Depuis une vingtaine d’années, la France a connu des milliers de fermetures d’entreprises et de délocalisations, au point qu’on peut parler d’une véritable désindustrialisation du pays.

Aujourd’hui, 12 à 18 % des PME interrogées admettent avoir un projet de délocalisation. Les raisons de ce déclin industriel sont la crise du capitalisme et la possibilité de produire moins cher ailleurs, pour la compétition mondiale. Les capitalistes qui délocalisent ne se préoccupent pas du sort des salariés qui travaillent pour eux, dans le Tiers-monde.

Les secteurs de l’industrie concernés par les délocalisations sont nombreux : cuir, textile, habillement, métallurgie, électroménager, automobile, électronique, etc. Mais le secteur tertiaire est également touché : centres téléphoniques, informatique, comptabilité : des pans entiers de la grande production et tous les services sont susceptibles d’être délocalisés. D’ici 2010, un quart de l’emploi européen IT (informatique et technique) risque d’être délocalisé vers des « pays émergents ». 30% des grandes entreprises européennes de ce secteur étudient la possibilité de délocaliser.

Face aux désastres sociaux et économiques qu’engendre cette stratégie prédatrice, la réaction des syndicats est, à ce jour, quasiment impuissante. En effet, les syndicats se bornent en général à rechercher un « nouvel entrepreneur », c’est-à-dire un nouvel exploiteur, qui au passage exige souvent que des acquis soient remis en cause, quand il ne supprime pas une partie des emplois. En outre, ces « reprises » sont peu fréquentes, souvent de courtes durées (Duralex, par exemple) et beaucoup plus motivées par l’appât des subventions publiques que par une réelle reprise de l’activité.

Soumis aux mêmes problèmes, les travailleurs d’Amérique latine nous montrent, par leurs luttes, la voie à suivre.

Le cas de CIPLA

Les 8, 9 et 10 décembre dernier, une « Conférence panaméricaine en défense des droits sociaux, de la réforme agraire et des industries » s’est tenue à Joinville, au Brésil. Il y avait 691 délégués représentant 12 pays, dont des militants des fédérations syndicales de la CUT (Brésil), de l’UNT (Venezuela) et du PIT-CNT (Uruguay).

Cette conférence se tenait dans l’enceinte de l’usine CIPLA, qui est gérée par les travailleurs depuis 2002. Le premier jour, les travailleurs de cette entreprise ont à la quasi-unanimité adopté la semaine des 30 heures, sans baisse de salaire. Cette mesure est un véritable symbole dans une Amérique latine ravagée par un chômage endémique, et où les conditions de travail sont extrêmement dures. Au Brésil, par exemple, la semaine de travail est, en moyenne, de 44 heures. Alors que, partout, les capitalistes exigent des réductions de salaires, la dégradation des conditions de vie de la population, la privatisation des industries et services (énergie, eau, santé, éducation) et des attaques contre les systèmes de protection sociale, l’entreprise brésilienne CIPLA est un contre-exemple d’une grande portée politique.

Sous le capitalisme les innovations technologiques signifient souvent qu’une machine peut faire, avec 2 travailleurs, le même travail que 10 salariés – par exemple. Les capitalistes en profitent pour licencier. La seule manière de faire bénéficier les travailleurs de l’introduction de nouvelles technologies, c’est de réduire le temps de travail.

Les capitalistes utilisent la crise économique et financière pour « justifier » les fermetures d’usines, laissant derrière eux des dettes énormes et des salaires impayés, sans parler des profits patronaux non déclarés. Chez CIPLA, la dette contractée auprès d’une banque et du fisc s’élève à 480 millions de réals. Les travailleurs qui ont repris l’usine refusent de régler cette dette, et payent en priorité les salaires et les matières premières nécessaires à la production.

La preuve par l’exemple

Désormais, chez CIPLA, les conditions de travail sont dignes de personnes civilisées, et non d’esclaves. Il y a une excellente cantine, un centre médical bien équipé, qui comprend des services de physiothérapie, d’acuponcture et kinésithérapie. A cela s’ajoutent une salle de projection de films, ainsi que des salles de réunion où des séances de lectures sont régulièrement organisées.

Avant l’occupation, il y avait une centaine d’accidents de travail chaque année, dont certains graves, impliquant la perte de doigts ou d’autres membres. Or, l’an passé, le nombre d’accident est tombé à cinq, et aucun d’eux n’était grave. Le théoricien et militant marxiste Alan Woods, qui était invité à prendre la parole à la Conférence, s’est adressé aux travailleurs de CIPLA en ces termes : « J’ai vu de nombreuses usines dans de nombreux pays. Mais je n’ai jamais vu une usine si bien entretenue, si propre et si disciplinée. Les travailleurs font tourner l’entreprise à merveille. C’est la réponse à tous ceux qui prétendent que les travailleurs ne peuvent pas faire marcher l’industrie ! Et je vous pose la question : si la classe ouvrière peux faire marcher cette entreprise, pourquoi ne pourrait-elle pas administrer la société ? »

Alan Woods a poursuivi : « Votre décision de ramener le temps de travail hebdomadaire à 30 heures a une très grande portée révolutionnaire. Ce n’est que grâce à la réduction du temps de travail que la classe ouvrière pourra acquérir la culture et les qualifications lui permettant d’administrer la société. »

Un mouvement continental

L’expérience de CIPLA n’est pas unique. En fait, dans toute l’Amérique latine, le mouvement des usines occupées se développe. En Argentine, depuis l’effondrement économique de 2001, plus de 200 usines sont occupés et gérées par les salariés. Au Brésil toujours, les travailleuses de l’entreprise Plascalp Produtos Cirurgicos ont raconté que face à l’arrogance de la direction et aux mauvaises conditions de travail, d’hygiène et de sécurité, elles ont décidé de prendre le contrôle de leur entreprise de 1100 salariés.

Au Venezuela, de nombreuses entreprises sont en « cogestion », c’est-à-dire en fait sous contrôle ouvrier (Invepal, Inveval…). Mais l’un des exemples les plus impressionnants de ce mouvement est celui de la grande entreprise Sanitarios Maracay. Sous la menace d’une fermeture d’activité par son propriétaire, elle a été occupée par les travailleurs. Elle est désormais sous contrôle ouvrier, et les salariés se mobilisent pour réclamer sa nationalisation par le gouvernement de Chavez. En octobre 2005, lors du « Premier rassemblement latino-américain des usines sous contrôle ouvrier », Chavez avait dit que les entreprises fermées par les employeurs « doivent être remises en activité par les travailleurs ».

Ces exemples nous montrent que nous pouvons gérer nous-mêmes les entreprises, l’économie – et donc notre destinée. Les entreprises que les propriétaires menacent de délocaliser devraient être occupées par les travailleurs et nationalisées sous le contrôle et la gestion démocratique de ces derniers. Cependant, il est clair que les entreprises sous contrôle ouvrier ne peuvent pas s’en sortir, à terme, en restant isolées : il n’est pas possible de créer une îlot de socialisme dans un océan capitaliste. Une fois nationalisées, les usines sous contrôle ouvrier doivent être intégrées dans un plan socialiste de production, démocratiquement élaboré. Tel est l’exemple que l’Amérique latine doit offrir à tous les travailleurs du monde !

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