Cet article a été publié le 26 juillet 2025 sur Marxist.org.
L’annonce par Jeremy Corbyn et la députée Zarah Sultana (qui vient de quitter le Labour, le parti travailliste) du lancement d’un nouveau parti politique a suscité une puissante vague de soutien et d’enthousiasme en Grande-Bretagne.
Ce n’est pas surprenant. La politique réactionnaire du gouvernement Starmer a été une gifle pour les millions de personnes qui ont voté pour les Travaillistes en espérant un changement.
Après avoir remporté une victoire électorale écrasante, Starmer est devenu, en un laps de temps remarquablement court, le premier ministre le plus impopulaire de l’histoire britannique.
Il est particulièrement détesté par les électeurs de gauche, qui le voient (à raison) comme un traître dont la politique est essentiellement identique à celle des Conservateurs et des Libéraux.
Un gouffre s’est ouvert à la gauche du Labour, un immense vide politique qui devait tôt ou tard être comblé.
Etant donné la faiblesse des forces du marxisme authentique à l’heure actuelle, ce vide ne pouvait être rempli que par une forme ou une autre de réformisme de gauche.
Il était donc assez logique que ce rôle finisse par échoir à l’ancien dirigeant du Labour, le réformiste de gauche Jeremy Corbyn.
Pour quiconque s’intéresse de près ou de loin à la politique britannique, un tel développement était loin d'être surprenant. Il était même, au contraire, assez prévisible.
En quelques heures, des milliers de personnes se sont inscrites pour rejoindre ce nouveau parti. En l’absence de toute alternative viable, ce n’est pas une surprise non plus.
Pessimisme
Pendant une longue période, la soi-disant « gauche » en Grande-Bretagne et à l’échelle internationale a été paralysée par le découragement et le pessimisme.
Où qu'ils regardent, ils ne voyaient qu’une vague réactionnaire. Dénuée de toute compréhension de la dialectique, leur analyse s'arrêtait à la surface des événements et ils étaient incapables de percevoir le processus de radicalisation qui s’opérait dans les profondeurs. Jeremy Corbyn ne faisait pas exception.
Si nous saluons sa décision d’enfin fonder un nouveau parti, nous devons ajouter que ce processus a été longtemps retardé par ses propres atermoiements devant ce pas décisif.
Alors que la gauche était plongée dans le pessimisme, une profonde colère et un désespoir immense grandissaient et s’approfondissaient de jour en jour parmi les masses.
On retrouve dans tous les pays la même colère brûlante. De plus en plus de gens en arrivent à la conclusion que ceux qui sont au pouvoir ne nous représentent pas.
Cette constatation représente un pas de géant vers une transformation révolutionnaire.
Des millions de personnes sont confrontées à une situation de plus en plus désespérée.
Dans leur désespoir, elles cherchent une issue à la crise, et se tournent vers une option après l'autre.
Une par une, les organisations et les dirigeants sont mis à l'épreuve, se révèlent inutiles – voire nuisibles – et sont rejetés.
Des démagogues de droite comme Trump peuvent surgir soudainement et être populaire pendant un temps.
Les imbéciles sectaires et les réformistes de gauche, incapables de voir plus loin que le bout de leurs nez, interprètent ce succès comme le signe d’une montée de la réaction fasciste. Il n’en est rien. C’est le signe d’une extrême volatilité électorale, qui se caractérise par de violents balancements, vers la droite et vers la gauche.
Ces démagogues de droite vont inévitablement être confrontés aux contradictions du capitalisme, auxquelles ils n’ont aucune solution à offrir. Ils s’effondreront aussi soudainement qu’ils sont apparus, et cela pavera la voie pour des basculements encore plus violents vers la gauche.
Cette volatilité représente une menace sérieuse pour l’ordre établi. C’est cela qui explique la panique, qui prend parfois des allures hystériques, dans laquelle sont plongés les stratèges du capital.
Brusques changements
Dans une telle situation, des changements rapides et inattendus sont inévitables et ce, avant tout, dans la conscience des masses.
De puissantes forces centrifuges sont à l'œuvre et poussent les classes sociales dans une guerre ouverte les unes contre les autres. La seule raison pour laquelle cela ne provoque immédiatement des explosions révolutionnaires se trouve dans l’absence de toute alternative viable à gauche.
De ce fait, nous assisterons inéluctablement à de violents coups de balancier sur le plan électoral – vers la gauche et vers la droite.
Mais la marche vers la révolution socialiste n'est pas un processus mécanique.
Etant donné la faillite absolue de la soi-disant « gauche », la frustration des masses peut trouver une expression dans toutes sortes de formations politiques originales.
La faiblesse du facteur subjectif – le parti révolutionnaire – signifie que la radicalisation des masses s’exprimera dans la prochaine période à travers l’ascension et le déclin de nouveaux mouvements et dirigeants réformistes de gauche.
