Dans le Lot-et-Garonne, le « Collectif d’élimination rapide de l’amiante et de défense des exposés aux risques » – le CERADER 47 – est une association qui aide les personnes atteintes de maladies professionnelles à connaître et exercer leurs droits. Elle a été créée en 2005 par d’anciens salariés de l’usine métallurgique de Fumel, après que la présence d’amiante sur ce site industriel a été reconnue.

Le collectif aide notamment les salariés contaminés par ce matériau cancérogène à recevoir l’Allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA). Par ailleurs, il vient en aide à toutes les victimes de maladies professionnelles, quelles que soient leur secteur d’activité et leurs pathologies.

Nous avons rencontré Fatima, Fernand, Bernard et Alain – président du CERADER 47 – qui ont pris le temps de nous expliquer le travail et les combats de leur association.


Révolution : En quoi consiste le dispositif ACAATA mis en place pour les victimes de l’amiante ?

L’ACAATA est une allocation versée aux personnes contaminées par l’amiante et qui leur permet de passer en préretraite. Les bénéficiaires touchent une allocation leur permettant de cotiser jusqu’à l’âge de leur départ à la retraite.

Le montant de l’allocation est calculé au prorata de la dernière année d’activité. Son minimum est de 1180 euros pour les salariés à 35 heures, avec un plafond fixé à 65 % du salaire brut. L’âge maximum pour bénéficier de cette allocation est de 65 ans.

L’avantage de l’ACAATA est qu’elle permet de cotiser pour la retraite. Son inconvénient, c’est qu’elle n’est pas cumulable avec un autre revenu, quel qu’il soit. Par exemple, si un travailleur touche déjà une prime d’activité, les deux revenus se complètent sans se cumuler. De même, le propriétaire d’une entreprise ou d’un commerce ne peut pas poursuivre son activité s’il veut toucher l’allocation. En conséquence, certains travailleurs éligibles à l’ACAATA y renoncent parce qu’ils ne peuvent pas se permettre d’avoir cette allocation pour seul revenu.

Ceci dit, avec le dernier report de l’âge légal de départ à la retraite, et au vu du taux de chômage, la plupart des salariés qui peuvent prétendre à cette aide en font la demande, même si cela implique une baisse de leur revenu.

De quand date ce dispositif ?

La question de l’amiante est un sujet sensible pour l’Etat. Au début des années 90, lorsque la population française a pris conscience de l’ampleur du problème, le scandale fut énorme. Des millions de travailleurs ont compris qu’ils étaient peut-être contaminés. Pendant des décennies, l’amiante avait été massivement utilisé dans l’isolation de bâtiments industriels, mais aussi scolaires et résidentiels. Or ce matériau est hautement toxique : il peut suffire d’être en contact avec une seule fibre pour être contaminé et, potentiellement, développer une maladie.

Dans certaines régions, des familles entières ont été contaminées. Par exemple, dans notre cas, quand on rentrait de l’usine, le soir, et que nos épouses mettaient nos bleus de travail à la machine, cela suffisait pour les contaminer. L’Etat était conscient de la mise en danger de toute la population, mais n’en parlait jamais.

Un « Comité permanent amiante » est créé en 1982. Il est composé de scientifiques, de représentants des industries de l’amiante, de hauts fonctionnaires, de représentants des organisations syndicales et d’organismes publics comme la Sécurité sociale. Mais ce Comité était complètement informel, et son fonctionnement dépendait du bon vouloir des représentants des industriels de l’amiante !

Le patronat est rapidement arrivé à la conclusion que si l’on se donnait réellement les moyens d’éradiquer l’amiante, cela risquait de mettre à l’arrêt un grand nombre d’entreprises. Le « Comité permanent amiante » était donc complètement bloqué par le patronat et les industriels de l’amiante, qui défendaient leurs intérêts. Concrètement, rien n’était fait pour les victimes. Dans notre usine, par exemple, la question de l’amiante ne fut mentionnée nulle part jusqu’en 2002 : ni dans les bilans sociaux, ni dans les comptes rendus du CHSCT. Finalement, face à l’ampleur du scandale, l’Etat a été contraint de mettre en place une aide aux victimes : c’est la création de l’ACAATA en 1998.

Quels sont les moyens d’éradiquer l’amiante ?

Aujourd’hui, il existe plusieurs techniques qui permettent de rendre l’amiante inerte. On peut la vitrifier avec des torches à plasma ou des bains d’acide. Mais pendant longtemps, le recyclage de l’amiante consistait simplement à l’incorporer au goudron des routes : imaginez l’impact sur la santé des agents de la voirie !

Actuellement, avec la Coordination des associations de victimes de l’amiante et de maladies professionnelles (CAVAM), nous sommes engagés dans une bataille pour la création d’un Pôle national d’éradication de l’amiante. Nous luttons pour que soient mobilisés les moyens à la hauteur de cette tâche immense. Nous voulons aussi obtenir la garantie que les méthodes de désamiantage utilisées respecteront la santé des travailleurs du secteur – et que ceux qui ont été contaminés, par le passé, seront indemnisés.

Quelles difficultés rencontrent les salariés pouvant prétendre à l’ACAATA et, plus largement, tous ceux qui demandent la reconnaissance d’une maladie professionnelle ?

La première difficulté est de trouver un médecin qui accepte de réaliser un certificat reconnaissant l’existence d’une maladie professionnelle. Ce n’est pas simple : non seulement il y a une pénurie de médecins dans de nombreux territoires, mais en outre peu de médecins sont formés à la reconnaissance des maladies professionnelles.

