La manifestation de Gênes et la répression qui l’a accompagnée marquent une rupture dans le développement du mouvement d’opposition à la "mondialisation capitaliste". D’une part, la mobilisation fut la plus importante de ce mouvement ; d’autre part sa répression a connu une intensification très significative. 300 000 manifestants se sont opposés à une organisation très poussée des forces policières et militaires. De très nombreux témoignages ont fait état de l’infiltration de policiers dans les groupes de casseurs, où ils encourageaient la violence dans le but de paralyser et de discréditer la manifestation, ainsi que des passages à tabac et la torture, dans les commissariats italiens.

Comme cela a été reconnu de toute part, la présence  de quelques éléments d’extrême-gauche particulièrement bornés, venus  à Gênes avec l’intention de provoquer des affrontements avec la police,  n’explique rien à la façon dont les choses se sont déroulées. Les faits  eux-mêmes démentent l’idée, avancée par le gouvernement italien et reprise  en chœur par les hommes politiques et les journalistes de droite,  selon laquelle la violence policière aurait été "à la mesure"  de la violence des manifestants. Il est évident que la police a orchestré  de part en part le cours des événements, suivant un scénario établi  de longue date par le gouvernement italien.

Le soir du vendredi 20 juillet 2001, jour de la mort  d’un manifestant, des militants communistes italiens présents à Gênes  nous écrivaient : "Toute la journée, on a laissé un petit groupe  de soi-disant "anarchistes" casser des vitrines de magasins  et de banques, brûler des voitures et lancer des cocktails Molotov.  Toute la journée, la principale chaîne de télévision nationale a montré  les images de ces scènes. Les forces de l’ordre n’ont rien fait pour  les empêcher. Des témoignages rapportent même que certains de ces "anarchistes"  discutaient avec un officier carabinier, ce qui indiquerait qu’il s’agissait  d’agents provocateurs. Quoi qu’il en soit, l’objectif était de donner  l’impression aux gens que l’ensemble des manifestants étaient violents,  afin de justifier la répression. Or, au contraire, la très grande majorité  des manifestants étaient des jeunes et des travailleurs ordinaires et  tout ce qu’il y a de plus pacifique."

L’objectif du gouvernement de Berlusconi était simple   : faire échouer une manifestation de masse. Depuis plus d’un an, dans  chaque pays où les grandes institutions de l’économie mondiale (FMI,  OMC, Banque Mondiale etc.) organisent une de leur réunion, les participants  ont à subir le spectacle irritant de milliers de jeunes et de salariés  venus protester contre les injustices générées par le capitalisme. Ce  que ses adeptes reprochent à de telles manifestations - et ces reproches  sont largement fondés - c’est qu’elles jouent un rôle dans la prise  de conscience, par la jeunesse et le salariat, des mécanismes de l’exploitation  généralisée sur lesquels repose le capitalisme. Car quelle que soit  la confusion qui règne autour de l’idée de lutte contre la "mondialisation"  capitaliste, c’est bien, dans le fond, contre la misère, les inégalités  sociales, et le cynisme des quelques profiteurs que ce mouvement s’est  constitué. Et ce que ces derniers craignent par-dessus tout, c’est que  la succession de manifestations de masse, directement dirigées contre  les plus purs représentants de ce système, maintienne une ambiance combative  qui contribue au développement des différentes luttes actuelles et à  venir.

Les luttes qui sont menées en France, et qui tôt ou  tard s’intensifieront, contre la dégradations des conditions de travail,  les plans sociaux, les privatisations, et tous les autres problèmes  qui se posent chaque jour, sont en rapport direct avec la mobilisation  de Gênes. Dans les deux cas, c’est la régression sociale imposée par  le capitalisme qui est en cause, et c’est ce qui en fait deux vases  communicants que les Berlusconi et les Chirac de ce monde veulent dissocier.

A Gênes, les manifestants comprenaient l’internationalisme  comme un sentiment de solidarité à l’égard de toutes les victimes d’une  même oppression s’exerçant désormais dans le monde entier. Leur niveau  de compréhension allaient bien au-delà des notions insipides de "citoyenneté",  et leurs aspirations bien au-delà des taxes minuscules sur des revenus  spéculatifs ou des mesures protectionnistes prônées par des regroupements  comme ATTAC. Les manifestations contre l’OMC, la Banque Mondiale et  le FMI expriment une aspiration à une économie mondiale dont le développement  favorise le progrès social et le bien-être des populations. La manifestation  de Gênes, qui a complètement levé le voile sur l’hostilité qu’une telle  initiative inspire aux grands de ce monde, a aussi montré, de part son  ampleur, que cette hostilité va devoir faire face à un mouvement massif,  déterminé à en finir avec le capitalisme, et que les coups et les menaces  n’arrêteront pas.