A l’occasion de la Fête de l’Humanité, le Parti Communiste Révolutionnaire (PCR) s’adresse aux militants du PCF, du MJCF, et plus largement à tous ceux qui aspirent à la construction d’une société sans classes, sans exploitation et sans oppressions : le communisme.

Dans cette lettre ouverte, nous voulons contribuer au débat sur les idées, les méthodes et le programme dont les communistes ont besoin pour accomplir leur mission historique : porter les travailleurs au pouvoir, exproprier la bourgeoisie et remplacer le chaos du « libre marché » par une planification démocratique de la production.

Nous nous adressons ici aux communistes de France, mais notre point de vue est internationaliste. Le capitalisme est un système mondial ; le communisme sera mondial, lui aussi – ou ne sera pas. Les travailleurs de tous les pays ont les mêmes intérêts de classe ; les communistes de tous les continents doivent s’unir dans un « parti mondial de la révolution socialiste », comme l’écrivait Lénine. Voilà pourquoi notre parti, le PCR, est la section française de l’Internationale Communiste Révolutionnaire (ICR), qui est active dans plus de 40 pays.

La crise du capitalisme 

Lors de la chute de l’URSS et du bloc de l’Est, au début des années 1990, les bourgeoisies du monde entier étaient euphoriques. Elles célébraient « la fin du socialisme », « la fin du communisme », le « triomphe définitif » du système capitaliste – et même « la fin de l’histoire », selon une formule de Francis Fukuyama. Grâce aux merveilles de l’économie de marché et de la course aux profits, tous les peuples allaient enfin bénéficier d’une paix et d’une prospérité perpétuelles. Plus rien ne pourrait interrompre les progrès de la civilisation humaine.

34 ans plus tard, ces prédictions grandioses se sont avérées n’être que d’absurdes illusions. L’économie mondiale ne s’est toujours pas relevée de la récession de 2008 et 2009. Les peuples les plus opprimés sont exposés à une profonde misère, à la famine et aux guerres impérialistes. Dans les pays les plus riches, la bourgeoisie impose une régression sociale permanente à coups de contre-réformes, de casse des services publics et de coupes drastiques dans les budgets sociaux.

Le cas de la France est très clair. L’impérialisme français décline depuis plusieurs décennies. Partout, ses parts de marché reculent. Depuis 2004, sa balance commerciale est systématiquement et massivement déficitaire. Ces deux dernières années, les troupes françaises ont été chassées de toute une série de pays africains. Le déclin est général : économique, diplomatique et militaire ; l’exacerbation de la guerre commerciale menace de l’aggraver. En conséquence, de son point de vue de classe, la bourgeoisie française n’a pas d’autre choix que d’intensifier son offensive contre les conditions de vie de l’écrasante majorité de la population. Pour faire diversion et tenter de désamorcer la lutte des classes, les politiciens et journalistes bourgeois triplent la dose de propagande raciste et islamophobe.

Au lieu de la paix universelle annoncée au début des années 1990, on assiste à la multiplication de guerres, sur fond d’exacerbation des rivalités entre puissances impérialistes. Le génocide des Gazaouis, la guerre en Ukraine et des dizaines d’autres conflits sanglants en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient confirment la formule de Lénine : « Le capitalisme est une horreur sans fin ».

La crise environnementale s’aggrave de jour en jour. Le réchauffement climatique accélère. L’eau, l’air et la nourriture sont empoisonnés. Sur ces enjeux vitaux pour l’espèce humaine, chacun des « sommets » organisés par la bourgeoisie mondiale se solde par un fiasco, comme ce fut le cas récemment sur la question de la pollution plastique. Le fait est que le capitalisme est incapable de régler la crise environnementale, tout comme il est incapable d’en finir avec les guerres, le chômage, la pauvreté, le racisme, le sexisme – et ce pour la même raison : ce système en est le premier responsable.

Marx soulignait que la bourgeoisie a pour mot d’ordre : « Après nous le déluge ! » Si cette classe parasitaire n’est pas renversée à temps, elle plongera toute l’humanité dans une effroyable barbarie.

