Pour la première fois depuis la dissolution de juin 2024, les députés socialistes sont les seuls – dans les rangs de « l’opposition » officielle – à rejeter une motion de censure. Pour les décider à soutenir le gouvernement Lecornu, il aura suffi que ce dernier s’engage à suspendre la mise en œuvre de la réforme des retraites de 2023.
Le reste de la copie budgétaire du gouvernement comprend des dizaines de milliards d’euros de coupes et de hausse d’impôts frappant la masse de la population. Par exemple, l’« année blanche », que défendait Bayrou, y est maintenue. C’est un budget totalement réactionnaire. Il n’empêche : Olivier Faure et Boris Vallaud crient « victoire ! ». « Victoire ! », clame aussi Marylise Léon (CFDT). C’est une bonne illustration du rôle de ces dirigeants réformistes, de nos jours : ils ne visent plus le progrès social ; ils négocient à la marge la régression sociale, son rythme et son intensité.
Pour couvrir leur capitulation, les dirigeants du PS prétendent qu’en renonçant à l’usage du 49.3, Lecornu a ouvert la possibilité de donner un contenu progressiste au budget, par la voie d’amendements. En réalité, c’est absolument exclu. Avec ou sans le 49.3, le gouvernement dispose de nombreux moyens d’imposer un budget austéritaire. Seules des « concessions » marginales seront (peut-être) à l’ordre du jour. Et il n’est pas impossible que les députés du PS s’en contentent, une fois de plus.
Les dirigeants de la FI ont « appelé » les députés du PS à voter la censure. En vain. « Trahison ! », s’exclament des dirigeants du mouvement de Mélenchon. Oui, en effet : trahison. Mais pour l’information de Mélenchon et de ses camarades, cela fait plusieurs décennies que les dirigeants du PS trahissent systématiquement la masse des exploités et des opprimés. Au pouvoir comme dans « l’opposition », les dirigeants « socialistes » n’ont qu’une boussole : la défense des intérêts fondamentaux de la grande bourgeoisie française. Les jeunes et les travailleurs s’en sont si bien rendu compte, au fil du temps, qu’Anne Hidalgo a recueilli 1,7 % des voix à l’élection présidentielle d’avril 2022, après les 6,4 % de Benoît Hamon en avril 2017.
En criant à la « trahison », les dirigeants de la FI enfoncent des portes qui sont ouvertes de très longue date. Surtout, ils évitent de poser la question de leur propre responsabilité dans la situation actuelle. En effet, c’est la direction de la FI elle-même qui, en juin 2022 (Nupes), puis en juillet 2024 (NFP), a sauvé le Parti Socialiste d’une débâcle et, ce faisant, lui a donné la possibilité de soutenir Bayrou en janvier 2025 – et désormais Lecornu.
De très nombreux militants et sympathisants de la FI en prennent pleinement conscience, désormais. Ils demandent à Mélenchon et ses camarades de rompre totalement avec le PS – mais aussi avec le PCF et les Verts, qui sur toutes les questions politiques brûlantes, dont le génocide des Gazaouis, ont attaqué la FI de la droite et, au passage, ont trouvé mille excuses aux trahisons du PS. Cette exigence, qui monte de la base sociale et militante de la FI, est absolument correcte. Il est urgent que les dirigeants de la FI rompent avec l’aile droite du réformisme (PS, Verts, PCF) sur la base d’un programme radical et d’une stratégie de grandes mobilisations extra-parlementaires. A défaut, c’est le RN qui en profitera, car il captera une bonne partie de l’exaspération des exploités et des opprimés. Ne pas le comprendre, c’est passer à côté de la dynamique politique fondamentale, qui est marquée par une immense colère sociale et une polarisation politique croissante, c’est-à-dire un rejet toujours plus net des partis du « centre » – y compris le PS et ses deux comparses « de gauche » : les Verts et le PCF. En d’autres termes, toute tentative de reconstituer le NFP, sous quelque forme que ce soit, serait un énorme cadeau au RN.
Le gouvernement Lecornu reste extrêmement fragile. Il n’est pas impossible qu’il s’effondre, au cours des prochaines semaines, sous le poids des contradictions internes qui minent le PS et Les Républicains. Mais n’oublions pas que c’est la perspective du mouvement du 10 septembre qui a fait chuter le gouvernement Bayrou. Le moyen le plus sûr de faire chuter Lecornu et, surtout, d’ouvrir la perspective d’une rupture avec toutes les politiques d’austérité, c’est la construction d’un puissant mouvement de masse, dans les rues et les entreprises, pour « tout bloquer ».
Les mobilisations du 10 et du 18 septembre ont montré qu’il y a d’énormes réserves de combativité dans la jeunesse et le salariat. Cela reste l’élément central de la situation politique actuelle, qui est aussi marquée par une vague de révolutions et de mobilisations explosives dans toute une série de pays. Dès lors, les militants les plus combatifs du mouvement ouvrier – à commencer par ceux de la FI et de la CGT – doivent élaborer un plan de bataille sérieux, fondé sur un programme offensif et une vaste campagne d’agitation, dans le but d’en finir avec le « gouvernement des riches » et de le remplacer par un gouvernement des travailleurs, qui sauront réorganiser l’économie au profit du plus grand nombre.