Voici les Thèses sur la crise climatique dont la Tendance Marxiste Internationale avait prévu de discuter, en 2020, lors de son Congrès mondial. Finalement, le Congrès a été reporté et remplacé par une Ecole mondiale en ligne, à cause de la pandémie.


L’attention du monde entier est aujourd’hui tournée vers le combat contre la pandémie de Covid-19. Mais une fois ce danger plus ou moins écarté, une autre menace – plus terrible encore – se dressera face à nous : le dérèglement climatique.

Les forêts tropicales s’embrasent. De gigantesques incendies ont ravagé l’Australie et la Californie. Des inondations dévastent l’Indonésie et le Bangladesh. Des îles et des côtes entières sont rapidement submergées. La sécheresse et la famine poussent des millions de pauvres à s’exiler. Chaque été, les canicules en Europe tuent des milliers de personnes. Des espèces disparaissent tous les jours de la surface de notre planète. La crise climatique n’est pas une menace hypothétique pour les générations futures : c’est une véritable catastrophe, qui se produit actuellement sous nos yeux.

Des mouvements massifs de jeunes, d’étudiants et de lycéens se dressent face à cette menace. « The oceans are rising and so are we » [les océans montent et nous nous soulevons], pouvait-on lire sur des pancartes à Londres, lors d’un rassemblement. En septembre 2019, environ six millions de personnes ont pris part à la grève mondiale pour le climat initiée par le collectif Fridays for future. Les grandes villes des Etats-Unis, du Canada, d’Allemagne, d’Italie et du Royaume-Uni ont été le théâtre d’immenses manifestations, rassemblant des centaines de milliers de personnes.

Un problème systémique

Le capitalisme tue la planète. Telle est la conclusion que tirent, à juste titre, de nombreux militants, réunis autour de mots d’ordre tels que « Changer le système, pas le climat », ou « La planète avant les profits ». C’est bien ce mode de production – avec son insatiable soif de profit – qui est responsable de la destruction de l’environnement, de l’effondrement de la biodiversité, de la pollution de l’air que nous respirons et de l’eau que nous buvons.

Sous le capitalisme, ce sont les grandes fortunes qui décident quoi produire et dans quelles conditions, sans suivre de plan préétabli. Notre économie est dirigée par la prétendue « main invisible », c’est-à-dire abandonnée à l’anarchie du marché. Toute tentative de régulation environnementale est aussitôt contournée, voire piétinée, par des entreprises soucieuses de réduire leurs coûts de production, de faire face à la concurrence et de conquérir de nouveaux marchés – toujours dans le but de maximiser leurs profits. Cette course au moins-disant écologique n’est pas seulement le fait de quelques patrons sans scrupules : elle découle fatalement des lois économiques du capitalisme, un système basé sur la propriété privée des moyens de production, la concurrence et la production pour le profit.

Le problème est d’une ampleur colossale. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) considère que le réchauffement climatique doit être limité à 1,5 °C afin d’éviter la catastrophe environnementale. Or, pour cela, les émissions globales de gaz à effet de serre doivent être réduites de 45 % à l’horizon 2030 – et tendre vers zéro d’ici 2050. En outre, des mesures radicales doivent être prises pour juguler les conséquences de ce dérèglement, dont une reforestation massive et la construction de digues. On estime le coût de tels projets à 2000 milliards de dollars par an, soit environ 2,5 % du PIB mondial.

Pour y parvenir, les connaissances scientifiques et les technologies requises existent. La production d’électricité pourrait se faire de façon renouvelable, à partir de l’énergie du vent, du soleil, des marées, etc. Les voitures et les infrastructures de transport pourraient être alimentées à l’électricité ou à l’hydrogène. Des mesures d’optimisation énergétique pourraient réduire drastiquement la consommation des ménages et de l’industrie. La pollution pourrait être très fortement réduite. La production de nourriture pourrait ne plus nuire à l’environnement. Les déchets pourraient être massivement recyclés. D’immenses étendues de forêts pourraient être replantées.

