Je travaille dans un atelier qui fait de la décoration de vitrines et d’autres projets particuliers pour des magasins de luxe. Il s’agit d’une entreprise familiale, qui existe depuis plusieurs dizaines d’années et qui est très réputée dans le milieu.

Je suis un autoentrepreneur : c’est un statut obligatoire pour travailler dans cette boite, qui n’embauche pas d’intermittents. Mais ce statut d’autoentrepreneur est une étiquette. C’est du salariat déguisé. Je ne me sens pas du tout maître de mon propre travail.

Les horaires ne sont pas libres : à la base, on travaillait de 9h30 à 19h30. Mais un jour, la patronne a décrété qu’on ne pouvait plus partir avant 20h, parce qu’elle estimait qu’on ne travaillait pas assez. Sur le moment, je me suis dit que ça lui coûterait plus cher, mais on est tellement mal payés que nos heures ne sont pas sa première ligne de dépenses… On est payés quinze euros de l’heure – et, derrière, on doit faire nos déclarations à l’URSSAF.

La plupart du temps, on fait des semaines de 55 heures, et on est censés toucher 3000 euros brut par mois. Mais sur notre compte, à la fin du mois, on ne touche que 1500 euros. Le reste nous est payé par des mensualités, à la fin d’une période de travail. A ce jour, je n’ai pas encore reçu la totalité de mes quatre mois de travail.

Flicage et humiliations

L’ambiance est très anxiogène. La patronne est souvent en colère et n’a aucun tact. Elle passe son temps à nous fliquer, à faire des réflexions sur ce qu’on est en train de faire : ça nous met sous pression et c’est assez pesant, au quotidien. A cela s’ajoutent des humiliations : devant tout l’atelier, elle nous prend à partie, nous engueule ou nous fait des remarques désobligeantes.

Politiquement, les patrons sont de droite (la droite « dure »). Il leur arrive de lâcher des remarques racistes. Ils ne parlent que d’argent, tout le temps. Il est toujours question de faire des économies sur le matériel, parce que c’est « leur » argent – alors que, dans notre métier, c’est normal qu’il y ait des « ratés ». Une fois, quelqu’un a gâché un peu de matériel ; la patronne l’a menacé d’une retenue sur sa paie. Un collègue a protesté : il connaissait le droit du travail et il savait que c’était illégal. Alors, la saison suivante, lorsqu’il a été question de rembaucher ce dernier, la direction a refusé, parce qu’elle ne voulait pas de « gauchiasse ».

La priorité des patrons n’est pas de satisfaire leurs clients, mais de dépenser le moins d’argent possible pour chaque commande. Pourtant, de l’argent, ils sont loin d’en manquer… Il s’agit d’un milieu très fermé, et ils raflent beaucoup de commandes.

Pression constante

Pour la patronne, le Covid n’était qu’une grosse grippe. Aucun geste barrière n’était respecté, alors qu’on est jeunes et que certains font la fête… Elle nous dissuadait de nous faire tester, sous prétexte que c’était du « temps perdu » sur la journée de travail. A un moment, on a eu cinq personnes (sur quinze) contaminées, l’atelier est resté ouvert. Par contre, dès que vient quelqu’un d’extérieur à l’atelier (clients, médias), la patronne nous demande de mettre nos masques et de bien dire qu’on respecte les gestes barrières ! On devenait fous : on se suspectait, on avait peur de ramener le virus à la maison.

Je suis rentré dans cet atelier parce qu’une fois mon diplôme en poche, c’est ce que je voulais faire. Et même si elle avait mauvaise réputation, c’était la seule boite ouverte pendant la crise sanitaire. Cela faisait entre six et huit mois que je ne faisais rien, je déprimais, et je pensais avoir trouvé une opportunité d’apprentissage. Mais depuis que j’y suis, j’ai passé la plupart de mon temps à travailler sur le même projet : la réalisation de 150 pièces, elles-mêmes composées de 30 morceaux. On a passé quatre mois à faire la même journée : on se lève le matin et on sait exactement ce qu’on va faire. On a dit plusieurs fois qu’on voulait faire autre chose, mais rien n’a changé.

Je ne recommande à personne d’aller travailler là-bas. Je suis fatigué, j’ai l’impression d’avoir beaucoup moins le moral, d’être obnubilé par l’atelier. Ça prend toute la place, c’est le seul sujet de conversation entre collègues. Le soir, avant de m’endormir, je pense encore à mon travail. J’en parle dans mon sommeil. Des collègues me disent qu’ils ont moins de joie de vivre, qu’ils se sentent vides. Hier, quand je suis rentré chez moi, j’ai fondu en larmes : c’est difficile d’être constamment sous pression. Certains collègues ne veulent pas en parler, ils ont peur des répercussions. Mais je pense que c’est aux patrons d’avoir peur, car ce sont eux qui créent ces conditions de travail.

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