Interview de Guttemberg Larcher, aide-soignant depuis 16 ans, syndiqué CGT et délégué du personnel de l’EHPAD Saint-Joseph à Cachan, en grève entre le 19 et le 24 octobre. Ils ont obtenu gain de cause.


Quelles sont les causes de cette mobilisation ?

Nous travaillons normalement 7 heures par jour et nous sommes payés pour ces 7 heures de travail. Mais la direction nous a demandé de passer à 12 heures sur place, dont 2 heures de repos obligatoire non rémunérées. Nous avons refusé. Ensuite, ils nous ont proposé une prime sur les 10 heures. Il est hors de question d’accepter la prime. Ce n’est pas ce que nous souhaitons. Nous voulons rester à nos 7 heures de travail et être payé normalement.

Parmi nous il y a des collègues qui habitent très loin. Ils sont contraints de faire 2 heures de voyage (rien que pour l’aller), donc en théorie il faudrait qu’ils soient présents 2 heures de plus et seulement 50 % de notre Pass Navigo est pris en charge dans notre salaire. Ils font du bénéfice sur les travailleurs, mais nous disent qu’ils sont en déficit, alors qu’ils ont les moyens pour payer 5 vigiles pour une journée de grève et faire venir un médiateur et un huissier. C’est paradoxal.

Les conditions de travail ne sont pas acceptables. Parfois on nous dit que nous avons 2 heures de pause, mais quand nous sommes en pause on nous appelle pour travailler, car tel résident ne va pas bien. Ils ne regardent même pas si on est en train de manger, « il faut y aller, il faut y aller » disent-ils. On doit abandonner notre pause pour aller s’occuper des personnes, car si une personne est tombée, on est obligé d’aller l’aider, mais notre pause est interrompue à chaque fois et au final nous n’avons pas le temps de nous reposer.

Il y a aussi un réel manque de personnels et je pense qu’il est important de recruter, surtout en cette période de crise sanitaire. Il y a quatre postes vacants en ce moment, car pour faire du profit, la direction ne remplace pas ceux qui démissionnent, ni ceux qui partent à la retraite. Ils sont parfois remplacés par des vacataires, mais ce n’est pas suffisant. Dans notre EHPAD, il faudrait recruter plus de quatre personnes à temps plein pour des postes d’aide-soignant et d’agent.

Suite à cette épidémie, il nous manque aussi du matériel. Nous n’avons pas de combinaisons adaptées contre le virus. On a bien des masques mais pas de FFP2, ce qui fait que les aides-soignants prennent un risque énorme envers eux-mêmes et les résidents de l’EHPAD, qui sont des personnes très vulnérables. Pendant la 1ère vague, nous avions tout ce qu’il nous fallait du point de vue de la sécurité sanitaire Mais pour cette 2ème vague, nous n’avons plus la cadre hôtelière qui se chargeait de nous fournir rapidement en matériel sanitaire, car elle a été licenciée pour faute grave et n’a pas été remplacée. Elle a été d’une très grande aide lors de la 1ère vague, alors que nous n’avions plus de directeur et de moins en moins de cadres de soins, qui se trouvaient en quarantaine car infectés par le covid.

En ce moment, même si nous arrivons à être approvisionné de temps en temps en masques chirurgicaux, gel et gants, par le même fournisseur des draps et serviettes des résidents, le matériel met beaucoup de temps à arriver et les stocks sont pratiquement vides. Actuellement nous n’avons plus que 3 combinaisons en stock, rien de plus.

Qu’attendez-vous de la direction ?

Le protocole d’arrêt de grève a été signé aujourd’hui (samedi 24 octobre). La direction a accepté que nous restions à nos 7 heures de travail. Nous allons donc reprendre le travail. Cette victoire nous fait chaud au cœur. Pendant une semaine nous luttions avec tous les camarades du Val-de-Marne qui sont venus nous prêter main-forte, nous sommes tous soulagés suite à cette signature. Nous attendons que la direction respecte notre temps de travail, recrute du personnel et respecte les conditions sanitaires en recrutant aussi un nouveau cadre hôtelier.

Mais la direction ne lâche rien et a proposé sur la base du volontariat les 12 heures de travail aux salariés qui le souhaitent. Pour les aides-soignants nous avons demandé 7 heures, car la pénibilité du travail est énorme. Si on accepte les 12 heures, ça ira les premiers jours, mais au bout d’un moment on sera fatigué et on n’aura plus la force de bien s’occuper des résidents. C’est dangereux de travailler autant, c’est épuisant, on risque de faire des malaises, ou des burn-out. Dans le règlement, un aide-soignant doit avoir en charge 7 à 8 résidents maximum, mais dans certains EHPAD comme à l’EHPAD Madeleine Verdier (92), certains aides-soignants ont jusqu’à 18 résidents à charge. Nous ne pouvons pas tolérer une telle charge de travail.

Nous avions déjà fait un mouvement d’une grande ampleur pour les mêmes raisons il y a 3 ans : la direction voulait nous faire travailler 12 heures pour être payé 10. On avait gagné à l’époque, mais le nouveau directeur a cru que ça allait passer cette année. Nous ne nous sommes pas laissés faire et nous avons encore gagné ce mouvement, nous ne devons rien lâcher !

Nous avons gagné à Cachan, mais il y a d’autres EHPAD qui vont nous suivre, car il n’y a pas que dans notre EHPAD où les salariés sont en souffrance. La CGT et FO nous soutiennent, il est important d’avancer et de lutter tous ensemble, mener la lutte à tous les autres EHPAD, hôpitaux, cliniques. On ne doit pas se laisser abattre. J’invite les salariés à revendiquer leurs droits dans une lutte commune, pour en finir avec les abus patronaux qui mettent notre vie en danger.

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