Mais toutes ces mesures vitales nécessitent deux choses : des moyens économiques et une planification de la production – deux choses que le capitalisme est incapable de fournir. En effet, la production capitaliste se base avant tout sur la propriété privée et la concurrence, en vue d’accroître les profits d’une poignée de parasites irresponsables. La planification à des fins économiques et sociales lui est complètement étrangère.

Par ailleurs, d’où viendraient les moyens pour financer de telles mesures, sous le capitalisme ? L’économie mondiale est déjà criblée de dettes depuis la crise de 2008, qui a été suivie par plus d’une décennie de politiques d’austérité. Depuis mars dernier, la pandémie a précipité une récession mondiale bien plus grave que celle de 2008.

Dans ce contexte, les classes dirigeantes ne vont pas investir dans la transition écologique ; au contraire, elles vont réaliser des coupes supplémentaires dans les budgets publics. La lutte contre la catastrophe climatique est la dernière de leurs priorités.

Les capitalistes n’investiront pas dans les mesures requises, car elles ne leur sont pas profitables. Des technologies exploitant les énergies renouvelables, qui pourraient fournir une électricité propre, abondante et à moindre coût, vont à l’encontre des lois du marché et de la course aux profits.

Par exemple, les subventions publiques attribuées aux énergies renouvelables ont paralysé le marché mondial de l’électricité. L’arrivée de grandes quantités d’électricité verte et à bas coût a tiré les prix vers le bas, menaçant la rentabilité des centrales à gaz et à charbon. Aussitôt, l’investissement privé dans les nouvelles énergies s’est effondré. Les ménages n’ont même pas pu profiter de cette potentielle baisse de leurs factures, puisque les nouvelles aides gouvernementales se sont alors concentrées sur le soutien aux grandes multinationales de l’énergie. Autrement dit, le marché ne peut pas résoudre le problème, car le marché est le problème.

Qui paye ?

La question de l’investissement se réduit à cette autre question : qui paye ? La richesse existe, mais elle dort paisiblement dans les comptes bancaires des grandes entreprises, quand elle ne sert pas à renforcer l’armement destructeur des puissances impérialistes. Dix grandes entreprises américaines, par exemple, stockent à elles seules près de 1100 milliards de dollars inutilisés, tandis que les dépenses militaires mondiales s’élèvent à 1800 milliards par an.

Greta Thunberg, militante suédoise de 17 ans et fondatrice du collectif Fridays for Future, est devenue le visage et la voix du mouvement international de défense du climat. S’exprimant devant des parterres de dirigeants mondiaux lors du forum de Davos et lors des sommets de l’ONU, elle a martelé l’évidence : « notre maison brûle ». Aux élites qui l’écoutent, elle crie : « Je veux que vous paniquiez ». Mais ses appels à une action politique ambitieuse et immédiate tombent dans des oreilles de sourds.

Cette inertie à la tête des Etats n’est pas simplement due à une absence de volonté politique. Les politiciens de l’establishment ne restent pas passifs sur ces questions en raison d’un manque de détermination, mais parce que leur but premier est de défendre le système capitaliste – et non le futur de l’humanité.

Thunberg souligne que les politiciens ignorent complètement les recommandations des scientifiques. Elle appelle les gouvernements à écouter les rapports et les conseils des climatologues. Mais les capitalistes et leurs représentants politiques ne seront pas convaincus par des arguments moraux, ni par des faits et des chiffres qu’ils connaissent déjà. Pour ces élites déconnectées, la seule chose qui compte, c’est la maximisation des profits capitalistes, fût-ce aux dépens de l’humanité entière.

Pour apaiser leurs électeurs, certains gouvernements ont proclamé un « état d’urgence climatique ». C’est une formule creuse dans la bouche de politiciens soumis aux diktats des grandes fortunes. Après tout, sous le capitalisme, ils n’ont pas vraiment le pouvoir de décider. Notre destin est livré aux caprices du marché.

