L’attitude des marxistes envers les pratiques religieuses découle d’un principe fondamental du socialisme : la résistance à toutes formes d’oppression, quelles qu’elles soient — dont l’oppression nationale, raciale, mais aussi l’oppression religieuse.

Historiquement, la classe capitaliste a toujours cherché à se servir de la religion comme d’un instrument de division et de diversion. Sous la IIIe République, par exemple, elle s’est servie de la question religieuse pour détourner l’attention du mouvement ouvrier renaissant. En réprimant le catholicisme « papiste » au nom de la « République » — république érigée sur les cadavres de 50 000 parisiens massacrés en mai 1871 — l’impérialisme français cherchait à se couvrir du manteau d’un « radicalisme » anti-clérical.

A d’autres occasions, les capitalistes se couvrent de l’autorité religieuse pour parvenir aux mêmes fins. Officiellement, en France, l’Eglise est « séparée » de l’Etat depuis 1905. Mais cela n’a pas empêché la République de se tourner vers l’Eglise pour justifier et encourager les atrocités perpétrées dans l’intérêt du capitalisme, en France comme dans les colonies, ainsi que le grand carnage impérialiste de 1914-1918.

On voit dans ces exemples historiques que l’agitation anti-religieuse et l’utilisation de la religion comme instrument politique sont deux leviers complémentaires entre les mains de l’Etat capitaliste, qu’il peut actionner l’un après l’autre — et parfois en même temps — pour manipuler l’opinion et atteindre ses objectifs. Ces dernières années, nous avons connu d’autres exemples de ce genre de manipulation, en particulier au sujet de la religion musulmane.

Sous le gouvernement Raffarin, la « question » du foulard islamique a été sciemment montée en épingle pour prouver l’existence d’une poussée de fanatisme islamique — voire de penchants terroristes. L’islam a été décrit comme une menace pour les fondements de la « civilisation française ». Grâce au « foulard », le gouvernement le plus réactionnaire que la France ait connu depuis Pétain a pu se présenter comme le gardien de valeurs « républicaines et laïques » — cependant qu’il s’acharnait à démanteler les retraites et d’autres acquis sociaux, et que le chômage montait en flèche.

Du point de vue de la lutte contre le capitalisme, la défense du droit de pratiquer une religion répond à un objectif stratégique impératif : celui de réunir dans le mouvement le plus large possible tous ceux qui sont exploités par le capitalisme et qui ont intérêt à se mobiliser pour son renversement — indépendamment de leur couleur, de leur nationalité, de leur sexe ou de leur religion. Nous sommes engagés dans une lutte de classe, et non dans une lutte entre ceux qui croient en Dieu et ceux qui n’y croient pas.

Depuis ses origines, pratiquement, le mouvement ouvrier français a inscrit sur sa bannière l’idée que la religion est une « affaire privée ». Marx et Engels défendaient ce même point de vue. Mais ce mot d’ordre ne signifiait pas que l’expression publique des convictions religieuses, à l’école ou ailleurs, devait être interdite par l’Etat. Elle se voulait au contraire un moyen de résister à l’ingérence de l’Etat dans les affaires religieuses. Chaque travailleur, chaque citoyen, doit avoir le droit de pratiquer librement une religion ou de n’en pratiquer aucune.

C’est pour cette raison que La Riposte s’est catégoriquement opposée à la loi, introduite par la droite, interdisant le port de signes religieux à l’école. Cette loi avait pour but de diviser pour mieux régner, de faire diversion en stigmatisant les musulmans comme une menace. C’est une erreur de trouver à cette loi un quelconque contenu progressiste, ou de lui accorder le moindre soutien. La droite poursuit des objectifs qui ne sont pas les nôtres. Comme nous l’écrivions à l’époque : « Si une lycéenne porte un foulard de son plein gré et par simple conviction religieuse, elle ne le vivra pas comme une oppression, et, au contraire, considérera à juste titre comme une oppression le fait d’être contrainte à ne pas le porter, sous peine d’être chassée de l’école. […]Une loi qui interdirait le port du foulard à toutes les musulmanes, indépendamment de leurs convictions religieuses sur cette question, ne serait pas démocratique et ne doit pas être acceptée par le mouvement socialiste, communiste et syndical. » [1]