Les prémisses du communisme

Les marxistes sont les seuls à comprendre les causes fondamentales de cette crise générale du capitalisme. Marx les a identifiées dès le milieu du XIXe siècle : les forces productives finissent par se heurter – toujours plus violemment – aux limites des rapports de production capitalistes qui les ont développées. Elles y étouffent. La propriété privée des moyens de production et la division du monde en Etats-nations constituent les deux grands obstacles au développement harmonieux des forces productives, de la science, de la technologie et de la culture. Tant que ces obstacles n’auront pas été levés, le capitalisme mènera l’humanité à sa perte.

Marx a aussi démontré que la classe ouvrière (le salariat) est la force la plus révolutionnaire de la société capitaliste. C’est à cette classe que revient la mission historique de renverser ce système pourrissant et de le remplacer par une société socialiste, d’abord – puis communiste, c’est-à-dire sans classes et sans Etat.

En France comme à l’échelle mondiale, la classe ouvrière est plus forte, plus nombreuse et plus cultivée que jamais. Conformément aux anticipations de Marx, le poids social du salariat n’a pas cessé d’augmenter. Dans tous les pays capitalistes développés, les travailleurs constituent désormais l’écrasante majorité de la population active : plus de 90 % en France, par exemple. Pas une roue n’y tourne et pas une lumière n’y brille sans l’aimable permission des travailleurs. Même dans les pays « sous-développés », c’est-à-dire opprimés et pillés par l’impérialisme, le poids social de la classe ouvrière s’est nettement accru au détriment de la petite bourgeoisie rurale et urbaine (petits paysans, artisans, etc.).

En fin de compte, jamais les prémisses objectives d’une société socialiste – l’industrie, la science, la technologie et la classe ouvrière – n’ont été aussi développées. Dans le même temps, la crise organique du capitalisme et les politiques d’austérité préparent de puissantes explosions de la lutte des classes, y compris des situations révolutionnaires et pré-révolutionnaires.

Cependant, toute l’histoire de la lutte des classes démontre que les travailleurs ne peuvent pas prendre et conserver le pouvoir s’ils ne disposent pas d’un parti communiste puissant, enraciné dans la classe ouvrière et déterminé à renverser la bourgeoisie. Le parti est le facteur subjectif de la révolution socialiste – et c’est précisément ce qui manque, en France comme ailleurs. Il faut combler ce manque, construire ce facteur subjectif. C’est la tâche la plus importante de notre époque.

La crise du PCF

Nous ne pouvons pas entrer ici dans le détail des diverses causes du déclin continu du PCF, depuis plusieurs décennies [1]. Allons à l’essentiel. La direction de ce parti n’est pas communiste. Elle a renoncé de longue date à l’objectif central d’un parti communiste digne de ce nom : le renversement du capitalisme, l’expropriation de la grande bourgeoisie et la réorganisation de la société sur la base d’une planification démocratique de la production. On ne trouve plus la moindre trace de cet objectif dans L’Humanité ou dans les interventions publiques des dirigeants du PCF. C’est un fait, et c’est la cause la plus fondamentale du déclin de ce parti. Tout le reste en découle.

La direction du PCF est réformiste. En disant cela, nous ne lui reprochons pas de lutter pour des réformes, ce qui est indispensable. Sans la lutte quotidienne pour des réformes, de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et des services publics de qualité, la révolution socialiste serait impossible. C’est à travers l’expérience de cette lutte – et de ses limites – que la masse des travailleurs s’organise et se prépare à la conquête du pouvoir.

Mais le réformisme n’est pas la lutte pour des réformes. Comme l’expliquait Lénine, le réformisme est une « duperie bourgeoise » qui consiste à « limiter aux réformes les aspirations et les activités de la classe ouvrière », alors que les travailleurs « resteront toujours des esclaves salariés, malgré des améliorations isolées, aussi longtemps que durera la domination du capital ». C’est exactement ce que fait la direction du PCF : elle cantonne son programme à une série de réformes progressistes. Elle jette des illusions sur la possibilité d’en finir avec la misère, le chômage et les oppressions sans rompre avec le capitalisme.

