Au Chili, la troisième candidature du réactionnaire José Antonio Kast aura été la bonne : avec deux millions de voix de plus que Jeannette Jara, la candidate du Parti Communiste chilien, il a largement remporté la première élection présidentielle où l’inscription sur les listes électorales était automatique, et le vote obligatoire.
En 2021, le réformiste de gauche Gabriel Boric avait obtenu 4,6 millions de voix (55 %), contre 3,6 millions (44 %) pour Kast. Cette fois-ci, Jara – ministre du Travail sous le gouvernement Boric – a recueilli 5,2 millions des suffrages (41 %), contre 7,2 millions (58 %) pour Kast. Autrement dit, l’écrasante majorité des abstentionnistes de 2021, qui cette fois-ci étaient contraints de voter, se sont massivement tournés vers le candidat d’extrême droite : il a gagné 3,6 millions d’électeurs en quatre ans, contre seulement 600 000 de plus pour « la gauche ».
La faillite du réformisme
En 2021, Boric a été élu dans la foulée de la plus grande vague de mobilisations qu’ait connue le Chili depuis la fin de la dictature de Pinochet, en 1990. En octobre 2019, des millions de jeunes et de travailleurs battaient le pavé et réclamaient une transformation profonde de la société chilienne.
Lors de sa campagne présidentielle, Boric s’était placé en héritier de cet « Octubrismo ». Quatre ans plus tard, la déception est profonde. La nationalisation du lithium a été remplacée par la création d’une « entreprise nationale du lithium » cogérée par deux entreprises privées, dont l’une appartient à l’ex-gendre de Pinochet. La « grande réforme fiscale » a été enterrée, de même que le projet de créer un système national de gestion de l’eau.
Boric avait aussi promis qu’il interdirait les expulsions locatives sans solution de relogement. Or, sous son mandat, le nombre de personnes vivant dans des habitats informels a augmenté de 30 % : 400 000 Chiliens vivent dans des campements insalubres. Pire : c’est le gouvernement de Boric qui a voté la loi « anti-occupations », laquelle durcit le traitement pénal des occupations illégales de biens immobiliers, et facilite la restitution des logements.
Sous ce même gouvernement ont été promulguées les mesures les plus répressives de ces dernières décennies : la loi « gâchette facile » (qui accorde une plus grande impunité aux policiers), la « nouvelle loi antiterroriste » et la création du ministère de la Sécurité publique (qui perfectionnent l’appareil répressif de l’Etat) et, enfin, la militarisation et la prolongation indéfinie de l’état d’exception dans la région de l’Araucanie, qui légalise la répression sanglante des Mapuches, un peuple autochtone présent sur le territoire chilien et argentin.
La société chilienne n’a pas subitement « viré à droite ». La victoire de Kast n’est qu’une expression déformée d’un rejet massif du « système » politique chilien, sur fond de désillusions à l’égard du gouvernement Boric. Tout ceci confirme le lien organique – à l’œuvre dans de nombreux pays – entre la faillite de la gauche réformiste et les succès de l’extrême-droite. Dans le contexte d’une profonde crise du capitalisme, les gouvernements de la gauche réformistes finissent par gérer la régression sociale, et même à mener des politiques encore plus répressives que les gouvernements conservateurs qui les précédaient.
Un nouveau Pinochet ?
Le 15 décembre, au lendemain de la victoire de Kast, le média de gauche Interferencia titrait : « Cette fois par les urnes : le pinochetisme revient à La Moneda ». D’autres parlent ouvertement de l’avènement d’un régime « fasciste » au Chili.
En réalité, malgré son admiration pour Pinochet, Kast ne pourra pas instaurer une dictature bonapartiste – et encore moins un régime fasciste, qui suppose la présence d’une masse de petits-bourgeois en armes capables d’infliger une défaite historique aux travailleurs en détruisant toutes leurs organisations.
Bien sûr, Kast attaquera brutalement les droits et les conditions de vie des travailleurs, conformément aux besoins objectifs de la bourgeoisie chilienne. Mais il fera face à une classe ouvrière puissante, qui constitue la grande majorité de la population active, et dont les forces sont pratiquement intactes. Loin de pouvoir mobiliser des bandes fascistes contre le mouvement ouvrier, Kast devra s’appuyer sur la démocratie bourgeoisie chilienne, sur son appareil d’Etat – et sur la passivité des dirigeants réformistes.
Tôt ou tard, une nouvelle vague de mobilisations massives balayera le Chili. C’est dans cette perspective que travaillent les Communistes Révolutionnaires du Chili, section chilienne de l’Internationale Communiste Révolutionnaire.

