Irlande

Nous sommes fiers d’annoncer la publication du premier numéro du journal de la Tendance Marxiste Internationale en Irlande : Marxist Voice. C’est une étape importante dans la construction d’une organisation marxiste en Irlande.

Ce numéro comprend des articles sur la théorie économique de Marx, sur la crise du logement et de la santé dans le pays, sur les rapports entre la lutte de libération nationale de l’Irlande et la révolution socialiste, sur le dérèglement climatique et sur divers évènements internationaux.

Marxist Voice traitera des problèmes les plus pressants auxquels font face les jeunes et les travailleurs irlandais. Comme l’affirme son éditorial : « Si l’on veut mettre fin à la pauvreté, au mal-logement et à la misère, tout comme au sectarisme, à la division raciste et la partition [entre l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud], il faudra unir la classe ouvrière pour renverser le capitalisme dans toute l’Irlande. »

Comme son nom l’indique, l’objectif de ce journal est de faire entendre une voix marxiste en Irlande, et de la faire connaître à des couches toujours plus larges de la classe ouvrière et de la jeunesse, jusqu’à ce que les idées révolutionnaires du marxisme deviennent les idées motrices de l’ensemble du mouvement ouvrier.

On leur souhaite le plus grand succès !

23 ans après les « accords du Vendredi Saint », l’Irlande du Nord a connu une vague d’émeutes « unionistes ». Pendant des siècles, l’impérialisme britannique a attisé les divisions religieuses et communautaires pour y maintenir sa domination. Aujourd’hui, ses anciens protégés, les paramilitaires protestants, menacent de plonger la province dans un bain de sang. Seule une mobilisation unitaire de la classe ouvrière permettra d’écarter ce danger.

Une « mauvaise paix »

En 1998, après 30 ans de terrorisme, les dirigeants de l’IRA furent contraints de reconnaître qu’ils ne pourraient pas chasser les troupes britanniques à coup de bombes et de fusils. De son côté, le gouvernement britannique voulait mettre fin à cette guerre trop coûteuse, après 30 ans d’occupation militaire et de terrorisme d’Etat.

Un accord a donc été conclu : les ex-terroristes républicains sont devenus députés et ont prêté serment de fidélité à sa gracieuse majesté. Ils ont pu ainsi partager avec leurs homologues « unionistes » (protestants) le peu d’autonomie que Londres a bien voulu concéder à sa province d’Ulster. La division du pays a été sanctuarisée. Les fortifications construites par l’armée britannique – pour séparer les quartiers protestants des quartiers catholiques – ont été rebaptisées « murs de la paix ». Pourtant, sous la surface, aucun des problèmes fondamentaux n’était réglé. La signature du protocole du Brexit sur l’Irlande du Nord les a fait brutalement ressurgir.

Sur la base du capitalisme, l’application du Brexit à l’Irlande ne pouvait être « résolue » sans provoquer une crise. Puisque Londres quittait l’UE, il devait forcément y avoir une frontière soit entre les deux Irlandes, soit entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. Theresa May, puis Boris Johnson, ont promis à de multiples reprises que jamais l’Irlande du Nord ne serait séparée du reste du Royaume-Uni. Pourtant, l’accord signé avec l’UE, en décembre 2020, a créé une barrière douanière en Mer d’Irlande. Immédiatement, les dirigeants unionistes ont crié à la trahison.

Emeutes organisées

Début mars, plusieurs groupes paramilitaires unionistes ont annoncé qu’ils « quittaient » le protocole de paix de 1998. Puis, le 30 mars, des émeutes éclataient dans les quartiers unionistes de Derry, avant de s’étendre à Belfast. Ce n’était pas un mouvement spontané. Des patrons protestants avaient même prévenu que des émeutes allaient éclater. Cette mobilisation de petits groupes de jeunes protestants est clairement encadrée par les paramilitaires unionistes.

Les émeutiers ont attaqué la police avec des explosifs et des bombes incendiaires. Ils ont agressé et blessé grièvement un chauffeur de bus à Derry, dans le but d’utiliser son véhicule pour attaquer les quartiers catholiques. Plusieurs groupes d’émeutiers unionistes ont même réussi à forcer un « mur de la paix ». Ils ont rencontré une résistance acharnée de la part de jeunes catholiques sortis défendre leurs maisons et leurs familles. Sans surprise, ces actes d’auto-défense ont été réprimés par la police bien plus férocement que les émeutes loyalistes.

