Par « question nationale », nous entendons toutes les questions relatives au nationalisme, à l’internationalisme, à l’oppression de nations ou de minorités nationales par les puissances impérialistes.

L’une des caractéristiques prédominantes de notre époque est l’intensification de la division internationale du travail, qui marque de son empreinte l’ensemble des relations sociales, politiques et militaires, à l’échelle mondiale. Aucun pays – aussi puissant soit-il – ne peut s’y soustraire. Ce phénomène est indissociable de la concentration du capital, qui a atteint, elle aussi, un niveau de développement sans précédent. Quelques milliers d’individus, à la tête d’entreprises capitalistes gigantesques, tiennent en leurs mains les destinées de la planète.

Les traits fondamentaux de  l’impérialisme sont la position dominante du secteur financier, la concentration et l’exportation du capital et la conquête – par des moyens « pacifiques » ou par la guerre – de marchés et de ressources naturelles à travers le monde. Les grands groupes capitalistes ont, plus que jamais, intégré les économies « nationales » en une seule économie mondiale. Mais contrairement à ce que prétendent certains intellectuels, cette « globalisation » de l’économie n’est pas un phénomène nouveau. Marx l’avait déjà identifié et expliqué dans Le Manifeste du Parti Communiste, au milieu de XIXe siècle. La domination du secteur financier n’est pas, non plus, un fait nouveau, comme le démontre Lénine dans son Impérialisme, stade suprême du capitalisme, publié en 1916. Seulement, ces caractéristiques de l’impérialisme ont atteint un niveau de développement beaucoup plus élevé qu’à l’époque de Marx et de Lénine.

Par exemple, une seule entreprise de la grande distribution, Walmart, réalise un chiffre d’affaires (351 milliards de dollars) nettement supérieur au PNB de la Belgique (323 milliards en 2005) et deux fois supérieur à celui de l’Afrique du Sud (165 milliards). Les bénéfices de Walmart s’élèvent à plus de 11 milliards de dollars, soit l’équivalent du PNB de la Jordanie. Avec 20 millions de clients par jour, l’entreprise emploie 1,9 million de salariés. Sur le marché américain, un article de consommation courante sur cinq et un jouet pour enfant sur deux sont vendus par Walmart. Le groupe Carrefour réalise un chiffre d’affaires de 77 milliards d’euros et emploie près d’un demi-million de salariés. Selon Forbes magazine (septembre 2007), un seul capitaliste, Bill Gates, possède une fortune personnelle de 59 milliards de dollars, une somme qui suffirait à l’élimination de la pauvreté à une échelle continentale.

Constatant cette « mondialisation », les théoriciens du réformisme, dont les intellectuels « marxiens », en ont tiré des conclusions complètement erronées. Au début de la première guerre mondiale Karl Kautsky a développé une théorie selon laquelle l’interpénétration des économies nationales et le développement d’une économie capitaliste mondiale aboutiraient, à terme, à l’émergence d’un seul « trust » capitaliste mondial, qui réunirait les impérialismes rivaux en un seul impérialisme, sous l’égide d’un seul Etat mondial. Sous le régime de cet « ultra-impérialisme », expliquait Kautsky, il n’y aurait plus de guerres. La paix règnerait sur terre, parce que les rivalités impérialistes qui avaient débouché sur la guerre de 1914 n’existeraient plus.

Cette idée a été reprise, ces dernières années, par des théoriciens petit-bourgeois comme Eric Hobsbawn et Toni Negri. Or, des organisations comme ATTAC, secondées par une légion d’universitaires, de sociologues, d’historiens et d’économistes ont répandu cette théorie dans la jeunesse et le mouvement ouvrier. Les dirigeants du PCF, toujours à l’affût d’idées « nouvelles », se sont appuyés sur les idées de Negri pour justifier leur « anti-libéralisme » réformiste. Hobsbawn et Négri ont repris les idées de Kautsky – en les présentant comme leur propre découverte, naturellement – mais avec une circonstance aggravante. Kautsky présentait cette perspective comme hypothétique et lointaine, en précisant qu’elle pourrait bien ne jamais se réaliser dans les faits. Mais Négri prétend, lui, que les Etats nationaux ont déjà disparu ou sont en voie de disparition, et qu’ils sont déjà remplacés par « l’empire » seul et unique du « capital collectif » ! Ce raisonnement est typique de ce genre de « théoricien » petit-bourgeois, qui voient dans le capitalisme un système tendant à éliminer les contradictions, les sources de conflits et de guerres. En substance, ce n’est qu’une théorisation « de gauche » du « Nouvel Ordre Mondial » annoncé par le père de George W. Bush, en 1990.

Il est assez facile d’abolir les contradictions du capitalisme dans un livre. Mais la théorie de la « non-territorialité » du capitalisme ne correspond à aucune réalité. L’internationalisation de l’économie n’a pas mené et ne peut pas mener, sous le capitalisme, à l’effacement des Etats nationaux. Loin de s’effacer, des frontières s’érigent là où il n’y en avait pas – comme par exemple suite à l’éclatement de l’URSS ou au démembrement de la Yougoslavie. Les grandes puissances se livrent à une lutte impitoyable pour le contrôle des marchés et des ressources naturelles, et pour consolider leurs « zones d’influence ». Le marché « globalisé » est le terrain de bataille des grands groupes capitalistes et des Etats qui les soutiennent.

L’exacerbation des antagonismes nationaux

La guerre en Irak, la guerre en Afghanistan, les menaces proférées contre l’Iran, tout comme les guerres en Afrique et les guerres récentes entre les pays de l’ex-Yougoslavie, sont autant d’expressions de l’exacerbation des antagonismes entre les puissances impérialistes au cours de la dernière période. Elles sont une expression de la contradiction entre le caractère international de l’économie et la division du monde en Etats nationaux. La classe capitaliste de chaque pays, appuyée par les moyens diplomatiques, économiques et militaires de son appareil d’Etat national, s’efforce d’accroître ses profits, son pouvoir et sa position mondiale au détriment de ses rivaux. Sarkozy ne cherche pas à vendre des Boeing et des F16 – ni Bush des Airbus et des Rafales. Le capitalisme signifie la division du monde en entités économiques et étatiques rivales. Tant que le capitalisme existera, il n’en sera pas autrement.

La contradiction entre la division du monde en entités nationales et le caractère mondial de l’économie était à l’origine des deux guerres mondiales, et elle constitue la cause fondamentale de toutes les guerres capitalistes. Par l’annexion de territoires et la destruction massive des moyens de production, les Etats belligérants s’efforcent de surmonter, du moins partiellement, les contraintes imposées par l’Etat national. La nécessité historique du socialisme réside dans le besoin de résoudre cette contradiction par la suppression de la propriété privée des moyens de production et par l’abolition de la forme étatique qui correspond à la rivalité capitaliste, à savoir l’Etat national.

L’Union Européenne, tout comme les traités commerciaux internationaux du type Mercosur, sont des tentatives de surmonter les limites des Etats nationaux en question, face à la puissance économique des Etats-Unis. La monnaie européenne représente, en substance, une parité monétaire fixe entre les puissances européennes rivales. Mais l’euro n’élimine nullement les rivalités entre ces mêmes puissances pour la domination du marché européen. Les antagonismes nationaux persistent. Dans un contexte de stagnation économique prolongée ou de récession, ils seront considérablement exacerbés. L’unification de l’Europe – comme l’unification de l’Amérique latine ou de l’Afrique – est impossible sur la base du capitalisme.

L’émergence de l’Etat national

Marx et Engels expliquaient qu’à un certain stade de leur développement, les forces productives entrent en contradiction avec l’ordre social existant. En France, l’Ancien Régime, avec ses restrictions féodales et semi-féodales tendant à protéger les intérêts de l’aristocratie terrienne, est devenu un obstacle au développement des moyens de production. La nécessité de renverser l’ordre ancien et de libérer les forces de production constituait la force motrice de la révolution de 1789-1794. Il fallait établir un marché national par la suppression des obstacles au commerce et au mode de production capitaliste, dans le but de renforcer la position de la bourgeoisie française en Europe et dans le monde. Il fallait créer un Etat – un système de lois, une administration, un appareil répressif et militaire – pour défendre et augmenter le pouvoir de la bourgeoisie. L’épuisement du mouvement révolutionnaire, notamment après la bataille victorieuse de Fleurus, a inauguré une période de réaction qui a mené à l’instauration du régime bonapartiste. La fonction historique des guerres napoléoniennes était la création d’un environnement international permettant la consolidation de l’accomplissement essentiel de la Révolution française, à savoir la dictature économique et politique de la classe capitaliste.

L’Etat national est donc un phénomène historique récent, dont l’émergence est liée à l’essor de la classe capitaliste. Sa base économique a été préparée progressivement, au cours du Moyen-Age, par le déclin du système féodal et la généralisation de l’économie marchande et des échanges monétaires. Les principaux Etats nationaux d’Europe continentale ont pris forme pendant le siècle qui s’étend de la Révolution française à l’unification allemande, en 1870. Les révolutions bourgeoises, en Hollande et en Grande-Bretagne, avaient eu lieu dans la période précédente. En Hollande, la révolution a pris la forme d’une guerre de libération nationale contre l’Espagne, au XVIe siècle. En Grande-Bretagne, le développement des rapports de production capitalistes et la consolidation de l’Etat national ont été préparés par la guerre civile (1642-1648) et l’établissement de la République, sous Cromwell. En Amérique, la révolution bourgeoise-nationale a été accomplie par la guerre d’indépendance contre la Grande-Bretagne (1775-1783), puis par la guerre contre les « confédérés » sudistes (1861-1865).