Pour résoudre cette crise mondiale, une action mondiale est nécessaire, mais les gouvernements bourgeois sont impuissants. Malgré un nombre incalculable de sommets internationaux et de traités pour le climat, rien – ou presque – n’est fait. Les palabres débouchent sur des accords extrêmement modérés. Et même ces accords, pourtant bien peu contraignants, sont finalement contournés, voire ignorés. Ainsi Donald Trump a-t-il pu retirer les Etats-Unis (premier émetteur de gaz à effet de serre) de l’accord de Paris sur le climat (2015), réduisant à néant sa portée.

Les deux grands obstacles au progrès – les Etat-nations et la propriété privée des moyens de production – sont à l’origine de cette situation. Sous le capitalisme, les gouvernements nationaux servent les intérêts de leur bourgeoisie nationale. Aussi ne peuvent-ils pas agir collectivement. Pareils à une bande de pirates, ils ne coopèrent que temporairement, quand ils ont intérêt à piller ensemble. Mais dès que le butin se réduit, ces bandits retournent à leurs luttes intestines. Dans la période actuelle, marquée par une profonde crise économique, chaque gouvernement s’efforce d’exporter ses problèmes loin de chez lui (protectionnisme). Cela conduit à des politiques égoïstes, au « chacun pour soi », à une instabilité géopolitique chronique, à l’abandon de toute forme de coopération face aux enjeux internationaux.

En réaction, les militants pour le climat battent le pavé, bloquent des rues et paralysent des villes entières pour attirer l’attention des politiciens. Dans le monde entier, des millions de jeunes et d’étudiants se sont mobilisés – souvent pour la première fois – afin de réclamer des actions immédiates et un changement systémique.

Ces mobilisations ont permis aux nouvelles générations de prendre conscience de leur force, de leur pouvoir et de leur détermination. Pour ces jeunes militants, l’action massive est désormais la norme – et non plus l’exception. L’idée de grève politique est désormais fermement ancrée dans leurs esprits.

De nombreux militants ont compris la nécessité des mobilisations de masse. Mais il faut aussi tirer les leçons de ce mouvement – et en reconnaître les limites. Les manifestations de rue et les grèves étudiantes ne suffiront pas. Les défenseurs du climat doivent se lier au mouvement ouvrier pour obtenir, dans la lutte, un changement politique radical.

Le néo-malthusianisme

Comparée à l’activisme individuel d’autrefois, l’idée de mobilisations de masse et d’actions militantes pour un changement systémique représente un immense progrès. Mais en l’absence d’une direction révolutionnaire, le spectre du vieil écologisme libéral et petit-bourgeois continue de hanter le mouvement pour le climat. Cette confusion se manifeste dans l’émergence d’idées confuses – telles que la « décroissance » ou « l’anti-consumérisme » – qui dominent les débats et atténuent la radicalité des jeunes grévistes.

Au fond, toutes ces idées sont des régurgitations des arguments réactionnaires de l’économiste Thomas Malthus, qui déclarait, au XIXe siècle, que la famine, la pauvreté et les maladies résultaient d’une « surpopulation ». Aujourd’hui, on n’entend plus seulement déplorer qu’il y aurait « trop de bouches à nourrir » ; la même idée revient sous cette forme : « nous vivons au-dessus de nos moyens ». Autrement dit, la crise écologique serait imputable à de mauvais comportements individuels – et non à un système pourrissant.

Friedrich Engels a déjà répondu aux arguments de Malthus. Dans une lettre à Albert Lange, il expliquait : « On ne produit pas assez ; c’est la racine du problème. Mais pourquoi ne produit-on pas assez ? Ce n’est pas que les limites de la production – même de nos jours et en l’état actuel de nos moyens – sont atteintes. Non, c’est parce que les limites de la production sont fixées par le nombre d’acheteurs potentiels – et non par le nombre de ventres affamés. La société bourgeoise ne veut pas produire davantage. Les ventres sans le sou, le travail impossible à exploiter pour faire du profit, et donc à acheter, sont abandonnés aux statistiques de la mortalité ».

