M ercredi 11 juin, près de Carpentras, trois exploitants agricoles ont été placés en garde à vue pour « traite d’êtres humains » concernant 70 travailleurs agricoles tunisiens. En mars, la justice se saisissait d’un dossier similaire pour 28 ouvriers maghrébins dans les vignes bordelaises. En février, dans le Lot-et-Garonne, deux ouvriers marocains portaient plainte pour les mêmes faits contre Alain Aunac, exploitant agricole et élu du syndicat réactionnaire Coordination rurale.
Ces quelques exemples ne sont que les pointes émergées d’un vaste système de traite d’êtres humains dans l’agriculture française et européenne. Rien qu’en Italie, l’ONU estime à 100 000 le nombre de travailleurs agricoles étrangers employés dans des « conditions inhumaines ».
Travail détaché et réseaux mafieux
Les grandes exploitations agricoles européennes recourent massivement à une main-d’œuvre étrangère bon marché pour accroître leurs profits. Certaines embauchent des travailleurs détachés : des salariés envoyés par une entreprise étrangère, payés selon les règles du pays d’origine. Ce dispositif leur permet de ne pas payer de cotisations sociales, tout en imposant des cadences infernales. Selon la Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES), la France comptait en 2022 environ 59 300 travailleurs détachés, dont 16 600 dans l’agriculture.
Entre 2012 et 2015, l’agence d’intérim espagnole Terra Fecundis a envoyé dans des exploitations agricoles françaises plus de 26 000 travailleurs détachés migrants, qui dépendaient totalement de l’agence pour leur contrat, leur logement, leur transport et leur nourriture – ce qui rendait toute contestation très difficile. Durant la pandémie de COVID, l’agence a entassé jusqu’à 200 travailleurs dans des baraquements, sans distinction entre cas positifs et négatifs, au mépris de leur santé et de leur vie.
Certaines exploitations agricoles s’appuient sur de véritables réseaux mafieux transfrontaliers qui attirent de jeunes migrants avec de fausses promesses de contrat, de logement et de titre de séjour, et leur soutirent d’énormes sommes d’argent. En avril, le média StreetPress relayait les témoignages d’ouvriers exploités par Alain Aunac : contraints de s’endetter à hauteur de 14 000 euros pour payer un intermédiaire marocain, ils se sont retrouvés exploités sans titres de séjour, payés 5 euros de l’heure et logés dans un taudis.
Conditions abominables
Les ouvriers agricoles migrants subissent des journées pouvant atteindre quatorze heures, six à sept jours par semaine, soit plus de soixante heures hebdomadaires. Ces conditions proches de l’esclavage sont telles que certains meurent littéralement d’épuisement. En août 2020, un vendangeur polonais décédait dans le Vaucluse après une journée à travailler sous plus de 35 °C, sans aucune pause.
Privés de toute protection sociale, les travailleurs sans-papiers sont particulièrement exposés. En juin 2019, un ouvrier marocain sans papiers mourait dans l’Hérault, après avoir été privé d’eau et de repos. En 2025, un rapport de la CGT 34 rapportait le témoignage de ses collègues : « On nous disait de boire l’eau des canaux d’irrigation, pleine de pesticides […]. Si on ralentissait, le patron menaçait de ne pas nous payer ».
Pour les femmes migrantes, l’exploitation se double de violences sexuelles. Le média El Español publiait, en 2018, le témoignage d’Habiba, recrutée en 2017 pour cueillir des fraises en Andalousie : « Ils savent que nous sommes pauvres, que nous avons des enfants, que beaucoup d’entre nous sont divorcées ou veuves. Ils nous font chanter et nous menacent d’expulsion si nous ne cédons pas à leurs désirs sexuels. Dans les fermes, ils nous touchent, nous frappent, nous insultent. Dans les chambres, ils nous obligent à avoir des rapports sexuels avec eux et à nous taire si l’on ne veut pas être expulsées. Ils nous amènent du Maroc pour que nous soyons leurs esclaves sexuelles ».
Solidarité de classe !
Loin de lutter contre ce fléau, l’Etat en est complice. Les gouvernements bourgeois successifs ne cessent de réduire les moyens de l’inspection du travail et la justice ferme souvent les yeux. La classe dirigeante laisse prospérer ce système illégal d’exploitation intensive, source de profits pour les exploitants agricoles et les capitalistes de l’agrobusiness, tout en orchestrant une campagne raciste permanente contre les immigrés afin de détourner l’attention des vrais responsables du chômage, de la misère et de la régression sociale.
Le mouvement ouvrier organisé doit réagir face à cette exploitation barbare et inhumaine. La gauche et les syndicats – en France et ailleurs – doivent unir les travailleurs français et immigrés par de puissants liens de solidarité de classe. Il faut mener la lutte pour la régularisation de tous les sans-papiers : une mesure qui couperait l’herbe sous le pied aux exploitants agricoles et à la bourgeoisie, qui tirent profit de l’extrême vulnérabilité de ces travailleurs pour les surexploiter. En parallèle, une vaste campagne de syndicalisation des travailleurs agricoles migrants doit être menée, ce qui renforcerait l’unité et la force de la classe ouvrière organisée. Seule une lutte unitaire de l’ensemble des travailleurs – français et immigrés – pourra mettre fin à cette effroyable barbarie, et renverser le capitalisme, qui en est la source.