La création d’Etats nationaux était un phénomène progressiste, à l’époque. Elle favorisait le développement du capitalisme, et donc la base matérielle et sociale du socialisme. La formidable impulsion donnée au développement des moyens de production, grâce à l’abolition des contraintes féodales, plaçait les premiers Etats capitalistes – ceux d’Europe et les Etats-Unis – à l’avant-garde du progrès humain. Mais le capitalisme européen et américain ne pouvait poursuivre son expansion que par l’assujettissement du reste du monde. La « ruée vers l’Afrique » de l’impérialisme occidental a abouti au découpage du continent africain, au moyen de répressions impitoyables et de guerres particulièrement sanglantes. Le Moyen-Orient, la Chine, le Sud-Est Asiatique et le sous-continent indien ont subi le même sort. Les Etats-Unis ont transformé l’Amérique latine en son « arrière-cour ». Pataugeant dans le sang des peuples soumis, les puissances impérialistes ont consolidé leur emprise sur  l’Afrique et l’ensemble du « Tiers-Monde ».

Révolution anti-coloniale

Lors des insurrections et des guerres de libération nationale qu’ont menées  les peuples colonisés, notamment dans la deuxième moitié du XXe siècle, des centaines de millions de travailleurs, de paysans appauvris et autres « esclaves du capital » se sont soulevés contre l’impérialisme, contre l’oppression et l’exploitation. Les puissances européennes ne pouvaient plus maintenir la domination coloniale directe. Cependant, malgré l’indépendance formelle des anciennes colonies, elles sont restées sous la domination des puissances impérialistes, par le biais du système financier et des termes d’échanges défavorables. La pression du marché mondial pénalise les anciennes colonies, en raison de leur retard technologique. Même dans les pays où la révolution anti-coloniale a abouti à l’abolition du capitalisme – y compris la Chine –, il s’est avéré impossible de maintenir indéfiniment des économies planifiées face à la pression du marché mondial, surtout après la restauration du capitalisme en ex-URSS.

Les ravages de l’impérialisme en Afrique, la pauvreté écrasante dans laquelle vit la masse de la population, les famines, les innombrables massacres et migrations forcées, les guerres « par procuration » auxquelles se livrent la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Belgique et d’autres puissances pour le contrôle des ressources naturelles – tout cela inflige des souffrances terribles aux peuples de ce continent. Malgré l’indépendance nominale des Etats africains, le pillage du continent s’est intensifié massivement depuis l’époque de la colonisation. Dans un pays comme le Nigeria « indépendant », avec ses vastes ressources pétrolières, la majorité de la population sombre dans une misère infernale.  Seules l’unification du continent et une planification socialiste des moyens de production à l’échelle continentale permettraient l’émancipation complète de la domination impérialiste. Sur cette base, au lieu de servir à l’enrichissement des capitalistes des pays impérialistes et des classes dirigeantes indigènes, les immenses richesses du continent africain pourraient rapidement et radicalement transformer les conditions de vie de la masse de la population.

La question nationale ne concerne pas seulement les pays anciennement colonisés et le monde sous-développé. Il n’y a pas une seule région du monde qui ne soit pas touchée par des tensions nationales. Même dans les principaux pays impérialistes, la question nationale se présente sous une variété de formes : en Grande-Bretagne avec la recrudescence du nationalisme en Ecosse et au Pays de Galles, et la division de l’Irlande ; en Espagne avec les nationalismes catalan, basque et galicien ; en Belgique, avec le regain de tensions entre Wallons et Flamands et la possibilité d’une division du pays. Il existe même un mouvement pour la sécession du Nord de l’Italie – la soi-disant Padania – du reste du pays. Même en France, le capitalisme s’est montré incapable de résoudre complètement la question de la Corse. Dans tous les pays, une discrimination s’exerce contre les minorités ethniques et raciales (Maghrébins et Africains en France ; Afro-américains et Hispaniques aux Etats-Unis, etc.). Dans l’ex-URSS, il y a la répression contre les Tchétchènes et d’autres nationalités. En Chine, il y a la discrimination et la répression contre les minorités nationales, dont notamment les Ouigours et les Tibétains. Il y a également la question des Kurdes – dont le territoire est divisé entre l’Iran, l’Irak et la Turquie.

Une organisation révolutionnaire qui céderait à la tentation d’ignorer cette question, ou  de sous-estimer son importance, se rendrait incapable de réaliser sa mission historique. « Nier » la question nationale ne la fera pas disparaître. Nous devons au contraire y prêter une grande attention, sur le plan théorique comme sur le plan pratique. L’émancipation nationale est une question particulièrement explosive, dans toutes les régions du monde. A notre époque, celle de l’impérialisme et du déclin du système capitaliste, celui-ci est incapable de résoudre les problèmes des nationalités opprimées. La lutte pour l’émancipation nationale est avant tout une question de classe. L’émancipation des nationalités opprimées ne peut se faire qu’au moyen de la révolution socialiste.

Internationalisme

L’internationalisme n’est pas une question sentimentale ou abstraite. Il découle de la position qu’occupe le salariat dans le système capitaliste. Classe à la fois sans propriété et internationale, le salariat a pour mission historique de renverser la classe capitaliste et de concentrer le pouvoir étatique et économique entre ses mains. En prenant le pouvoir – d’abord dans un, puis dans plusieurs pays – la classe ouvrière détruira la base économique et sociale sur laquelle reposait la division du monde en Etats nationaux distincts. A la place de la rivalité capitaliste – entre les entreprises capitalistes et entre les blocs capitalistes nationaux – elle imposera des rapports de production fondés sur la coordination rationnelle des différentes branches de la production et de la distribution. A la place du « marché », le socialisme instaurera une planification consciente et démocratique du processus productif, dans l’intérêt de la société dans son ensemble. Le salariat est la dernière des classes à gravir les marches de l’histoire. Il n’existe aucune classe en dessous du salariat. Le socialisme ne sera donc pas le remplacement d’une forme d’oppression et d’exploitation par une autre, comme ce fut le cas avec les révolutions bourgeoises nationales. Il signifiera l’émancipation complète de toutes les formes d’oppression et d’exploitation.

Socialisme et internationalisme sont absolument indissociables. Le marxisme aborde toutes les questions, y compris celle de l’émancipation nationale, du point de vue des intérêts spécifiques du salariat et d’un point de vue strictement internationaliste. Comme le disait Marx : « les travailleurs n’ont pas de patrie ». Aucune concession au nationalisme n’est acceptable, en aucun cas. Le socialisme est totalement opposé, en toutes circonstances, à toutes les formes de nationalisme, de « chauvinisme » ou de « patriotisme », y compris chez les travailleurs des nations opprimées.

Le poison du patriotisme « républicain »

Cependant, une organisation révolutionnaire n’existe pas dans le vide. Elle subit forcément la pression idéologique des classes dominantes, de « l’opinion publique », des préjugés des travailleurs – même les plus militants et « révolutionnaires » – en ce qui concerne la « patrie » et la « république ». Des préjugés et illusions de ce genre existent chez les travailleurs de tous les pays. Mais, pour des raisons historiques, ils sont particulièrement tenaces en France. Ce n’est que par une attitude sérieuse envers l’éducation théorique de ses membres que notre organisation pourra se protéger des idées nationalistes et « républicaines » qui empoisonnent encore la conscience des travailleurs français.

La défense de la « patrie » ou de la « république » bourgeoise, l’identification avec le drapeau tricolore, comme toutes les autres manifestations de l’orgueil national, chez les travailleurs, constituent la base idéologique de ce que Lénine appelait le « social-patriotisme ». Lénine s’opposait à cette tendance de la façon la plus implacable. Lors de la création de l’Internationale Communiste, le rejet du social-patriotisme figurait dans les « 21 conditions » imposées aux partis qui voulaient rejoindre l’Internationale. Cette opposition sans concession au « patriotisme » sature complètement, d’un bout à l’autre, toute l’action et toute la pensée de Marx, Engels, Lénine, Trotsky, Luxemburg et Liebknecht. Notre propre organisation est fondée, elle aussi, sur cet internationalisme inflexible.

La fonction politique des drapeaux et hymnes nationaux (que ce soit le drapeau tricolore et La Marseillaise, en France, ou l’Union Jack et Rule Britannia, en Grande Bretagne) est de renforcer le sentiment patriotique et national chez les travailleurs, de dissoudre la conscience de classe dans le sentiment d’appartenance à une même « nation », de souder la population toute entière autour de la classe capitaliste dans l’intérêt exclusif de cette dernière. Nous devons, au contraire, lutter pour renforcer la conscience de classe chez les travailleurs, et faire tout notre possible pour miner le sentiment national, l’orgueil national, etc. Le drapeau tricolore n’est pas notre drapeau, mais celui de notre ennemi de classe. Le mouvement ouvrier doit avoir son drapeau, ses chants, ses « symboles » distincts et opposés à ceux de la classe dominante, propres à la classe ouvrière : le drapeau rouge, l’Internationale, etc. Mélanger les drapeaux, c’est aider nos ennemis à rallier les travailleurs à la « patrie » capitaliste.