Les prédictions apocalyptiques de Malthus ont été réfutées par les faits. Les progrès dans la technique agricole ont permis de subvenir aux besoins d’une population plus nombreuse – et mieux nourrie. De même, de nos jours, les technologies permettant de produire davantage – sans dégradation ni destruction de l’environnement – existent déjà. Le problème, comme le faisait remarquer Engels, c’est que le capitalisme ne peut pas utiliser ces forces productives de manière rentable.

Sans surprise, les partisans du capitalisme ont repris la rhétorique néo-malthusienne à leur compte. Ils affirment que nous devons résoudre la crise par des comportements individuels plus « éthiques » : prendre l’avion moins souvent, ne plus manger de viande, mieux recycler nos déchets personnels, etc. En mettant l’accent sur la responsabilité individuelle et la question des styles de vie, la classe dirigeante défend son pouvoir et détourne les masses de la tâche qui leur incombe : transformer radicalement la société sur la base d’un programme socialiste.

Les « solutions » découlant de ce mantra individualiste sont entièrement réactionnaires. Elles consistent en un simple « greenwashing » de l’austérité : aux travailleurs et aux pauvres de se serrer la ceinture – pour résoudre un problème créé par les capitalistes et leur système corrompu.

Aux « anti-consuméristes », nous posons cette unique question : qui consomme trop ? Les millions de ménages des pays dits « développés » qui doivent choisir entre manger sainement et se loger convenablement ? Les masses des nations « en développement », qui doivent se battre pour simplement nourrir leurs familles ? Les travailleurs exploités des quatre coins du monde, qui vivent dans la pauvreté au milieu des richesses ?

Les données statistiques montrent que les 1 % les plus riches de la planète rejettent 175 fois plus de gaz à effet de serre que les 10 % les plus pauvres. Et la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’est responsable que de 10 % des émissions globales, contre 50 % pour les 10 % les plus riches. Ces « inégalités carbone » sont le reflet des violentes inégalités économiques inhérentes au capitalisme.

Les travailleurs ne sont pas stupides. Ils voient bien l’hypocrisie de leurs gouvernants, qui demandent aux gens ordinaires de « faire des sacrifices » au nom de la planète. Pendant ce temps, les richissimes élites capitalistes vivent dans leur bulle, accumulent des fortunes obscènes et se déplacent en jets privés. Cette flagrante contradiction a alimenté la mobilisation des Gilets jaunes en France (« taxe carbone ») – et les mouvements de masse, dans de nombreux pays ex-coloniaux, contre les coupes du FMI dans les aides à l’achat de carburant.

Les marxistes doivent s’opposer à ces mesures et prétendues « taxes vertes ». Ces taxes minent la consommation des ménages sans toucher aux profits des grandes entreprises. Elles placent le fardeau de la crise sur le dos de la classe ouvrière et des classes moyennes. De telles taxes sont réactionnaires et rétrogrades ; elles n’ont rien à voir avec l’écologie. Ce sont de simples mesures d’austérité. Nous devons nous tenir aux côtés des Gilets jaunes et réclamer que les capitalistes payent le prix de la crise, et non les travailleurs.

L’impasse de la « décroissance »

Blâmer le « consumérisme » et la « croissance » est un leurre. Ce ne sont pas l’industrie et la production qui abîment l’environnement, mais la façon dont la production est organisée et contrôlée sous le capitalisme. La compétition et la course aux profits génèrent gâchis et pollution : les sociétés programment l’obsolescence de leurs produits afin d’en vendre davantage. La gigantesque industrie publicitaire s’efforce de nous convaincre d’acheter des choses dont nous n’avons pas besoin. Enfin, des entreprises comme Volkswagen enfreignent consciemment les réglementations écologiques, pour réduire leurs coûts et maximiser leurs profits.

