Nous avons rencontré des camarades de la CGT INRA à Toulouse, David Robelin et Olivier Catrice, impliqués dans le soutien au collectif des précaires de la recherche. L’INRA est l’Institut national de la recherche agronomique. Interview.


Manifestations nationales lundi 26 novembre à Paris, Nice, Montpellier, Bordeaux, Marseille, Toulouse...
A Toulouse, rendez-vous à 13h place du Capitole.

Collectif précaires de la recherche Toulouse


LR : Comment est apparu le mouvement du collectif des précaires de la recherche ?

David : Ce mouvement a commencé en janvier 2011, à l’époque de l’écriture du protocole Tron, qui ensuite a donné lieu à la loi Sauvadet. Les salariés précaires du centre INRA n’étaient pas associés aux discussions. Ils ne sont là que comme exécutants. Et pourtant ce personnel est de plus en plus nombreux. Pour un effectif de 700 salariés titulaires sur Toulouse, ils sont 350 non-titulaires, soit environ un tiers.

Ces 6 ou 7 dernières années, les CDD sont en progression constante, ce qui devient très inquiétant. Et quand il y a un problème avec un non-titulaire, il s’en va et le problème s’en va avec lui. Les titulaires bénéficient d’avantages, des bureaux plus confortables, etc. Les non-titulaires sont en quelque sorte une sous-classe et n’ont pas le droit de se plaindre.

Il faut rappeler qu’il y a 900 000 non-titulaires dans toute la fonction publique. Les premiers chiffres sur des effets escomptés de cette loi parlaient de la « CDIsation » de 100 000 personnes. La loi parle d’un dispositif d’accès à la titularisation. Mais ce qu’on attend maintenant, c’est que la loi soit déclinée concrètement par un décret d’application au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le dialogue avec les directions – que ce soit de l’INRA, de l’INSERM ou du CNRS – est impossible. Dès la signature du protocole, avant même le vote de la loi, ils ont édicté des règles internes qui empêchent des renouvellements de CDD de manière très restrictive. C’est contre cela que les non-titulaires se battent.

Sur le problème de la précarité, les directions ne veulent rien entendre. Dans un courrier, Michel Eddi, le directeur général délégué de l’INRA, a écrit qu’« il ne faut pas transformer les besoins temporaires en charge permanente ». Cela vous donne une idée de sa façon de traiter le personnel...

LR : Et pourtant, la charge de travail semble bien être permanente, elle ?

David : En volume de travail, 20 % de l’activité est assurée par des CDD. Donc on n’est pas sur du temporaire. Ce ne sont pas des remplacements de congés maternité ou autres... Le travail est là – et les besoins sont permanents.

LR : Quelle est la position de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso ?

David : Cet été, 200 personnes se sont mobilisées à Montpellier et ont manifesté devant la direction régionale du CNRS. Puis au centre INRA de Montpellier également, une Assemblée Générale a été organisée où 40 personnes sont venues. Ils ont créé le collectif. Puis il y a eu une autre manifestation au mois de septembre, à Montpellier toujours, qui a réuni entre 400 et 500 personnes. Ils ont été reçus par le préfet qui leur a remis la réponse de la ministre.

Dans sa lettre, la ministre botte en touche en disant qu’il y a des crédits de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui seront redéployés vers les organismes, que la précarité est un problème et qu’il va falloir trouver une solution. Mais il n’y a absolument rien de concret, rien sur les créations de postes. Puis elle termine en demandant aux personnels mobilisés d’attendre la fin des assises de la recherche. En ce moment effectivement se tiennent ces assises qui sont des coquilles vides. L’Etat les organise dans le but de contourner les organisations syndicales. C’est une espèce de fourre-tout où tout le monde dit ce qu’il veut, mais où au final on ne tient pas compte des revendications – car ce n’est pas le sujet.

Dans le cadre de ces assises, le collectif des non-titulaires de l’enseignement supérieur et de la recherche de Toulouse est intervenu, a fait une déclaration, et c’est la seule intervention qui a recueilli des applaudissements. Ensuite il a fallu lutter pour qu’il reste une trace de cette intervention dans le document de synthèse de ces assises à Toulouse. A Montpellier, ils ont fait pareil (les assises se déroulent dans chaque ville à des dates différentes).

