Michel Sapin, ministre du Travail, a annoncé sa volonté de transformer en profondeur les services du ministère, et plus particulièrement l’Inspection du Travail. Ce projet de loi a suscité l’inquiétude et l’opposition des agents de l’Inspection du Travail, mais aussi de plusieurs organisations syndicales de salariés, dont la CGT. Pourquoi ?

A l’heure actuelle, l’Inspection du Travail est organisée en sections d’inspection, composées d’un inspecteur du travail, de deux contrôleurs du travail et d’un ou deux secrétaires. Chaque section est compétente sur un secteur géographique donné, où elle est chargée de faire appliquer le droit du travail. Les inspecteurs et les contrôleurs du travail sont les agents chargés de mener les contrôles au sein des entreprises de ce secteur et de conseiller les salariés afin que le droit soit effectivement appliqué. Les inspecteurs sont les chefs de service des contrôleurs, mais ces derniers choisissent eux-mêmes les entreprises qu’ils veulent contrôler et les suites à donner à ces contrôles (procès-verbal, mise en demeure ou simples observations écrites). De même, les inspecteurs d’un même département sont placés sous l’autorité d’un directeur du travail, mais ils restent maîtres de leurs contrôles.

Cette indépendance des agents de contrôle de l’Inspection du Travail a pour fonction de les mettre à l’abri, au moins partiellement, des pressions politiques – et notamment celles du gouvernement (les préfets et les ministres étant bien sûr sensibles aux pressions du patronat). Elle est formellement garantie depuis 1947 par une convention internationale, la convention OIT n°81, qui stipule que « le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue. »

La principale menace que fait peser le projet de loi Sapin sur l’inspection est la perte de cette indépendance par la création d’un nouvel échelon hiérarchique : le Responsable d’Unité de Contrôle (RUC). L’idée est de liquider les sections actuelles, de regrouper les contrôleurs et inspecteurs en Unité de Contrôle (UC) sous l’autorité d’un RUC qui sera chargé de programmer l’activité des agents suivant des « priorités nationales », officiellement pour permettre un service public de meilleure qualité.

De plus, sur la question du travail dissimulé, dit « travail au noir », le projet de loi crée une « Unité Régionale de Contrôle » qui lui sera spécialement dédiée, et placée sous les ordres des directeurs régionaux, eux-mêmes nommés directement par le pouvoir politique. On peut donc craindre une mise sous tutelle d’une partie des enquêtes politiquement « sensibles » de l’Inspection du Travail. En particulier celles concernant un travail dissimulé de grande ampleur compromettant les grands groupes capitalistes, qui pourraient ainsi bénéficier de passe-droits, notamment en faisant du chantage à l’emploi au gouvernement.

La carotte et le bâton

Comme tout bon coup de bâton législatif, celui-ci est accompagné d’une carotte. Ainsi, Michel Sapin a promis aux contrôleurs du travail qu’ils pourraient tous devenir inspecteurs d’ici 10 ans, grâce à un examen professionnel. Ils verraient ainsi leur rémunération augmenter. Mais à l’heure actuelle, seuls 15 % de ces transformations d’emploi sont financées sur les trois ans à venir et la pyramide des âges fait que, d’ici dix ans, les deux tiers des contrôleurs actifs seront partis à la retraite. Or ils ne seront pas remplacés, puisqu’il n’y aura plus de concours de recrutement, mais uniquement des recrutements d’inspecteurs. Pour l’instant, aucun financement ne garantit le remplacement des centaines de postes de contrôleurs qui seront supprimés et remplacés par des postes d’inspecteurs. Dans un contexte de restrictions budgétaires, on est en droit de douter qu’un tel financement soit débloqué.

Le projet de loi Sapin amène donc une dégradation supplémentaire du service public d’Inspection du Travail, qui est souvent le seul rempart des salariés face aux abus patronaux, surtout dans les entreprises où il n’existe pas de syndicat. Ce service public souffre déjà de sous-effectif chronique. En effet, pour 18,3 millions de salariés du secteur privé, l’Inspection du Travail ne compte que 1450 contrôleurs et 800 inspecteurs : chaque agent de contrôle a donc en charge plus de 8000 salariés !

Avec une perte d’indépendance et une perte d’effectifs, Michel Sapin veut créer une Inspection du Travail moins nuisible pour le patronat. L’existence d’un corps de fonctionnaires indépendants, chargés de défendre les droits conquis par les salariés, est un produit de la lutte des classes. En ces temps de crise du capitalisme, le patronat, relayé par le gouvernement, fait tout pour mettre à bas ces conquêtes sociales du passé. Leur défense et leur extension ne pourront venir que de la mobilisation des travailleurs eux-mêmes.


NB : Le 20 février, le Sénat a voté le projet de loi Sapin, mais en l’amputant de son volet sur l’Inspection du Travail. Cependant, le gouvernement annonce qu’il trouvera place dans un autre texte de loi.

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