L’économie française est actuellement dans une phase ascendante du cycle économique. Cependant, comme nous l’avons déjà expliqué dans les numéros précédents de La Riposte la croissance de la production se fait largement au détriment des conditions de travail, des salaires, et en augmentant le taux d’exploitation des salariés. La croissance du PIB est une chose, la répartition des richesses en est une autre.

Toujours est-il que les dirigeants socialistes et communistes se sont tous convertis à l’économie de marché, et le gouvernement actuel, trahissant ses engagements, a privatisé plus que Balladur et Juppé réunis. "A Bercy comme à l’INSEE, on voit l’avenir en rose", pouvait-on lire dans Le Monde du 26 mai dernier. Dans une édition récente du bulletin interne du Parti Socialiste, Michel Sapin, "expert" économique, se félicite du "cycle vertueux" à l’œuvre dans l’économie française, qui permettra, selon lui, de réduire les inégalités, d’éliminer le chômage et, à terme, d’assurer le bien-être de tous. Martine Aubry est, elle aussi, persuadée que le capitalisme, pour peu qu’il soit bien géré, est tout à fait capable d’assurer une expansion économique durable et de faire reculer définitivement la misère, le chômage, et les inégalités sociales en général. Selon le Premier Ministre, la croissance pourrait permettre un retour d’ici une dizaine d’années à une situation de plein emploi. Il existerait en France, selon le discours gouvernemental, un "climat de confiance", un "optimisme ambiant", favorisant une croissance économique "forte et durable". Cette confiance dans le capitalisme est-elle justifiée ? L’économie de marché est-il aussi viable qu’ils le prétendent ? Quelles sont réellement les perspectives pour le capitalisme en France ?

Pour répondre à ces questions importantes il faut revenir brièvement sur quelques-unes unes des lois fondamentales de l’économie capitaliste. Celle-ci procède par des cycles successifs de croissance et de récession. Fondamentalement, ce cycle s’explique par le fait que les producteurs, à savoir les salariés, ne reçoivent qu’une partie de la valeur de ce qu’ils ont produit et, par conséquent, ne peuvent jamais racheter la totalité de ce qu’ils produisent. D’où le caractère convulsif de la production et les crises de surproduction. En outre, si le phénomène de surproduction n’est pas une donnée permanente mais seulement cyclique, c’est parce que, pendant un certain temps, une croissance de la production crée sa propre demande sous forme de salaires, sachant que tout ce qui est produit n’est pas immédiatement destiné à la consommation courante. Une fois survenue, la crise de surproduction entraîne la destruction d’une partie des forces productrices (fermetures, licenciements, fusions), réduisant ainsi l’offre par rapport à la demande.

Par rapport à ce schéma général (plus complètement expliqué dans une brochure remarquable de Marx, Salaire, Prix, et Profit) il faut tenir compte de la fonction du crédit. Par le biais du crédit, la demande peut être artificiellement soutenue. Par conséquent, il a pour effet de retarder temporairement la saturation du marché. L’expansion du crédit est une façon de puiser dans des valeurs non encore créées et de les injecter dans l’économie présente. Il s’agit là d’un élément très important pour la compréhension de la conjoncture économique actuelle.

Le marché le plus important du monde est celui des États-Unis. Le marché américain consomme à lui tout seul 28% de toute la production mondiale. Ce qui se passe aux États-Unis sur le plan économique a un impact déterminant sur l’économie française, puisque c’est la croissance de la demande et de la production aux États-Unis qui constitue le facteur principal dans l’évolution de l’économie européenne. Autant dire que les perspectives pour l’économie européenne et française dans les années à venir seront dans une large mesure conditionnées par celles de l’économie américaine.

Une accumulation massive de capitaux fictifs

En janvier 1995, l’indice de Wall Street, qui indique la croissance générale des valeurs boursières, était à 3500. En janvier 1996, il était à 5000, en 1997 à 6500, en 1998 à 7900, en 1999 à 9200 et se situe actuellement à plus de trois fois sa valeur de 1995 ! Ces cours reflètent la demande spéculative sur les actions en bourse. Puisque les valeurs augmentent, il vaut mieux en acquérir. Et puisque qu’on en demande les valeurs augmentent encore. Le problème, c’est que les capitalisations boursières qui résultent de cette spirale spéculative n’ont plus rien à voir avec la rentabilité réelle et la performance productive des entreprises. Pour citer un exemple particulièrement flagrant, l’entreprise e-Buy, spécialisée dans la vente aux enchères sur Internet, avec seulement 138 salariés et une rentabilité si faible que ses actionnaires devraient attendre 6 662 ans pour retrouver leur mise, compte tenu du niveau actuel des dividendes. Pourtant, cette même entreprise a une capitalisation boursière de 100 milliards de francs, soit deux fois celle de Renault ! Les actions de Microsoft ont augmenté de 360% en deux ans. Les actionnaires parient sur une rentabilité théorique future, mais en général, selon les estimations de Merill Lynch et d’autres institutions bancaires, et compte tenu des performances réelles des entreprises américaines, la bourse new-yorkaise est surévaluée d’au moins 30% alors que le taux de rentabilité réel des entreprises américaines est en baisse depuis 3 ans. Au demeurant, avec les liquidités provenant des acheteurs d’actions, les entreprises financent leurs investissements, les ménages engagent des frais, consomment, et les banques tirent des bénéfices énormes de la masse grandissante de transactions en tous genres.

