Le mercredi 26 août sortait le blockbuster américain Tenet, dont le succès cristallise les espoirs de sauver une industrie mise à mal par le Covid-19, et laissée de côté par le gouvernement. Pourtant, même si le film est un succès en salles, le futur du cinéma reste incertain.

Une crise mondiale

Les temps sont durs pour l’industrie du cinéma. Violemment touché par le Covid-19, le cinéma français, pourtant florissant et lucratif était en chute libre cet été. La raison ? Tout d’abord les restrictions dans les salles, pour respecter les distanciations sociales, mais surtout un manque de gros films américains, dont les sorties – indéfiniment repoussées – ont privé les salles de millions de spectateurs potentiels, faisant chuter la fréquentation des salles de 70 %. Pour être viable, la fréquentation aurait dû être quatre fois plus importante. De nombreux cinémas indépendants, dont le célèbre Grand Rex, ont même préféré fermer leurs portes pendant le mois d’août pour éviter de trop grandes pertes.

Des entreprises liées au milieu du cinéma ferment aussi tout simplement leurs portes, comme Ymagis, entreprise spécialisée dans le traitement du son et de l’image pour les salles de cinéma, placée en redressement judiciaire, laissant dans le flou l’avenir de ses 250 salariés français. Le système de financement du cinéma français est lui aussi mis en danger par cette crise. Il est en effet majoritairement financé par un pourcentage sur les billets de cinéma, et se trouve fragilisé par une coupe de 350 millions d’euros ces dernières années.

La concurrence du streaming légal

Cette crise ne concerne pas que le marché français, elle est mondiale. Partout dans le monde, le cinéma en salle s’écroule – à cause de la crise du Covid-19 – mais aussi de la féroce et compétitive concurrence des sites de streaming. En effet, pendant le confinement, les sites de streaming avec abonnements, tels que Netflix et Amazon Prime, ont vu leurs chiffres d’affaires exploser. Netflix a par exemple vu son chiffre d’affaires augmenter de 28 %, du jamais vu.

Cette situation intéresse évidemment les grands studios, qui, motivés par le profit décident de court-circuiter l’industrie du cinéma en salle. En France, on a ainsi pu constater la vente des droits de diffusion de grands films européens directement à Amazon Prime (Pinocchio ou encore Brutus vs César), au grand dam des exploitants. La multinationale Disney, véritable mastodonte du divertissement mondial, a préféré diffuser directement son très attendu Mulan sur sa propre plateforme Disney + à un prix défiant toute concurrence (22 € à l’achat en Europe, mais gratuit en France, alors qu'une sortie au cinéma en famille coûte bien plus cher).

Cette logique est déjà suivie par le studio Universal, qui proposera ses films aux Etats-Unis sur les plateformes de vidéo à la demande seulement 17 jours après leur sortie en salle – à des prix toujours plus compétitifs. Pour les grands studios, la logique est simple, passer par les services de streaming est beaucoup plus profitable. Les studios deviennent détenteur de tout le développement du film, de leur production à leur diffusion.

Les cas de Mulan et d’Universal deviendront sûrement un exemple à suivre pour les autres grands studios, qui leur permettront de maximiser leurs profits en monopolisant toute la chaîne de diffusion sans se préoccuper d’intermédiaires. Cette logique risque d’être assassine pour les petites structures. En effet, paradoxalement dans le système du cinéma français, les films américains à gros budget sont de véritables moteurs pour le marché du cinéma. L’argent engendré par les gros blockbusters est réinjecté dans le système permettant de financer des salles arts et essais ou encore des films à petits budgets. Sans les films américains, la diversité culturelle et artistique que génèrent ces petites structures risque tout simplement de disparaître. Le capitalisme n’a jamais été tendre avec le monde de la culture, et plus particulièrement lorsqu’il est en crise.

La culture n’a d’intérêt pour les capitalistes que lorsqu’elle est profitable, et les mots de la nouvelle ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, ne contredisent pas cette affirmation. Cette dernière a en effet affirmé qu’elle n’irait pas « pleurnicher » pour « réclamer des sous » pour soutenir la culture. De son côté, Jean Castex a annoncé le 26 août un plan de relance de 2 milliards d’euros pour la culture en général alors que le manque à gagner pour le secteur serait plutôt d’environ 22,5 milliards. Face à cette incapacité du système capitaliste à sauver la culture, il est intéressant de se pencher sur le cas d’une industrie du cinéma nationalisée, l’industrie du cinéma soviétique après la révolution d’octobre.

Pour un cinéma nationalisé

La période ayant suivi la révolution d’octobre 1917 fut une période riche et enivrante pour le cinéma. Nationalisé en 1919, il permit à des génies comme Eisenstein ou encore Dziga Vertov de pouvoir tourner des chefs d’œuvre, qui changèrent pour toujours la façon dont on pensait et faisait du cinéma. Grâce à la nationalisation et en dépit des conditions matérielles désastreuses et de l’invasion de 21 armées étrangères, le nombre de films produits en URSS tripla en quelques années. L’Etat se chargea aussi d’implanter le cinéma dans les campagnes, alors économiquement reculées. Les films d’avant-garde et révolutionnaires y ont rencontré un grand succès. On peut estimer, par exemple, que Le cuirassé Potemkine a été vu par plus de 2,1 millions de spectateurs, un succès énorme pour l’époque. Un cinéma populaire, révolutionnaire et accessible au plus grand nombre. Autant d’avancées historiques qui seront étouffées par le régime stalinien.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, les premiers résultats financiers de Tenet ont été dévoilés. Distribué en grande pompe à travers tout l’hexagone, le blockbuster de Christopher Nolan à une allure messianique pour l’ensemble de l’industrie du cinéma, et a réalisé un solide démarrage – près d’un million d’entrées en une semaine, ce qui en fait le meilleur lancement de 2020 : il a ainsi attiré 40% des spectateurs d’une semaine. Il a aussi fait un bon démarrage en Amérique du Nord, en dégageant 146 millions de dollars de recettes. Mais ce succès doit cependant être relativisé, car il faut arriver à plus de 500 millions de dollars pour le rentabiliser. Warner Bros a rappelé qu’aucune conclusion ne peut être tirée au vu de la situation actuelle.

Malgré ces chiffres, une chose est sûre, nous ne pouvons pas laisser l’avenir du cinéma aux mains des capitalistes, qui ne font que le sacrifier pour accroître encore davantage leurs profits. Pour en sauver sa diversité, son accessibilité, il n’y a qu’une seule solution : la nationalisation. Ainsi, le cinéma pourra rester un art innovant et populaire, car, comme disait Lénine : « de tous les arts, le cinéma est le plus important ».

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