Etant donné l’impact colossal de la Grande Révolution française sur la conscience de toutes les classes sociales, il était naturel et historiquement inévitable que, dans ses premiers pas, le « socialisme » en France puisât son inspiration idéologique dans cette expérience colossale, et, en particulier, dans son apogée révolutionnaire qu’était la dictature jacobine – c’est-à-dire dans les idées de Robespierre, des « Enragés » et de Babeuf. Dans la situation qui existait en 1793 et jusqu’en juillet 1794, les masses urbaines et les couches les plus pauvres de la paysannerie ne pouvaient pas outrepasser les limites de l’ordre capitaliste. Mais, tenant la bourgeoisie par la gorge et lui vidant les poches, pour ainsi dire, afin de repousser la menace contre-révolutionnaire, elles pouvaient entrevoir les contours d’une société « égalitaire ». Le processus de la réaction thermidorienne, à partir de 1794, signifia le refoulement des aspirations des masses et la consolidation de la position de la bourgeoisie. En conséquence, le « socialisme » qui, au cours du XIXe siècle, accompagna la formation du prolétariat, se présenta sous la forme d’un retour au jacobinisme, et se rattacha aux idées « de 93 ». Avec l’émergence progressive d’une idéologie et d’un programme répondant aux intérêts spécifiques du prolétariat, le « socialisme » se présentait sous les auspices d’un « vrai » républicanisme, c’est-à-dire d’une variété plus radicale du républicanisme bourgeois. Ce mélange incongru de socialisme et de républicanisme bourgeois a trouvé son plus célèbre représentant en Jean Jaurès.

Jaurès était un homme de grande culture et de talent, un orateur remarquable. Il a joué, dans le mouvement ouvrier français, un rôle similaire à celui de Ferdinand Lassalle en Allemagne, à qui Marx et Engels avaient attribué le réveil politique de la classe ouvrière allemande. Mais Jaurès – comme Lassalle – n’était pas un marxiste. Jaurès croyait discerner quelque chose de progressiste dans la IIIe République, érigée sur les cadavres des Communards et le pillage colonial. Jaurès se positionnait nettement sur la droite de l’Internationale Socialiste, aux côtés des représentants de la Société des Fabiens en Grande-Bretagne et des dirigeants du socialisme hollandais. Son  assassinat lui a évité de passer l’épreuve du 4 août 1914, date du ralliement officiel des dirigeants socialistes français à la guerre impérialiste. Par ses idées bourgeoises républicaines, par ses formulations ambiguës et opportunistes, par son patriotisme, il a contribué au désarmement politique des travailleurs français face à la guerre. Jaurès présentait la république capitaliste comme quelque chose que les travailleurs devaient, non pas renverser, mais défendre. A la veille du carnage impérialiste de 1914, il expliquait aux travailleurs que l’Etat qui défendait les intérêts de l’impérialisme français – sa « république » adorée – était progressiste par rapport à l’Etat allemand. Compte tenu de ce positionnement, Jaurès aurait certainement été emporté – avec Guesde, Sembat, Cachin, Blum, Longuet et presque tous les dirigeants de l’Internationale Socialiste – par la vague patriotique.

L’héritage idéologique de Jaurès et de la SFIO, alourdi par la dégénérescence patriotique et réformiste du PCF, a contribué à façonner la conscience de plusieurs générations de militants. Même de nos jours, il n’est pas rare de rencontrer des communistes qui s’imaginent que la « République » française est une forme d’Etat beaucoup plus démocratique que celles qui existent ailleurs en Europe et dans le monde, et qui pensent qu’il faut défendre la République pour protéger « les acquis de la Révolution française ». Cela veut dire, concrètement, la défense de l’Etat capitaliste et de l’ordre capitaliste, car le seul « acquis de la Révolution française », c’est cela, et rien d’autre. De la même façon, les véritables idées du communisme ont reculé, dans les rangs du PCF, au point que de nombreux militants s’insurgent contre les « banques anglo-saxonnes » et s’imaginent que les banques françaises poursuivent, elles, des objectifs plus nobles. Ils pensent que l’impérialisme français constitue un contrepoids progressiste face à l’impérialisme américain, que la non-participation de la France dans l’invasion de l’Irak était une manifestation de ses « valeurs républicaines », alors qu’elle n’était que l’expression des intérêts impérialistes de la France, qui avait signé des « précontrats » juteux avec Saddam Hussein, en prévision de la levée de l’embargo.

La république française est une république capitaliste, impérialiste, une république réactionnaire. En quoi les capitalistes français et leur Etat seraient-ils moins réactionnaires, moins impérialistes, que leurs équivalents en Grande-Bretagne « monarchique » ? Les Etats-Unis sont aussi une « république ». En quoi l’Etat américain est-il plus progressiste que l’Etat espagnol, par exemple ?  Tous ces Etats sont au service des capitalistes. Leurs particularités constitutionnelles n’y changent rien. Nous devons combattre les illusions « républicaines » des travailleurs, comme toutes les autres illusions qu’ils peuvent avoir vis-à-vis du capitalisme et de l’Etat capitaliste. Le travailleur qui n’arrive pas à se libérer des sentiments patriotiques, nationalistes, « républicains », de la « fierté de son pays », etc., ne pourra jamais devenir un révolutionnaire conséquent. L’identification avec une « patrie » ou la défense d’une « patrie » contre une autre est une attitude totalement incompatible avec le socialisme et l’internationalisme. Un marxiste milite pour sa classe – et sa classe est internationale.

Des erreurs théoriques ont toujours des conséquences dans la lutte pratique. Les événements de 2002 ont fourni une illustration saisissante des conséquences néfastes de la confusion qui existe au sujet du caractère de classe de la république française. Le passage de Le Pen au deuxième tour des présidentielles a soulevé une immense mobilisation de la jeunesse et des travailleurs. Mais au nom de la « défense de la république », les dirigeants socialistes et communistes ont détourné le mouvement au profit de l’UMP – dont la politique est quasiment identique à celle du Front National. La république capitaliste était effectivement en danger, en avril 2002. Cependant, le danger ne venait pas du Front National : il venait des proportions potentiellement révolutionnaires que prenait la mobilisation de la jeunesse et de la classe ouvrière.

Le droit à l’autodétermination

Les écrits des plus grands représentants du socialisme scientifique sur la question nationale devraient être sérieusement étudiés par tous les marxistes. Le sujet occupe une place importante dans les œuvres de Marx et Engels. S’appuyant sur leur méthode, Lénine a élaboré la politique des bolcheviks sur la question nationale, qui était un facteur décisif dans la victoire de 1917 et surtout dans la défense et l’extension de la révolution, par la suite. La révolution a pu rallier à sa bannière la masse des travailleurs et paysans des nationalités opprimées sous le tsarisme. Malgré la richesse de l’héritage théorique et pratique du marxisme sur la question nationale, une grande confusion existe sur ce sujet, confusion à laquelle ont grandement contribué les différents groupements dits d’« extrême gauche », qui ont très souvent transformé  le « droit des nations à l’autodétermination »  en alibi à des prises de position nationalistes et séparatistes. A l’inverse, la position marxiste sur les nationalités opprimées, dans le programme des bolcheviks, dans celui de l’Internationale Communiste et dans celui que défendait Trotsky jusqu’à sa mort, en 1940, avait précisément pour objectif de lutter contre le nationalisme et le séparatisme. Elle visait à faciliter l’union de tous les travailleurs, indépendamment de leur nationalité. Dans son Histoire de la Révolution Russe, Trotsky résumait ainsi la politique des bolcheviks en ce qui concerne les nationalités opprimées :

« Lénine avait compris le caractère inévitable des mouvements nationaux centrifuges en Russie et, pendant des années, avait lutté obstinément, notamment contre Rosa Luxembourg, pour le fameux paragraphe 9 du vieux programme du parti, formulant le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, c’est-à-dire à se séparer complètement de l’Etat. Par là, le parti bolchevik ne se chargeait nullement de faire une propagande séparatiste. Il s’obligeait seulement à résister avec intransigeance à toute espèce d’oppression nationale et, dans ce nombre, à la rétention par la force de telle ou telle nationalité dans les limites d’un Etat commun. C’est seulement par cette voie que le prolétariat russe put graduellement conquérir la confiance des nationalités opprimées.

Mais ce n’était là qu’un des côtés de l’affaire. La politique du bolchevisme dans le domaine national avait un autre aspect, apparemment en contradiction avec le premier, et qui le complétait en réalité. Dans les cadres du parti et, en général, des organisations ouvrières, le bolchevisme appliquait le plus rigoureux centralisme, luttant implacablement contre toute contagion nationaliste susceptible d’opposer les ouvriers les uns aux autres ou de les diviser. Déniant nettement à l’Etat bourgeois le droit d’imposer à une minorité nationale une résidence forcée ou bien même une langue officielle, le bolchevisme estimait en même temps que sa tâche vraiment sacrée était de lier, le plus étroitement possible, au moyen d’une discipline de classe volontaire, les travailleurs de différentes nationalités, en un seul tout. Ainsi il repoussait purement et simplement le principe national-fédératif de la structure du parti. Une organisation révolutionnaire n’est pas le prototype de l’Etat futur, elle n’est qu’un instrument pour le créer. L’instrument doit être adéquat pour la fabrication du produit, mais ne doit nullement se l’assimiler. C’est seulement une organisation centraliste qui peut assurer le succès de la lutte révolutionnaire – même quand il s’agit de détruire l’oppression centraliste contre les nations. »

Sur ce dernier point, Lénine ne pouvait pas être plus explicite. Dans ses Notes critiques sur la question nationale, rédigées en 1913, il écrit : « Aux querelles nationales que se livrent entre eux les différents partis bourgeois pour des questions de langue, etc., la démocratie ouvrière oppose la revendication suivante : unité absolue et fusion totale des ouvriers de toutes les nationalités dans toutes les organisations ouvrières syndicales, coopératives, de consommation, d’éducation et autres, contrairement à ce que prêchent tous les nationalistes bourgeois. Seules une telle unité et une telle fusion peuvent sauvegarder la démocratie, sauvegarder les intérêts des ouvriers contre le capital – lequel est déjà devenu et devient de plus en plus international –, sauvegarder les intérêts de l’humanité évoluant vers un mode de vie nouveau, étranger à tout privilège et à toute exploitation. »

