Depuis qu’elle a rompu le cessez-le-feu à Gaza, mi-mars, l’armée israélienne a déjà tué près de 2000 Palestiniens. Le 23 mars, ses troupes ont tendu une embuscade à un convoi d’ambulances – pourtant clairement identifiées comme telles – avant de massacrer 15 secouristes et travailleurs humanitaires. Ce nouveau crime de guerre, qui fait suite à des centaines d’autres, a révulsé des millions de personnes à travers le monde.

Dans le même temps, l’aviation américaine bombarde massivement le Yémen. Depuis le début de cette nouvelle vague de bombardements, le 15 mars, plusieurs centaines de personnes – pour la plupart des civils – ont été tuées ou blessées. Le 25 mars, un hôpital a été frappé dans la région de Saada. Le 4 avril, Donald Trump a partagé une vidéo qui montre une bombe anéantissant un groupe de personnes présentées comme des miliciens Houthis. Par la suite, plusieurs analystes ont affirmé qu’il s’agissait en réalité d’un rassemblement traditionnel à l’occasion de la fête musulmane de l’Aïd el-Fitr.

Le 17 avril, le terminal pétrolier de Ras Isa a été bombardé. Plusieurs dizaines de travailleurs et cinq secouristes ont été tués. D’après certains rapports, il y aurait eu deux vagues de bombardements ; la deuxième se serait produite alors que les secours avaient commencé à soigner les blessés. En bombardant les installations portuaires du Yémen, les Etats-Unis compliquent l’arrivée de l’aide alimentaire dans un pays au bord de la famine. D’après le Programme alimentaire mondial, 17 millions de personnes y seraient « en situation d’insécurité alimentaire ».

Ces bombardements meurtriers se poursuivent sans que les libéraux européens ou américains n’émettent la moindre condamnation. Macron et ses semblables, pourtant, s’indignent sans cesse des bombardements russes en Ukraine. Les Yéménites tués par les bombes américaines vaudraient-ils moins que les Ukrainiens tués par les drones russes ?

Netanyahou : « Après moi, le déluge… »

A rebours du bombardement du Yémen, la politique étrangère mise en œuvre par Donald Trump semble indiquer qu’il souhaite concentrer les forces de l’impérialisme américain contre la Chine et sur le continent américain. Cela suppose qu’il se désengage de l’Europe – où il cherche à s’extirper de la guerre en Ukraine – et du Moyen-Orient.

Signe de ce désengagement, l’armée américaine a fermé trois des huit bases militaires qu’elle occupait en Syrie, y faisant passer le nombre de ses soldats de 2000 à 1400. Par ailleurs, des négociations sont engagées avec l’Iran pour tenter de trouver un compromis sur son programme nucléaire.

Cependant, de même que les impérialistes européens font tout pour prolonger la guerre en Ukraine et, ainsi, contraindre les Américains à rester en Europe, Benyamin Netanyahou et l’aile la plus radicale de la classe dirigeante sioniste ne veulent pas que la guerre à Gaza s’arrête. Au contraire : ils cherchent à entraîner les Américains dans une guerre régionale.

Comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises, Netanyahou sait que la fin du conflit serait synonyme de nouvelles élections, qu’il serait assuré de perdre. Cela entraînerait la fin de son immunité ministérielle, et il devrait alors faire face à de lourdes poursuites judiciaires. Il cherche donc à prolonger la guerre à tout prix, quitte à l’étendre aux pays voisins pour tenter d’y entraîner les Etats-Unis.

Depuis décembre, les troupes israéliennes ont occupé plusieurs villes et villages en plein territoire syrien. Dans le même temps, en violation du cessez-le-feu conclu en novembre dernier, l’armée israélienne continue d’occuper plusieurs portions du territoire libanais et, depuis la mi-février, a recommencé à bombarder des villages libanais. Là encore, aucune « Coalition des volontaires » n’a été proclamée par Macron, Starmer ou Merz pour aller défendre la souveraineté du Liban ou de la Syrie…

Cependant, nombre de dirigeants bourgeois israéliens craignent que la guerre à Gaza – désormais très impopulaire en Israël – ne finisse par fracturer la société israélienne. Netanyahou s’est donc lancé dans une confrontation ouverte avec une partie de l’appareil d’Etat israélien. Il a limogé le directeur du Shin Beth, le service israélien de renseignement intérieur. En annulant ce limogeage, la Cour suprême israélienne a accentué la crise politique en Israël.