C’est la course aux profits, et non la croissance elle-même, qui pose problème. Nous vivons dans un système économique reposant sur la consommation constante de marchandises et sur l’accumulation de profits. Les capitalistes ne produisent pas pour répondre à des besoins, mais pour « faire de l’argent ». Si leurs biens ne sont pas vendus, les entreprises ferment, et des millions de travailleurs perdent leur emploi.

C’est pourquoi la revendication – qui circule dans le mouvement pour le climat – d’une « croissance zéro » ou d’une « décroissance », est réactionnaire. « Zéro croissance » sous le capitalisme, c’est la récession, dont les travailleurs et les plus pauvres font toujours les frais. En somme, la « décroissance », c’est l’austérité permanente.

Les théories de la décroissance sont incorrectes et positivement nocives. L’accent doit être mis sur les conditions de la production économique et non sur la consommation et les « choix des consommateurs ». Que valent les boycotts individuels face à l’anarchie et au chaos du marché ? Nous avons besoin, non d’actions isolées de quelques consommateurs « éthiques », mais d’une planification rationnelle de l’économie, contrôlée démocratiquement par les travailleurs et les consommateurs.

Même si nous décidions collectivement de réduire notre consommation, comment serait-il possible de limiter une production entièrement possédée, contrôlée et dirigée par la classe capitaliste ? Comment réduirions-nous l’industrie de la viande ? Comment limiterions-nous la population ? Qui déciderait ce qu’il faut produire et dans quelles quantités ? Il suffit de poser ces questions pour comprendre l’absurdité de l’écologie individualiste et le caractère réactionnaire de toute forme de malthusianisme.

La crise du coronavirus a clairement montré les limites de l’approche individualiste et réactionnaire des néo-malthusiens : l’économie mondiale s’est arrêtée, les avions ont cessé de voler, les rues se sont vidées, la demande en pétrole s’est effondrée et la consommation des ménages a fortement baissé. Il en a résulté une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 8 %. Cependant, il faudrait qu’une telle réduction advienne tous les ans pour parvenir aux objectifs de la décennie et limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.

Comme le montre l’impact de la pandémie, des changements importants au sein du capitalisme ne peuvent avoir lieu que de façon chaotique, catastrophique, au prix d’une sévère dépression économique et d’une montée brutale du chômage, de la pauvreté et de la faim. En outre, de tels changements ne toucheraient encore que la surface du problème. Il est nécessaire d’opérer une transformation profonde, radicale, de la production – et même de toute l’organisation sociale – afin de réduire au niveau requis nos émissions de gaz à effet de serre.

Pour une solution collective et radicale

Il ne faut pas chercher à changer les modes de vie personnels, à réduire la consommation individuelle ou à revenir à des formes plus primitives de production (la « désindustrialisation »). Les moyens technologiques et scientifiques existent, aujourd’hui, pour produire la quantité de biens nécessaires pour permettre à chaque habitant de cette planète de mener une vie décente et confortable. Ce qui est nécessaire, c’est un changement systémique, fondamental et international de notre système économique.

Sous le capitalisme, la technologie développée pour accroître la productivité peut aboutir, paradoxalement, à détruire le potentiel de croissance. On le voit dans les progrès récents de l’agriculture, où l’usage intensif des insecticides et des fertilisants artificiels a décimé des populations d’insectes, appauvri les sols et pollué les réserves d’eau. De même, l’industrie et les transports actuels, en polluant et en rejetant des gaz à effet de serre, détruisent le milieu naturel dont dépend l’humanité tout entière.

Les faits confirment ce que Marx expliquait dans Le Capital, à propos de la production agricole sous le capitalisme : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps est un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. […] La production capitaliste ne développe donc la technique […] qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ».

Ce n’est pas, chez Marx, un argument contre la technologie et l’industrie, ni un plaidoyer pour la « désindustrialisation » ; c’est une dénonciation de la propriété privée, de l’anarchie du marché et de la course aux profits. C’est un argument en faveur d’une planification socialiste : il faut mettre la science et la technologie au service des peuples et de la planète – et non plus des profits de quelques-uns.

