Le résultat du Front de gauche aux élections européennes a été accueilli avec soulagement, au sein du PCF. Beaucoup de militants communistes redoutaient un nouveau recul du parti – ou, en l’occurrence, des listes qu’il soutenait. Mais de nombreux militants pensaient – et, souvent, espéraient – que la stratégie du Front de gauche se limiterait aux élections européennes. Ce n’est pas le cas. Fort d’un résultat qu’elle qualifie de « beau signe d’espoir », la direction du PCF appelle les militants communistes à « poursuivre et élargir » le Front de gauche, dans la perspective des prochaines échéances électorales. Cela suscite des doutes et des interrogations, dans les rangs du parti.

La Riposte a appelé à voter pour les listes du Front de gauche. Mais dans le même temps, nous avons formulé un certain nombre de critiques, qui portaient à la fois sur la stratégie et le programme défendus par la direction du parti (voir ICI). Or, comme nous allons le montrer, ces critiques n’ont pas été invalidées, mais, au contraire, confirmées par le résultat des élections européennes, qu’il faut soumettre à une analyse sobre et sans complaisance.

Le résultat du Front de gauche

Encore une fois, au regard de la longue période de déclin électoral qu’a connu le PCF, on comprend parfaitement que beaucoup de camarades soient satisfaits – ou, au moins, soulagés – par le résultat du Front de gauche. Ceci dit, le Front de gauche n’a que très faiblement progressé, par rapport au score du PCF en 2004. Il a recueilli 1,1 million de voix, contre 1 million en 2004. Ces 100 000 voix supplémentaires représentent 0,6 % des suffrages exprimés et moins de 0,3% des inscrits. Mais surtout, les leçons de ce résultat électoral ne peuvent être tirées à partir de la seule comparaison du nombre de voix recueillies en 2004 et cette fois-ci. Le résultat du Front de gauche doit être apprécié de façon relative, en tenant compte de trois éléments, au moins : 1) l’abstention massive ; 2) la chute du vote socialiste ; 3) les grandes luttes sociales de ces dernières années et l’impact de la récession mondiale.

Le fait majeur de cette élection fut le niveau historique de l’abstention (59,5%). On lit, dans la presse du parti, que le Front de gauche en aurait souffert, au même titre que le PS. Dans la grande masse des chômeurs et des bas salaires, le rejet de la politique et des institutions réactionnaires de l’UE a débouché sur une très forte abstention. Cela a mécaniquement favorisé la droite, car les couches intermédiaires et supérieures de la société ont, elles, davantage voté.

Tout ceci est exact. Mais en même temps, c’est une explication qui n’explique rien du tout. Car c’est précisément la grande masse des travailleurs et des chômeurs qui constitue – ou devrait constituer – la base sociale et électorale du Parti Communiste. Mais pour arracher les travailleurs à l’abstention et les convaincre de voter PCF, il nous faut un programme et des idées qui leur ouvrent une perspective de rupture radicale avec l’ordre établi. Voilà le cœur du problème.

Beaucoup de travailleurs considèrent les institutions européennes comme un repère de politiciens bourgeois aux ordres des riches et des puissants. Ils ont parfaitement raison. Cependant, ces mêmes travailleurs sont tout à fait capables de comprendre la nécessité d’aller quand même voter pour des candidats communistes aux élections européennes, à une condition : que le PCF leur apparaisse comme un parti très différent de tous les autres, comme un parti qui lutte résolument contre la pauvreté et l’exploitation – et dont le programme peut y mettre un terme définitif.

Il était tout à fait possible, pour le PCF, de gagner de nombreuses voix dans la grande masse des abstentionnistes (26 millions !), dont l’écrasante majorité est constituée de victimes du capitalisme. Le résultat du Front de gauche, par rapport à 2004, montre que cela n’a pas été le cas – ou de façon très marginale. La raison nous paraît évidente : le programme et les idées du Front de gauche n’ont pas convaincu ces millions de jeunes, de travailleurs et de chômeurs qui ont refusé d’aller voter, le 7 juin dernier.