Ensuite, il y a les difficultés administratives. Lorsqu’on soumet une demande de reconnaissance de maladie professionnelle à la CPAM, une procédure s’enclenche qui dure en moyenne 120 jours. Puis, soit la demande est acceptée, soit elle est envoyée en commission pour examen.

La reconnaissance d’une pathologie comme maladie professionnelle dépend de sa présence dans le tableau des maladies professionnelles. Pour chaque pathologie, ce document indique les métiers concernés, les délais de demande et le nombre d’années d’exposition cumulées pour prétendre à une aide. Si une pathologie n’est pas inscrite au tableau des maladies professionnelles, ou si le dossier déroge à l’un des critères fixés par ce tableau, la demande est envoyée en commission au Pôle social du tribunal judiciaire.

En cas de litige sur l’origine de la pathologie, on fait appel à des médecins spécialisés pour évaluer la possibilité de la faire reconnaître comme maladie professionnelle. C’est là que nous pouvons intervenir pour qu’il y ait reconnaissance d’une maladie professionnelle. Nous faisons alors appel à un cabinet d’avocats pour aider les victimes, afin qu’elles ne se retrouvent pas seules pour défendre leur dossier. Nous les aidons à défendre leurs intérêts face aux méandres du système judiciaire. Par exemple, les délais de recours sont très courts : au-delà de deux mois, il n’est plus possible de déposer un recours ou de renouveler la demande.

Dans le cas de l’amiante, la principale difficulté consiste à prouver que les salariés ont été exposés à un risque de contamination – et qu’il y a eu une faute de l’employeur. Lorsque le site est répertorié à l’ACAATA, c’est plus facile parce que la CPAM sait qu’il y a eu de l’amiante ou de la silice : les salariés sont alors automatiquement indemnisés. Mais si le site n’est pas répertorié, il faut prouver qu’il y a eu contamination sur le lieu de travail et que l’employeur n’a pas pris les dispositions nécessaires à la protection des salariés. Or ce n’est pas simple, car en face ils font tout pour ne pas reconnaître la responsabilité de l’entreprise. Ils cherchent à rejeter la faute sur les salariés. Par exemple, si un salarié fumeur développe un cancer, ils diront qu’on ne peut pas prouver que son cancer résulte de ses conditions de travail, et non de la cigarette. C’est la même chose dans toutes les professions : les patrons cherchent systématiquement à rejeter la faute sur l’hygiène de vie des salariés.

Par ailleurs, dans les cas où la direction d’une entreprise change fréquemment, il est très difficile de déterminer qui est responsable, sachant qu’il n’est pas possible d’attaquer au pénal une entreprise ou l’Etat.

Notre association est tout de même parvenue, avec l’aide d’un cabinet d’avocats, à gagner 650 dossiers de demande de reconnaissance du préjudice d’anxiété subi par des victimes de l’amiante et d’autres matériaux CMR (Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques). Ces victoires nous ont permis de faire connaître notre association auprès d’un public plus large. Mais surtout, c’est en gagnant des dossiers comme ceux-là que l’on parvient à faire évoluer le périmètre de reconnaissance du tableau des maladies professionnelles. C’est comme cela, par exemple, que l’Etat a été contraint d’inscrire le cancer du pharynx au tableau des maladies professionnelles agricoles.

Actuellement, on mène un combat sur la reconnaissance du cancer du sein comme maladie professionnelle. En effet, il est apparu que les femmes travaillant de nuit sont bien plus touchées par cette maladie que celles travaillant de jour.

Récemment, vous avez réussi à obtenir une extension du délai de prise en compte de l’exposition à l’amiante pour les salariés de l’usine métallurgique de Fumel. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Dans le cas de l’usine métallurgique de Fumel, nous avons mené ce combat avec la CGT. La dernière génération de salariés ne bénéficiait pas du dispositif d’aide en raison de critères trop restrictifs. Dans ce genre de situation, obtenir gain de cause est difficile, car l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’ACAATA représente un coût pour l’Etat. Donc tous les moyens sont bons pour mettre en échec les revendications des associations et des syndicats. Par exemple, les services de l’Etat affirmaient que tout le site était décontaminé, alors qu’en réalité la décontamination ne concernait qu’une zone bien déterminée.

Nous avons fini par obtenir gain de cause. Il faut dire que la direction de l’usine ne s’est pas trop opposée à nous : l’entreprise allait fermer, et donc en un sens cela arrangeait la direction, qui n’avait pas à payer d’indemnités de licenciement.

Votre association fait un travail important pour informer, aider et défendre les droits des personnes touchées par les maladies professionnelles. Avez-vous des aides de l’Etat pour mener ce travail ?

Notre association est reconnue d’intérêt public, ce qui permet à nos adhérents de déduire leurs cotisations de leurs impôts. Mais ce statut n’est pas systématiquement donné aux associations qui mènent le même travail que nous. La décision revient au centre des impôts.

Ceci dit, notre association a choisi de ne recevoir aucune subvention de l’Etat. Ce sont les cotisations de nos adhérents qui font vivre l’association : c’est un moyen de garantir notre indépendance et de pouvoir choisir en toute liberté nos modes d’action. Quant au cabinet d’avocats avec lequel nous travaillons, il touche un pourcentage des dédommagements que perçoivent les plaignants lorsque nous attaquons les entreprises pour « faute inexcusable ». Notre association traite des dizaines de nouveaux dossiers chaque année, et malheureusement notre travail sera nécessaire pendant encore longtemps.

Pour contacter le CERADER47 :

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Tél. : 06 31 97 56 91

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