A cette immense masse de capitaux boursiers s’ajoute celle des crédits accordés aux entreprises américaines pour financer leurs investissements. Leur endettement s’élève à 5000 milliards de dollars, soit 60% du PIB des États-Unis, et s’accroît à un rythme de 10% par an ! Et les ménages ne sont pas en reste, avec un endettement collectif de 6000 milliards de dollars, soit l’équivalent en moyenne d’une année entière de la masse salariale de tous les travailleurs des États-Unis ! A noter qu’une partie importante (40%) de la dette des ménages a été contractée auprès de banques étrangères, notamment japonaises, exposant les États-Unis aux aléas d’une économie japonaise, ce "miracle" d’autrefois, elle-même en récession depuis une décennie. Une rechute de l’économie japonaise entraînerait des conséquences importantes sur le marché intérieur américain. L’endettement des ménages américains a fini par éliminer complètement leur épargne, qui est passée en négatif l’année dernière. Enfin, pour compléter le tableau, signalons que l’expansion de la demande aux États-Unis a mené à une croissance des importations et un déficit commercial égal à 3,5% du PIB.

Autrement dit, la croissance de l’économie américaine est largement fondée sur une masse monétaire en plein dérapage par rapport aux richesses réellement créées. Elle ne se poursuit qu’en se dopant aux capitaux fictifs. Il s’agit d’une bombe à retardement économique qui, en explosant, plongera le monde entier dans une récession. Ne nous attardons pas ici sur le prétendu "nouvel âge" du capitalisme et de la soi-disant "nouvelle économie", dont les tenants imaginent bêtement que les lois économiques "classiques" ne sont plus valables depuis l’invention d’internet. Les nouvelles technologies informatiques ne changent strictement rien concernant le fonctionnement de base du capitalisme, pas plus que l’invention des chemins de fer, des avions ou du téléphone dans le passé. Internet ou pas, lorsque la masse monétaire devient démesurée par rapport à la valeur totale des marchandises qui circulent, la monnaie perd sa valeur, entraînant une hausse des prix et une érosion des revenus.

Les prix à la consommation sont repartis à la hausse aux États-Unis et l’annonce de l’indice des prix pour le mois d’avril a immédiatement fait plonger les indices boursiers, enrayant un quart des valeurs, avec des répercussions similaires sur toutes les places financières du monde. C’est dans ce contexte que la Réserve Fédérale a augmenté et augmentera encore ses taux d’intérêt. Par ce mécanisme, elle cherche à restreindre la quantité de crédit qui circule et à défendre ainsi la valeur du dollar sur les marchés financiers. La stratégie de la Réserve Fédérale est d’effectuer une contraction graduelle de la demande et d’éviter un "krach" comme celui de 1929. Mais, comme le disait Napoléon Bonaparte, "En politique, il y a des situations dont on ne peut sortir que par la faute" : Monsieur Alan Greenspan se trouve justement dans une telle situation. Le fait d’augmenter les taux d’intérêt afin de maintenir la position du dollar pourrait bien être perçu pour ce qu’il est, c’est-à-dire comme la preuve de la surévaluation et donc de la fragilité du dollar, et du coup précipiter l’effondrement boursier et monétaire qu’il cherchait à éviter.

Nous ne pouvons pas dire avec certitude qu’un krach du type 1929 se produira. En dernière analyse, que la contraction de la demande ait lieu subitement ou graduellement, les répercussions à terme sur la population américaine et sur le reste du monde seront de toute façon absolument dramatiques. Cependant, il faut dire que le recours massif au crédit, qui a été longtemps toléré par la Réserve Fédérale dans l’espoir de prolonger la croissance, a atteint aujourd’hui des proportions tellement importantes qu’un krach semble désormais être la perspective la plus probable.

Compte tenu des graves déséquilibres de l’économie américaine, la récession qui approche sera particulièrement sévère et ses conséquences sociales colossales. Un krach boursier, qu’il soit brutal ou plus étalé dans le temps, réduira d’emblée les revenus des 50% de ménages américains qui possèdent un portefeuille d’actions, et plongera beaucoup de ces ménages dans les abîmes du surendettement. La consommation se ralentira fortement, entraînant des faillites et une recrudescence du chômage. Comme le miracle japonais ou sud-est asiatique avant lui, le nouveau rêve américain va se transformer en cauchemar.