Qu’est-ce qu’une nation ? De manière générale, on peut dire qu’une nation est une entité sociale et économique plus ou moins stable, prenant forme au cours de l’histoire en se dotant d’un territoire commun et d’une langue commune. Cependant, cette définition générale ne recouvre pas tous les cas de figure. Les Suisses, par exemple, constituent une nation, et pourtant la Suisse n’a pas une, mais trois langues officielles, sans parler de quelques dialectes minoritaires. Des nations peuvent  se créer, comme elles peuvent disparaître, sous l’impact de guerres, d’occupations et de révolutions. En Inde, comme en Chine, la conscience nationale fut le produit de la colonisation impérialiste. Ceci dit, sans une victoire de la révolution socialiste au cours de la prochaine période, l’Inde, comme le Pakistan, pourrait se désintégrer. Les pays colonisés d’hier peuvent devenir des grandes puissances impérialistes, comme c’est le cas des Etats-Unis, du Canada et de l’Australie. D’autres Etats nationaux – l’Afrique du Sud, l’Inde, le Brésil – sont des puissances impérialistes régionales, mais qui occupent une position subalterne par rapport aux puissances impérialistes mondiales. La Russie tsariste était, elle aussi, une puissance impérialiste, tout en étant sous la domination du capital britannique, français et allemand.

La nationalité et la question nationale en général sont, au fond, une question de classe. Les idées dominantes de toutes les nations sont les idées de leur classe dirigeante. On entend beaucoup parler de la « culture française », de la « culture américaine », etc., comme si ces cultures existaient indépendamment du caractère de classe de la société en question. La classe dirigeante a intérêt à dissimuler l’existence de classes distinctes et mutuellement antagoniques. Mais la culture dominante de toutes les nations n’est autre que la culture de la classe dominante, c’est-à-dire de la classe capitaliste :

« Chaque culture nationale comporte des éléments, même non développés, d’une culture démocratique et socialiste, car dans chaque nation, il existe une masse laborieuse et exploitée, dont les conditions de vie engendrent forcément une idéologie démocratique et socialiste. Mais, dans chaque nation, il existe également une culture bourgeoise (et qui est aussi, la plupart du temps, ultra ?réactionnaire et cléricale), pas seulement à l’état d’" éléments", mais sous forme de culture dominante. » (Lénine, Notes critiques sur la question nationale, 1913.)

Lénine et Trotsky, suivant Marx et Engels, étaient des internationalistes intransigeants. Dans la question nationale comme dans toutes les autres questions, il est totalement inadmissible, pour un marxiste, de faire la moindre concession aux sentiments et préjugés nationalistes. On doit constamment souligner et expliquer les intérêts communs de tous les travailleurs, indépendamment de leur nationalité, de leur langue, de la couleur de leur peau, etc. Le but des marxistes, c’est de promouvoir et de faciliter par tous les moyens possibles l’unité des travailleurs de tous les pays dans leur lutte contre les capitalistes. C’est de ce point de vue que le marxisme défend le droit des nations à l’autodétermination. Le droit à l’autodétermination n’a d’intérêt que dans la mesure où il renforce la lutte contre le capitalisme et contre le nationalisme. Il est entièrement subordonné à la lutte pour le socialisme. Il faut traiter chaque cas selon les circonstances concrètes. Soutenir ou ne pas soutenir ce droit dépend de la situation concrète.

Les marxistes ne poussent pas à la séparation. Ils ne prônent pas la création de petits Etats indépendants suivant des distinctions nationales. Lénine insistait sur l’idée que la position marxiste à l’égard des nationalités opprimées est une position négative. Il entendait par là que les marxistes sont contre toutes les formes d’oppression nationale, qu’ils s’opposent à toutes les discriminations d’ordre national, linguistique ou racial :

« Le marxisme est inconciliable avec le nationalisme, fût-il le plus " juste ", le plus " pur ", le plus fin et le plus civilisé. A la place de tout nationalisme, le marxisme met l’internationalisme […]

« Le principe de la nationalité est historiquement inéluctable dans la société bourgeoise, et, compte tenu de cette société, le marxiste reconnaît pleinement la légitimité historique des mouvements nationaux. Mais, pour que cette reconnaissance ne tourne pas à l’apologie du nationalisme, elle doit se borner très strictement à ce qu’il y a de progressif dans ces mouvements, afin que cette reconnaissance ne conduise pas à obscurcir la conscience prolétarienne par l’idéologie bourgeoise.

« Le réveil des masses sortant de la torpeur féodale est progressif, de même que leur lutte contre toute oppression et pour la souveraineté du peuple, pour la souveraineté de la nation. De là le devoir absolu pour le marxiste de défendre le démocratisme le plus résolu et le plus conséquent, dans tous les aspects du problème national. C’est là une tâche surtout négative. Le prolétariat ne peut aller au ?delà quant au soutien du nationalisme, car plus loin commence l’activité " positive " de la bourgeoisie qui vise à renforcer le nationalisme.

« Secouer tout joug féodal, toute oppression des nations, tous les privilèges pour une des nations ou pour une des langues, c’est le devoir absolu du prolétariat en tant que force démocratique, l’intérêt absolu de la lutte de classe prolétarienne, laquelle est obscurcie et retardée par les querelles nationales. Mais aider le nationalisme bourgeois au-delà de ce cadre strictement limité et situé dans un contexte historique nettement déterminé, c’est trahir le prolétariat et se ranger aux côtés de la bourgeoisie. » (Notes critiques sur la question nationale.)

Cette citation – et il en existe des dizaines d’autres exprimant la même idée – suffit à démontrer la différence entre la politique de Lénine et les diverses organisations d’« extrême gauche » qui, au nom du « droit à l’autodétermination », réclament ou ont réclamé l’indépendance du Pays basque, de la Corse et même de la Bretagne ! Au nom de ce même droit, plusieurs de ces organisations ont soutenu l’UCK – une organisation nationaliste ultra-réactionnaire – au  Kosovo, l’IRA en Irlande du Nord, le séparatisme écossais, l’indépendance du Québec, etc. Partant de la même idée, plusieurs groupes gauchistes ont considéré le démembrement de la Yougoslavie comme un acte progressiste, et la LCR, dans les années 80, a même soutenu les mujahadins contre-révolutionnaires en Afghanistan, aux côtés de l’Arabie Saoudite et des impérialismes américain, britannique et français ! Pour de tels groupements, le « droit à l’autodétermination » est interprété comme une obligation de soutenir tous les séparatismes.

Chez Lénine, le droit à l’autodétermination des nationalités opprimées visait au contraire à faciliter l’union volontaire. Prôner le droit à l’autodétermination, à la séparation, ne signifie pas prôner la séparation elle-même. Lénine comparait ce droit au droit de divorce. Nous sommes pour le droit au divorce, comme nous sommes pour le droit à l’avortement. Mais ceci ne veut évidemment pas dire que nous recommandons à tous le divorce ou l’avortement ! La distinction entre ces deux idées est d’une importance primordiale. Elle fait la différence entre une politique internationaliste, qui prône l’union volontaire des travailleurs de toutes les nationalités et qui donc va de pair, nécessairement, avec le droit de se séparer, et une politique nationaliste réactionnaire, qui pousse à la division selon des distinctions nationales. Le droit à la séparation fait partie de la lutte contre la séparation.

Le nationalisme bourgeois et l’internationalisme socialiste sont des politiques totalement inconciliables, et la politique de Lénine visait à lutter contre le nationalisme, dans le camp du pays oppresseur comme dans le camp du pays opprimé :

« Si un marxiste ukrainien se laisse entraîner par une haine parfaitement légitime et naturelle contre les oppresseurs grands-russes au point de reporter ne serait-ce qu’une parcelle de cette haine, ou même un sentiment d’hostilité sur la culture prolétarienne et l’œuvre prolétarienne des ouvriers grands-russes, il glissera par là même dans le bourbier du nationalisme bourgeois. De même, un marxiste grand-russe glissera dans le bourbier du nationalisme, non seulement bourgeois, mais aussi ultra-réactionnaire, s’il oublie un seul instant la revendication de la complète égalité en droits pour les Ukrainiens ou leur droit de constituer un Etat indépendant. […] Toute tentative d’établir une séparation entre les ouvriers d’une nation et ceux d’une autre […] s’inspire du nationalisme bourgeois, contre lequel il faut lutter sans merci. » (Notes critiques sur la question nationale.)

La révolution russe de 1917 aurait été impossible sans la politique, élaborée par Lénine dans la période antérieure, qui a permis de rallier à la cause révolutionnaire les travailleurs et les paysans des nationalités opprimées par l’impérialisme grand-russe. La question nationale ne pouvait pas être résolue sur la base du capitalisme. Sa résolution n’a été rendue possible que par la révolution socialiste. Ce n’est que grâce à la révolution bolchevique que la Pologne a obtenu son indépendance. Mais le gouvernement polonais, dominé par les sociaux-démocrates de droite, eux-mêmes de connivence avec l’impérialisme britannique et français, a ensuite déclaré la guerre aux Soviets, en 1920. Le régime soviétique a poursuivi sa contre-offensive jusqu’en Pologne. Cette action démontre que, pour Lénine et Trotsky, le droit à l’autodétermination était subordonné aux intérêts de la classe ouvrière et de la révolution internationale.