Depuis le 30 mars, les sorties nocturnes d’émeutiers unionistes n’ont pas cessé : les paramilitaires protestants font la démonstration de leur capacité de nuisance et agitent le spectre d’une nouvelle guerre civile pour contraindre Londres à renoncer à l’accord signé avec l’UE. Or un tel recul de Londres est difficilement imaginable, car cet accord commercial est vital pour les capitalistes britanniques. Une nouvelle vague de violences sectaires est donc probable.

Pacifisme ou lutte de classes ?

La seule solution réside dans une mobilisation unitaire des travailleurs catholiques et protestants. L’attaque du 6 avril, contre un bus de Derry, a suscité une réaction de colère et d’unité, avec une grève des chauffeurs catholiques et protestants. La majorité des travailleurs des deux communautés craignent plus que tout un retour de la violence sectaire.

Malheureusement, les dirigeants du mouvement syndical se réfugient derrière leur soi-disant « apolitisme » et se contentent de lancer des appels aux politiciens unionistes pour qu’ils « calment le jeu ».

Leurs espoirs ne peuvent qu’être déçus. Depuis la crise de 2008, la situation sociale et économique de la province est désastreuse. La pauvreté et le chômage y sont endémiques. 140 000 enfants vivent sous le seuil de pauvreté. Le capitalisme ne peut pas régler cette crise-là. Pour protéger leur propre domination, les dirigeants bourgeois des deux camps vont donc continuer de monter les travailleurs les uns contre les autres, comme ils le font depuis des siècles en Irlande.

Le mouvement ouvrier doit réagir par une politique audacieuse. Une grève générale politique doit être organisée pour isoler les paramilitaires. Des cordons de protection mixtes, groupant des travailleurs des deux communautés, doivent être mis en place par les syndicats pour protéger les quartiers attaqués par les paramilitaires. Cette politique n’est pas nouvelle. C’était, il y a un siècle, celle du révolutionnaire marxiste James Connolly. Ce n’est qu’en suivant son exemple – et son programme révolutionnaire – que la classe ouvrière d’Irlande pourra sortir du chaos où l’a plongée le capitalisme.  

Les électeurs irlandais ont voté massivement en faveur du mariage pour tous, faisant de l'Irlande le premier pays à faire ce choix par référendum. Cela représente une victoire de l’avenir sur le passé, de la jeunesse sur la vieillesse, de la raison sur l'ignorance, des villes modernes sur la vieille Irlande rurale et arriérée.

Dans de nombreux quartiers de Dublin, le « oui » a représenté plus de 70 % des suffrages, voire plus encore dans certains majoritairement ouvriers. Au total, le « oui » l'a emporté à 62,1 %. Quel changement cela représente ! L'annonce des résultats a été accueillie par une explosion d'enthousiasme populaire et par des rassemblements festifs de milliers de personnes. C'est une démonstration éclatante de l'évolution de la république d'Irlande. Le poids mort que représente le passé a été balayé par les forces vives de la société irlandaise. En effet, ce vote représente avant tout une victoire sur l'ancestrale dictature de l’Eglise. Les évêques s'étaient unanimement mobilisés contre le mariage pour tous, qui risquait d'après eux de « nuire au bien-être des enfants ». Quand on pense au passif de l’Eglise catholique en ce qui concerne l'enfance et son « bien-être », de telles déclarations semblent d'une hypocrisie sans fond.

Depuis les premiers jours de la république, l’Eglise a toujours été le principal pilier de la réaction en Irlande. Elle contrôlait la vie morale du pays, décidait de ce qui était bien ou mal, et vouait les communistes et les athées aux tourments éternels de l'Enfer. La dictature des prêtres ne se limitait pas à la messe du dimanche, mais dominait aussi les écoles, les hôpitaux et même les bals de village. Les curés faisaient le tour des maisons chaque année, pour s'assurer que les couples n'utilisaient pas de contraceptifs. Des milliers d'enfants, abandonnés ou nés de mères célibataires — pécheresses aux yeux de l’Eglise —, souffrirent mille tortures de la part de ceux, les religieux, qui devaient veiller sur eux. Ce pays, qui était le plus catholique au monde, a été submergé ces dernières années par un torrent de révélations : viols de mineurs par des prêtres ; maltraitances allant jusqu'aux meurtres dans les couvents ; protection des coupables par les évêchés.

Ces scandales ont fini par ébranler la confiance du peuple irlandais envers les prêtres et toutes les institutions de l’Eglise, à tel point qu’elle doit aujourd'hui faire venir des curés de l’étranger, faute de vocations locales. Même si plus de 80 % des Irlandais se déclarent toujours catholiques, cela ne veut plus dire grand-chose. Les églises vides, le dimanche, témoignent du dégoût général. Alors qu'en 1984, presque 90 % des Irlandais allaient à la messe chaque semaine, seuls 18 % le faisaient encore en 2011. Le vote sur le mariage pour tous représente une véritable révolution sociale et politique, un pas-de-géant laissant derrière lui l’Etat théocratique et réactionnaire dominé par l’Eglise et s'avançant vers une république démocratique et laïque. Cela ne peut que susciter l’enthousiasme de tous ceux qui aiment la liberté.

