En juin 2022, à Lyon, un enfant de 11 mois mourait d’empoisonnement dans une crèche privée. Ce drame a suscité une émotion et un effroi très vifs dans le pays. Une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales a publié son rapport en avril dernier. Nous avons demandé son avis sur ce drame et ce rapport à Laurence, travailleuse du secteur public de la petite enfance. Interview de Laurence, travailleuse du secteur public de la petite enfance.


Révolution : Quel est ton parcours et quel métier exerces-tu ?

Laurence : J’ai une formation de niveau Bac+3 et j’ai exercé, dans le secteur public, le métier de directrice de garderie. Aujourd’hui, je suis éducatrice de jeunes enfants dans une crèche municipale en Ile-de-France.

Que penses-tu du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur le drame de juin 2022 ?

Il dresse le constat d’une « maltraitance institutionnelle ». C’est exact, mais il faut préciser que cela concerne surtout les crèches privées. Elles emploient des personnes peu ou pas qualifiées, qui trop souvent sont seules face à des groupes d’enfants et doivent, en plus, assurer le ménage des lieux. Il arrive donc qu’elles soient totalement dépassées par leurs tâches.

Ce qui s’est passé à Lyon en est une illustration dramatique. La jeune femme était seule avec des bébés qui n’arrêtaient pas de pleurer. Elle devait les garder tout en faisant le ménage. Elle a craqué et a fait avaler un produit ménager à un bébé, qui en est mort. C’est épouvantable, mais c’est aussi lié à des conditions de travail honteuses.

Selon une étude publiée en 2021 par Xerfi, le secteur des crèches privées – qui ne cesse de croître – a enregistré un chiffre d’affaires de plus de 1,7 milliard d’euros en 2020. Qu’en penses-tu ?

C’est une catastrophe, ce business ! Les parents payent jusqu’à 2000 euros par mois pour y placer leur enfant, mais tout part en décorations et en profits. Tout est fait pour que la décoration des crèches impressionne les parents, mais il manque du personnel qualifié capable d’animer des activités.

De manière générale, toutes les crèches devraient être publiques. Il faut des petites structures locales et publiques qui associent étroitement les parents.

Justement, quelle est la situation dans le secteur public ?

L’Etat et les collectivités gèrent et financent ces crèches, mais on retrouve un fonctionnement basé sur la rentabilité. C’est terrible, car une crèche n’est pas censée être rentable ! Le fonctionnement de la Protection Maternelle Infantile et de la Caisse d’Allocations Familiales implique notamment de prouver qu’une crèche atteint un certain taux de présence d’enfants pour bénéficier des subventions. Ça signifie, par exemple, que si un enfant a une gastro, on ne va pas forcément le renvoyer chez lui, car cela pourrait faire baisser le taux de présence et donc réduire les financements. Moyennant quoi tout le monde tombe malade…

Les conditions de travail se dégradent progressivement, faute de personnels et de budgets suffisants.

Comment est-ce que cela se manifeste, concrètement ?

Lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’adultes pour garder les enfants dans des espaces distincts, il y a souvent trop de monde dans une même pièce, ce qui fatigue les adultes et les enfants, à cause du bruit.

Faute de moyens suffisants, on est aussi obligé de réduire les activités. Par exemple, par le passé, j’animais une activité « terre glaise » avec quatre enfants, dans une petite piscine remplie de glaise, pour leur permettre de rire et s’exprimer. Mais cela nécessite de laver les enfants après l’activité, de faire sécher le matériel, etc. On n’a plus le temps. Donc j’ai dû renoncer à cette activité.

Que penses-tu des annonces du gouvernement, après la publication du rapport ?

Le gouvernement affirme vouloir augmenter l’attractivité du secteur pour lutter contre le manque de personnel. Mais les crèches privées, par définition, réduisent le personnel au minimum pour maximiser leurs profits. Par ailleurs, les conditions de travail et les salaires sont trop mauvais. Le gouvernement peut bien annoncer qu’il va conditionner les financements publics à « des objectifs de qualité » : toute sa politique va dans le sens d’une dégradation de la qualité.

Il y a eu un tournant sous Sarkozy, avec la loi Morano (2010), qui a réduit les qualifications requises et le nombre minimum d’adultes encadrant les enfants. Et ça continue ! L’ordonnance Taquet de 2021 et le décret « expérimental » publié en décembre 2022 vont dans le même sens : alléger les contraintes de fonctionnement dans les crèches privées.

Est-ce qu’il y a eu des mobilisations marquantes dans ton secteur ?

Depuis la loi Morano en 2010, il y a une série de mobilisations ponctuelles sous le mot d’ordre : « pas de bébé à la consigne ! ». Mais à part cela, pas grand-chose. Il faudrait que les syndicats nous aident à mobiliser les parents, pour que nous puissions nous appuyer sur eux.

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