Le métier d’animatrice périscolaire – que j’exerce à Marseille – ne consiste pas en de la simple « garderie » avant ou après les heures de classe. Il s’agit de préparer, de réaliser et d’encadrer des activités ayant un caractère pédagogique et stimulant le développement intellectuel, affectif, social et physique de l’enfant. C’est un métier passionnant qui fait appel à des compétences particulières. Cependant, les conditions dans lesquelles nous l’exerçons ont bel et bien tendance à transformer les temps d’animation en « garderie ». Cela provoque à la fois une dévalorisation et une désertion de ce métier.

Une formation très insuffisante

L’animateur est censé garantir la sécurité physique et morale des enfants, donner un aspect éducatif au temps de prise en charge, et enfin établir une bonne communication entre tous les acteurs : parents, personnels de l’école, équipe…

Or la formation pour devenir animateur est beaucoup trop légère. Dès l’âge de 16 ans, deux semaines de formation théorique et deux semaines de stage pratique permettent d’obtenir le Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur (BAFA), qui suffira pour être embauché par une structure encadrant des mineurs en centre aéré, en colonie de vacances ou sur du temps périscolaire. D’ailleurs, rien n’interdit à un jeune de 16 ou 17 ans titulaire du BAFA d’encadrer des groupes qui ont le même âge que lui !

Sur le terrain, cela se traduit par d’importants écarts de compétences entre des travailleurs occupant le même poste. Les plus expérimentés portent une charge plus lourde, car outre leur mission officielle, ils doivent accompagner, voire former les nouveaux arrivants. C’est d’autant plus le cas en périscolaire que le BAFA n’y est même pas obligatoire.

La revalorisation de notre travail passe donc, en premier lieu, par une formation beaucoup plus solide, qui nous prépare bien mieux aux situations très diverses auxquelles nous sommes confrontés.

Précarité et bas salaires

A chaque rentrée de septembre, c’est le même rituel : la signature de notre « contrat à durée déterminée d’usage » avec l’association qui nous embauche. Il atteste d’un emploi jusqu’au mois de juillet, tout en précisant les dates où nous serons mobilisés. Ainsi, les vacances scolaires sont des périodes creuses – sans rémunération – pour les animateurs, qui doivent souvent trouver un autre emploi (précaire) pour boucher ces trous.

Sur une semaine, les temps périscolaires s’élèvent à 21 heures, soit 3 heures de moins que le minimum légal (24 heures) pour du temps partiel imposé. Pour contourner ce « problème » légal, l’association nous fait signer un document attestant que ce nombre d’heures a été limité… par la volonté du travailleur. En réalité, ces 21 heures de travail correspondent aux besoins de l’association, qui ne peut pas – ou ne veut pas – proposer des contrats de 24 heures (ou plus).

Dans les faits, nous consacrons beaucoup plus de temps à l’association. Chaque jour, les animateurs effectuent trois allers-retours (à leur charge) entre leur domicile et leur lieu de travail. Or certains animateurs vivent à plus de 30 minutes de l’école où ils sont affectés…

En ce qui concerne la rémunération, c’est bien simple : 21 heures de travail hebdomadaire payées au SMIC horaire, cela fait tout au plus 900 euros les mois « pleins » (sans vacances scolaires). En revanche, les mois où il y a des vacances scolaires et des jours fériés, le salaire peut descendre jusqu’à 400 euros.

Les « taux d’encadrement »

Le nombre d’animateurs par groupe d’enfants est déterminé par des « taux d’encadrement » fixés par la loi. Ils varient selon divers critères. Lors des temps extrascolaires (les accueils à la journée pendant les vacances), il faut qu’il y ait au moins un animateur pour 8 enfants de maternelle (moins de 6 ans) et un animateur pour 12 enfants d’élémentaire (plus de 6 ans).

En temps périscolaire (les mercredis et les temps d’accueil du matin, du midi et du soir en période scolaire), les choses se compliquent. Le taux d’encadrement varie selon deux critères supplémentaires : la durée de l’accueil (plus ou moins de 5 heures) et les caractéristiques du projet éducatif dans lequel il s’inscrit. Le projet éducatif (PE) est un document élaboré par la mairie. S’il se fait en partenariat avec d’autres acteurs territoriaux (musées, piscines, patinoire, associations…), il devient un Projet Educatif de Territoire (PEDT), ce qui ne change absolument rien aux conditions dans lesquelles nous exerçons, hormis… les taux d’encadrement ! Sur un temps d’accueil du matin, du midi ou du soir, s’il n’y a pas de PEDT, le taux d’encadrement est d’un animateur pour 10 maternelles et 14 élémentaires. S’il y a un PEDT, ces taux passent à 1 animateur pour 14 maternelles et 18 élémentaires ! A Marseille, nous exerçons dans le cadre d’un PEDT. Il est donc permis, dans une école élémentaire, qu’une équipe d’à peine 4 animateurs encadre un groupe de plus de 70 enfants.

Avec ou sans PEDT, les enfants restent les mêmes : ils ne sont ni plus autonomes, ni moins agités. Les animateurs ne sont pas plus en forme, n’ont pas plus de matériel ni de meilleur salaire. Et pourtant, il suffit de quelques signatures ajoutées en bas d’un document pour que le taux d’encadrement baisse. Du point de vue du travail que nous avons à effectuer, c’est complètement absurde. Mais d’un autre point de vue, c’est « logique » : cela permet de réduire la masse salariale en réduisant le nombre d’animateurs nécessaires pour le même nombre d’enfants – au lieu d’assurer un encadrement dans de bonnes conditions.

