordre du jour la création d’un régime socialiste et démocratique en Iran. Cependant, la situation qui se développe actuellement en Iran n’est pas sans dangers. Un dispositif de défense, face aux milices réactionnaires et aux forces répressives, doit être mis en place, conjugué avec un appel fraternel aux soldats du rang. Toute tentative d’arrêter le mouvement à mi-chemin fera courir le risque d’une nouvelle et terrible défaite. Telle est la leçon fondamentale de la déroute de la révolution iranienne de 1979.

La victoire du socialisme en Iran changerait la situation à travers le Moyen Orient et au-delà. Le mouvement révolutionnaire gagnerait les pays voisins, sonnant le glas des dictatures arabes et de l’impérialisme israélien. Les ressources naturelles et productives de la région, une fois transférées dans le domaine public et placées sous le contrôle démocratique des travailleurs, fourniront la base d’une société réellement libre où la créativité humaine et l’immense potentiel productif des peuples pourront enfin être mis au service de tous.