Depuis la fin du mois d’avril, une violence policière inouïe s’abat sur les bidonvilles de Mayotte. L’opération « Wuambushu » – « reprise en main » – est conforme aux promesses d’« actions spectaculaires » faites par Gérald Darmanin : plus de 1800 policiers et gendarmes affrontent nuit et jour les gangs, tandis que les migrants sont contraints de fuir dans les montagnes. Fin mai, la préfecture a fait détruire le bidonville de « Talus 2 » et expulser 380 personnes.

Pauvreté généralisée

Cette « opération » est une manœuvre pour détourner l’attention de la crise sociale et économique structurelle que connaît Mayotte. Située au large de Madagascar et non loin des Comores, l’île de Mayotte est de loin le département le plus pauvre de France. D’après l’INSEE, 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté. En 2019, l’île détenait le triste record du taux de chômage le plus élevé en France : près de 34 % de la population y était sans emploi, un chiffre d’autant plus impressionnant qu’il prenait en compte l’économie « informelle ».

Avant la poussée inflationniste de 2022, le panier de courses moyen coûtait déjà 73 % de plus à Mayotte qu’en métropole. Le mal-logement y est endémique : 40 % des résidences principales sont des cases en tôle, près du tiers des foyers n’a pas accès à l’eau courante et 10 % d’entre eux ne sont même pas raccordés à l’électricité.

Les services publics sont saturés du fait d’un sous-investissement chronique. Le 29 avril, un reportage de France Info signalait qu’il faudrait ouvrir près de 850 classes de primaire supplémentaires pour répondre aux besoins de la population. Certaines classes de lycée comptent jusqu’à 39 élèves. Quant au seul hôpital public du département, il est constamment en sous-effectifs, et la plupart de ses services sont au bord de l’effondrement.

Les migrants comoriens

Cette pauvreté généralisée n’empêche pas des milliers de migrants de rejoindre Mayotte depuis les Comores, dans l’espoir d’une vie meilleure. De nombreuses familles comoriennes tentent la traversée, au péril de leur vie, sur des bateaux de fortune : les « kwassa-kwassa ». Des centaines de personnes meurent, chaque année, dans cette tragédie permanente qui avait tant fait rire Emmanuel Macron en 2017. Ceux qui arrivent vivants à Mayotte y sont immédiatement traqués par la police française. Chaque année, des milliers de Comoriens sont expulsés et des centaines de « bangas » (cabanes en tôle) sont détruits, le plus souvent sans qu’aucune solution de relogement ne soit proposée à leurs habitants.

Les enfants des migrants adultes expulsés sont souvent séparés de leurs familles par la police et, dès lors, livrés à eux-mêmes. Nombre d’entre eux rejoignent des gangs qui vivent du racket et de cambriolages. Ils y retrouvent nombre de jeunes Mahorais poussés dans la délinquance par l’absence de toute perspective économique. La multiplication des gangs à Mayotte n’est pas une conséquence de l’immigration, mais de la pauvreté généralisée.

Cette situation a fait naître une immense colère que le gouvernement tourne contre les migrants, sans rien régler aux problèmes économiques de l’île. L’extrême droite demande d’interdire aux migrants l’accès aux services publics, tandis qu’en détruisant les cabanes et en expulsant toujours plus de migrants adultes, le gouvernement ne fait qu’aggraver la pauvreté et renforcer la délinquance.

Bras de fer diplomatique

Cette situation a aussi provoqué une crise diplomatique. Mayotte a été séparée du reste des Comores lorsque celles-ci sont devenues indépendantes, en 1975. Depuis, le gouvernement comorien revendique la souveraineté sur Mayotte. Paris refuse de céder, car cette île offre à l’impérialisme français des avantages énormes, du fait de ses eaux territoriales riches en poissons, mais aussi et surtout du fait de sa situation stratégique dans l’Océan indien.

Avec le début de l’opération Wuambushu, un bras de fer diplomatique s’est engagé entre Paris et le gouvernement comorien. Celui-ci refuse que les clandestins expulsés de Mayotte soient renvoyés aux Comores. Le fait est que pour de très nombreux Comoriens, l’exil à Mayotte est la seule perspective d’amélioration de leur sort. Les « actions spectaculaires » de Darmanin suscitent donc une énorme colère dans l’archipel, et le gouvernement comorien n’entend pas en faire les frais. Début mai, le président comorien, Azali Assoumani, a déclaré qu’il aurait mieux valu que l’opération Wuambushu soit menée de façon « plus discrète ».

Cette crise diplomatique est aussi nourrie par les rivalités entre grandes puissances impérialistes. Les Comores se sont récemment rapprochées de la Chine, qui y a réalisé de gros investissements dans les infrastructures et a annoncé soutenir le « maintien de l’intégrité territoriale » des Comores, c’est-à-dire son unification avec Mayotte. Le président Assoumani lui a retourné la faveur en se prononçant pour la « réunification complète de la Chine », c’est-à-dire pour l’annexion de Taïwan.

La crise économique et sociale de Mayotte est le produit de la crise générale du capitalisme. Incapable d’améliorer les conditions de vie de la population, l’impérialisme français n’a rien d’autre à proposer à Mayotte que la violence et la xénophobie.

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