Lénine ironisait sur les dirigeants réformistes qui parlaient uniquement de socialisme les jours de fête. L’actuelle direction du PCF n’en parle même pas les jours de fête. A cet égard, la chute de l’URSS et du bloc de l’Est a marqué un tournant. La direction du PCF était incapable d’expliquer l’effondrement de régimes staliniens que, pendant des décennies, elle avait qualifiés de « socialistes ». Alors, sous la pression de la propagande bourgeoise, elle a jeté le bébé avec l’eau du bain. Elle a formellement renoncé à renverser le capitalisme et, de façon typiquement réformiste, elle a commencé à évoquer la perspective d’une « économie de marché à dominante sociale », cette contradiction dans les termes.

Lorsqu’ils accèdent au pouvoir, les réformistes tombent sous la pression directe de la bourgeoisie, qui s’oppose aux réformes et exige des contre-réformes. Dans la mesure où les réformistes refusent d’exproprier la bourgeoisie, ils cèdent à ses exigences. C’est ce qu’ont fait les dirigeants du PCF à l’époque du gouvernement Jospin (1997-2002) : le ministre « communiste » des transports, Jean-Claude Gayssot, a privatisé Air France, l’Aérospatiale, la Snecma et les Autoroutes du sud de la France. Les deux ministres « communistes » n’ont pas jugé utile de quitter un gouvernement qui, en cinq ans, a privatisé plusieurs dizaines de milliards d’euros d’actifs publics. Dans la foulée, le PCF a subi un très net revers électoral, logiquement : 3,4 % des voix à la présidentielle d’avril 2002, contre 8,6 % en 1995. 

Un saut qualitatif – vers le gouffre

Depuis cette expérience catastrophique, le PCF n’a plus participé à un gouvernement. Mais ses dirigeants n’ont pas été capables d’en tirer les leçons et de se tourner vers les idées authentiques du communisme.

L’appareil du PCF n’avait plus qu’une seule idée en tête, à laquelle il subordonnait toute sa politique : maintenir son réseau d’élus, ou du moins freiner son déclin, quitte à multiplier les alliances sans principes avec un Parti Socialiste qui, de son côté, virait « à droite toute ». Le PCF est devenu le flanc gauche d’une social-démocratie en pleine dérive droitière. Rien de bon ne pouvait en sortir – ni pour les travailleurs, ni pour le PCF.

En 2017, les trahisons successives des dirigeants « socialistes », en particulier sous la présidence de François Hollande (2012-2017), ont provoqué l’effondrement électoral du PS et la spectaculaire ascension de la France insoumise. A l’époque, nous expliquions ce que devait faire la direction du PCF si elle voulait renouer avec la fraction la plus radicalisée de la jeunesse et du salariat : elle devait soutenir la FI face aux partis de droite, mais en se positionnant nettement sur sa gauche, en critiquant le programme réformiste de Mélenchon et en défendant une alternative révolutionnaire.

Paniquée par l’effondrement de son vieux « partenaire » socialiste, la direction du PCF a fait exactement le contraire. Elle a refusé de rompre avec le demi-cadavre du PS (et s’y refuse toujours, d’ailleurs). Elle n’a soutenu qu’au dernier moment, et de très mauvaise grâce, la candidature de Mélenchon en 2017. Enfin et surtout, elle s’est systématiquement positionnée sur la droite de la France insoumise. Par exemple, elle a continué de soutenir pleinement le gouvernement d’Alexis Tsipras, en Grèce, bien après sa capitulation totale face aux exigences austéritaires de la « troïka » (UE, FMI et BCE), en juillet 2015.

Cette politique a franchi un seuil qualitatif sous la direction de Fabien Roussel. Non seulement il se positionne constamment sur la droite de la FI, mais il flirte avec des idées, des formules et des préjugés clairement réactionnaires, sous les applaudissements nourris des journalistes de droite et d’extrême droite. Face à l’enthousiasme que suscite Fabien Roussel sur les plateaux de CNews, de BFMTV et d’ailleurs, on songe à ce que disait le dirigeant ouvrier allemand Auguste Bebel, il y a plus d’un siècle : « Quand mes ennemis me couvrent de louanges, je peux être sûr que j’ai commis une erreur ». La seule différence, c’est que Roussel, lui, se félicite des louanges que lui réservent les ennemis de la classe ouvrière.