Certains d’entre eux auront recours à un langage très radical, mais tous se heurteront aux limites du réformisme : son incapacité à poser la question élémentaire du renversement du système capitaliste et de la prise du pouvoir par la classe ouvrière.
L’annonce de la création d’un nouveau parti en Grande-Bretagne ouvre sans aucun doute de nouvelles possibilités pour les communistes. C’est l'élément le plus important de la situation actuelle.
Il est évident que de nombreuses opportunités s’offrent aujourd’hui au Parti Communiste Révolutionnaire en Grande-Bretagne. Nous devons donc déterminer soigneusement quelle doit être notre attitude.
Le bilan du réformisme de gauche
Le lancement de ce nouveau parti nous ouvre un terrain d’intervention nouveau et potentiellement fructueux. Mais nous ne réussirons à en tirer profit que si nous adoptons une tactique correcte.
Il doit être clair pour toute personne douée de raison que la tactique du Parti Communiste Révolutionnaire ne peut pas être déterminée par des accès temporaires – et peut-être éphémères – d’enthousiasme parmi les masses.
Nous devons garder la tête froide et ne pas céder à des impulsions soudaines. Dans le domaine de la tactique, il est indispensable de prendre le temps de réfléchir attentivement, d’analyser soigneusement et de peser le pour et le contre avant de passer à l’action.
En politique comme à la guerre, la hâte est mauvaise conseillère.
Il nous faut en particulier garder à l’esprit les leçons des expériences passées du réformisme de gauche, qu’il s’agisse de Tsipras en Grèce, de PODEMOS en Espagne, de Sanders aux Etats-Unis, et enfin, de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne.
Tous ces dirigeants sont apparus soudainement, ont gagné un soutien important et suscité un enthousiasme massif, car ils défendaient des politiques radicales – au moins en paroles.
Mais, après des débuts enthousiastes, toutes ces expériences se sont achevées dans les larmes, car tous ont fini par capituler face à l’establishment.
Dans le cas de la Grande-Bretagne, Jeremy Corbyn est apparu de nulle part et fut propulsé à la tête du Labour, simplement parce qu’il avait mis en avant un programme réformiste très modéré.
Son succès ne devait rien à sa personnalité, à ses convictions politiques ou à ses qualités de stratège. Il était entièrement dû au fait que la colère massive qui existait dans la société cherchait un point de référence et l’a trouvé en la personne de Corbyn.
Il est vrai que le nouveau parti, avant même d'être véritablement fondé, a déjà collecté des centaines de milliers de signatures de soutien. Il s’agit bien sûr d’un signe clair que le profond mécontentement qui existait alors est toujours présent.
L’écho que Corbyn avait suscité à l’époque était néanmoins probablement plus important que le soutien qu’il reçoit aujourd’hui. Il se trouvait alors en position de transformer radicalement la situation en Grande-Bretagne.
Mais il se heurta immédiatement à l’opposition de l’aile droite du parti travailliste, qui lui déclara une guerre ouverte et reçut l’appui des médias de droite.
Corbyn aurait pu régler ce problème très facilement en faisant ce que la situation exigeait d’urgence : mobiliser sa base de masse pour écraser les parlementaires du Labour, et remplacer les députés de l’aile droite par d’autres candidats.
Pourtant, Corbyn s'y refusa. Les réformistes de gauche s’accrochent toujours aux réformistes de droite, avec lesquels ils craignent de rompre. Pour leur part, les réformistes de droite – qui sont les agents du grand patronat au sein du mouvement ouvrier – n’ont pas de tels scrupules.
L'aile droite poursuivit ses manœuvres de sabotage et réussit finalement à vaincre Corbyn, qui n’était pas prêt à combattre jusqu’au bout. Cela rendait sa défaite inévitable. Elle fut le résultat direct de son réformisme – fut-il de gauche.
Il est indispensable de garder ceci à l’esprit aujourd’hui, et de pas laisser notre jugement être brouillé par l’enthousiasme suscité par l’annonce du nouveau parti.
Comme l’expliquait Trotsky, notre méthode ne doit pas être de déformer, de sélectionner les faits de façon tendancieuse ou de les embellir, mais de dire honnêtement ce qui est.
Quelle doit être notre approche vis-à-vis du nouveau parti ?
Quelle est la tâche centrale des communistes à l’heure actuelle ? Ils doivent se trouver aux côtés des masses de la classe ouvrière, et connecter le programme de la révolution socialiste aux attentes des éléments les plus avancés qui s’orientent vers un changement révolutionnaire.
Devons-nous soutenir ce nouveau parti ? Il est facile de répondre à cette question. En tant que communistes, nous accueillons avec enthousiasme la création d’un nouveau parti de gauche en Grande-Bretagne.