Ce problème est d’autant plus flagrant que la situation économique et sociale de ces dernières années était – et demeure – très favorable à une progression rapide du PCF. On ne prétend pas, bien sûr, que les luttes sociales et la récession mondiale poussent mécaniquement les travailleurs dans les bras du parti. La classe ouvrière n’est pas homogène, et l’évolution politique de ses différentes couches est un processus complexe, contradictoire. Mais gardons à l’esprit que le Front de gauche a très peu progressé, par rapport à 2004. Or, depuis 2004, la France a connu toute une série de luttes massives de la jeunesse et des salariés. Par ailleurs, la récession et ses conséquences sociales désastreuses poussent de plus en plus de gens à tirer la conclusion que le système capitaliste est une impasse. Dans ce contexte, il était parfaitement possible, pour le PCF, de gagner le soutien d’une partie de cette masse de jeunes et de travailleurs qui cherchent plus ou moins confusément une alternative au capitalisme. C’était possible, oui – à condition de défendre cette alternative révolutionnaire, d’expliquer la nécessité de mettre fin au capitalisme et de reconstruire la société sur des bases socialistes. Or, le Front de gauche a défendu un programme réformiste. Si nous voulons que le parti progresse au rythme où il doit et peut progresser, il nous faut absolument corriger cela.

Un autre élément confirme cette analyse : le score du PS. Alors que le Front de gauche a progressé de 100 000 voix, depuis 2004, le PS en a perdu 2,2 millions. Où se sont reportées ces 2,2 millions de voix ? Principalement sur les Verts et l’abstention, mais très peu sur le Front de gauche. Ainsi, malgré la dérive droitière des dirigeants du PS et leurs guerres obscènes pour des postes, les électeurs socialistes de 2004 n’ont pas vu dans le Front de gauche une alternative crédible au Parti Socialiste. C’est un fait incontestable, auquel tous les militants communistes doivent réfléchir.

Le fait est que la masse de la population ne voit pas de différence fondamentale entre le programme du PS et celui du PCF. Et si elle n’en voit pas, c’est parce que, précisément, il n’y en pas. Quelle est, d’une formule, le programme du Parti Socialiste sur l’Europe ? « L’Europe sociale » – sur la base du capitalisme. Et celui du PCF ? C’est exactement le même. Le programme officiel du PCF, comme celui du PS, ne remet pas en cause la propriété capitaliste des banques, de l’industrie et des grands leviers de l’économie en général. Ces deux programmes proposent d’en finir avec les conséquences du capitalisme… sur la base du capitalisme.

Certes, dans le détail, les programmes du PS et du PCF diffèrent. Le PCF avance des propositions plus radicales sur telle ou telle question (salaires, conditions de travail, etc.). Mais précisément, la masse des travailleurs, en général, ne prête pas attention aux détails des programmes. Elle se contente des grandes lignes, des principaux mots d’ordre – et, surtout, des leçons de son expérience. Or, les grandes lignes du programme du PCF et l’expérience des gouvernements PS-PCF, depuis 1981, ont poussé des millions de travailleurs à tirer la conclusion que rien de fondamental ne distingue la politique du PCF de celle du PS.

Pour tenter de se distinguer du PS, pendant la campagne électorale, les dirigeants du PCF ont systématiquement rappelé qu’à l’inverse de la plupart des dirigeants socialistes, le PCF avait fait campagne pour le « non » au Traité Constitutionnel Européen (TCE), en 2005 – puis contre le Traité de Lisbonne, en 2007 et 2008. Il est vrai que le PCF a joué un rôle déterminant dans la victoire du « non », en 2005, et qu’il a vigoureusement dénoncé le Traité de Lisbonne. Très bien ! Il fallait le faire, et la position de la direction du PS, sur ces traités capitalistes, était scandaleuse. Cependant, quelle est l’expérience concrète des travailleurs ? Avant comme après le rejet du TCE, les contre-réformes se sont succédées, le chômage a augmenté et les inégalités se sont creusées. En d’autres termes, le capitalisme a été rejeté dans le texte, mais il a continué ses ravages dans la réalité. Or, c’est à la réalité que les travailleurs s’intéressent. Le PCF ne peut se contenter de rappeler aux travailleurs sa lutte passée contre le TCE : il doit surtout défendre un programme crédible – c’est-à-dire communiste – pour mettre fin aux fermetures d’entreprises, aux plans sociaux, à la pénurie de logements, au démantèlement des services publics et à la misère de masse. Tout en participant activement à la lutte pour des réformes et contre les attaques de la droite, il doit patiemment et systématiquement expliquer la nécessité d’en finir avec le système capitaliste lui-même.

