Le 18 janvier dernier, le gouvernement roumain annonçait des amendements au Code pénal, au motif de réduire la surpopulation carcérale. En réalité, ils avaient pour but de protéger ou de libérer des politiciens corrompus liés au Parti Social-Démocrate (PSD), qui est au pouvoir depuis les législatives de décembre 2016. La réaction à cette annonce du gouvernement fut immédiate : plusieurs milliers de personnes sont descendues dans les rues de Bucarest et d’autres villes.

Le président Klaus Iohannis [1] – élu en 2014 – et son Parti National Libéral (PNL) ont profité de ces manifestations pour dénoncer les « politiciens criminels » du PSD. Quand on sait que Iohannis est personnellement lié aux capitalistes les plus corrompus du pays, c’est un comble !

Le 29 janvier, ils étaient 90 000, dans le pays, à manifester et crier : « voleurs ! », ce qui a poussé le Premier ministre PSD Sorin Grindeanu à organiser un débat public, puis à annoncer que la loi serait modifiée ou soumise à de nouveaux débats au parlement. Deux jours plus tard, il revenait sur ces concessions et déclarait que la loi était adoptée comme mesure gouvernementale d’urgence. Aussitôt, 15 000 personnes marchèrent vers le siège du gouvernement pour demander sa démission, affrontant la police. Le lendemain, plus de 300 000 personnes manifestaient dans plusieurs villes du pays et, de nouveau, il y eut des affrontements avec la police.

Ces manifestations ont clairement eu, dès le début, une orientation générale marquée à droite. Le drapeau roumain (mais aussi celui de l’UE et des Etats-Unis) y est omniprésent, comme l’hymne national et même de vieux slogans anti-communistes. Certaines entreprises ont offert des jours de congés à leurs salariés pour qu’ils puissent manifester.

Le 2 février, le président Iohannis a saisi la cour constitutionnelle dans l’espoir qu’elle s’oppose aux amendements au Code pénal. De son côté, le dirigeant du PSD Liviu Dragnea accusait Iohannis d’être « l’instigateur moral » des violences et de préparer un coup d’Etat. Les jours suivants, les manifestations n’ont cessé de croître, si bien que le gouvernement dut faire machine arrière, le 4 février, et annoncer que le décret serait abrogé dès le lendemain. Cette annonce a donné un nouveau souffle aux protestations : le 5 février, 500 000 personnes demandaient la démission du gouvernement, qui est extrêmement affaibli.

Restauration du capitalisme

Pour comprendre cette situation, il faut revenir près de 30 ans en arrière, après la chute de la dictature stalinienne de Ceausescu (1989). La restauration du capitalisme qui s’en est suivie a engendré une pauvreté et chômage massifs. La crise de 2008 a aggravé la situation. Aujourd’hui, près de 70 % de la population rurale vit sous le seuil de pauvreté, pendant que les plus riches n’ont cessé de s’enrichir. Le nombre de grèves et de manifestations a augmenté progressivement, pendant qu’une suite ininterrompue de scandales de corruption éclatait sur l’ensemble de l’échiquier politique, débouchant sur une abstention de 40 % aux dernières élections. L’annonce du projet de réforme du Code pénal a agi comme une étincelle sur la colère accumulée dans la population.

En l’absence d’une organisation représentant véritablement les intérêts des travailleurs roumains, la droite a pris le contrôle du mouvement avec le soutien enthousiaste des bourgeoisies européennes. En France, Libération comparait Liviu Dragnea à Ceaucescu.

Le mouvement s’est transformé, de facto, en une lutte entre deux fractions de la bourgeoisie roumaine. Le PSD, plutôt partisan de mesures protectionnistes, s’appuie sur une démagogie anti-austérité ; le PNL, pro-UE, a adopté des mesures d’austérité drastiques lors de son récent passage au pouvoir.

Des manifestations dirigées par des corrompus contre d’autres corrompus ne pourront évidemment pas faire disparaître la corruption, qui d’ailleurs est inhérente au système capitaliste. Dans la période à venir, les travailleurs roumains devront construire leur organisation politique – indépendante de toutes les factions de la classe dirigeante.


[1] La Roumanie connait une période de « cohabitation » : le président et le Premier ministre appartiennent à deux partis différents et concurrents.

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