Les répercussions d’un krach en Europe

On raconte qu’en Afrique, il existe une variété de singe qui couvre ses yeux d’une feuille pour ne pas voir le chasseur, imaginant que ce geste suffit à faire disparaître celui-ci. Sans vouloir offenser les enthousiastes de la "croissance forte et durable", leur comportement n’est guère moins dérisoire que celui de ce singe. L’embellie actuelle de la production en France repose essentiellement sur la forte chute de l’euro (-25% par rapport au dollar depuis son lancement), laquelle favorise considérablement les exportations. Mais l’affaiblissement de l’euro n’a pas que des effets positifs. En renchérissant les importations il finira par augmenter l’inflation et par réduire la demande intérieure des marchés européens. Ce n’est qu’une récession américaine qui permettra à l’euro de remonter, mais cette même récession, par le biais de la contraction du marché américain et par le renchérissement des exportations européennes, arrêtera d’un coup sec la croissance de l’économie européenne et la fera chuter à son tour.

Selon les analyses de la banque Merill Lynch, la dépendance des trois principales bourses européennes (Londres, Francfort et Paris) vis-à-vis de Wall Street se situe entre 91% et 99% ! Autant dire qu’une baisse des cours américains entraînerait automatiquement et immédiatement une chute quasi identique en Europe, frappant le niveau d’activité économique en général. Que deviendront alors les emplois-jeunes, les CDD, les intérimaires, et toutes les autres formes d’emplois précaires ? Que deviendront Renault ou Michelin, ou les milliers de start-up dont on parle tant ? Enfin, que deviendra le portefeuille boursier de 400 milliards de francs détenu par le gouvernement actuel et dans lequel il voit une "garantie" pour les retraites des générations futures ?

Si nous avions des dirigeants socialistes et communistes plus dignes de ces noms, au lieu de se mettre à genoux devant le "marché" et de bercer l’électorat avec l’illusion de "l’économie nouvelle", ils seraient en train de prévenir la population de la réalité de ce qui l’attend si le capitalisme reste en place et de la mobiliser pour y mettre fin. Puisque ce n’est pas le cas, la récession prochaine, plutôt que d’augmenter le prestige et la crédibilité des directions des partis de gauche, les discréditera irrémédiablement. La récession ouvrira une période de conflits et de crises profondes dans le Parti Socialiste, dans le Parti Communiste et dans les organisations syndicales. Tel sera le prix à payer pour la myopie politique des Jospin, Fabius, Hue et Gayssot de ce monde.

Un krach aux États-Unis signifiera une récession mondiale. En France, un retournement de la situation économique, surtout si elle est brutale, pourrait momentanément "assommer" le mouvement social, d’autant plus que ses directions syndicales et politiques ne l’auraient nullement préparé à ce développement. Mais avant tout, la récession remettra la nécessité d’un programme authentiquement socialiste à l’ordre du jour. Le programme du socialisme, abandonnés par les directions actuelles, doit être rétabli dans les syndicats, dans le PCF et le PS. C’est là toute la portée du travail entrepris par La Riposte, qui s’adresse à tous les syndicalistes et militants de gauche qui aspirent à ramener leurs organisations aux idées combatives et socialistes qui inspiraient leurs fondateurs.

Propriété privée ou propriété sociale ?

Le socialisme n’a rien d’utopique. Bien au contraire, face à l’exploitation, aux inégalités sociales, il offre la seule issue pratique et viable du point de vue des salariés. Autant on peut et on doit se battre pour la défense des services publics, pour faire reculer la pauvreté et le chômage, autant les grands groupes qui dominent l’économie reviendront sans cesse à la charge. La reprise actuelle n’a pas empêché les employeurs de s’attaquer durement aux acquis sociaux. En période de récession, ils se serviront encore plus de leur pouvoir pour faire porter le fardeau de la crise aux salariés, aux chômeurs, aux jeunes et aux retraités. C’est pourquoi la gauche doit revenir au programme de la socialisation des moyens de production.

Si l’on fait abstraction des aspects les plus malsains de l’activité des capitalistes, tels que le chantage à l’emploi, la spéculation, le pillage des pays sous-développés, la corruption et le militarisme, il leur reste une fonction proprement économique. En tant que propriétaires de l’outil productif, ils réinjectent une partie de la plus-value créée par les salariés dans l’économie. Cependant, ils le font toujours selon leurs intérêts égoïstes, afin d’augmenter la rentabilité du capital investi.

Une fois que les grands moyens de production seront dans le domaine public et soumis à une gestion et une planification démocratiques, les décisions concernant l’utilisation des richesses pourront être prises, non plus dans un but de profit privé, mais dans l’intérêt du bien public.

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