Inutile, ici, d’énumérer la longue liste des dérapages mal contrôlés du Secrétaire national du PCF : tout le monde en a en tête. Quelle en est la « logique » sous-jacente ? Roussel et son entourage semblent s’imaginer qu’ils peuvent trouver un nouvel espace électoral en nageant dans les eaux troubles d’une rhétorique « populiste », au pire sens de ce terme. C’est aussi, pour eux, une garantie de visibilité médiatique, que le seul poids électoral du PCF ne leur apporte plus. Tout ceci est politiquement scandaleux, mais c’est également une impasse d’un point de vue électoraliste. La plupart des électeurs qui se tournent vers le populisme réactionnaire préféreront l’original (le RN, etc.) à la mauvaise copie « communiste ». Le seul résultat concret de la ligne promue par Fabien Roussel, c’est l’aggravation de la crise interne au PCF, et notamment une hémorragie de militants.

La crise de la Jeunesse Communiste

Dans la mesure où la direction nationale du Mouvement de la Jeunesse Communiste de France (MJCF) a soutenu et relayé cette politique désastreuse, elle a forcément alimenté la crise interne à cette organisation. Il est difficile de séduire la jeunesse actuelle en refusant de reconnaître que « la police tue », en virant à droite sur la question palestinienne (ce qui a choqué très au-delà des rangs du PCF) et en reprochant sans cesse à Mélenchon d’être trop radical.

Depuis deux décennies, les effectifs militants du MJCF baissent encore plus vite que ceux du PCF. Ces dernières années, plusieurs structures locales du MJCF ont scissionné. Cet été, les JC du Nord, de la Meurthe et Moselle, de la Loire et du Nord des Hauts-de-Seine ont annoncé leur départ du mouvement.

En rompant avec le MJCF, ces structures locales ont publiquement dénoncé les méthodes bureaucratiques utilisées par la direction nationale pour étouffer les débats internes au mouvement. Nous n’avons aucune raison de douter que les dirigeants du MJCF ont eu recours à de telles méthodes, car cela fait de nombreuses années qu’ils « gèrent » ainsi les divergences politiques internes.

Le 25 juillet, une « déclaration commune » des « Jeunes Communistes de la Loire, du Nord, des Bouches-du-Rhône, des Alpes-Maritimes et d’Ile de France » a été publiée. Elle appelle à la « reconstruction de la Jeunesse Communiste », à l’échelle nationale, sur la base d’une orientation programmatique offensive : « détruire l’Etat bourgeois et l’impérialisme français, instaurer le pouvoir du peuple travailleur, exproprier les grands moyens de production et d’échange, construire le socialisme ». Nous partageons entièrement ces objectifs. Le fait est que c’est le seul moyen d’en finir avec toutes les formes d’exploitation et d’oppression.

Les signataires de cette « déclaration commune » expliquent : « nous tendons la main à toutes les forces se réclamant du marxisme-léninisme et agissant en conséquence ». Le Parti Communiste Révolutionnaire – qui est marxiste, et donc léniniste – répond positivement à cet appel. Nous sommes disponibles pour engager la discussion avec les organisations signataires de la « déclaration commune » et avec tous ceux qui veulent participer à la reconstruction d’une Jeunesse Communiste digne de ce nom. En particulier, nous sommes prêts à contribuer au débat sur les idées, le programme et les méthodes dont cette nouvelle Jeunesse Communiste devra s’armer pour être à la hauteur de ses ambitions révolutionnaires.

Le « marxisme-léninisme »

Lorsque nous, parti trotskyste, avons répondu à l’appel pour une nouvelle Jeunesse Communiste, quelques-uns de nos lecteurs ont tenu à nous alerter : le « marxisme-léninisme » – dont se réclame la « déclaration commune » – est une formule d’origine stalinienne (ce qui est exact). Et donc, à en croire ces mêmes lecteurs, cette seule formule devrait nous dissuader d’engager une discussion avec ceux qui s’en réclament.

