Le 25 août, des milliers de jeunes sont descendus dans les rues en Indonésie. Rassemblés devant le Parlement, ils ont résisté à des centaines de policiers armés de canons à eau, aux cris de « A bas le parlement ! ». Des affrontements entre les jeunes et la police ont duré pendant une bonne partie de la nuit. Au matin, 400 personnes avaient été arrêtées, dont près de 200 lycéens.
Jeudi 28 août, une manifestation encore plus importante a déferlé sur Jakarta. Un chauffeur-livreur a été tué par un véhicule blindé de la police. Ce meurtre a provoqué une vague de colère immense. Des manifestations ont éclaté dans de nombreuses villes.
Austérité et mobilisation
Au début de l’année, le gouvernement de Prabowo Subianto a imposé de brutales mesures d’austérité, et notamment une baisse de presque 20 % du budget de l’Etat. Cela a eu des conséquences dramatiques pour la classe ouvrière et les couches les plus pauvres de la population indonésienne – qui dépendaient de subventions publiques pour acheter nombre de produits de première nécessité. Pour encaisser les baisses de leurs budgets, plusieurs gouvernements régionaux ont ensuite mis en œuvre des hausses d'impôts.
Dans la région de Pati, les autorités locales avaient ainsi décidé cet été d’augmenter de 250 % les impôts fonciers. Face à la contestation que suscitait cette mesure, le gouverneur Sudewo avait provoqué la population en déclarant : « Allez-y, manifestez. Ne mobilisez pas 5000 personnes, mais 50 000. Je n’ai pas peur. Je ne changerai pas d’avis. »
Le 13 août, près de 100 000 personnes – sur une population de 1,3 millions d’habitants – sont finalement descendues dans la rue et ont marché sur le siège du gouvernement régional. La police a été débordée et Sudewo a été contraint de sortir pour s’adresser aux masses. Sous une pluie de légumes, de canettes et de pierres, il a alors présenté des excuses et officiellement annulé la hausse des impôts.
Cette victoire a été un encouragement pour les masses. Des mobilisations contre les hausses d'impôts ont éclaté dans plusieurs autres villes. C’est le moment qu’ont choisi les parlementaires de Jakarta pour s’accorder une somptueuse augmentation.
Alors que les mesures d'austérité s’abattaient sur les travailleurs, ces « représentants du peuple » ont décidé qu’ils méritaient une nouvelle allocation de logement mensuelle de 50 millions de roupies (3075 $). Leur revenu mensuel est donc maintenant de 239 millions de roupies (14 600 $), soit 50 fois le salaire d’un travailleur moyen.
Le vice-président de la Chambre des députés, Adies Kadir, a nonchalamment déclaré que lui et ses collègues avaient besoin de louer de plus grands logements pour pouvoir héberger leurs chauffeurs et leurs domestiques. Il a même eu le culot d’ajouter que ses frais de bouche n’étaient que de 12 millions de roupies chaque mois, quand la plupart des travailleurs s’estiment heureux s’ils gagnent 4 millions en tout !
Cela a provoqué une tempête sur les réseaux sociaux. Une publication affirmait : « Avec 12 millions de roupies, on peut acheter 40 sacs de riz. Fais-le et mange-les ! » Une autre ajoutait : « les frais de bouche des salariés du secteur public et des retraités ne sont que de 72 000 roupies par mois. »
Une autre parlementaire, l’ancienne actrice Nafa Urbach, a déclaré qu’elle avait besoin de cette allocation pour louer une maison près du parlement et éviter les embouteillages. Cela n’a fait que provoquer encore plus de colère sur les réseaux sociaux. Quelqu’un affirmait par exemple : « les gens de Bogor qui travaillent à Djakarta doivent partir de chez eux avant l’aube, pour prendre un train bondé et ils n’ont pas d’allocation logement, Madame. »
Chaque fois qu’un politicien ouvre la bouche, il ne fait que jeter de l’huile sur le feu, car cela ne fait que démontrer à quel point ses semblables et lui sont déconnectés des masses qu’ils prétendent représenter.
Le rôle de la jeunesse
Les manifestations du 25 ont été menées par la jeunesse, en particulier par des lycéens. C’est le reflet de l’absence totale de perspectives de la jeunesse indonésienne. Près d’un million de jeunes diplômés de l’université et plus d’un million et demi de diplômés d’écoles professionnelles sont actuellement au chômage. Nombre de jeunes ne voient pas d’autre avenir que dans la lutte.
Leurs slogans ne se limitent pas à demander l’abrogation de l’allocation logement des parlementaires. Le mot d’ordre le plus répandu est : « A bas le Parlement ! » Ces jeunes ont bien compris que la corruption et les privilèges exorbitants des parlementaires ne sont pas un phénomène accidentel, mais que c’est l’ensemble du système qui est corrompu. Ils ne savent peut-être pas par quoi remplacer le Parlement, mais ils savent qu'ils n'en veulent pas et n’en ont pas besoin.
La répression dont ils ont été victimes a suscité un mouvement de solidarité de la part du reste de la population. De nombreuses vidéos partagées en ligne montrent des citoyens s'interposer pour défendre les jeunes manifestants brutalisés par la police ou leur offrir un abri pour échapper aux arrestations. Les masses comprennent clairement que la lutte des jeunes est la leur.
La répression pousse le mouvement en avant
Le niveau de répression déchaînée par la police contre les jeunes manifestants était tel que ce n’était qu’une question de temps avant que quelqu’un ne soit tué. C’est ce qui s’est finalement produit jeudi soir. La police a utilisé des blindés pour percuter violemment des groupes de manifestants. L’un d’entre eux, Affan Kurniawan, un livreur de 21 ans, en est mort.