Il s’agissait d’une guerre révolutionnaire contre les impérialistes et leurs marionnettes polonaises. Il arrive souvent que les puissances impérialistes manipulent les nationalités opprimées à leurs propres fins. Hitler exploitait le sentiment national des Slovaques pour faciliter la soumission des Tchèques. Tout récemment, au début de la guerre en Irak, l’impérialisme américain a manipulé les Kurdes, laissant entendre qu’il donnerait satisfaction à leurs aspirations nationales. De la même façon, les Albanais du Kosovo ont été armés et soutenus par les impérialistes contre la Serbie.

Dans un cas comme celui de la Pologne, en 1920, le gouvernement soviétique ne pouvait pas placer l’autodétermination de la Pologne capitaliste au-dessus de la défense de la révolution. Il en fut de même dans les cas de l’Ukraine et de l’Arménie. Trotsky était contre l’invasion de la Pologne. Mais cette opposition reposait sur des considérations purement pratiques et militaires, et non sur un quelconque principe de non-ingérence. Lors de la sécession de la Finlande, dominée par des contre-révolutionnaires, les bolcheviks ne sont pas intervenus militairement, faute de moyens. Si la révolution n’avait pas été si lourdement engagée sur d’autres fronts, les Soviets auraient certainement lancé une offensive contre la Finlande pour aider les travailleurs finnois à renverser le régime en place, dans l’intérêt de la révolution internationale.

La révolution d’octobre jetait les bases de la résolution définitive de la question nationale sur le vaste territoire de cette ancienne « prison des peuples » qu’était la Russie tsariste. Cependant, les antagonismes et ressentiments gravés par des siècles d’oppression nationale ne peuvent disparaître que graduellement. Le renversement du capitalisme ne règle pas tous les problèmes tout de suite. La société immédiatement post-révolutionnaire – une société de transition entre le capitalisme et le socialisme –  porte nécessairement les plaies et les cicatrices de l’ordre ancien :

« …La démocratie prolétarienne doit, dès à présent, tenir compte du nationalisme des paysans grand russes (non pour lui faire des concessions, mais pour le combattre), et elle devra probablement en tenir compte assez longtemps encore. Cet état de choses assigne au prolétariat de Russie une double tâche, ou plutôt une lutte sur deux fronts : lutter contre tout nationalisme et, au premier chef, contre le nationalisme grand-russe ; reconnaître non seulement la complète égalité en droits de toutes les nations en général, mais aussi le droit égal à édifier un Etat, c’est-à-dire reconnaître le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, à se séparer ; et à côté de cela, précisément pour assurer le succès de la lutte contre toute espèce de nationalisme dans toutes les nations, sauvegarder l’unité de lutte du prolétariat et des organisations prolétariennes et leur fusion la plus étroite dans une communauté internationale, en dépit des tendances de la bourgeoisie à promouvoir un particularisme national.

« Egalité complète des nations ; droit des nations à disposer d’elles mêmes ; union des ouvriers de toutes les nations, voilà le programme national enseigné aux ouvriers par le marxisme, par l’expérience du monde entier et l’expérience de la Russie. » (Lénine, Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1914.)

La dégénerescence de l’URSS

La dégénérescence stalinienne du régime soviétique allait de pair avec un changement radical dans sa politique à l’égard des nationalités. Dès 1922, Lénine menait une lutte contre Staline, qu’il qualifiait de « chauvin grand-russe » et de « véritable national-socialiste » (texte du 22 mai 1922), sur la question de la Géorgie. Les documents relatifs à cette affaire ont été tenus secrets pendant des décennies après la mort de Lénine, afin que les travailleurs soviétiques et les militants  communistes dans le reste du monde n’en aient pas connaissance. Ils ont été publiés par Khrouchtchev, en 1956, trois ans après la mort de Staline.

L’arrivée au pouvoir de Staline marquait l’abandon de la politique internationaliste et l’adoption de celle du « socialisme dans un seul pays ». Staline a avancé ce slogan pour la première fois en 1924, et il est devenu la politique officielle de l’Internationale Communiste en 1928. Cette rupture avec l’internationalisme révolutionnaire reflétait le conservatisme de la caste bureaucratique montante. Avec l’épuisement de la révolution, la bureaucratie consolidait sa position au détriment de la démocratie soviétique. Trotsky avait prévenu, en 1928, que si la politique du « socialisme dans un seul pays » était adoptée par l’Internationale Communiste, elle aboutirait à la dégénérescence nationaliste et réformiste de ses sections nationales. Cette prévision remarquable s’est avérée tout à fait exacte. Pratiquement tous les dirigeants des sections de l’Internationale Communiste ont suivi, à travers tous ses zigzags, la « ligne » dictée par Moscou dans l’intérêt de la dictature stalinienne, transformant l’Internationale en un instrument docile de la politique étrangère de l’URSS. En 1943, l’Internationale Communiste a été dissoute, sans congrès et par un simple trait de plume de Staline.

Alors que le capitalisme peut s’accommoder d’une opposition – syndicats, partis de gauche, droit de grève, liberté d’expression, etc. – tant que sa propriété des moyens de production n’est pas remise en cause, les bureaucraties au pouvoir en URSS, en Chine et en Europe de l’Est – n’étant pas propriétaires des moyens de production et ne constituant pas une classe, mais seulement une caste d’apparatchiks – ne pouvaient maintenir leur pouvoir et leurs privilèges que par la suppression de tous les droits démocratiques et la destruction physique de toute opposition. Les droits des nationalités, comme tous les autres droits démocratiques, étaient incompatibles avec le régime bureaucratique. Ainsi, Staline a appliqué une politique répressive draconienne contre les minorités nationales. Les structures du parti, dans toutes les républiques, ont été systématiquement purgées. Ceux qui résistaient à la politique chauvine de Staline s’exposaient à l’exil, à l’emprisonnement et aux exécutions sommaires.

Plusieurs millions de personnes ont été massacrées par le régime stalinien. La répression et les purges ne touchaient pas seulement les minorités nationales en Ukraine, en Géorgie, chez les Arméniens, etc., mais aussi les communistes russes. La férocité de cette « guerre civile unilatérale » a créé un profond ressentiment contre le pouvoir central. Des peuples entiers – les Tartars de Crimée, les Allemands de la Volga, les Tchétchènes, Karatchaï, Balkars et Ingouches – ont été déportés vers la Sibérie et l’Asie Centrale dans des conditions absolument inhumaines. La population juive a subi une répression impitoyable. Cette oppression nationale – parmi bien d’autres atrocités et crimes commis par la bureaucratie, à l’époque de Staline comme sous ses successeurs – forme l’arrière-plan historique de la désintégration de l’URSS au début des années 90 et de la guerre en Tchétchénie.

Pour le socialisme international

Une compréhension des bases théoriques du marxisme, sur la question nationale comme sur toutes les autres questions, est la condition indispensable du développement de notre mouvement et de la progression des idées du marxisme dans le mouvement ouvrier. Nous ne pouvons pas prétendre, ici, traiter la question nationale et les luttes d’émancipation nationale dans leur détail et toutes leurs ramifications. Il s’agit avant tout d’expliquer les aspects fondamentaux de la position marxiste sur cette question, qui touche directement ou indirectement à pratiquement tous les aspects de nos perspectives et de notre travail politique. Alors que les idéologues du capitalisme – en dehors comme à l’intérieur du mouvement ouvrier – ne peuvent que semer la confusion et préparer des défaites, notre tâche est de démontrer la supériorité des idées du marxisme sur la question nationale, comme sur toutes les autres. Ainsi, nous faciliterons grandement l’union des travailleurs de tous les pays, indépendamment de leur nationalité, dans la lutte contre l’impérialisme, contre toutes les oppressions, et pour la victoire du socialisme, en France et dans le monde entier.

 


Annexe I - L’Irlande

Marx et Engels suivaient attentivement la lutte contre l’impérialisme britannique en Irlande. Ils défendaient le point de vue que l’émancipation nationale des Irlandais était inextricablement liée à la question de la terre, c’est-à-dire à la libération sociale des couches inférieures de la paysannerie. A notre époque, dans tous les pays où le poids social de la paysannerie est encore relativement important, la question de la terre est généralement au cœur des luttes d’émancipation nationale. Les nombreux soulèvements de la paysannerie irlandaise contre la domination de la Grande-Bretagne visaient directement les grands propriétaires terriens de l’aristocratie anglaise.

Dans les pays sous-développés et sous domination impérialiste, où les tâches correspondant à la révolution bourgeoise-nationale n’ont toujours pas été accomplies, la classe capitaliste est incapable de jouer un quelconque rôle révolutionnaire. Elle constitue, au contraire, une composante d’un même bloc réactionnaire avec les impérialistes et les grands propriétaires terriens. A partir de ces prémices, Trotsky a élaboré sa théorie de la « révolution permanente », qui a connu une confirmation éclatante dans le déroulement de la révolution russe. A vrai dire, même dans la Révolution française, ce n’est pas la bourgeoisie qui a brisé le pouvoir de l’aristocratie terrienne, mais la dictature révolutionnaire des « sans-culottes » de 1793-1794, malgré la bourgeoisie et contre elle. Dans les conditions modernes, comme l’expliquait Trotsky, les tâches inachevées appartenant, stricto sensu, à la révolution bourgeoise-nationale, reviennent à la seule force révolutionnaire existante : la classe ouvrière. Les tâches à caractère socialiste et les tâches bourgeoises-nationales seront accomplies en même temps, dans un même mouvement, par les travailleurs au pouvoir.