En somme, c’est une question de classe. Qui possède ? Qui décide ? L’anarchie du capitalisme détruit l’environnement. Il nous faut planifier – rationnellement et démocratiquement – la façon dont nous utilisons les ressources terrestres, et développer en conséquence les technologies nécessaires. Cependant, on ne peut planifier ce qu’on ne contrôle pas, et on ne peut contrôler ce qu’on ne possède pas.

Dans de nombreux pays, des organisations et des partis politiques libéraux ont tenté de contrôler et de récupérer le mouvement pour le climat, dans le but de vider les manifestations et les revendications de ses militants de tout contenu radical. Des ONG comme Greenpeace ont souvent pris la tête – bureaucratiquement – de la mobilisation, pour y prêcher une ligne « politiquement ouverte » (droite comprise). Même des groupes militants comme Extinction Rebellion sont tombés dans ce piège, qui consiste à dépolitiser les enjeux écologiques et, dans le même temps, à convier les politiciens de tous bords à se réunir pour en discuter.

Or le problème du dérèglement climatique est politique. Ce sont les capitalistes et leur système qui conduisent la planète à la ruine. Travailler avec des partis bourgeois et faire appel à des politiciens soumis aux intérêts des grandes entreprises est non seulement futile, mais dangereux : c’est le plus sûr moyen de vider le programme du mouvement de toute substance. Ces politiciens défendent les intérêts de la classe capitaliste et non ceux de la société ou de l’environnement. Le mouvement ne doit placer en eux aucun espoir, aucune confiance, pas plus qu’il ne doit croire aux bonnes intentions des ONG et des libéraux, qui cherchent avant tout à atténuer la radicalité des revendications.

« Green New Deal » ?

Les partis verts ont connu une notable progression électorale, conséquence des préoccupations environnementales croissantes des électeurs – et du discrédit qui frappe les partis traditionnels. Cependant, les dirigeants verts ne sont que des libéraux, qui n’ont pas la moindre intention de combattre le système capitaliste. L’exemple du gouvernement de coalition autrichien (Verts et Conservateurs) est révélateur. Ils sont tombés d’accord sur un programme qui vise à « réduire les émissions » et… l’immigration. Le masque « progressiste » des verts est tombé, révélant leur véritable visage.

Ailleurs, cependant, des pas importants ont été faits pour établir une liaison entre la question environnementale et les combats politiques de la gauche. La revendication d’un Green New Deal, notamment, est devenue un cheval de bataille des gauches britannique et américaine. Au début de l’année 2019, la députée Alexandria Ocasio-Cortez a présenté une résolution, à Washington, appelant le gouvernement fédéral à réduire les émissions carbone en investissant massivement dans les énergies renouvelables et la création de métiers « verts ». Au Royaume-Uni, le Parti travailliste est allé encore plus loin lors de sa Conférence annuelle de 2019, en adoptant une motion pour un « Socialist Green New Deal », basé sur la propriété publique et le contrôle démocratique des travailleurs sur les moyens de production.

En réalité, pourtant, le Green New Deal est un slogan assez creux, que chacun peut remplir selon ses désirs. On le voit dans la grande variété des soutiens du projet d’Ocasio-Cortez, parmi lesquels des personnalités de la droite du Parti Démocrate, tels Biden, Buttigieg et Klobuchar.

Les vagues projets de Green New Deal sont, au fond, des projets keynésiens de réguler et de diriger le système capitaliste. Mais le capitalisme ne peut pas être dirigé. On ne peut ni le domestiquer, ni le verdir. Tant que l’économie sera basée sur la course aux profits, les grandes fortunes dicteront leurs volontés aux gouvernements – et non l’inverse. Bref, au lieu de viser un changement de système, les revendications keynésiennes d’un Green New Deal cherchent à sauver le capitalisme de lui-même.