Netanyahou peut compter sur le soutien des éléments les plus radicaux du sionisme, qui espèrent que la guerre offrira l’occasion d’annexer la bande de Gaza et la Cisjordanie après en avoir expulsé – ou massacré – toute la population palestinienne. Peu leur importe si cela plonge dans la guerre l’ensemble de la région.

Israël, l’Iran et les Etats-Unis

En janvier, Trump a fait pression sur Netanyahou pour l’obliger à signer un cessez-le-feu avec le Hamas. Pourtant, lorsque les Israéliens ont relancé la guerre contre Gaza, l’impérialisme américain lui a apporté son soutien. Les raisons de cette apparente volte-face de Trump sont les mêmes qui expliquaient l’appui inconditionnel de Biden à la guerre génocidaire contre Gaza.

Le déclin relatif de l’impérialisme américain s’est accéléré ces dernières années. Au Moyen-Orient, cela s’est traduit par une relative « émancipation » de plusieurs de ses anciens alliés. L’Arabie saoudite s’est rapprochée de la Chine, a fait appel à Pékin pour négocier la normalisation de ses relations avec l’Iran, et envisagerait même d’intégrer les BRICS. La Turquie a joué sa propre partition en Syrie, mais aussi en Libye et dans le Sahel, compliquant souvent les projets de l’impérialisme américain dans ces régions. En Syrie, les troupes turques ont été jusqu’à attaquer des milices kurdes formellement alliées de Washington. Dans ce contexte, Israël est le dernier allié solide sur lequel les Etats-Unis peuvent compter au Moyen-Orient. Netanyahou en est conscient et en profite autant que possible.

Israël veut à tout prix maintenir sa suprématie militaire dans la région, en particulier vis-à-vis de l’Iran. Téhéran a été affaibli par la chute de son allié Bachar al-Assad, en Syrie, mais garde d’importants relais au Liban, en Irak et au Yémen. L’armée iranienne a énormément progressé sur le plan technique, comme l’ont montré ses frappes contre Israël en octobre dernier : une bonne partie des missiles et des drones ont réussi à franchir les défenses israéliennes et à frapper leurs cibles, alors que les Iraniens avaient pourtant prévenu le monde entier qu’ils allaient répondre aux provocations d’Israël. En dehors du soutien des Etats-Unis, seule la possession de l’arme nucléaire assure encore la suprématie militaire de l’Etat sioniste au Moyen-Orient.

Le programme nucléaire iranien est donc une menace existentielle pour les dirigeants israéliens. Ils espèrent entraîner les Etats-Unis dans une guerre contre l’Iran, afin que Washington règle ce problème pour eux. Ils font tout leur possible pour faire échouer les négociations entre les Etats-Unis et l’Iran. Plusieurs rapports ont signalé qu’ils préparaient une attaque aérienne contre les installations iraniennes. Ils peuvent compter sur l’appui de plusieurs proches de Donald Trump : le conseiller à la sécurité nationale Michael Waltz et le secrétaire d’Etat Marco Rubio seraient des partisans résolus d’une offensive contre l’Iran.

Les négociations entre l’Iran et les Etats-Unis

A cette heure, Trump écarte publiquement l’idée de bombarder l’Iran tant que les négociations sont en cours. Celles-ci sont très positivement commentées par les négociateurs américains et iraniens. Trump semble vouloir parvenir à un compromis qui permettrait à l’impérialisme américain de réduire sa présence au Moyen-Orient, tout en sauvant la face. Son représentant, Steve Witkoff, a même laissé entendre qu’il serait possible d’arriver à un compromis proche de l’accord qui avait été conclu en 2015, sous la présidence Obama, et que Trump lui-même avait dénoncé en 2018.