L’annonce de sa mort a provoqué une explosion de colère. Des bâtiments parlementaires et plusieurs centaines de commissariats ont été pris d’assaut et incendiés dans plusieurs régions.
Pour tenter de calmer les manifestants, le gouvernement a promis que les policiers responsables de cette mort seraient punis. Le président Prabowo a aussi rendu visite aux parents d’Affan Kurniawan et, devant les caméras de télévision, leur a offert 200 millions de roupies et une maison. Mais le père du jeune homme a alors déclaré : « Tous ces millions ne remplaceront pas mon fils. » Au final, sept policiers ont été puni et condamnés à… 20 jours d’arrêts de rigueur ! Cette parodie de justice n’a fait que renforcer encore la colère des masses.
Celle-ci s’est tournée aussi contre les parlementaires, qui sont vus comme les représentants les plus évidents de ce système corrompu. Samedi soir, la villa d’un député du Parti national démocratique, Ahmad Sahroni, a été attaquée et pillée. Il avait auparavant qualifié les manifestants de « personnes les plus stupides sur terre ». Des vidéos partagées en ligne montrent ses luxueuses possessions – y compris une montre Richard Mille coûtant 600 000 $ – être emportées par la foule et Sahroni lui-même a dû trouver refuge à l’étranger.
Craignant d'être le suivant, un autre parlementaire qui avait insulté publiquement les manifestants, Eko Patrio, s’est empressé de publier une vidéo où il présente ses excuses aux masses. Mais les réactions n’ont pas été celles qu’il espérait. Un des commentaires de sa vidéo affirmait par exemple : « Ces excuses sont bidons. Allons à sa maison ensuite. » Sa maison a été effectivement attaquée peu après, ainsi que celle d’un autre parlementaire, Uya Kuya, et celle du ministre des finances, Sri Mulyani, le principal architecte du plan d'austérité de Prabowo.
Après trois jours de manifestations presque continues, le mouvement a reflué dimanche. Mais il serait erroné d’en conclure que cela marque forcément la fin ou le déclin de la mobilisation. La révolution, comme la vie elle-même, a son rythme propre. Les masses sont en train de faire le point sur ce qui s’est passé, sur ce qu'elles ont fait et obtenu, et aussi sur la façon dont le gouvernement a réagi. Elles sont en train de tirer les leçons de ces événements.
Le rôle de la classe ouvrière
Les travailleurs ont montré leur force dans la rue, mais ils ne sont pas encore passés à l’action collectivement, en tant que classe. Une grève de masse serait, de loin, l’arme la plus efficace que puisse mobiliser le mouvement. Tous les efforts doivent être tournés vers la préparation d’une telle grève.
Les dirigeants des grandes organisations syndicales se sont non seulement révélés incapable de jouer un rôle dirigeant dans la mobilisation, mais ils se sont rangé du coté du gouvernement. Même les organisations syndicales les plus militantes du pays ont été dépassées par le mouvement, qui a été organisée de façon largement spontanée.
La mobilisation s’organise aujourd’hui sur les réseaux sociaux et à travers de petits groupes dans les quartiers, les lycées et les universités. Ces structures informelles doivent être organisées en comités de lutte fonctionnant démocratiquement, pour pouvoir aider le mouvement à avancer.
La jeunesse est la couche la plus active de cette révolution. Elle doit se tourner vers la classe ouvrière. Les étudiants doivent se rendre dans les usines et les quartiers ouvriers, pour aider à organiser des comités de lutte et expliquer la nécessité d’une grève. Ce n’est que lorsque la puissance de la classe ouvrière se sera mise en œuvre à travers une grève de masse que la révolution pourra progresser.
Le prochain pas
Une révolution ne peut pas rester immobile. Elle doit aller de l’avant ou reculer. La colère des masses est le fruit de la crise du système capitaliste, dont le poids a été placé sur les épaules des masses. Le but de cette révolution ne peut être que le renversement du capitalisme et la transformation socialiste de la société.
Pour y arriver, nous en appelons aux travailleurs et à la jeunesse :
Il faut disperser le parlement et chasser Prabowo ! Ces institutions bourgeoises soi-disant démocratiques n’ont jamais reflété la volonté des travailleurs et des pauvres. Pour les remplacer, il faut former un gouvernement révolutionnaire, placé sous le contrôle démocratique des masses et qui défendra les intérêts des travailleurs, des paysans, des pauvres et des jeunes.
Il faut constituer immédiatement des comités d’action, pour organiser démocratiquement la lutte, dans les campus, les lycées, les quartiers ouvriers, les entreprises, etc. Ces comités d’action pourront approfondir la mobilisation et l’orienter vers le renversement du régime. Ils serviront d’embryon du pouvoir de la classe ouvrière et de base d’un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et des pauvres.
La seule raison pour laquelle la classe dirigeante conserve le pouvoir tient à ce que son contrôle de l’économie n’est pas remis en cause. Notre arme la plus puissante est la classe ouvrière elle-même, qui fait tourner toute l’économie et produit toutes les richesses. A travers les comités d’action, nous devons donc mobiliser pour organiser une grève générale ! Cela portera un coup majeur au régime et nous rapprochera de la victoire.
Quelle que soit l’issue de ce mouvement – qui ne peut être déterminée que dans la lutte elle-même – il marque un tournant. Les choses ne seront plus jamais comme avant.
Vive la révolution indonésienne !
Dispersons le Parlement !
A bas Prabowo !
Pour la formation d’un gouvernement de la classe ouvrière et des pauvres !
Créons des comités d'action, organes démocratiques de lutte des travailleurs et de la jeunesse !
Pour l’organisation d’une grève nationale !