A propos de l’Irlande, et malgré le retard considérable de ce pays par rapport à la Grande-Bretagne – la classe ouvrière irlandaise étant presque inexistante à l’époque –, Marx et Engels insistaient sur le lien entre la lutte des masses irlandaises contre l’impérialisme britannique et la question du socialisme. Leur attitude envers cette question, comme envers toutes les autres, était strictement socialiste et internationaliste. Marx et Engels s’opposaient aux nationalistes bourgeois et petits-bourgeois. Ils conseillaient aux opposants à la domination britannique de « travailler en étroite association avec le mouvement ouvrier » de Grande-Bretagne.

Il est vrai que, pendant un certain temps, ils ont soutenu le mouvement des Fenians, dans l’espoir de le ramener vers les idées du socialisme, mais c’était un soutien sévèrement critique. Marx et Engels fustigeaient l’étroitesse nationaliste des dirigeants de ce mouvement, et dénonçaient sans détour leurs activités terroristes, comme par exemple l’attentat de Clerkenwell (1867). Cet attentat a déclenché une vague de sentiments anti-irlandais chez les travailleurs britanniques. Marx écrivait à Engels : « Le dernier exploit des Fenians est une affaire stupide. Les masses londoniennes, qui ont fait preuve de grande sympathie à l’égard de la cause irlandaise, en seront furieuses. On ne peut pas attendre des prolétaires de Londres qu’ils acceptent de se faire exploser en l’honneur des émissaires des Fenians. » Engels a vigoureusement dénoncé la futilité du terrorisme individuel de ce genre – « l’œuvre de spécialistes fanatisés » – et ridiculisait « l’idée que l’on peut libérer l’Irlande en incendiant la boutique d’un tailleur. »

A la lecture de la correspondance entre Marx et Engels, on voit que l’argument des partisans du terrorisme individuel était qu’il fallait faire « quelque chose ». Une bombe avait, à leurs yeux, un effet « immédiat » et « pratique », et paraissait infiniment plus simple à réaliser qu’un travail de clarification théorique, de propagande et d’organisation dans le mouvement ouvrier britannique. Ils érigeaient leur impatience et leur désir d’« action » en programme. Lancer une bombe était, pour eux, un moyen d’agir « tout de suite ». Aujourd’hui, on entend exactement cet argument chez des apologues du terrorisme palestinien contre les travailleurs israéliens. Les Palestiniens, nous dit-on, « ne peuvent pas rester les bras croisés » face à l’oppression israélienne. Mais les marxistes s’opposent au terrorisme individuel parce qu’il est « immédiatement et pratiquement » contre-productif. Il divise les travailleurs et profite directement à la classe dominante.

Marx considérait, dans un premier temps, que la libération de l’Irlande ne pouvait passer que par la prise de pouvoir des travailleurs britanniques. Plus tard, il a avancé l’idée que l’indépendance de l’Irlande, si elle intervenait avant la révolution en Grande-Bretagne, pourrait contribuer à provoquer celle-ci. On a vu ce scénario dans le cas du Portugal, un siècle plus tard, lorsque la défaite de l’armée portugaise dans ses guerres coloniales (Angola, Guinée-Bissau) a directement provoqué la révolution de 1974. En tout état de cause, Marx considérait la révolution socialiste et la libération nationale de l’Irlande comme inextricablement liées. Marx expliquait aux travailleurs anglais qu’ils ne pourraient jamais réaliser leur propre émancipation sociale et politique tant qu’ils toléreraient l’oppression des travailleurs et paysans irlandais. Il expliquait que la révolution en Grande-Bretagne ouvrirait la possibilité pour les deux pays de « remplacer l’union contrainte actuelle (c’est-à-dire la mise en esclavage de l’Irlande), par une confédération égale et libre si possible, ou par la séparation si nécessaire. ». Marx préférait la première option.

Comme le disait le révolutionnaire irlandais Wolfe Tone (1763-1798), « les riches trahissent toujours les pauvres ». Cette idée, comme l’attitude de Marx et d’Engels vis-à-vis des nationalistes bourgeois et petit-bourgeois en Irlande, s’est avérée complètement justifiée. Les dirigeants nationalistes ont trahi l’insurrection ouvrière à Dublin, en 1916. Six ans plus tard, ils ont de nouveau trahi le mouvement anti-impérialiste en acceptant la division de l’Irlande et le maintien de l’Irlande du Nord sous domination britannique. Les nationalistes sont incapables de surmonter la division de l’Irlande. La classe ouvrière – des deux côtés de la mer d’Irlande – est la seule classe qui pourra réaliser la réunification de l’Irlande. Mais ceci n’est possible qu’en tournant le dos au nationalisme et sur la base d’une politique socialiste et internationaliste, sur la base des idées du marxisme.

James Connolly était l’un des plus grands représentants du marxisme. Il a été fusillé sur ordre du gouvernement britannique suite à la défaite de l’insurrection de 1916. Connolly était un internationaliste implacable. Comme Marx et Engels, il s’opposait au nationalisme irlandais. Il luttait contre la domination étrangère sur la base d’un programme socialiste et révolutionnaire, dirigé non seulement contre les capitalistes étrangers, mais aussi contre les capitalistes irlandais. Il expliquait que le nationalisme était un leurre, que les capitalistes « patriotes » ne voulaient que prendre la place des exploiteurs étrangers, quand ils n’étaient pas de connivence avec eux dans leur lutte contre les travailleurs. Les travailleurs et paysans d’Irlande, expliquait-il, ne seront jamais « libres » sans le socialisme.

La partition de 1922 a créé une situation dans laquelle les catholiques étaient – et sont toujours – une minorité dans le Nord. La frontière entre les deux entités a été tracée en application de la bonne vieille stratégie consistant à « diviser pour mieux régner ». Sur la base du capitalisme, la majorité protestante n’acceptera jamais la réunification de l’Irlande, car dans ce cas, elle deviendrait à son tour une minorité opprimée. L’IRA se réclamait de Connolly et Larkin, mais la politique d’attentats à la bombe et d’assassinats sectaires dirigés contre les travailleurs protestants n’a rien à voir avec leurs idées. Ils se sont battus pour l’union de tous les travailleurs, qu’ils soient catholiques ou protestants, face au capitalisme et à l’impérialisme.

Notre organisation internationale a toujours défendu une position internationaliste par rapport à la question irlandaise. En 1969, le gouvernement britannique a ordonné l’occupation militaire du Nord. Le Parti Communiste britannique, ainsi que pratiquement toutes les organisations sectaires – comme l’IMG (l’équivalent britannique de la LCR) et le SWP (dirigé à l’époque par Tony Cliff) – ont soutenu l’envoi de l’armée sous prétexte qu’elle allait protéger les Catholiques ! Les interventions impérialistes sont souvent présentées comme une force de « protection » et de « maintien de la paix ». Plus récemment, les grandes puissances ont attaqué la Serbie sous prétexte de protéger les Albanais du Kosovo. Nous expliquions, à l’époque, que l’armée allait en Irlande du Nord pour défendre les intérêts de l’impérialisme. L’IRA voulait obliger les Protestants à accepter la réunification de l’Irlande par une campagne d’attentats terroristes et d’assassinats. Nous avons expliqué que cette stratégie ne pouvait pas réussir. Les Protestants étaient – et sont toujours – majoritaires dans le Nord et n’accepteront jamais la réunification de l’Irlande sur la base du capitalisme. Après des décennies d’attentats, d’assassinats et de représailles, voire de guerre civile ouverte, cette stratégie n’aurait pu aboutir, tout au plus, qu’à une nouvelle division de l’Irlande, c’est-à-dire à l’expulsion en masse des Catholiques vers le Sud.

Après avoir soutenu l’envoi de l’armée, l’IMG, le SWP et en général les sectes prétendument « trotskistes » ont soutenu la campagne de terreur de l’IRA contre cette même armée – et contre les travailleurs protestants. Au nom de l’« autodétermination », ils applaudissaient chaque fois qu’une bombe éventrait un magasin, un bar, une maison, chaque fois que le sang des Protestants coulait. L’IRA intervenait pour empêcher toute action unie entre Protestants et Catholiques dans les entreprises, et sont allés jusqu’à massacrer les délégués syndicaux protestants. En opposition implacable avec cette folie sectaire, nous avons défendu l’union de la classe ouvrière et proposé l’organisation d’une protection civile – protection des réunions syndicales, de manifestations unitaires, etc. – par les organisations syndicales. Il fallait défendre le mouvement ouvrier contre les organisations paramilitaires et contre la répression menée par l’armée britannique.

L’activité de l’IRA – comme celle des organisations paramilitaires « loyalistes » – a eu des conséquences extrêmement graves. La violence sectaire a creusé un fossé entre les travailleurs protestants et catholiques. Les deux communautés sont physiquement séparées jusqu’à ce jour. La ville de Belfast est divisée par un immense mur jalonné de miradors et couverts de barbelés. La haine et le ressentiment ainsi créés peuvent être surmontés, mais seulement sur la base d’un programme répondant aux aspirations de tous les travailleurs, un programme socialiste et révolutionnaire. La réunification de l’Irlande ne sera possible que sur la base du socialisme, dans le Nord et dans le Sud, ainsi qu’en Grande-Bretagne.

Le paradoxe, c’est que l’impérialisme britannique voudrait bien, s’il le pouvait, céder le Nord. Les considérations d’ordre militaire et économique qui avaient motivé le maintien du Nord ne sont plus valables. Mais justement, la réunification de l’Irlande mènerait directement à une guerre civile sectaire entre Protestants et Catholiques – guerre qui déborderait aussitôt en Grande-Bretagne. En 1998, Sinn Fein (la branche politique de l’IRA) a finalement signé un accord, dit Good Friday Agreement, qui reconnaît explicitement le rattachement du Nord à la Grande-Bretagne. Après plusieurs milliers d’assassinats, les bombes et les balles ont été troquées pour des places bien rémunérées autour de la table capitaliste.