Nous pensons, au contraire, que les marxistes doivent être capables d’engager un dialogue fraternel avec toutes les tendances du mouvement ouvrier, et a fortiori du mouvement communiste. En l’occurrence, il est évident que bon nombre de jeunes communistes se réclamant du « marxisme-léninisme » ne sont pas des staliniens endurcis. Ils sont ouverts à la discussion sur les idées, les méthodes et le programme communistes.

Il est vrai qu’ils ont parfois des préjugés contre les idées de Léon Trotsky. Malheureusement, la politique insensée de sectes « trotskystes » a contribué – et contribue encore – à nourrir ces préjugés. Nous y reviendrons. Dans l’immédiat, concentrons-nous sur le fond de la question : que signifie l’opposition totale, irréductible, entre le trotskysme et le stalinisme ?

C’est l’isolement de la Révolution russe dans les conditions d’une effroyable arriération économique et culturelle qui a déterminé l’émergence et la consolidation de la bureaucratie stalinienne. Au début des années 1920, l’URSS était dévastée par la Guerre mondiale et par une guerre civile dans laquelle 21 armées étrangères sont intervenues. Celles-ci ont été vaincues par l’Armée rouge (forgée et dirigée par Trotsky), mais le pays en est sorti exsangue. En 1921, la production industrielle est tombée à moins de 20 % de son niveau de 1914. Les grandes villes, affamées, se vidaient de leurs ouvriers. Dans de telles conditions, une caste parasitaire et privilégiée – sur fond de pénurie générale – a concentré le pouvoir, détruit la démocratie ouvrière et écrasé l’opposition de gauche interne au parti bolchevik.

La bureaucratie soviétique ne luttait pas pour la révolution socialiste mondiale, mais pour la défense de son pouvoir et de ses privilèges. Pour justifier sa politique, elle devait rompre avec les idées authentiques du marxisme – tout en couvrant cette rupture d’une nouvelle étiquette : le « marxisme-léninisme », qui n’était ni marxiste, ni léniniste. Par exemple, l’absurde théorie du « socialisme dans un seul pays » piétinait les idées fondamentales de l’internationalisme prolétarien. [2] Avant sa mort en janvier 1924, Lénine a maintes fois souligné que la victoire définitive de la Révolution russe était impossible sans la victoire des travailleurs d’autres pays, et en particulier de pays capitalistes développés.

Le « trotskysme » représentait la lutte pour la défense des idées et des traditions bolcheviques. En 1928, Trotsky prédisait que si elle n’était pas abandonnée, la théorie du « socialisme dans un seul pays » conduirait à la dégénérescence réformiste et nationaliste de tous les Partis Communistes de la IIIe Internationale (l’Internationale Communiste, fondée en 1919). C’est exactement ce qui s’est passé. La direction de chaque PC s’est adaptée aux intérêts de sa propre bourgeoisie nationale. Cela a mené à la complète dégénérescence des Partis Communistes – et même, dans bien des cas, à leur liquidation pure et simple. Quant à l’Internationale Communiste, après avoir été transformée en un instrument de la politique étrangère de la bureaucratie soviétique, elle a été dissoute d’un trait de plume par Staline, en 1943, pour complaire aux puissances impérialistes occidentales.

L’analyse des innombrables crimes du stalinisme dépasse les limites de cette lettre ouverte. Les procès de Moscou, entre 1936 et 1938, décimèrent la « vieille garde » bolchevique et furent une étape décisive de la contre-révolution stalinienne. Si les dirigeants bolcheviques exécutés furent accusés (à tort) de « trotskysme », c’est parce que Trotsky dirigeait la lutte contre la dégénérescence bureaucratique de la Révolution russe et de l’Internationale Communiste.

