L’ oppression des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) est le produit de la société de classes, en même temps qu’un instrument par lequel elle se perpétue. Cette oppression est apparue il y a plusieurs milliers d’années à la suite de l’émergence de la propriété privée et de la division de la société en classes sociales antagonistes. Dans le cadre de ce processus, les femmes ont été reléguées à la sphère familiale. De strictes normes de genre ont été imposées en même temps que la sexualité était soumise à un contrôle social et que les personnes qui dérogeaient à ces normes étaient opprimées. [1]
Au fur et à mesure de l’histoire des sociétés de classes, les normes de genre et de sexualité ont connu de nombreuses évolutions, selon les époques et les régions, à travers différents modèles de « famille traditionnelle ». Tous visaient à assurer la stabilité de la domination de la classe dirigeante. Aujourd’hui encore, sous le capitalisme, les discriminations visant les LGBT sont utilisées par la bourgeoisie pour diviser et affaiblir la classe ouvrière.
Persécutions légales et impérialisme
En 2025, les relations homosexuelles entre adultes consentants sont encore prohibées dans 64 pays, dont 12 où elles sont passibles de la peine de mort. Le mariage n’est ouvert aux couples de même sexe que dans 37 pays. Seuls 77 Etats autorisent le changement de genre auprès de l’état civil, dont 24 seulement sur simple demande. La persécution légale de l’homosexualité et de la transidentité est particulièrement forte dans les pays anciennement colonisés – toujours dominés par l’impérialisme aujourd’hui – où les premières lois homophobes furent souvent introduites par les colonisateurs, comme en Ouganda, au Pakistan ou au Cameroun.
Paradoxalement, les dirigeants de ces pays utilisent aujourd’hui l’homophobie et la transphobie comme des instruments de propagande pour se donner une image « anti-impérialiste » d’opposant aux soi-disant « valeurs morales » de l’Occident. En 2022, le président ougandais Yoweri Museveni a ainsi introduit une loi rendant l’homosexualité – décrite comme un « instrument de l’impérialisme occidental » – passible de la peine de mort.
Le même Museveni est pourtant arrivé au pouvoir dans les années 1980 avec le soutien de l’impérialisme américain. Qualifié de « bon élève » du FMI, il a été félicité en 1997 par la secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright pour sa remarquable « démocratie uni-partiste » – en réalité pour sa défense docile des intérêts de Washington dans la région des Grands lacs. En 2014, son premier projet de loi anti-homosexualité avait d’ailleurs été inspiré par le pasteur évangéliste américain Scott Lively. La réalité est que Museveni utilise les homosexuels comme bouc émissaire pour détourner l’attention des masses pauvres d’Ouganda, que les grandes puissances impérialistes exploitent avec sa complicité.
Quant aux dirigeants impérialistes occidentaux, ils font preuve d’une remarquable hypocrisie à ce sujet. L’oppression des LGBT est cyniquement utilisée comme instrument de propagande quand cela convient aux intérêts des impérialistes. Israël utilise ainsi la défense des droits LGBT pour justifier ses massacres génocidaires en Palestine tandis que les crimes homophobes des tribunaux religieux du régime iranien sont régulièrement utilisés pour attaquer l’Iran, ennemi des Occidentaux et d’Israël au Moyen-Orient. L’Arabie saoudite, qui est leur alliée, bénéficie par contre d’une grande indulgence – bien que ses lois prévoient des peines allant des coups de fouet à la lapidation pour la « sodomie » ou le « travestissement ».
De même, les grandes puissances occidentales signent des déclarations à l’ONU pour la dépénalisation de l’homosexualité et du changement de genre, mais n’ont de cesse d’appuyer des groupes armés férocement hostiles aux LGBT. Pour ne prendre qu’un exemple, le groupe islamiste syrien Hayat Tahrir al-Cham (HTC) avait largement fait parler de lui en 2016 car il menait des exécutions publiques d’homosexuels dans les régions qu’il contrôlait. Ces assassins n’en avaient pas moins bénéficié du soutien de plusieurs pays occidentaux, dont la France de François Hollande. HTC a pris le pouvoir cet hiver après avoir renversé le régime de Bachar el-Assad et son chef, Ahmed al-Charaa, a été reçu en grande pompe à l’Elysée par Emmanuel Macron.
Discriminations et violences
Même dans les pays où les droits des LGBT sont formellement plus avancés, leur oppression persiste. Les progrès de la « représentation » – c’est-à-dire la plus grande visibilité de politiciens, d’artistes et autres personnalités homosexuelles (et, plus rarement, transgenres) au sein de la classe dirigeante – n’ont rien fait pour mettre réellement fin aux discriminations et aux violences que subissent les travailleurs LGBT.