Annexe II - Israël et Palestine

a) L’impérialisme et la création de l’Etat d’Israël

La création de l’Etat d’Israël, suite à l’effondrement de l’Empire Ottoman, était un acte réactionnaire que les marxistes n’ont pas soutenu. Au début de la première guerre mondiale, le gouvernement britannique voulait obtenir le soutien des tribus arabes contre la Turquie, devenue l’alliée de l’Allemagne. En échange de leur soutien, la Grande-Bretagne leur a promis l’indépendance des terres arabes, dont la Palestine. En même temps, selon les termes de l’accord Sykes-Picot, tenus secrets, l’impérialisme britannique et l’impérialisme français prévoyaient d’établir des colonies dans la région. La France devait prendre le Liban et la Syrie. La Grande-Bretagne prendrait la Jordanie et l’Irak. La Palestine devait être sous un mandat international, c’est-à-dire, en substance, sous le contrôle conjoint des deux puissances.

En plus de cette duplicité, en 1917, le ministre britannique des Affaires étrangères, Lord Balfour, écrivit une lettre à Lord Rothschild, le dirigeant du lobby sioniste, dans laquelle il l’assurait que le gouvernement favoriserait, à la fin de la guerre, la création d’un « foyer national » pour les juifs. A l’époque, la population de la Palestine était d’environ 700 000 habitants, dont 574 000 musulmans, 74 000 chrétiens et seulement 56 000 personnes d’origine juive. L’impérialisme britannique a donc promis la même terre aux sionistes et aux Arabes. La promesse faite aux uns et aux autres n’a pas été respectée. La Grande-Bretagne n’était pas favorable à la création d’un Etat d’Israël. Elle dressait les Juifs contre les Arabes, et inversement, selon le bon vieux précepte : « diviser pour mieux régner ». Son but était de conforter sa propre emprise sur la région. En 1922, la Palestine était effectivement sous le contrôle direct de la Grande-Bretagne.

A la veille de la deuxième guerre mondiale, la Grande-Bretagne, toujours hostile à un Etat d’Israël, a imposé de sévères restrictions sur l’immigration juive. Une fois de plus, l’indépendance de la Palestine a été promise… pour dans dix ans. Le décret britannique  fixait un quota de 75 000 personnes d’origine juive, qui seraient admises dans la région sur une période de 5 ans, après laquelle toute immigration juive serait interdite. Selon le projet britannique, la Palestine « indépendante » serait en réalité un Etat satellite sous la domination de la Grande-Bretagne. Cet Etat servirait de base opérationnelle pour protéger les intérêts de l’impérialisme britannique dans la région, notamment à l’égard du canal de Suez.

La restriction imposée à l’immigration juive était appliquée de façon implacable. L’épisode le plus dramatique de cette politique fut le sort réservé aux 750 réfugiés juifs fuyant le nazisme à bord du Struma. Les autorités turques leur ont refusé le droit de débarquer et ont demandé aux autorités britanniques s’ils pouvaient se rendre en Palestine. L’Ambassadeur britannique déclara que si les juifs débarquaient en Palestine, il était probable qu’ils seraient « traités humainement » et que ceci ne ferait qu’encourager d’autres réfugiés à s’y installer. Le Struma a été éloigné de force des côtes turques, puis coulé en pleine mer. Sur les 750 réfugiés, seulement deux ont survécu.

La politique britannique n’était pas acceptable pour les sionistes palestiniens, qui ont organisé une campagne d’attentats et de résistance armée contre l’armée britannique et contre les Arabes. L’une de ces organisations, Irgun Zwai Leumi, dirigée par Menahim Begin, fut responsable du célèbre attentat contre le King David Hotel, qui servait de QG au commandement des forces armées britanniques, en juillet 1946. Face à la résistance des milices juives, alimentées par l’immigration, l’armée britannique perdait le contrôle de la situation. La Ligue Arabe a rejeté la partition du territoire proposée par les Nations Unies, contre l’avis de la Grande-Bretagne, en 1947. Avec la fin du mandat britannique, la seule façon d’empêcher la consolidation de l’Etat juif embryonnaire était la guerre. Mais la Ligue Arabe, malgré les armes que lui fournissait la Grande-Bretagne, a perdu la guerre.

Dans un premier temps, l’impérialisme américain avait soutenu la politique de la Grande-Bretagne. Ensuite, le gouvernement américain a financé les forces armées juives, afin de renforcer sa propre position dans la région, au détriment de la Grande-Bretagne. Poursuivant, de son propre point de vue, le même objectif, l’URSS était le principal fournisseur d’armes des troupes israéliennes.

b)  Comment résoudre la question nationale en Palestine ?

Les Palestiniens ont subi des décennies d’oppression de la part de l’impérialisme israélien, qui bénéficie de l’appui des impérialistes américains et européens. Dans cette région très instable, les puissances occidentales ont besoin d’un point d’appui fiable et doté de fortes capacités militaires. L’écrasante majorité des Palestiniens vivent dans une pauvreté désespérante. Les masses aspirent à un Etat palestinien, dans lequel elles voient une façon de se libérer de cette oppression.

En tant que marxistes, nous défendons le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Cependant, cette revendication est le plus souvent présentée d’une manière qui n’a rien à voir avec ses véritables objectifs. Présentée isolément, en dehors de toute perspective révolutionnaire, cette revendication devient une couverture pour le nationalisme. Pour un marxiste, cette revendication n’a de contenu progressiste que dans la mesure où elle facilite l’union et la lutte commune de tous les travailleurs, de part et d’autre des frontières, en permettant de surmonter les divisions nationales.

De toute évidence, l’impérialisme israélien et les régimes au pouvoir dans les pays arabes n’accepteront jamais la création d’un Etat palestinien. L’émancipation nationale des Palestiniens est donc indissociable de la lutte pour le renversement du capitalisme au Moyen-Orient. Les aspirations nationales des Palestiniens – et l’unification du monde arabe en général – ne peuvent être réalisées que de façon révolutionnaire, dans le cadre d’une Fédération Socialiste du Moyen-Orient.

Notre soutien à la lutte pour l’émancipation des Palestiniens ne nous engage nullement à cautionner les politiques désastreuses du Fatah et du Hamas. La stratégie adoptée par l’OLP a mené les Palestiniens de débâcle en débâcle. Sa prétendue « lutte armée » contre Israël n’était pour l’essentiel qu’une longue série d’actes de terrorisme individuel – enlèvements, détournements d’avions, assassinats, « bombes humaines » – principalement dirigés contre des civils israéliens. Ces méthodes de lutte sont absolument contre-productives, et l’histoire de l’OLP en est une illustration irréfutable. Au lieu d’aider les Palestiniens, elles n’ont fait qu’aggraver leur situation.

En Jordanie, en 1970, l’OLP aurait pu renverser la monarchie et prendre le pouvoir. Mais Arafat cherchait un terrain d’entente avec le roi Hussein. Lorsqu’il a enfin compris que ce dernier était décidé à écraser le Fatah, il a ordonné la dispersion et la fuite des miliciens, laissant la masse des Palestiniens, qui n’avait d’autre choix que de résister, sans défense contre les massacreurs sous les ordres du roi. Lors de l’invasion israélienne du Liban, en 1982, Arafat chercha de nouveau une « plate-forme commune » avec le roi Hussein, abandonna Beyrouth sans organiser de résistance sérieuse. A chaque fois, dans l’histoire de l’OLP, la lutte pour un Etat palestinien indépendant sur la base du nationalisme arabe a mené à la catastrophe.

Le soulèvement des masses palestiniennes, en 1987, s’est produit indépendamment des dirigeants de l’OLP et contre leur volonté. Après des années de bavardages sur le thème de la « lutte armée », la direction de l’OLP a laissé la jeunesse palestinienne affronter la puissance militaire israélienne au moyen de cailloux et de bâtons.

Les accords d’Oslo, comme tous les projets concoctés entre les impérialistes et la direction de l’OLP, qui ont débouché sur la création de l’Autorité Palestinienne, n’étaient qu’un leurre et une trahison de la cause palestinienne. La deuxième Intifada, à partir de 2001, était dirigée non seulement contre l’Etat israélien, mais aussi contre la situation désastreuse qui avait été « négociée » sous les auspices de l’impérialisme américain. Dans les territoires prétendument « autonomes », la population palestinienne vit comme dans une cage, entièrement sous le contrôle militaire de l’Etat israélien et sans aucune viabilité économique. Enfermée dans des bidonvilles et des parcelles de terrain éparpillées, la vaste majorité des travailleurs et des jeunes vit dans la misère absolue. Selon un rapport de l’ONU, en 2003, 63% des Palestiniens vivent avec moins de 2,1 euros par jour. Depuis, la situation économique et sociale s’est encore nettement dégradée.

En substance, l’Autorité palestinienne est un outil des impérialismes américain et israélien, qui la chargent de maintenir l’ordre et le respect des « accords » signés avec les pires ennemis des masses palestiniennes. Ce sont les gardes-frontière de l’Etat israélien – et aussi ses agents de renseignements. Des nombreux militants palestiniens ont été assassinés par l’armée israélienne sur la base de renseignements fournis par le Fatah, quand il ne s’en charge pas directement. Mahmoud Abbas et les dirigeants du Fatah sont ouvertement de connivence avec l’impérialisme américain et israélien – et, depuis toujours, avec les régimes arabes réactionnaires. Ils n’offrent aucune issue aux travailleurs et aux jeunes des territoires palestiniens.

