« Quels que soient sa qualité, son niveau, sa finesse, sa capacité créatrice, son succès, le poète, pour la bourgeoisie, ne peut qu’être :
serviteur, 
bouffon, 
ou ennemi
 »

L’auteur de ces lignes, le poète salvadorien Roque Dalton (1935-1975), était un ardent défenseur de la classe ouvrière et, par conséquent, un farouche ennemi de la classe capitaliste.

L’oligarchie salvadorienne sut – avec l’aide des Etats-Unis – se hisser au rang d’avant-garde de la répression mondiale. Elle savait traiter ses ennemis « comme il se doit », et Roque Dalton en était un. Arrêté, jugé, incarcéré, torturé, puis finalement contraint à l’exil, il fut par deux fois condamné à mort. Mais par deux fois, il échappa à la sentence, dans des circonstances extraordinaires. La première fois, un coup d’Etat, la veille de la date prévue pour son exécution, lui permit d’être amnistié. La deuxième fois, un tremblement de terre fit s’effondrer les murs de sa prison, dont il s’échappa.

Auteur infatigable, Roque Dalton consacrait ses quelques moments de répit à la poésie. A la différence des vers de Pablo Neruda – qu’il admirait, cependant – son langage était celui du peuple. Les expressions populaires sont intimement liées à sa poésie. Un autre trait caractéristique de la poésie de Dalton est l’humour. Le recours au rire, à la dérision, aux jeux de mots, qu’il manipulait à merveille, l’a rendu très populaire : il passait pour « l’homme qui fait rire les pierres ».

Dalton adhère au Parti Communiste Salvadorien en 1957. Dans les années 70, celui qui « vint à la révolution par la voie de la poésie » rentre clandestinement au Salvador – il était en exil à Cuba – et rejoint la lutte armée dirigée par l’ERP (l’Armée Révolutionnaire du Peuple).

Les circonstances de sa mort le rendirent tragiquement célèbre. Sa chance intriguait ; ses désaccords avec la direction de l’EPR irritaient. Celle-ci l’accusa alors de tentative de sédition et d’intelligence avec la CIA. Il n’échappera pas à sa troisième condamnation à mort, en 1975.

Un de ses poèmes rend bien compte de l’atmosphère étouffante qui régnait à l’époque, dans le mouvement révolutionnaire salvadorien :

Toute critique de l’Union soviétique
ne peut être que le fait d’un anti-soviétique.

Toute critique de la Chine 
ne peut être que le fait d’un anti-Chinois.

Toute critique du Parti Communiste Salvadorien
ne peut être que le fait d’un agent de la CIA.

Toute autocritique équivaut à un suicide.

Plus tard, l’histoire prouva que Roque Dalton était innocent. Par contre, la direction de l’EPR abritait un homme qui allait ouvertement trahir la révolution : J. Villalobo, signataire des « accords de paix » de 1992, travaille aujourd’hui en Grande-Bretagne, où il fait profiter de son expérience de la guérilla aux services de contre-insurrection britanniques.

La guerre civile

La guerre civile, au Salvador, qui ne commença officiellement qu’en 1980, se « termina » en 1992. Elle fit – toujours officiellement – 70 000 morts.

Le Salvador connut d’abord une guerre de « haute intensité » : la première grande offensive du FMLN – le Front Farabundo Marti pour la Libération Nationale, qui rassemblait 5 grandes organisations armées – aurait pu renverser le gouvernement en quelques jours, si Washington n’avait pas eu ses intérêts à défendre. A coup d’hélicoptères, de fusils, de munitions, d’« instructeurs militaires », etc., l’impérialisme américain entreprit de sauver la « démocratie », et plongea le pays dans une longue guerre civile.

Puis suivit la guerre dite de « basse intensité ». L’idée est née d’un premier constat : envoyer des troupes de l’armée fédérale dans la sierra pour tenter d’y déloger les guérilleros, était synonyme de suicide. Kissinger formula donc la nouvelle stratégie dans les termes suivants : « si on ne peut pas tuer le poisson, on peut toujours lui retirer l’eau dans laquelle il nage ». La stratégie consistait donc à couper la guérilla de ses bases, en finançant de colossales campagnes de propagandes anti-communiste, en enrôlant de force la population dans l’armée fédérale, en finançant les groupes paramilitaires, ces fameux « escadrons de la mort » qui instauraient un climat de terreur pour briser l’engouement populaire à l’égard de la révolution.

Mais les millions et les millions de dollars qui affluaient dans les caisses de l’Etat salvadorien, l’équipement de pointe et les instructeurs « made in USA » dont disposait l’armée, la répression sanglante qui s’abattait sur la population, ne purent jamais venir à bout de l’incroyable volonté dont le peuple salvadorien faisait preuve, de son courage et de sa détermination.

Après douze années de guerre civile, l’oligarchie salvadorienne dut se résigner à s’asseoir à la table des négociations. Mais les accords qui furent signés ne touchaient pas aux structures économiques. Le pouvoir en place ne fut pas remis en cause, et le peu qui put être gagné ne fut jamais appliqué. Depuis la fin de la guerre, la situation n’a fait qu’empirer. La misère gagne de plus en plus de terrain, et le FMLN, dont les principaux dirigeants ont troqué le fusil du guérillero pour la voiture du député, s’est rallié au « jeu démocratique » – c’est-à-dire à la routine bureaucratique au service de l’oligarchie locale et de ses maîtres impérialistes.

Le peuple salvadorien a écrit les plus grandes pages de son histoire avec son propre sang, mais « les morts, comme l’écrivait Roque Dalton, sont de jour en jour plus indociles ». L’impasse du capitalisme conduira de nouveau le Salvador sur le chemin de la révolution, et les nouvelles générations construiront le socialisme en se souvenant de leurs ancêtres, qui sacrifièrent leur vie pour que l’humanité s’éveille enfin.

Pour finir, voici une traduction de deux poèmes de Roque Dalton :

La propriété privée, en fait,
plus qu’une propriété privée,
est une propriété qui prive.

Et la « libre entreprise » garde la Patrie sous emprise.

Sauvons la propriété
et libérons réellement l’entreprise
en les transformant en propriété et entreprise pour tous.

Pour tous ceux de la Patrie.

* *

Au nom de ceux qui lavent les vêtements des autres 
(et expulsent de la blancheur la crasse des autres)

Au nom de ceux qui gardent les enfants des autres
(et vendent leur force de travail
sous forme d’amour maternel et d’humiliation)

Au nom de ceux qui vivent dans la maison des autres 
(qui n’est pas un ventre accueillant, mais une tombe ou une prison)

Au nom de ceux qui mangent les croûtons des autres
(et encore les mâchent avec le sentiment de voler)

Au nom de ceux qui vivent dans un pays étranger
(les maisons et les usines et les commerces 
et les rues et les villes et les villages 
et les fleuves et les lacs et les volcans et les montagnes 
appartiennent toujours à d’autres
et pour cette raison il y a la police et la garde 
qui les protègent contre nous).

Au nom de ceux qui ne possèdent que
la faim l’exploitation les maladies 
la soif de justice et d’eau
persécution condamnation 
solitude abandon oppression mort

J’accuse la propriété privée
de nous priver de tout.

 

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