Une étude fréquemment citée montre que 100 grandes entreprises (principalement des producteurs de carburants fossiles) sont responsables de plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Plus récemment, une autre étude a révélé que 20 sociétés avaient généré un tiers de tout le CO2 émis depuis 1965. De même, seuls 3 à 10 % des déchets produits dans les pays capitalistes avancés viennent de la consommation des ménages ; tout le reste résulte des processus industriels de production, de construction et d’extraction minière.

Ces éléments soulignent la véritable origine de la crise environnementale. Ils indiquent clairement la solution : ces entreprises doivent devenir publiques et passer sous le contrôle démocratique des travailleurs, dans le cadre d’une planification rationnelle et socialiste de la production. Alors, seulement, pourrons-nous bâtir une économie durable, où l’amélioration globale des conditions de vie ne se fera pas au détriment de l’environnement.

Entre des mains privées, les grands monopoles génèrent des niveaux obscènes de gâchis et de dommages environnementaux. Cependant, une fois nationalisés dans le cadre d’une planification socialiste, ces moyens de production pourront développer des technologies modernes, durables, afin de réduire drastiquement les émissions et la pollution, tout en permettant à tous d’accéder à une nourriture de qualité, à un logement décent, à un système éducatif performant, à un bon réseau de transports et à des services de santé gratuits.

Le mouvement ouvrier

En associant les meilleurs esprits scientifiques aux diverses compétences des travailleurs, sous le contrôle démocratique de ces derniers, nous pouvons mettre les capacités technologiques de la société et ses différentes ressources au service de l’humanité et de la planète. Le plan des ouvriers britanniques de Lucas Aerospace, dans les années 1970, en montre le potentiel. Ces travailleurs de l’industrie militaire et aérospatiale avaient élaboré un projet détaillé, démontrant que les mêmes usines, machines et employés pourraient être réorganisés et redirigés pour produire des équipements technologiques et médicaux avancés, plutôt que des missiles et des armes. Finalement lâchés par la section locale du Parti travailliste et par les dirigeants syndicaux, les ouvriers de Lucas et leur plan alternatif n’en demeurent pas moins une formidable source d’inspiration : ils ont prouvé le potentiel innovateur de la classe ouvrière – et sa capacité à planifier la production.

L’exemple du plan Lucas démontre la possibilité – et la nécessité – d’une « transition climatique ». Il n’y a aucune raison pour que le passage à une industrie verte et la fermeture des usines polluantes fassent grimper le chômage. Les travailleurs peuvent être reconvertis et les usines rééquipées. Mais cela suppose la propriété publique des moyens de production, le contrôle ouvrier et, plus généralement, la planification socialiste de l’économie. Si, à l’inverse, on laisse « le marché » décider de la mise à l’arrêt des industries obsolètes, cela provoquera de nouvelles catastrophes sociales pour la classe ouvrière, à l’image de la fermeture des mines au Royaume-Uni et de la désindustrialisation de la « Rust Belt » aux Etats-Unis.

Cela souligne la nécessité de lier le mouvement pour le climat aux organisations de la classe ouvrière. Dans certains pays, les militants pour le climat ont eu la bonne idée de réclamer le soutien des syndicats. Greta Thunberg elle-même a encouragé ce type de rapprochements, en appelant les travailleurs du monde entier à rejoindre la grève des étudiants et des lycéens. Quelques organisations ont répondu à l’appel et rejoint le mouvement de contestation. C’est la bonne approche, car la question climatique ne touche pas seulement la jeunesse, mais aussi l’ensemble de la classe ouvrière.

Les organisations ouvrières doivent être en première ligne dans le combat contre le changement climatique. Malheureusement, en concentrant leur stratégie sur l’action directe et les coups d’éclat publicitaires, des groupes tels qu’Extinction Rebellion se tiennent à distance du mouvement ouvrier. Leur but premier est de « sensibiliser » l’opinion publique en attirant l’attention des médias par des blocages, des occupations, etc. Lorsqu’il s’est agi, par exemple, de forcer la fermeture de l’aéroport de Londres au moyen de drones, ils n’ont pas pensé à contacter les syndicats du site, alors même que les employés (y compris les bagagistes et les pilotes) s’apprêtaient à faire grève. Un tel mouvement coordonné aurait pu paralyser l’aéroport – et sensibiliser l’ensemble des travailleurs – plutôt que d’échouer lamentablement, comme ce fut le cas, finalement, du plan d’Extinction Rebellion.