Tout en exploitant le soi-disant « danger islamique » pour faire diversion, la droite ne se prive pas, pour faire avancer ses intérêts, du relais que lui offrent les mosquées de France. Les élections de 2007 approchent. Par conséquent, après avoir traité les jeunes issus de l’immigration de « racaille », après avoir agité partout le spectre de l’intégrisme islamique et mené une politique proche de celle du Front National à l’égard des travailleurs immigrés et de leur famille, nous verrons Sarkozy aller à la pêche aux voix des électeurs musulmans en se vantant de la mise en place du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM).

D’après Sarkozy, ce Conseil est un moyen d’expression de la « communauté musulmane » auprès de l’Etat. Mais dans la réalité, c’est plutôt l’inverse. L’utilité du CFCM, du point de vue de l’Etat, c’est de pouvoir s’en servir comme un instrument de propagande et de manipulation de l’opinion dans les milieux musulmans. On en a eu un exemple flagrant lors des émeutes qui ont éclaté, en novembre 2005. Sarkozy était persuadé — ou tout au moins se disait persuadé — que ces émeutes étaient l’œuvre de « bandes criminelles », peut-être « sous influence » islamiste. Il a donc fait appel au CFCM — composé d’individus particulièrement réactionnaires — pour qu’il prononce une fatwa exigeant l’arrêt du soulèvement ! Soit dit en passant, la fatwa en question, une fois prononcée, n’a pas eu le moindre effet.

Pour contrecarrer l’exploitation politique de la question religieuse par la droite et l’extrême droite, nous devons adopter une attitude susceptible de favoriser l’union de tous les jeunes et de tous les travailleurs dans la lutte contre le capitalisme. Cela signifie d’abord l’adoption d’un programme qui explique clairement la nécessité de mettre fin au capitalisme, et qui indique les moyens d’y parvenir —autrement dit, un programme socialiste. Mais aussi, sur la question religieuse, il faut adopter une attitude extrêmement sensible, qui évite de creuser un fossé entre les millions de travailleurs qui ont des convictions religieuses et ceux qui n’en ont pas.

Le marxisme analyse tous les phénomènes de la société, de la nature et de l’univers d’un point de vue matérialiste. Il considère que l’« esprit » des hommes – c’est à dire leur conscience, leur pensée – est une manifestation de la matière, du cerveau humain. Ce point de vue matérialiste place le marxisme en opposition à toutes les formes d’idéalisme philosophique, y compris, bien sûr, l’idéalisme religieux. Mais malheureusement, cette opposition entre le socialisme scientifique et les idées religieuses conduit bon nombre de militants de gauche à adopter une attitude politique qui se trouve en contradiction complète avec les intérêts du mouvement ouvrier et de la lutte contre le capitalisme en général.

Il faut avant tout comprendre les profondes racines sociales et psychologiques des croyances religieuses. Ces croyances ne peuvent pas être bannies par une simple pédagogie « rationaliste », et encore moins par des lois répressives, lesquelles ne peuvent, au contraire, que renforcer les convictions religieuses. Tout le monde sait que Marx a dit que la religion est « l’opium du peuple ». Mais peu de gens connaissent l’intégralité du paragraphe dont cette phrase est tirée. Il est pourtant très intéressant. Marx écrivait : « La détresse religieuse est tout à la fois l’expression de la détresse réelle et la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans âme, le cœur d’un monde sans cœur, l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple ». [2]

Autrement dit, chez les classes exploitées, la religion répond à un besoin de s’orienter dans une société dont elles n’ont pas la maîtrise ; elle est une tentative de trouver des points de repère dans la lutte pour une existence digne. C’est une aspiration à un monde meilleur. Il faut tenir compte de ce fait, et veiller à ce que la nationalité, la couleur de peau ou la religion ne divisent pas les travailleurs et la jeunesse dans la lutte contre le capitalisme.


[1] Socialisme et religion : l’affaire du foulard islamique à l’école (décembre 2003)

[2] Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel K. Marx (1843).