Exclu du parti bolchevik en 1927 et chassé d’URSS en 1929, Trotsky a été assassiné par un agent de Staline en 1940, à Mexico. L’homme n’était plus, mais son œuvre colossale demeurait. Elle est un trésor inépuisable d’idées marxistes. Aux jeunes communistes qui se méfient du trotskysme, nous disons simplement : lisez Trotsky. Lisez La révolution trahie (sur le stalinisme) ; lisez le Programme de transition, la magistrale Histoire de la révolution russe, les écrits sur le fascisme, la Révolution espagnole, la Révolution chinoise, la grève générale de Juin 1936, en France, et bien d’autres événements. Faites-vous votre propre opinion sur la base d’une étude sérieuse des idées de Trotsky. Elles valent beaucoup mieux que les critiques – si souvent mensongères – dont les ont accablées plusieurs générations de « théoriciens » staliniens.

La lutte contre l’impérialisme

En 1936, dans La révolution trahie, Trotsky expliquait que si la bureaucratie soviétique n’était pas renversée par une révolution politique des travailleurs, elle finirait par restaurer les rapports de production capitalistes. C’est précisément ce qui s’est produit au début des années 1990.

La chute de l’URSS et du bloc de l’Est a porté un coup fatal aux grands partis staliniens du monde entier. Au sein du mouvement ouvrier, l’influence du stalinisme s’est effondrée. Mais les idées staliniennes n’ont pas totalement disparu, y compris dans leur version maoïste, et conservent une certaine influence au sein du mouvement communiste. Elles continuent d’y semer la confusion.

Prenons la question fondamentale de la lutte contre l’impérialisme, qui fait partie intégrante de la lutte pour la révolution socialiste. Dans ce domaine, les erreurs théoriques se payent très cher. Par exemple, l’Union pour la Reconstruction Communiste (URC), une organisation d’obédience stalinienne [3], écrivait en avril dernier sur son site internet : « A l’aube du XXIe siècle donc, l’hégémonie occidentale – dont les USA sont la tête – continue d’être remise en cause par un ensemble de pays qui, malgré leur hétérogénéité en termes de projets politiques et économiques (dont les BRICS+ sont l’épicentre) ont désormais les moyens objectifs de refuser cette domination impérialiste et d’imposer un nouvel ordre international multipolaire. » Par ailleurs, le récent Manifeste de l’URC parle de la « contre-hégémonie représentée par les BRICS » et y voit l’expression d’une « étape vers la révolution »

L’analyse générale de l’URC, qu’elle partage avec d’autres organisations staliniennes, est la suivante : l’ascension de la Chine et de la Russie (qui font partie des BRICS) est un développement progressiste, que les communistes doivent donc soutenir, car elle brise l’hégémonie de l’impérialisme américain et ouvre la perspective d’un « ordre international multipolaire », lequel serait plus progressiste qu’un monde dominé par une seule superpuissance (les Etats-Unis).

D’un point de vue marxiste, et donc léniniste, tout ceci est très confus.

Certes, les Etats-Unis ne sont plus la seule superpuissance, comme c’était le cas dans les années 1990 et au début des années 2000. Mais le déclin relatif de l’impérialisme américain se réalise au profit d’autres puissances impérialistes, à commencer par la Chine.

Les dirigeants de l’URC reconnaissent-ils le caractère impérialiste du géant chinois ? Si la réponse est non, il serait temps qu’ils ouvrent les yeux, car la Chine actuelle a toutes les caractéristiques impérialistes que Lénine analyse dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.

Si, à l’inverse, l’URC reconnaît le caractère impérialiste de la Chine, cela pose une autre question : comment des communistes peuvent-ils considérer l’ascension d’une puissance impérialiste comme un phénomène progressiste ? Par exemple, les communistes du monde entier doivent-ils soutenir le régime chinois dans la guerre commerciale avec les Etats-Unis ? Non, les communistes ne doivent soutenir ni la Chine, ni les Etats-Unis. Ils doivent s’opposer à tous les impérialismes, sur la base d’une politique de classe indépendante, révolutionnaire et internationaliste.