La corruption et la trahison des dirigeants du Fatah ont favorisé la montée du Hamas. D’où sa victoire aux élections de janvier 2006. L’administration américaine fournit armes et financements au Fatah pour écraser le Hamas. Il s’agit d’une lutte entre deux milices, au service, l’une comme l’autre, de cliques corrompues et réactionnaires. Loin d’être la solution, ces organisations font partie du problème. Clairement, sur la base du nationalisme – c’est-à-dire de la connivence avec les régimes réactionnaires des pays arabes – et de la recherche d’un compromis avec l’impérialisme, aucune issue n’est possible pour les Palestiniens.

Pour mettre fin à ce cauchemar, il faut tourner le dos au nationalisme et à la collaboration avec l’impérialisme. La solution ne viendra ni de la Maison Blanche, ni d’une instance entièrement dominée par les grandes puissances impérialistes, comme l’est l’ONU. Elle viendra d’une lutte implacable contre les impérialistes sur la base d’un programme socialiste et internationaliste. Il faut tendre une main fraternelle aux travailleurs du Moyen-Orient, sur la base d’un programme révolutionnaire et socialiste. La lutte contre l’oppression des Palestiniens n’aboutira pas sans l’expropriation des capitalistes et le renversement des régimes réactionnaires dans toute la région.

Sur la base d’une Fédération socialiste du Moyen-Orient, il sera possible de répondre aux aspirations d’autodétermination nationale et d’émancipation sociale de tous les peuples de la région, ce qui est absolument impossible sur la base du capitalisme. Ceci permettra aux Palestiniens et aux Israéliens de vivre librement, sur des territoires autonomes, sur la base d’une coopération d’égal à égal et d’une planification socialiste et mutuellement bénéfique de l’économie. Mais on ne saurait fixer à l’avance les frontières exactes des Etats et zones autonomes qui formeront les entités initiales d’une telle fédération.

Il est absolument indispensable, du point de vue de la lutte pour l’émancipation nationale et sociale des Palestiniens, de chercher des points d’appui dans le mouvement ouvrier israélien et chez les travailleurs arabes vivant en Israël. Le talon d’Achille de l’impérialisme israélien, c’est la classe ouvrière israélienne. Un mouvement palestinien authentiquement révolutionnaire soulignerait constamment, en paroles et en actes, qu’il ne dirige pas son action « contre les juifs », mais uniquement contre la classe capitaliste israélienne, qui est l’ennemi commun de tous les travailleurs de la région, quelle que soit leur nationalité ou leur religion.

Ceci impliquerait nécessairement un rejet catégorique des méthodes du terrorisme individuel. Les Palestiniens ont bien évidemment le droit de se défendre contre les incursions meurtrières de l’armée israélienne. Nous ne sommes pas des pacifistes. Mais les attentats terroristes n’affaiblissent en rien l’impérialisme israélien. Bien au contraire : ce dernier s’en est largement servi pour souder la population israélienne autour de sa politique répressive et militariste. Sur la base d’une politique socialiste, révolutionnaire et internationaliste, compte tenu de la crise sociale et économique qui sévit en Israël, où plus de 20% de la population vit sous le seuil de pauvreté, il serait possible d’y construire une importante réserve de solidarité et de soutien actif à la cause palestinienne, ce qui compliquerait la tâche des impérialistes et renforcerait considérablement la lutte contre l’oppression des Palestiniens dans les territoires. Depuis la défaite militaire subie par Israël au Liban, la société israélienne est entrée dans une période de crise sociale et politique qui ne pourrait que favoriser l’impact de cette approche internationaliste.

Les soulèvements palestiniens de 1987 et 2001 ont démontré l’impact potentiel d’un mouvement de masse sur la classe ouvrière israélienne, à commencer par les travailleurs israéliens d’origine arabe. De tels soulèvements, armés d’un programme résolument socialiste et internationaliste, c’est-à-dire débarrassés du langage nationaliste et de la stupidité contre-productive du terrorisme individuel, auraient scindé la société israélienne en deux, suivant le clivage de classe qui existe en son sein.

c) Les juifs : communauté religieuse, caste ou nation ?

Les protagonistes du nationalisme et du séparatisme cherchent souvent à justifier leur refus de prendre une position de classe en disant que l’union des travailleurs appartenant à la nationalité opprimée et ceux qui appartiennent à la nationalité dominante est, de toute façon, « impossible ». La seule solution, déduisent-ils, passe par une guerre nationaliste. Cet argument est souvent utilisé au sujet de la question palestinienne. Par la « guerre », dans ce cas, ils entendent la campagne d’attentats terroristes menée par le Fatah, le Hamas et d’autres formations palestiniennes. Les Israéliens – sans distinction de classe – sont considérés en bloc comme l’ennemi à abattre. C’est censé justifier les actes terroristes perpétrés contre les travailleurs israéliens. Or, la société israélienne est une société de classe. Le point de vue marxiste, sur la question palestinienne comme sur toutes les autres, est un point de vue de classe, et condamne sans appel les assassinats et attentats à la bombe perpétrés contre des travailleurs, d’où qu’ils viennent. Les juifs aussi ont le droit de vivre, le droit à l’« autodétermination », et n’ont aucune envie d’être contraints d’appartenir à un Etat arabo-musulman dans lequel ils seraient une minorité opprimée. Le programme des marxistes doit tenir compte de cette aspiration, au même titre que celle des autres peuples de la région.

L’argument visant à nier ce droit aux juifs consiste à dire que le terme « juif » désigne non pas un peuple, non pas une nationalité, mais seulement une religion. C’est un argument qui peut paraître plausible à première vue, et qui, en tout état de cause, a semé une certaine confusion. Historiquement, la condition des juifs a varié considérablement selon les époques et les régions où ils se trouvaient. A l’époque médiévale, les juifs n’avaient ni territoire, ni langue commune. Dans certaines régions, et notamment les régions germaniques, l’Europe centrale, la Russie etc., une partie de la population juive parlait Yiddish. Mais le plus souvent, ils adoptaient le langage des communautés dans lesquelles ils vivaient. Les juifs tendaient à être assimilés par ces communautés. Mais cette assimilation n’était pas toujours possible. Là où il leur était interdit de posséder des terres, les juifs ont été repoussés vers des activités marginales – à l’époque féodale – telles que le commerce et l’usure. Les Papes et la hiérarchie de l’Eglise Catholique, voulant encourager le commerce, les avaient protégés dans un premier temps, mais, plus tard, leur ont infligé d’innombrables massacres et persécutions. La marginalisation n’était pas, au fond, une question de religion, mais une question économique et sociale. Marx, par exemple, relevait le fait que la marginalisation de la couche supérieure de la communauté juive s’effaçait avec l’essor des rapports de production capitaliste. En tant qu’agents de l’économie monétaire – activité marginale sous le système féodal – les membres les plus riches de la communauté « se sont émancipés dans la mesure où les chrétiens sont devenus juifs, c’est-à-dire dans la mesure où la société chrétienne a acquis un caractère tout à fait commercial. » (Marx)

Là où il y avait assimilation, les juifs ne constituaient évidemment pas une nation. Et même la marginalisation par la répression et les discriminations diverses ne suffisait pas à les qualifier ainsi. Dans ce dernier cas de figure, Lénine les décrivait comme une « caste opprimée ». Dans la mesure où une « culture juive » existait, celle-ci, disait Lénine, était en substance la culture de la bourgeoisie juive, tout comme la « culture française » est celle de la bourgeoisie française. Une forte proportion de travailleurs et d’intellectuels juifs participait activement aux mouvements révolutionnaires et internationalistes d’Europe centrale et de la Russie, convaincus que l’oppression qu’ils subissaient ne pouvait cesser qu’au moyen d’une reconstruction révolutionnaire de la société. Lénine ne considérait pas les juifs comme une « nation ». Néanmoins, après la révolution de 1917, le gouvernement soviétique leur a proposé un territoire autonome (Birobidjan), mais peu de juifs ont accepté la proposition. La révolution d’octobre avait pleinement émancipé les juifs, leur garantissant une égalité totale des droits civiques. Cette égalité des droits n’a pas survécu à la réaction bureaucratique. Sous la dictature stalinienne, les juifs de l’URSS ont subi discriminations et persécutions.

Avec la politique d’extermination menée contre la population juive dans tous les territoires occupés par Hitler, des centaines de milliers de juifs ont émigré vers la Palestine. L’Etat d’Israël a pris forme, malgré l’opposition de l’impérialisme britannique. Les marxistes se sont opposés à la création de cet Etat. Mais sa réalisation représente un changement dont il faut tenir compte. A partir des communautés juives disparates et, jusqu’à l’avènement du fascisme hitlérien, largement assimilées aux nationalités européennes, une nouvelle nation a été créée. Les communautés juives actuellement en France, aux Etats-Unis ou ailleurs ne constituent pas des minorités nationales, car elles sont, comme autrefois, intégrées dans les nationalités locales, jouissant d’une complète égalité de droits, de citoyenneté, etc. Mais Israël est indiscutablement un Etat national, et les Israéliens sont une nation, remplissant tous les critères établis par Marx et Lénine, à savoir un territoire commun, une langue commune, etc. La conscience nationale israélienne non seulement existe, mais a acquis une certaine virulence.  Cette conscience nationale explique la résurrection d’une langue morte, l’Hébreu, et sa transformation en une langue vivante – un phénomène unique dans l’histoire de l’humanité.

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