Pour revenir sur les revendications, il faut préciser que le principal n’est pas de demander un « dispositif de titularisation », mais de véritables créations de postes pour résorber la précarité. Car le « dispositif de titularisation » de la loi Sauvadet consiste en fait à réserver sur un concours des postes à des agents qui ont déjà des conditions d’ancienneté. Or dans les concours, aujourd’hui, ceux qui ont de l’expérience sont déjà recrutés. Et ce qui va certainement se passer, c’est qu’ils vont réserver beaucoup moins de postes que de ersonnes éligibles. Donc ce qu’il faut, ce sont des postes en plus, et non pas réserver des postes sur un concours général.

LR : Ce mouvement a commencé à Montpellier et s’est étendu à Toulouse. Quelles suites comptez-vous lui donner ?

David : Le collectif s’est appuyé sur ce qui a été fait à Montpellier pour le faire à Toulouse. Ensuite il y a Nice, Marseille et Bordeaux. La CGT-INRA a décidé de laisser le collectif des non-titulaires s’organiser comme il le souhaite. C’est à eux de décider quelles actions ils vont mener. Et nous on leur apporte nos explications, notre réseau.

Il y a aussi une action qui prend forme pour novembre, dans le cadre des assises nationales à Paris. On veut y organiser un rassemblement, en marge. Parce que dans les assises de la recherche, la question de l’emploi n’est pas vraiment discutée. La question des carrières y sera discutée, mais pas celle de l’emploi. Or ce n’est pas la même chose…

LR : Pensez-vous que vous arriverez à mobiliser les titulaires ?

Olivier : Oui, c’est possible et nécessaire. Les titulaires concernés doivent en parler à leurs collègues. Le fait qu’il y ait des travailleurs précaires dans les labos, ça tire le statut de la fonction publique vers le bas. Pour le même boulot, un ingénieur en CDD sera moins payé qu’un ingénieur titulaire. Donc c’est un argument du gouvernement pour ne pas revaloriser le point d’indice. Or le point d’indice, c’est la base du salaire dans la fonction publique. Sauf que ça fait deux ans et demi que le point d’indice n’a pas été revalorisé. On a perdu 17 % de pouvoir d’achat depuis 2001. C’est énorme. Donc il y a un lien direct entre la précarité que vivent ces travailleurs non-titulaires et les conditions de travail des titulaires.

Il y a aussi une multiplication des CDD qui sont souvent dus à des projets à court terme, basés sur des budgets à court terme, produits par l’ANR. Ils préfèrent embaucher des CDD qu’ils peuvent jeter dès que le projet est terminé (2, 3 ou 4 ans). Car d’une manière générale, le budget global de la recherche d’Etat est bas et tend à diminuer au fils du temps.

David : C’est d’ailleurs en lien avec ce qu’il se passe avec Sanofi. Car ce que les dirigeants de Sanofi veulent arrêter, c’est la recherche la plus « risquée » financièrement. Ils ne gardent que le développement : une fois que c’est bon, ils commercialisent. Mais il faut bien que quelqu’un fasse de la recherche. Donc du coup le deal soi-disant « gagnant-gagnant », c’est qu’ils financent le public pour réaliser cette recherche risquée. Sanofi, Danone et Nestlé – entre autres – en profitent.

LR : La recherche publique sert donc de prestataire de services au secteur privé ?

David : Voilà. Certes, ils nous laissent notre autonomie dans le sens où ils ne commandent pas nos résultats, c’est nous qui menons nos expériences. Mais sur les projets que nous voulons réaliser et qui sont en partie financés par le secteur privé, on n’aura pas de rallonge de l’Etat. Une fois que le projet est défini sur 3 ou 4 ans par exemple, ils nous incitent à chercher un financement de CDD auprès du secteur privé. Donc c’est quand même une perte d’indépendance de la recherche publique. Ce n’est plus la recherche publique qui décide de ce qu’il est intéressant de faire.

Par exemple si on veut travailler sur l’agriculture biologique ou autre, les cofinancements seront plus difficile à trouver, ce qui décourage à travailler sur ces problématiques. Donc on va travailler avec le blé, le lait et avec Sanofi et toutes les grosses boîtes du privé parce qu’on est obligé d’aller chercher un financement extérieur. D’ailleurs, lorsqu’on travaille sur des sujets sensibles comme les OGM ou la douleur animale, ce mode de financement nous rend suspects. Car automatiquement, si on est obligé de travailler avec Monsanto sur une étude des OGM, ce n’est pas pareil que si c’est la recherche publique qui mène ses recherches de manière indépendante. Et ça, c’est quand même un problème. Au conseil d’administration de l’INRA, il y a des représentants de l’industrie agro-alimentaire privée. Cela pose le problème de l’utilisation de nos recherches à des fins capitalistes pures…

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