Dans la citation ci-dessus, l’URC parle de l’« hétérogénéité » des BRICS « en termes de projets politiques et économiques ». Cette formulation très vague ne parvient pas à masquer l’évidence : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (les BRICS) sont tous des régimes capitalistes, et leurs bourgeoisies respectives ont toutes le même « projet politique et économique » fondamental : défendre leurs intérêts de classe, notamment en intensifiant l’exploitation de la classe ouvrière. Il n’y a rien d’« hétérogène » là-dedans – et rien de progressiste. La seule « hétérogénéité » est celle des puissances : la Chine, deuxième économie mondiale et principale rivale des Etats-Unis, se tient loin devant les autres pays des BRICS.

Prenons la même question sous un autre angle. Dans la guerre en Ukraine, les communistes doivent-ils soutenir la Russie, face à l’OTAN, au nom de la lutte contre « l’hégémonie occidentale » ? « Oui », répondent diverses organisations staliniennes. « Non », répondons-nous, car la guerre en Ukraine est une guerre inter-impérialiste ; elle est réactionnaire des deux côtés de la ligne de front. Les communistes ne doivent soutenir aucun des deux camps.

Il est vrai qu’en France nous devons démasquer en priorité la propagande impérialiste de l’OTAN en général, et celle de la bourgeoisie française en particulier. Nous devons lutter d’abord contre notre propre bourgeoisie impérialiste, contre ses crimes, ses manœuvres et ses mensonges. Mais de là à soutenir l’impérialisme russe, il y a une distance considérable que les communistes ne doivent pas franchir.

Un « ordre international multipolaire », sur la base d’un nouveau partage du monde entre grandes puissances, ne marque pas le moindre progrès. Ce nouveau partage du monde – qui est d’autant plus instable que la crise du capitalisme est profonde – s’accompagne et s’accompagnera de guerres et de souffrances en tous genres. Ce sont toujours les peuples, les exploités et les opprimés qui payent le prix des rivalités inter-impérialistes croissantes et des mises à l’épreuve du nouveau rapport de forces entre grandes puissances. Seule la révolution socialiste mondiale permettra d’en finir avec les guerres et l’oppression impérialistes. En lui-même, l’« ordre international multipolaire » ne nous avance pas d’un centimètre dans cette direction.

Contre le sectarisme

Avant de conclure, il nous faut évoquer un autre écueil dont les communistes doivent se prémunir : le sectarisme ultra-gauchiste, qui réduit la tactique révolutionnaire à une succession de critiques abstraites et criardes visant les organisations réformistes du mouvement ouvrier.

En 1920, Lénine a abordé cette question dans La maladie infantile du communisme : le « gauchisme ». Plus d’un siècle après la publication de ce chef d’œuvre, une multitude de sectes « trotskystes » n’y ont manifestement rien compris, quand elles ne l’ignorent pas complètement. C’est vrai en France comme ailleurs.

La masse des travailleurs n’évolue pas, politiquement, en lisant les trois livres du Capital, mais sur la base de sa propre expérience de la lutte des classes. De fait, c’est aussi le cas de la couche la plus consciente et la plus active de la classe ouvrière. Ses illusions réformistes ne seront pas liquidées au moyen d’ultimatums et de dénonciations ultra-gauchistes, mais sur la base de l’expérience vivante des grands événements. Les marxistes doivent en tenir compte et faire preuve d’une grande flexibilité tactique – sans rien céder, pour autant, dans le domaine des idées, des principes et du programme révolutionnaires. La grande flexibilité tactique de Lénine était indissociable de son intransigeance sur les idées et les principes.