Il est trop tôt pour dire quelle sera la physionomie exacte de ce parti encore embryonnaire. Les premiers signes montrent, sans surprise, qu’il défendra une série de réformes radicales dans les domaines de la santé, du logement et d’autres questions d’un intérêt vital pour la classe ouvrière, et pour lesquelles nous combattons nous aussi.
Mais la question cruciale sera de savoir si la direction du parti défendra réellement la perspective d'une transformation fondamentale de la société, c’est-à-dire de l'abolition du capitalisme et de la prise du pouvoir par la classe ouvrière.
Nous ne pouvons l’affirmer à l'avance, mais il est probable que le réformisme des dirigeants du parti les pousse à défendre l’idée qu’il serait possible de résoudre les problèmes de la classe ouvrière sans rompre avec le capitalisme et la propriété privée des moyens de production. Cela se déduit notamment de leur déclaration initiale qui se limite à demander que l’on taxe les riches.
Si c’est effectivement le cas, toutes les réformes qu’ils promettent se traduiront en pratique par bien peu de choses. Il s’agit là de la différence fondamentale qui oppose la véritable politique socialiste prônée par les communistes et les programmes vagues et ambigus du réformisme de gauche.
Cela signifie-t-il qu’une collaboration honnête et fraternelle entre le PCR et le nouveau parti est impossible ? Non, pas du tout.
Le PCR défend le programme de la révolution socialiste, mais nous comprenons aussi que, sans la lutte quotidienne menée pour les obtenir des réformes progressistes sous le capitalisme, la révolution socialiste serait une utopie.
La différence entre les réformistes et nous n’est pas que nous ne sommes pas en faveur des réformes. Au contraire, nous sommes partisans de la lutte la plus résolue pour toute réforme favorable à la classe ouvrière.
Nous critiquons les réformistes de droite précisément parce qu’ils ne luttent pas de façon efficace en faveur des réformes. Ils s’opposent constamment aux grèves et aux mobilisations des travailleurs. Et ils capitulent systématiquement sous la pression des capitalistes pour ensuite appliquer des politiques d'austérité, c’est-à-dire des attaques contre les conditions de vie des travailleurs, des contre-réformes.
La différence entre les réformistes de gauche et de droite est que les derniers défendent ouvertement les intérêts des banquiers et des capitalistes, quand les premiers pensent qu'il est possible de mettre en œuvre des réformes ambitieuses et d’améliorer le niveau de vie des masses sans franchir les limites du capitalisme. C’est en réalité impossible.
Notre soutien au nouveau parti ne peut donc être inconditionnel. Nous devons défendre fermement notre position de principe en faveur d’un programme de transformation radicale de la société – la révolution socialiste.
Nous tendons une main amicale aux membres du nouveau parti. Puisque nous sommes trop faibles pour présenter des candidats aux élections, nous lutterons à leurs côtés pour faire élire les siens. Nous défendrons aussi le parti face aux attaques inévitables de la presse réactionnaire.
Mais notre soutien ne peut être absolu. La condition préalable à une collaboration honnête et fructueuse avec les réformistes de gauche est en effet de tracer une ligne de démarcation claire dès le début.
Chaque fois que Jeremy Corbyn fera un pas dans la bonne direction, nous le soutiendrons. Mais à chaque fois qu’il reculera, qu’il hésitera et vacillera (comme il l’a déjà fait à de nombreuses reprises), nous nous réservons le droit de le critiquer de façon fraternelle mais ferme.
Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons préserver notre indépendance politique, soutenir une véritable politique communiste et mener une discussion fructueuse avec les membres du nouveau parti.
Nous avons appelé nos membres à soutenir ce parti et à militer en son sein et dans sa périphérie, autant que cela nous est possible.
Mais nous ne pouvons accepter qu’une quelconque entrave soit placée sur notre liberté d’agitation en faveur du communisme et d’un programme révolutionnaire. Nous n’avons aucune prétention à empêcher les réformistes de gauche de défendre leur position honnêtement et ouvertement, et nous attendons le même respect de leur part.
Une chose doit être claire. Il n’est pas question de liquider le Parti Communiste Révolutionnaire, qui est la seule garantie que le programme authentique du socialisme continuera à être défendu.
Il ne peut y avoir de compromis à ce sujet.
Potentiel révolutionnaire
L’écho enthousiaste qu’a suscité la déclaration de Corbyn n’est qu’un indice du véritable état d’esprit qui domine la société.
Sous le calme apparent de la surface, de violentes tempêtes se préparent.
Le gouffre qui sépare les riches et les pauvres a atteint une ampleur qui n’avait pas été vue depuis un siècle.
Les derniers événements en Grande-Bretagne et dans le reste du monde montrent que la conscience des masses mûrit, mais il faudra encore de nombreux faux départs avant que s’ouvre véritablement la voie vers la victoire.
La situation objective est de plus en plus mûre pour la révolution. Mais le facteur subjectif est en retard sur les événements.
C’est de la résolution de cette contradiction que dépendra la course de l’histoire future.