Cependant, l’impérialisme américain laisse aussi planer la menace d’une escalade militaire contre l’Iran. Le bombardement du Yémen par les Etats-Unis, comme les rumeurs d’une prochaine opération terrestre contre les Houthis, jouent le rôle d’avertissement adressé à Téhéran.

En réalité, une intervention terrestre au Yémen serait très risquée pour les Etats-Unis. Les Houthis représentent une force non négligeable. Ils ont déjà mis en échec une invasion menée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis entre 2015 et 2022. Malgré des fournitures régulières de renseignement et de matériel moderne par les Occidentaux, et notamment par la France, les troupes saoudiennes ont subi plusieurs défaites humiliantes, avant de devoir concéder un cessez-le-feu. Les Houthis possèdent des armes relativement modernes qui leur permettent déjà de poser des problèmes aux forces américaines. Par exemple, ils ont abattu près d’une vingtaine de drones MQ-9 Reaper (qui coûtent 56 millions de dollars chacun) depuis le début des frappes américaines, il y a un an.

Ce qui est vrai pour les Houthis du Yémen l’est encore plus pour l’Iran. N’en déplaise à Waltz, Rubio et consorts, une offensive militaire américaine contre l’Iran serait une aventure hasardeuse, qui risquerait de plonger toute la région dans le chaos. L’armée iranienne est l’une des plus puissantes de la région. Elle dispose notamment d’un vaste arsenal de missiles et de drones. Les Iraniens pourraient aussi essayer de mobiliser tous leurs alliés : du Hezbollah libanais aux Houthis du Yémen, en passant par les Kataeb Hezbollah en Irak. Une agression contre l’Iran provoquerait une vague de colère immense contre les Etats-Unis à travers tout le Moyen-Orient, et même au-delà. Tous les intérêts américains et occidentaux, dans la région, seraient exposés à des attaques meurtrières.

Une telle aventure serait aussi dangereuse sur le plan économique. Le Moyen-Orient reste la principale région productrice de pétrole. En outre, 25 % du trafic maritime mondial passe par l’Océan indien. Les attaques des Houthis contre le commerce international sont restées limitées, mais elles ont pourtant eu un impact significatif. Si c’est tout le Moyen-Orient qui s’embrase, l’économie mondiale – déjà profondément déstabilisée par la guerre commerciale – pourrait basculer dans une crise profonde.

Les contradictions dans lesquelles se débat chacun des acteurs de ce grand jeu impérialiste sont si profondes qu’il est impossible d’anticiper précisément les développements au cours de la prochaine période. C’est d’autant plus vrai que la présidence de Donald Trump est marquée par une nette tendance à l’improvisation : si le Président américain estime que les négociations avec l’Iran ne vont pas assez vite, il pourrait changer de méthode et tenter de remplacer la carotte par le bâton, quels qu’en soient les risques pour l’économie mondiale et les intérêts des Etats-Unis.

Quoi qu’il advienne, les peuples de la région vont continuer à subir les crimes de l’impérialisme. Des centaines de milliers de Palestiniens sont menacés d’extermination ou d’être chassés de leur terre. Les Libanais sont soumis à la menace permanente des bombardements israéliens. Des centaines de milliers de Yéménites vivent sous la double menace des bombes américaines et de la famine. Le spectre d’une reprise de la guerre civile plane en Syrie, où le régime d’Abou Mohammed al-Joulani – ancien cadre d’Al-Qaïda, mais nouvelle coqueluche « inclusive » des impérialistes européens – s’attaque brutalement à toutes les minorités ethniques ou religieuses.

Cette situation est le produit des manœuvres des puissances impérialistes, qui ont passé des décennies à soutenir les forces les plus réactionnaires et à semer la mort et la destruction. Seule la lutte pour le socialisme peut ouvrir une issue aux masses opprimées de la région.