Le PCF et le Front de gauche

L’Humanité célèbre avec enthousiasme la « dynamique unitaire » du Front de gauche. Or, le Front de gauche n’ayant que très légèrement progressé, par rapport à 2004, de deux choses l’une : soit l’alliance avec le Parti de Gauche n’a rapporté que très peu de voix, soit c’est le poids électoral spécifique du Parti Communiste qui a reculé, dans le vote pour le Front de gauche. Dans les deux cas, on ne voit pas bien en quoi cette « dynamique unitaire » devrait susciter l’enthousiasme des militants communistes.

On ne peut pas régler les problèmes politiques et idéologiques du PCF par des combinaisons organisationnelles, des effets de tribunes « unitaires » et des jeux d’étiquettes. C’est ce qu’avait déjà démontré la pénible expérience des présidentielles de 2007, lorsque le parti s’était embourbé dans les « collectifs anti-libéraux », avant de se présenter sous le drapeau mort-né de la « Gauche populaire et anti-libérale ». Depuis, le drapeau a changé, mais la démarche reste au fond la même. Les dirigeants du parti cherchent désespérément à présenter un visage « unitaire ». Ils ont annoncé comme un grand événement l’alliance du PCF et du tout petit Parti de Gauche. Et comme cela fait toujours un logo de plus, sur les tracts et les affiches, ils ont même salué avec enthousiasme le ralliement au Front de gauche d’une minuscule scission du NPA (la « Gauche unitaire »).

La Riposte n’est pas hostile à des alliances avec d’autres forces de gauche. Mais en l’occurrence, tout cet échafaudage « unitaire » est très artificiel. Les militants communistes l’ont bien vu, sur le terrain. Dans la très grande majorité des sections du parti, surtout en dehors des grandes villes, les communistes ont été bien seuls à faire campagne, à coller des affiches, à diffuser des tracts, à organiser des réunions publiques, etc. Oh ! Ils n’ont rien à reprocher aux masses militantes du Parti de Gauche et de la « Gauche unitaire » : elles n’existent pratiquement pas. Au regard des effectifs et de l’implantation nationale du PCF, ce ne sont pas les 2 ou 3000 encartés du Parti de Gauche – sans parler de la « Gauche unitaire » – qui pouvaient sérieusement renforcer la mobilisation militante. Sur le terrain, loin des studios de télévision et des tribunes des grands meetings, le Front de gauche était un « Front » du PCF avec lui-même, ou peu s’en faut.

On comprend bien, dès lors, que la direction du parti parle « d’élargir » le Front de gauche. Mais à quelles organisations pense-t-elle, concrètement ? Le ralliement du PS est exclu : ses dirigeants se préparent à faire « front » avec le MoDem, dès les élections régionales de mars 2010. Que reste-t-il ? De nouvelles scissions du PS ou du NPA ? Rien de tel ne s’annonce, dans l’immédiat. On ne peut faire surgir des organisations du néant par un simple appel à « élargir le Front de gauche ». Certes, on peut s’attendre au ralliement de « personnalités » en mal de postes – et qui ne représentent qu’elles-mêmes. Mais une chose est certaine : l’« élargissement » du Front de gauche ne modifiera en rien l’écrasante domination de sa « composante » communiste. Et pendant ce temps, le PCF risque de disparaître partiellement derrière le drapeau du Front de gauche, aux yeux de la population. La poursuite et « l’élargissement » du Front de gauche pourraient se traduire, dans les faits, par un rétrécissement de l’activité et du rayonnement publics du PCF. Beaucoup de militants s’en inquiètent, à juste titre.

Le résultat électoral du Front de gauche prouve qu’il n’y a rien d’irréversible, dans le déclin du PCF. Il rappelle aussi ce que peut accomplir la mobilisation de dizaines de milliers de communistes, sur le terrain. Mais pour que le parti réalise tout son potentiel, dans la période à venir, il faut de profondes modifications de son programme. C’est indispensable, si nous voulons que le parti progresse à grand pas chez ces millions de jeunes et de travailleurs qui sont de plus en plus critiques à l’égard du système capitaliste. Le réarmement idéologique et programmatique du parti est la tâche centrale qui attend les militants communistes. Comme le disait le titre de notre document de congrès, il faut « renforcer le PCF et renouer avec le marxisme ». Dans le contexte actuel, qui lui est très favorable, le parti pourra alors rapidement remonter la pente et se mettre en position d’accomplir sa mission historique : le renversement du capitalisme et la transformation socialiste de la société.

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