Prenons le cas de la France. Des millions de jeunes et de travailleurs ont des illusions dans le programme réformiste de la FI. Quant aux marxistes révolutionnaires, leurs forces et leur influence sont très limitées, à ce stade. Dès lors, comment les marxistes doivent-ils s’adresser aux militants et aux électeurs de la FI ? En leur jetant aux visages des formules tranchantes à propos des « trahisons » passées, actuelles et à venir de Jean-Luc Mélenchon ? Non. Les marxistes doivent apporter un soutien critique à la FI : ils doivent la soutenir face à la droite et l’extrême droite, tout en expliquant patiemment, faits et chiffres à l’appui, les erreurs des dirigeants de la FI et les limites de leur programme réformiste. Cela prend plus de temps et d’énergie que la formulation d’un ou deux ultimatums ultra-gauchistes, mais c’est bien plus productif. [4]

Au passage, remarquons que, très souvent, l’ultra-gauchisme se combine à l’opportunisme. Ce sont les deux faces de la même pièce, de la même impatience, de la même tentative de brûler les étapes dans la conquête politique des travailleurs. Le sectaire tourne le dos aux grandes organisations réformistes du mouvement ouvrier, ne leur demande rien, ne leur propose rien ; il veut s’adresser directement aux masses, par-dessus les grands syndicats et partis de gauche. Mais comme les masses ne le remarquent guère, le sectaire verse de l’eau dans son vin, s’adapte aux illusions réformistes des masses – bref, renonce au programme révolutionnaire.

La question de la tactique révolutionnaire est d’autant plus importante, de nos jours, que la profonde crise du capitalisme pousse un nombre croissant de jeunes et de travailleurs à chercher une alternative de gauche au réformisme de la FI. En soi, c’est un développement très positif ; c’est d’ailleurs de cette couche de la jeunesse et du salariat que viennent les forces militantes du PCR. Tous ceux qui s’éloignent du réformisme de la FI et cherchent une organisation communiste, marxiste, seront les bienvenus dans les rangs du PCR et de l’ICR. Cependant, ils devront y apprendre l’art complexe – mais indispensable – de la tactique révolutionnaire, qui seul nous permettra d’accroître sans cesse nos forces et notre influence. 

Revenir à Lénine ! 

D’autres questions fondamentales se posent au mouvement communiste international, mais nous devons conclure cette lettre ouverte. Son message central peut se résumer en un seul mot d’ordre : « Revenir à Lénine ! ». Les idées du dirigeant de la révolution d’Octobre 1917 sont plus vivantes et plus actuelles que jamais. Elles sont la clé de nos succès futurs.

L’an passé, à l’occasion du centième anniversaire de la mort de Lénine, le PCR et l’ICR ont animé une campagne pour faire connaître les idées et les combats du dirigeant bolchevik. A cette occasion, on a pu constater que la jeune génération n’était pas très affectée par la propagande calomnieuse dont la bourgeoisie et les réformistes accablent sans cesse la figure de Lénine. C’est là un symptôme, parmi bien d’autres, d’une très importante modification dans la conscience politique d’une fraction de la jeunesse étudiante et ouvrière.

Le rôle des communistes, dans le monde entier, est d’en profiter pleinement pour former une nouvelle génération de militants marxistes et, ce faisant, poser les bases d’une puissante Internationale communiste.

Il n’y a pas de tâches plus urgentes. Le système capitaliste menace rien moins que la survie de l’espèce humaine. Au cours des toutes prochaines décennies, la célèbre formule de Rosa Luxemburg – « socialisme ou barbarie ! » – deviendra toujours plus concrète et concernera l’humanité dans son ensemble.

Pour que le socialisme l’emporte sur la barbarie capitaliste, il n’y a qu’une seule voie : « revenir à Lénine ! » C’est le meilleur moyen d’œuvrer à la victoire finale de notre classe, la classe ouvrière internationale, qui saura construire une société plus juste, plus humaine, libérée de toute exploitation et de toute oppression : une société communiste.


[1] Sur cette question, lire notre article : « Une brève histoire du Parti Communiste Français ».

[2] Après la Révolution chinoise de 1949, Mao Zedong a repris cette théorie à son compte. Et pour cause : le régime maoïste était un régime stalinien « à la chinoise ». Sur cette question, lire notre court article : « Marxisme contre maoïsme ».

[3] Nous prenons l’exemple de cette organisation parce qu’elle affirme avoir une certaine influence parmi les jeunes communistes qui ont rompu avec le MJCF, en juillet dernier.

[4] C’est ce que nous avons fait, notamment, dans notre « Critique marxiste du programme de la France insoumise ».

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