Cela fait seulement quelques mois que je suis facteur, mais je connais déjà bien La Poste. Mon père, ma mère, ma sœur, mes oncles et mes tantes y ont travaillé ou y travaillent toujours. Lorsque j’étais lycéen et étudiant, j’y travaillais pendant les vacances scolaires. Et je constate que quelque chose a changé, dans cette entreprise. Un climat nauséabond s’est développé, sans crier gare. Le facteur au service du public s’est transformé en machine à générer du profit. Bien avant la privatisation que nous ne cessons de dénoncer, à juste titre, La Poste a pris un tournant décisif.

Concoctée dès 2007, la réorganisation du travail des facteurs, pompeusement baptisée « Facteur d’avenir », s’est propagée comme un fléau de bureau de poste en bureau de poste. Première conséquence, dans les petites villes, des bureaux où travaillaient des facteurs isolés ont été fermés et regroupés dans des « hyper-centres » de distribution. La CGT estime que 40 000 postes ont été supprimés.

Cette réorganisation du travail consiste à regrouper les facteurs en équipe de six, avec un « chef » nommé « facteur qualité » et un sous-chef nommé « facteur d’équipe ». Le « facteur d’équipe » possède une tournée particulière qui se divise en cinq et que les autres facteurs (ceux sans qualité) rajoutent à leur propre tournée des lundi, mardi et samedi. Autrement dit, les facteurs rajoutent environ une rue à leur tournée. L’objectif est de ne plus avoir à payer un facteur « rouleur », dont le rôle était d’assurer les tournées les jours de RTT. Or, il faut savoir qu’un facteur travaille 6 jours sur 7 – d’où les RTT – et que les lundi et mardi sont des jours où il y a moins de courrier, car les entreprises en envoient moins en fin de semaine. A l’inverse, les jeudi et vendredi sont des journées très chargées. Ainsi, avant « Facteur d’avenir », les lundi et mardi permettaient jadis au facteur de souffler un peu, voire même parfois de manger un repas chaud le midi (quel luxe !). Ceci est révolu, car les lundi et mardi, La Poste rajoute aux facteurs 45 minutes de travail en plus (non payées). Désormais, les lundi et mardi sont les jours les plus difficiles.

En outre, les étudiants ne pourront plus travailler comme facteurs, en août, car les facteurs devront faire 45 minutes de tournée en plus pour remplacer leurs collègues partis en vacances. Ceci, bien sûr, sans contrepartie !

Mais le cynisme de la direction de La Poste ne s’arrête pas là. Dans le cadre de « Facteur d’avenir », un système de « prime à l’intéressement » a été instauré. Dans les faits, cette prime est versée à l’ensemble des facteurs d’un secteur – c’est-à-dire à l’équipe de six –, à condition que l’ensemble des tournées aient été bien distribuées, pendant le mois. Donc, si l’un de vos collègues est malade, et que La Poste ne le remplace pas – et croyez moi, elle ne le remplacera pas –, il vous fait perdre le bénéfice de la prime. La maladie d’un travailleur ne fait plus perdre de l’argent à l’entreprise – mais à d’autres travailleurs. Diviser pour mieux régner…

Au-delà de l’ambiance électrique que ce système peut générer, les autres facteurs ont tendance à vouloir se partager leur tournée pour ne pas perdre une partie de leur salaire. Plus les salariés sont malades et plus l’entreprise gagne de l’argent. Ainsi, la semaine dernière, mon collègue a été victime d’un lumbago (car porter 65 kg de courrier, 6 jours sur 7, pendant 30 ans, ça fait mal au dos...). J’avais alors le choix entre travailler plus pour gagner autant – ou perdre une partie de mon salaire.

Avec l’expérience, les postiers réalisent que « Facteur d’avenir » est une régression. Ces derniers mois, les luttes se sont multipliées pour remettre en cause cette nouvelle organisation du travail. Et ce n’est qu’un début !

F.L (facteur)

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