Néanmoins, le référendum irlandais a une signification bien plus large. Il est une manifestation de ce que Trotsky appelait le « processus moléculaire de la révolution ». Sous le calme apparent, colère et frustration grandissent dans les profondeurs de la société. Les gens sentent que leur voix n'est pas écoutée, qu'ils ne sont pas représentés par les politiciens. La colère monte contre toutes les institutions existantes : banques ; médias ; justice ; police et Eglise. Toutes faisant partie d'un système putréfié jusqu'à l'os.

Le gouvernement du Fine Gael et du Parti Travailliste a mené une politique d’austérité, infligeant aux Irlandais sept années d’accroissement de la pauvreté. Alors que les prochaines élections de 2016 se rapprochent, il est clair que le peuple n'acceptera pas de nouvelles coupes et hausses des impôts.

L'anxiété, la dépression et les suicides sont de plus en plus courants, alors que le taux d'endettement des ménages ne cesse de grimper. De son coté, le gouvernement continue de pressurer les travailleurs pour payer les dettes « du pays », c'est-à-dire en fait les dettes des banques.

Toutes ces contradictions s'accumulent et ont un effet radical sur les consciences. L'impression que la société est injuste est devenue générale, tandis qu'une hostilité grandissante se développe contre les inégalités et la corruption d'un système ou les riches sont de plus en plus riches tandis que les pauvres ne font que devenir plus pauvres.

La crise du système pèse encore plus lourdement sur la jeunesse. Plus de 30 % des 15-24 ans sont au chômage. La nouvelle génération d'irlandais, comme leurs frères et sœurs de par le monde, se révolte contre la société existante, ses valeurs, sa moralité et ses croyances. C'est ce qui explique l'importance énorme du vote pour le « oui » dans la jeunesse. Des jeunes cherchent partout une alternative à cette société pourrissante et sont largement ouverts aux idées du marxisme. Dans leurs luttes, ils redécouvriront les magnifiques traditions révolutionnaires de l'Irlande et du mouvement ouvrier irlandais. Sous le drapeau rouge de la révolution – celui de Marx et Lénine, de Trotsky et Rosa Luxemburg, de Larkin et James Connolly, ils finiront par triompher.

L’Irlande est l’un des trois pays de la zone euro (avec la Grèce et le Portugal) à avoir fait appel à une aide internationale d’urgence pour faire face à la crise de la dette. En décembre 2010, le pays avait obtenu un « plan de sauvetage » d’un montant de 85 milliards d’euros. Il avait été pris en charge par le FMI, les membres de la zone euro, le Royaume-Uni, La Suède, le Danemark et le fond de retraite public irlandais. En janvier dernier, les émissaires du FMI et de l’UE venus inspecter la mise en œuvre du plan de redressement consenti en échange de ce prêt se sont déclarés satisfaits. Ils ont assuré que le pays était « sur la bonne voie ». Après trois ans de plans d’austérité parmi les plus sévères au monde, quelle est aujourd’hui la véritable situation du peuple irlandais ?

Rappelons les conditions imposées au peuple irlandais en échange de ce prêt. Elles sont ratifiées dans le Croke Park Agreement. Ce plan d’austérité doit permettre à l’Etat irlandais d’économiser 15 milliards d’euros par an, soit 10 % de son PIB ! (C’est comme si l’Etat français avait un plan d’économie de 200 milliards). Sur ces 15 milliards, 10 milliards consistent en coupe dans les dépenses et 5 milliards en hausses d’impôts, particulièrement l’impôt sur le revenu et la TVA. Le salaire minimum a été amputé de 12 %, sans parler des coupes effectuées dans les retraites et les prestations sociales. Soulignons que toutes ces mesures avaient été approuvées par la Commission des services publics de la Fédération des syndicats irlandais (ICTU), en échange de la promesse de ne pas effectuer de licenciements et/ou de réductions salariales supplémentaires à ceux déjà inclus dans l’accord. Tout cela dans quel objectif ? Permettre à l’Irlande de retourner sur les marchés financiers d’ici fin 2013, afin de recommencer à emprunter…

A peine un an après la signature de cet accord, de plus en plus de députés du Fine Gael (le parti centriste au pouvoir) en demandent l’abrogation. Ils jugent que les concessions accordées aux syndicats ne sont pas tenables. De concert avec l’IBEC (le MEDEF irlandais) ils font pression sur le gouvernement – et sur les organisations syndicales – pour attaquer les salaires, les emplois et les conditions de travail de la fonction publique. Ainsi, la « modération » des directions syndicales n’a pas payé : la faiblesse invite à l’agression !