Un programme révolutionnaire

Plutôt que de s’engager dans des actions frivoles et apolitiques, le mouvement pour le climat doit se baser sur la mobilisation massive des travailleurs et de la jeunesse, autour de revendications socialistes claires. Armée d’un tel programme, le pouvoir de la classe ouvrière organisée serait colossal. Les marxistes l’ont toujours dit : pas une ampoule ne brille et pas une roue ne tourne sans la permission de la classe ouvrière.

Les mouvements sociaux et politiques de gauche connaissent une croissance dans le monde entier. Il faut maintenant que le militantisme et la radicalité des jeunes engagés pour le climat s’intègrent au mouvement plus large de la classe ouvrière, autour d’un programme socialiste et écologique ambitieux, capable de mobiliser l’ensemble de la jeunesse et des travailleurs. Un tel programme devrait inclure les revendications suivantes :

- Nationaliser les grands monopoles de l’énergie, les entreprises produisant des carburants fossiles et leurs réseaux de transmission, sous le contrôle démocratique des travailleurs, afin d’ôter notre approvisionnement en énergie des mains des profiteurs et des barons du pétrole. Nous pourrons alors investir massivement dans les énergies renouvelables et cesser progressivement d’utiliser des combustibles fossiles, tout en réduisant les prix pour les consommateurs.

- Exproprier les entreprises du bâtiment – et placer la terre et les banques sous propriété publique. Ainsi pourrons-nous entreprendre un vaste programme public d’isolation des logements existants et de construction des logements sociaux neufs, de haute qualité et de haute efficience énergétique.

- Nationaliser tous les moyens de transport collectifs : chemins de fer, métros, bus, tramways, transports aériens et maritimes. Remplacer le chaos actuel par un vaste système de transports publics gratuits, écologiques, coordonnés, intégrés et de haute qualité. Nationaliser les entreprises des secteurs automobile et aérospatial, sous le contrôle démocratique des salariés, afin d’investir dans des véhicules et des avions plus respectueux de l’environnement.

- Mettre toutes les ressources naturelles (la terre, les mines, les cours d’eau et les forêts) sous propriété publique et contrôle démocratique : on ne doit pas permettre au capitalisme et à l’impérialisme de continuer à ravager la planète au nom du profit. Il faut mettre en œuvre un vaste programme de reforestation et de construction de digues contre les inondations.

- Chasser les grandes entreprises des universités. La recherche et le développement doivent être financés par de l’argent public, dirigés démocratiquement et orientés vers les intérêts de la société – et non vers les profits des multinationales.

- Mettre en œuvre le contrôle et la gestion démocratiques des salariés dans toutes les industries nationalisées et dans les services publics. Un plan doit être élaboré par les travailleurs (sur le modèle du plan Lucas) pour mettre en œuvre la transition vers une production plus respectueuse de l’environnement.

Loin d’ignorer la question de l’environnement, Marx et Engels y portaient un grand intérêt. Leur conclusion, qui est aussi la nôtre, est qu’il ne sera pas possible de mettre fin à la destruction de la nature sur la base de l’anarchie capitaliste. Seule une planification socialiste permettra un développement harmonieux de l’humanité et de la nature. Comme l’écrivait Engels: « Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. […] Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement »

Seule une transformation socialiste de la société nous permettra de satisfaire les besoins de la majorité en harmonie avec l’environnement, plutôt que de générer des profits pour une minorité parasitaire. Les sciences et les technologies permettant de lutter contre le dérèglement climatique existent déjà. Mais, sous le capitalisme, ces forces détruisent la planète plutôt que de la sauver. Socialisme ou barbarie : telle est l’alternative qui s’offre à nous.

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