Face à la pandémie, les soignants ont été parmi les plus maltraités par le gouvernement. Et pendant que Macron et ses ministres promettaient des miettes, ils refusaient de donner au personnel soignant ce qu’il réclamait vraiment : des moyens matériels et humains. Avec le deuxième confinement, rien ne s’est arrangé ; au contraire, les choses ont empiré, et les soignants en ont ras le bol. Entretien avec Angélique Himbert-Bernard, aide-soignante à l’EHPAD de Cusset (Allier) et responsable CGT.


Pouvez-vous nous présenter votre EHPAD et nous parler de vos responsabilités syndicales ?

Je suis aide-soignante depuis 16 ans à l’EHPAD de Cusset, qui accueille près de 290 résidents. C’est un gros EHPAD dans le bassin vichyssois, avec environ 260 salariés, et neuf services. Depuis quelques années, je suis à la CGT. Je suis secrétaire du syndicat de l’EHPAD de Cusset, et j’assume également plusieurs mandats au niveau départemental, ce qui justifie que depuis trois ans, je suis en détachement complet pour le syndicat. Mais j’ai réintégré pendant quinze jours les services de soin, pour effectuer un remplacement au début du deuxième confinement, parce qu’il y avait un gros cluster dans notre EHPAD.

 

Dans votre EHPAD, quelles étaient les conditions sanitaires au début du second confinement ?

Nous n’avions pas du tout été touchés par le virus lors du premier confinement. Mais au début du deuxième confinement, tous les EHPAD de notre région ont connu une hausse des cas COVID : l’Allier était dans le rouge. Depuis peu, il y a une chute lente des contaminations, une décrue. Nous avons eu un gros cluster en octobre, avec 19 résidents et 4 soignants positifs au coronavirus, et nous avons connu quelques décès de résidents de l’établissement.

L’établissement ne met pas à notre disposition les masques FFP2, dont nous avons besoin pour les soins « invasifs », comme les soins de bouche par exemple, qui sont faits à grande proximité du visage. Lors du dernier CHSCT1, le 25 novembre, la direction a fait la sourde oreille, bien que nos mandatés syndicaux aient porté dignement les revendications de la CGT : notre syndicat demande plus que ce que l’Agence régionale de santé (ARS) préconise. Ce que nous avons fait remarquer, c’est que les soignants sont allés s’occuper de résidents atteints par le COVID avec les mêmes masques que ceux que vous utilisez pour aller faire vos courses. La direction a prétendu qu’on nous avait volé des masques chirurgicaux à l’époque du premier confinement, et refusait aujourd’hui de sortir les masques FFP2 pour éviter que cette situation ne se reproduise ! Elle n’a même pas eu la franchise de reconnaître le motif économique.

La direction n’a rien voulu entendre, et a prétendu ne pas savoir que les agents réclamaient des masques FFP2, alors que c’est faux, nous l’avions signalé ! Certains collègues ont été obligés d’acheter un masque FFP2, pour protéger leurs proches vulnérables. On a peur de contracter le virus, de le ramener à nos familles, et à nos résidents aussi. Mais la direction continue de nier l’évidence. On arrive au bout de la lutte au sein des instances, mais on sait que ces instances ne sont que consultatives : on n’arrivera à faire bouger les choses qu’en luttant, en menant des actions. On a fait notre travail de mandatés, mais on ne va pas s’arrêter là. Personnellement, j’ai invité tous les soignants à réclamer les masques FFP2 par mail, pour avoir une traçabilité écrite.

Le protocole sanitaire est moins important aujourd’hui que lors du premier confinement. Dans notre établissement, la CGT a revendiqué plus de protection dès le début du second confinement. Environ un tiers des EHPAD de l’Allier est couvert par des bases syndicales CGT, et contrairement au nôtre, certains établissements mettent à disposition des masques FFP2 pour leurs soignants. C’est l’ARS qui fait les budgets, et on voit bien que derrière, il y a des décisions économiques et politiques.

On a consigné dans notre registre un « danger grave et imminent », mais notre direction ne considère pas du tout cette situation comme dangereuse. La fédération nationale CGT Santé Action Sociale porte plainte pour montrer à l’Etat que les agents ont été en grande difficulté matérielle pendant cette crise sanitaire. Les responsables devront rendre des comptes.

 

Comment avez-vous accueilli les annonces de Macron du 24 novembre, et les perspectives du déconfinement ?

On verra, on s’attend à une troisième vague. Tant qu’on n’arrivera pas à contenir le virus, il y aura des rechutes et des pics. On va de nouveau déconfiner, de toute façon le second confinement n’avait pas le même profil que le premier. Mais ça ne change pas le quotidien des soignants, on va tous les jours au boulot. On s’adapte, on a tellement peu de moyens... avec ce nouveau confinement, beaucoup de soignants disaient qu’ils ne donneraient pas autant qu’au premier confinement, mais on donne tous autant qu’avant : nous sommes des soignants, nous le restons. On n’est pas des héros, on est formés pour ce métier, mais on a manqué de moyens.

Par contre, il y a des dégâts collatéraux : les soignants perdent confiance dans l’administration, ils s’aperçoivent qu’on leur a menti, qu’on les a pris pour des idiots. J’aime profondément mon travail, et j’entends les collègues, les résidents se confier à nous : ils ont confiance en nous, dans les organisations syndicales, ils savent qu’on monte au créneau. C’est beaucoup d’émotion, surtout pour moi qui ai repris mon travail au début du deuxième confinement. Les soignants demandent de la franchise, de la reconnaissance, et surtout du matériel. On a les compétences, on a le courage, mais on veut des moyens. Je pense qu’il faut former massivement, et permettre un accès plus facile à ces formations. Le ministère a fait le contraire et nous a manqué de respect, en déclarant au mois d’octobre qu’ils allaient essayer de former des aide-soignants en quinze jours. Moi, je me porte volontaire pour être ministre de la Santé en trois mois !

 

Révolution est un journal militant, mais aussi une organisation politique, qui défend un programme. Pour la santé, nous luttons pour un système de santé 100 % public, ce qui passe par l’expropriation des groupes privés : le secteur pharmaceutique, les laboratoires d’analyse, les cliniques privées, les mutuelles privées... et leur nationalisation sous le contrôle des soignants, des chercheurs, des salariés eux-mêmes. Que pensez-vous de ces revendications ?

Ce serait un monde meilleur ; la CGT défend des idées similaires, avec des nuances. Je pense qu’on tourne tous autour d’un sujet identique, il y a des choses qui ne fonctionnent pas, c’est le capitalisme. Il y a des choses à revoir : la fraude fiscale, l’optimisation fiscale – qui est légale. C’est du bon sens. Je souhaite une société meilleure qu’elle ne l’est aujourd’hui : on perd tous nos acquis petit à petit, la casse de la fonction publique est en marche – et j’insiste, en marche ! Malgré la crise sanitaire, on continue de fermer les lits. J’aimerais que la santé soit 100 % publique, que les gens puissent se soigner dignement sans se demander s’ils peuvent payer ou pas. Je tends vers une société plus participative, plus juste, je porte les grandes valeurs de la CGT. Au fond, je suis une citoyenne qui aime son prochain, et qui veut une société juste, où chacun vit dignement de son travail.


1 Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail

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