Fin mars 2021, Deliveroo entrait en bourse. Ce fut la plus grande introduction boursière depuis 10 ans, à Londres : 8,9 milliards d’euros de valorisation. Le ministre des Finances britannique, Rishi Sunak, a jugé l’opération « fantastique ». Dès lors, l’entreprise a pu s’acheter une plus grande visibilité et financer sa croissance.

Parallèlement, que s’est-il passé pour les travailleurs de Deliveroo ? Malgré une conjoncture qui a permis à Deliveroo de se développer, le tarif à la commande (payé aux livreurs) a baissé, et le nombre de livreurs a augmenté. Deliveroo ne leur rend pas de comptes, car ses livreurs sont officiellement « indépendants ». En même temps, la plateforme a proposé une « rétribution financière exceptionnelle » à certains de ses livreurs « partenaires ». C’est la bonne vieille tactique : diviser pour mieux régner.

Mais depuis le début de l’année, au Royaume-Uni, en Australie, en France et ailleurs, les livreurs se regroupent et passent à l’action. Tous s’unissent sur les mêmes mots d’ordre : ils dénoncent la précarité de leurs conditions de travail et l’injustice de leur statut. Ils exigent des droits pour les livreurs, sous la bannière internationale : « Rights4Riders » (« Des droits pour les livreurs »).

Malgré l’atomisation de leur statut et la compétition inhérente à leur travail, ils ont réussi à s’organiser pour défendre leurs conditions de travail. Pour mieux connaître ce combat, Révolution a rencontré Yohan Taillandier, livreur Deliveroo à Toulouse et militant au syndicat LUT-CGT.


Révolution : Comment est né votre syndicat ?

Yohan Taillandier : A l’origine, Deliveroo avait établi auprès des livreurs que chaque course ne serait pas payée moins de 4,70 euros. Mais graduellement, le plancher du minimum garanti a été baissé jusqu’à 2 euros. Le mouvement de colère s’est accentué et une trentaine de livreurs en grève ont décidé de créer un syndicat. Après le premier syndicat créé à Bordeaux, les travailleurs des plateformes de Toulouse ont été entendus par la CGT, seul syndicat qui a accueilli et soutenu leurs revendications, et qui leur a proposé un cadre pour constituer le LUT-CGT : Livreurs Ubérisés Toulousains.

A quels obstacles êtes-vous confrontés ?

Les livreurs travaillent en compétition les uns avec les autres – et n’ont pas les mêmes moyens de transport. Mais en plus, les livreurs n’ont pas toujours les mêmes conditions, selon les plateformes pour lesquelles ils travaillent. La durée et le choix de la plage horaire de travail, la rémunération garantie, les bonus : tout cela change d’une plateforme à l’autre. Ceci dit, une chose est commune à tous les livreurs : ils sont tous dans la précarité, et ils le sont de plus en plus. D’où la nécessité d’une lutte commune.

Quelles ont été les conséquences des couvre-feux et confinements, pour les livreurs ?

En plus des tarifs en baisse, il arrive que les comptes des livreurs soient suspendus sans que la plateforme ait à s’en justifier. La précarisation augmente, les zones de travail s’étendent, les nombres de points de retrait aussi. Les livraisons ont été étendues aux supermarchés, avec quelquefois des colis lourds à transporter : eau, bière… Les livreurs appréhendent aussi l’après-covid : ils craignent qu’un certain nombre de livreurs perdent leur emploi.

Les plateformes font miroiter le plein emploi, mais ce n’est pas du tout la situation actuelle. Faisons la comparaison avec un restaurant : le même serveur sert quelques clients ; mais en ce qui concerne l’offre de livraison à domicile, on se retrouve parfois à 20 livreurs potentiels pour un client. Le délai d’attente avant la réception des commandes est souvent très long.

Quelles sont vos principales revendications ?

Nous exigeons la revalorisation du minimum par commande, la fin des blocages de compte, et davantage de droits et de protection pour notre statut.

Nous ne voulons pas être les bons petits soldats du macronisme, c’est-à-dire ceux qui ouvrent la voie à la désorganisation complète du statut de salarié. Actuellement, les travailleurs se divisent en deux catégories : salariés ou indépendants. Mais des actions en justice ont fait reconnaître qu’il y avait un lien de subordination entre les plateformes comme Deliveroo et les livreurs, qui ne peuvent donc pas être considérés comme indépendants. Nous souhaitons donc trouver un cadre légal acceptable. Après une rencontre avec le gouvernement début mars, rien de concret n’a été proposé en ce sens, à part une possibilité de formation. Mais avant de se former, il faut d’abord créer les règles qui nous permettent de trouver une voie médiane entre salariat et travail indépendant – et nous assurer un travail décent et régulier.

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