En janvier dernier, le président d’ArcelorMittal déclarait : « tous les sites de sidérurgie européens sont à risque de fermeture en 2025 ». Cette perspective s’est précisée au fil des annonces faites par les grands groupes du secteur. L’allemand ThyssenKrupp prévoit ainsi de réduire ses effectifs de 40 % d’ici 2030, soit 11 000 suppressions de postes. Début avril, le Parlement britannique votait en urgence la « prise de contrôle » des deux derniers hauts fourneaux de British Steel, menacés de fermeture. Quant à ArcelorMittal, le groupe a annoncé, fin avril, la suppression de 636 postes et la fermeture des hauts fourneaux de Dunkerque.

La crise que traverse la sidérurgie européenne résulte de plusieurs facteurs. Elle s’explique avant tout par son manque de compétitivité : l’acier produit  en Europe est trop coûteux face à celui de ses concurrents internationaux, en particulier face à la concurrence agressive de l’acier chinois. À cela s’ajoutent le sous-investissement chronique dans des infrastructures vieillissantes ainsi que l’envolée des prix de l’énergie, provoquées notamment par les sanctions économiques imposées à la Russie.

L'après-guerre

Durant les Trente Glorieuses, et plus particulièrement entre 1945 et 1960, les groupes sidérurgiques européens connaissent une phase d’expansion rapide. Les bourgeoisies française et allemande profitent du plan Marshall et de la reconstruction d’après-guerre pour impulser la création d’un marché dépassant les frontières étroites des États européens. C’est dans ce contexte que naît en 1952 la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), fondée par six pays : la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Italie, l’Allemagne de l’Ouest et la France.

Mais à partir des années 1960, cette dynamique s’enraye. La demande portée par la reconstruction ralentit, si bien que les capacités de production finissent par excéder les besoins du marché. La crise pétrolière de 1973 aggrave la situation : la demande stagne, tandis que les prix de l’acier chutent brutalement – jusqu’à moins 40 % en 1974.

L’année suivante, le taux d’utilisation des capacités industrielles passe de 85 % à 65 %. En France, sur les années 1978 et 1979, entre 1 000 et 1 500 sidérurgistes sont licenciés chaque mois, ce qui déclenche des grèves et des manifestations massives à Longwy (Meurthe-et-Moselle), à Denain (Nord), puis à Paris.

Nationalisation des pertes

La nationalisation des entreprises sidérurgiques – initiée en 1979 par le gouvernement de droite de Raymond Barre et finalisée sous la présidence de Mitterrand en 1982 – ne change pas la dynamique. Loin de sauver les emplois, elles ont prolongé la destruction de l’industrie sidérurgique, avec 12 000 suppressions d’emplois en 1982, puis 21 000 en 1984. Les hauts-fourneaux de Longwy et Denain sont fermés et des villes entières du bassin sidérurgique lorrain sombrent dans le chômage de masse et la misère.

De surcroît, ces nationalisations se sont accompagnées d’indemnisations généreuses versées aux actionnaires, qui ont ainsi pu se débarrasser de leurs sites sidérurgiques non rentables pour aller investir leur capital dans des secteurs plus lucratifs. L’État, de son côté, a injecté des sommes considérables d’argent public pour tenter de restaurer la compétitivité d’une industrie en déclin. Le vieil adage « nationalisation des pertes et privatisation des profits » illustre parfaitement la période : quand le secteur se stabilise dans les années 1990, le gouvernement privatise. Mitterrand engage la privatisation d’Usinor-Sacilor en 1994, un processus achevé en 1997 sous le gouvernement de cohabitation Jospin-Chirac.

Crise de 2008 et guerre commerciale

En 2002, Usinor fusionne avec les groupes espagnol et luxembourgeois Aceralia et Arbed pour former Arcelor. Quatre ans plus tard, le groupe indien Mittal rachète Arcelor, donnant naissance au géant ArcelorMittal, aujourd’hui deuxième producteur mondial d’acier.

Ces fusions s’accompagnent déjà de plusieurs plans de licenciement. Mais c’est la crise de 2008 qui marque un tournant décisif dans le déclin de la sidérurgie européenne. Les principaux secteurs clients – le bâtiment, l’automobile, l’industrie lourde – sont eux-mêmes frappés de plein fouet par la crise. La demande d’acier s’effondre, la concurrence internationale s’intensifie, et la crise de surproduction fait chuter les prix. Face à cette brutale contraction du marché, ArcelorMittal supprime 6 000 emplois à l’échelle européenne. En France, l’aciérie de Gandrange est fermée en 2009, entraînant la suppression de 575 postes. Deux ans plus tard, en 2011, ce sont les hauts-fourneaux de Florange qui sont sacrifiés.

Depuis cette période, la production d’acier dans l’Union européenne a chuté de 30 %, atteignant un plancher historique. L’industrie sidérurgique européenne recule face à la concurrence internationale, en particulier celle de la Chine, dont les installations sont plus modernes et les coûts de production bien moindres. À cela s’ajoute la montée en puissance d’autres producteurs d’acier comme l’Inde et le Brésil, qui grignotent des parts de marché à l’échelle mondiale. 

Les perspectives économiques annoncent une aggravation de la surproduction mondiale d’acier, qui devrait atteindre 721 millions de tonnes d’ici 2027. La Chine, qui a multiplié sa production par neuf entre 1989 et 2009 – et l’a encore doublée depuis – en produit aujourd’hui 1,3 milliard de tonnes par an, bien au-delà de ses besoins domestiques. Une grande partie de cette production est exportée, et les barrières douanières mises en place par les États-Unis redirigent ces flux vers l’Afrique, l’Amérique latine et l’Europe elle-même. 

Par ailleurs, les sanctions imposées à la Russie depuis la guerre en Ukraine ont provoqué une envolée des prix de l’énergie en Europe et ont rapproché la Russie de la Chine ; cette dernière profite de l’approvisionnement en gaz russe à bas coût, ce qui renforce encore sa compétitivité.

En mars dernier, Stéphane Séjourné, vice-président exécutif de la Commission européenne, rappelait que la part de l’Europe dans la production mondiale d’acier est tombée de 7 % à 4 % en dix ans. À titre de comparaison, dans les années 1930, elle était de 40 %.

Les exportations européennes sont en chute libre : la balance commerciale de l’acier est passée d’un excédent de 10 millions de tonnes en 2014 à un déficit de 10 millions de tonnes en 2023. Les dirigeants d’ArcelorMittal ont bien compris la dynamique : ils n'investissent plus dans leurs sites européens, ferment les moins rentables et orientent leurs capitaux vers leurs sites en Inde ou au Brésil.

Nationalisation et planification

Ni l’État, ni le secteur privé n’ont permis de redresser les industries sidérurgiques française et européenne. La seule voie pour sauver les emplois et garantir une amélioration substantielle des conditions de travail, c’est la nationalisation de la sidérurgie, mais sous le contrôle démocratique des travailleurs eux-mêmes, comme nous l’avons expliqué ailleurs.

À terme, une telle perspective implique une planification socialiste de l’ensemble de l’économie, fondée sur un plan de production rationnel et démocratique. C’est seulement sur cette base que la sidérurgie pourra répondre aux besoins réels de la population – construction d’infrastructures, de logements, développement des transports en commun, etc. – tout en respectant l’environnement.

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