Depuis l’adoption de ce plan de rigueur, les travailleurs irlandais ont mené un très grand nombre de luttes, le plus souvent localement. Contrairement à ce que prétendent les médias, il n’existe pas de divisions entre les travailleurs du public et du privé. Ils ont déjà démontré leur solidarité à plusieurs occasions. En atteste l’exemple du sit-in des travailleurs de Vita Cortex, à Cork, dont les employeurs ont décidé du jour au lendemain de fermer boutique sans verser la moindre indemnité. Cette occupation des locaux de l’entreprise, entamée le 16 décembre, se poursuit encore grâce au soutien de la population. Cela démontre la détermination des travailleurs irlandais à lutter contre les attaques incessantes pour leur faire payer une crise dont ils ne sont pas responsables. La tâche des dirigeants syndicaux doit être, non seulement de soutenir les luttes sur le terrain, mais aussi de les généraliser et les coordonner au niveau national.

Récemment, l’Armée Nationale Irlandaise de Libération (INLA) a annoncé qu’elle renonçait à la « lutte armée » – c’est-à-dire, en fait, aux méthodes terroristes. C’est un grand pas en avant pour cette organisation et pour le républicanisme de gauche, en Irlande. Dans un discours prononcé à Dublin, Martin McMonagle a déclaré que « l’objectif d’une république socialiste de 32 comtés sera atteint par une lutte politique exclusivement pacifique ». Cette prise de position s’inscrit dans le processus de transformation politique de l’INLA, depuis le cessez-le-feu de 1998. Elle ouvre la voie à une évolution vers l’adoption d’une politique clairement socialiste et révolutionnaire.

Depuis sa formation, dans les années 70, l’INLA a toujours cherché à s’enraciner dans le mouvement ouvrier irlandais, du moins en paroles. Dans la pratique, cependant, le recours à la « lutte armée » a entraîné l’organisation dans une spirale d’assassinats et de violences sectaires. En conséquence, de nombreux militants se demandaient si l’organisation n’avait pas  complètement perdu de vue sa raison d’être et ses objectifs socialistes. La déclaration de McMonagle montre que l’INLA veut accomplir l’émancipation de la classe ouvrière en Irlande du Nord, comme en Irlande indépendante, et qu’elle reconnaît que cet objectif ne peut être atteint par le recours à des attentats – lesquels ne peuvent, au contraire, que nuire à sa cause. Une telle déclaration devrait être accueillie positivement par tous ceux qui luttent pour le socialisme.

Cependant, la référence à une « lutte politique exclusivement pacifique » mérite d’être précisée. Elle peut recouvrir différentes significations. La question se pose : comment l’INLA entend-elle développer une base dans le mouvement ouvrier – dans les six comtés d’Irlande du Nord, comme dans les 26 autres ? Si elle devait se traduire par la transformation de l’organisation en une simple machine électorale et parlementaire, la renonciation au terrorisme individuel reviendrait à sortir d’une impasse pour entrer dans une autre. L’expérience d’autres groupements républicains qui ont opté pour une voie purement parlementaire a montré que cela mène à une complète capitulation. L’exemple le plus flagrant de cette dérive est l’évolution du Sinn Fein « provisoire », qui est devenu un parti capitaliste comme les autres.

Ayant renoncé à la « lutte armée », l’INLA et le Parti Socialiste Républicain Irlandais doivent à présent s’efforcer de développer l’influence des idées du républicanisme socialiste chez les travailleurs catholiques comme chez les travailleurs protestants. Seules les idées du socialisme peuvent surmonter les divisions religieuses et sectaires. Des années de terrorisme ont marqué la conscience des travailleurs de l’Irlande, particulièrement dans le Nord. En ces temps de crise économique et sociale, toutes les organisations révolutionnaires doivent patiemment expliquer les idées du socialisme et de l’internationalisme, et s’efforcer d’organiser les travailleurs indépendamment de la communauté religieuse à laquelle ils sont assimilés.

Pendant que les investissements étrangers chutent dans le secteur du bâtiment – secteur qui avait été le moteur de l’économie irlandaise, pendant de longues années – et que  le gouvernement applique une politique d’austérité, les organisations comme l’INLA doivent expliquer qu’aujourd’hui, plus que jamais, un ouvrier irlandais a toujours plus de choses en commun avec un autre ouvrier, qu’il soit protestant ou catholique, qu’avec n’importe quel capitaliste.