Interview de Gilles Demoulin, CGT RATP Maintenance
Gilles Demoulin est délégué syndical CGT RATP et technicien de maintenance au Centre Bus Belliard à Paris. Il nous parle des conséquences de la privatisation de la RATP et du rôle de la CGT dans les luttes actuelles.
Où en est le processus de privatisation de la RATP ?
Le principe de l’ouverture à la concurrence a été adopté dès la loi relative à l’Organisation et à la Régulation des Transports Ferroviaires (ORTF), en 2009. Elle a amorcé une privatisation des transports publics qui ne profite qu’aux actionnaires. Pour l’expliquer simplement, les actionnaires vont se remplir les poches avec les fonds qui devraient être réinvestis dans le matériel et les ateliers. En fin de compte, ça va aussi augmenter les coûts pour les usagers.
La privatisation a commencé en novembre dernier et avance graduellement : ils vendent les dépôts et les réseaux de transport lot par lot, pour éviter une réaction unie des salariés. Les acheteurs sont notamment Cap Île-de-France (la filiale privée de la RATP), la société franco-allemande Transdev et l’entreprise italienne ATM. Pour ma part, je ne connaîtrai le nom de mon repreneur qu’en novembre 2026.
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Quelles vont être les conséquences sur les conditions de travail ?
Nous avons déjà perdu plusieurs jours de repos et certaines pauses. En échange, ils nous ont donné des primes dérisoires. Ils ont restructuré les postes et réduit les effectifs, ce qui surcharge les équipes restantes. En maintenance, un poste actuel correspond au travail de 3 personnes il y a 15 ans. Bien sûr, cela impacte durement la qualité de notre travail. Par exemple, auparavant, dès qu’il y avait un problème de frein on changeait systématiquement tout le système de freinage du bus : disques, roulements et étriers. Aujourd’hui, on ne peut plus : on doit se contenter de changer seulement les disques, puis attendre que les étriers ou les roulements posent problème pour intervenir. Ce n’est pas satisfaisant pour la sécurité des usagers et des chauffeurs.
Avec la privatisation, les conditions de travail vont continuer à se dégrader. C’est inévitable. Par exemple, à la RATP, la température des ateliers en hiver est maintenue à 15 degrés. Dans le privé, ce ne sera pas le cas : on travaillera dans le froid, avec des outils gelés. Je travaillais dans le privé auparavant, je sais comment ça se passe. Ils font des économies sur tout, au détriment des salariés.
Quelles sont les perspectives de lutte contre la privatisation ?
Le mouvement de lutte actuel a commencé depuis le passage à l’Assemblée de la loi de décembre 2023 sur l’ouverture à la concurrence des réseaux de bus franciliens de la RATP. On a fait plusieurs débrayages, mais c’est compliqué de déclencher un mouvement d’ampleur à nous seuls. Au sein de la RATP, il y a trois syndicats représentatifs, chacun avec un tiers des voix : la CGT, FO et l’UNSA. Les dirigeants de FO et de l’UNSA collaborent avec la direction et permettent d’accompagner la privatisation. Ils ne mobilisent pas du tout et expliquent aux travailleurs qu’il ne faut pas faire grève, qu’il faut seulement « négocier ».
Avec les camarades de la CGT, on a essayé de mobiliser sur le terrain, d’expliquer qu’il fallait faire grève, mais en minorité syndicale c’est difficile. Les dirigeants syndicaux de FO et de l’UNSA qui dissuadent les travailleurs de faire grève, ça complique la lutte. On s’en rend compte quand on compare le nombre de grévistes dans les entrepôts à majorité CGT et dans les autres. Mais le problème principal réside surtout dans le manque d’une réelle préparation et d’un plan de bataille clair pour mobiliser les collègues.
Quel devrait être, selon toi, le rôle de la direction confédérale de la CGT ?
La direction confédérale ne nous aide pas du tout. Par exemple, pendant les Jeux olympiques, il y avait une occasion en or pour bloquer l’Île-de-France afin de réellement peser dans le rapport de force. Or, cela n’a pas été structuré. Malheureusement, je me dis qu’on ne peut rien attendre de cette direction confédérale. C’est ce qui complique nos mobilisations. De fait, pour chaque action que nous menons, nous nous adressons directement à la base du syndicat.
Lors des contre-réformes récentes, comme l’attaque contre les retraites et la privatisation des transports, la direction confédérale a opté pour des actions minimales. Dans la lutte pour défendre nos retraites, par exemple, elle s’est entêtée à adopter la stratégie des journées d’action « saute-mouton ». Courant mars, on a essayé de déclencher une grève illimitée au sein de la RATP. Mais on était trop isolés et la grève n’a pas vraiment pris. La direction confédérale aurait dû préparer un large mouvement de grèves reconductibles, visant à coordonner la mobilisation dans les transports, la Fonction publique et le secteur privé. Poser la question du pouvoir à travers la grève générale illimitée, en fin de compte, c’est la seule façon réaliste de repousser les attaques du patronat.