Casse-tête bureaucratique

Les associations qui assurent le service périscolaire et qui emploient les animateurs répondent à des appels d’offres de la mairie de Marseille. Selon différents critères, elles obtiennent des lots d’écoles avec lesquelles elles signent des conventions, chaque année, pour déterminer les conditions dans lesquelles seront animés les temps périscolaires : nombre d’enfants par groupe pour le midi, salles et équipements mis à disposition, horaires d’animation, etc. La mairie participe activement à l’élaboration de ces conventions.

Sur le temps du midi, nous devons prendre en charge environ 30 enfants. Or la mairie exige que, de ces 30 enfants, nous fassions deux groupes de 15. D’après les directives de la convention, nous devons répartir ces groupes dans deux salles différentes et mener deux activités distinctes. Dès lors, chaque animateur est censé se retrouver seul avec son groupe. Cela signifie qu’en cas d’accident, l’animateur devra aller chercher de l’aide en laissant son groupe sans surveillance, ce qui est une faute grave.

Par ailleurs, il est plus difficile d’encadrer un groupe de 15 enfants seul que 30 enfants à deux. En duo, nous pouvons nous répartir des tâches et assurer plus facilement la sécurité et l’encadrement : l’un mène l’activité pendant que l’autre l’assiste et, par exemple, veille à ce qu’elle ne soit pas perturbée par un enfant qui chahute. Il peut aussi aller chercher de l’aide en cas de problème.

Manque de moyens

Nous sommes payés pour les heures d’animation, mais pas pour les temps de préparation des animations. Par conséquent, deux options s’offrent à nous : soit du travail gratuit chez soi avec son propre matériel, soit pas de préparation – et donc des animations de qualité médiocre.

Dans les écoles, nous n’avons souvent pas de matériel à notre disposition. Et quand nous en avons, c’est en faible quantité. Dans une école où je travaille sur les temps du midi avec des groupes de 15 enfants, on ne m’a donné que 5 pinceaux. Dans une autre école, on m’a donné de la peinture, mais pas de pinceaux. De toute manière, dans les deux cas, il n’y avait pas de papier. Doit-on peindre sur les murs ?

Certaines équipes d’animation n’ont même pas de trousse à pharmacie, ou attendent plusieurs semaines après la rentrée pour l’obtenir, alors que c’est fondamental pour assurer la sécurité des enfants. Nous sommes aussi régulièrement en sous-effectif par rapport à ce qu’impose la loi – qui est pourtant déjà trop laxiste. C’est que nos responsables peinent à recruter, car des contrats aussi précaires n’attirent pas une foule de candidats. Cela se traduit, au final, par une charge de travail encore plus lourde pour les équipes.

Pour l’animation du midi, les écoles doivent mettre deux salles à notre disposition. Or elles sont souvent peu adaptées aux activités. Par exemple, dans une école où nous menons un atelier théâtre, la première salle que l’on nous a proposée est très mal insonorisée par rapport à la cour. Il est très difficile de se concentrer dans cet environnement sonore. En guise d’alternative, le seul espace qui nous a été proposé est une terrasse ouverte à la pluie, au vent et au froid. Au lieu d’être couvertes par les bruits de la cour de récréation, nos voix le sont par les moteurs et klaxons des motos et voitures du centre-ville.

Siège éjectable

Nos contrats signés à chaque rentrée de septembre, pour une durée de 10 mois, nous soumettent à une période d’essai d’un mois. Un animateur qui travaille depuis plusieurs années pour la même structure est donc en période d’essai tous les mois de septembre.

En septembre dernier, pendant cette période d’essai, une collègue animatrice a été soumise à un contrôle sur le temps d’animation de la pause méridienne. Elle a été licenciée sur le champ suite à un mail envoyé à l’association par un responsable du service jeunesse de la mairie : l’animatrice avait laissé les enfants se déplacer sans surveillance dans les couloirs de l’école. Or, je l’ai dit, ce genre de situation est inévitable. Il n’empêche : sans convocation, la responsable RH de l’association a appelé l’animatrice et lui a donné 48 heures pour venir signer les documents de cessation de contrat. Résultat : son équipe s’est retrouvée en sous-effectif les jours suivants.

La précarité de ce travail et ses mauvaises conditions créent un turn-over incessant. Tout au long de leur scolarité, les enfants voient défiler une série d’animateurs différents, sans pouvoir créer de vrais liens avec eux. Or plus on connaît un enfant, mieux on peut répondre à ses besoins. Et plus un enfant connaît un adulte, plus il aura confiance pour lui faire part de ses besoins.

Socialisme

Dans le développement d’un enfant, les temps périscolaire et extrascolaire jouent un rôle évident. Les foyers les plus riches ont les moyens de confier leur progéniture à des nourrices et autre personnel privé. La plupart des travailleurs, par contre, doivent se tourner vers le service public, dont je viens de décrire l’état à Marseille.

De nouvelles politiques d’austérité aggraveront la situation. De manière générale, le capitalisme en crise ne pourra pas régler ces problèmes. Seul un régime socialiste investira massivement dans des animateurs périscolaires bien formés, titularisés, en nombre suffisant, bien rémunérés et dotés de moyens leur permettant de donner à leur travail un riche contenu pédagogique et culturel.

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