En France, la perception de l’homosexualité dans l’opinion publique a grandement évolué au cours des dernières décennies, suite aux nombreuses luttes menées par le mouvement pour les droits LGBT. En 2019, 85 % des Français y voyaient « une manière comme une autre de vivre sa sexualité », contre seulement 24 % en 1975. Quant aux personnes transgenres, 71 % des Français estiment qu’elles doivent pouvoir « changer leurs documents d’état civil pour qu’ils correspondent à leur identité sexuelle intérieure. » Mais cette acceptation sociale n’empêche pas les discriminations. 30 % des salariés LGBT en France ont déjà été victimes d’agressions homophobes ou transphobes sur leur lieu de travail, et 40 % d’entre eux cachent leur identité de genre ou leur orientation sexuelle à leurs collègues. Par ailleurs, les hommes homosexuels sont payés en moyenne 6 % de moins que leurs collègues hétérosexuels.
La police recense chaque année plusieurs milliers d’infractions LGBTphobes – 4800 en 2024, un chiffre en augmentation constante depuis 2016. Parmi ces infractions, 20 % sont des agressions physiques, qui vont parfois jusqu’au meurtre. En 2023, un documentaire publié par Mediapart faisait état de plusieurs centaines de guets-apens homophobes sur des lieux de drague ou via des applications de rencontre – environ un tous les trois jours en 2022.
Quant aux mesures formelles d’égalité des droits – ouverture du mariage, de l’adoption et de la PMA aux couples de même sexe, accès aux parcours de transition, politiques de lutte contre les discriminations – leur portée reste limitée par les conditions économiques des LGBT de la classe ouvrière. Les jeunes LGBT qui dépendent financièrement de familles homophobes ou transphobes doivent souvent cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Et les parcours de transition, qui ne sont que partiellement remboursés par la Sécurité sociale, coûtent trop cher pour que les transgenres précaires puissent se les payer.
Offensives LGBTphobes
Sous le capitalisme, les quelques droits acquis par les LGBT dans les pays les plus avancés sont constamment menacés par les manœuvres de la classe dirigeante. Des démagogues de droite comme Trump, Meloni ou Le Pen agitent la menace d’un prétendu « lobby LGBT » pour distraire l’attention et détourner la colère d’une partie des masses. Les LGBT – et notamment les femmes trans – servent de bouc émissaire aux côtés des migrants et des musulmans. Sous prétexte de défendre les enfants, la famille ou l’ordre moral, les politiciens anti-LGBT menacent les associations communautaires, l’accès aux transitions de genre, ou encore la protection légale contre les discriminations.
Face à ces figures réactionnaires, d’autres politiciens bourgeois comme Emmanuel Macron, Keir Starmer ou Kamala Harris se posent en défenseurs des droits des minorités. Ils somment les électeurs de gauche et les organisations du mouvement ouvrier de les soutenir face à l’extrême droite, au nom du « moindre mal » et de la protection des opprimés. Mais en réalité, leurs politiques d’austérité et leurs attaques contre les travailleurs minent les conditions de vie des travailleurs LGBT, et renforcent la colère qui nourrit l’essor des démagogues de droite. Leur « progressisme » de façade dépasse rarement le cadre d’actions symboliques. En revanche, il contribue à décrédibiliser la cause des minorités opprimées en l’associant à un statu quo massivement détesté.
Ces politiciens bourgeois ont beau se présenter comme des « alliés » de la cause LGBT, ils en sont en réalité des ennemis irréductibles. Ils sont d’ailleurs prêts à l’abandonner dès qu’ils sentent le vent tourner. En Grande-Bretagne, le Premier ministre travailliste Starmer a fait campagne en prétendant soutenir le droit des personnes trans à l’autodétermination. Il a récemment fait volte-face, à la suite d’une intense campagne de propagande médiatique, en soutenant un jugement de la Cour suprême qui affirme que les femmes trans ne sont pas des femmes – jugement qui les prive notamment de toute protection contre les discriminations sexistes.
Il en va de même pour Macron qui, alors qu’il cherchait des voix sur sa droite lors de la campagne législative de 2024, attaquait le programme du Nouveau Front Populaire en raillant « des choses complètement ubuesques » comme la possibilité d’un « changement de sexe en mairie ». La même mesure figurait pourtant dans son programme présidentiel de 2022. Ses gouvernements successifs comportent par ailleurs un nombre notable d’anciennes figures de la « Manif pour tous » – comme Gérald Darmanin, Aurore Bergé, Bruno Retailleau ou encore Caroline Cayeux – qui militaient en 2013 contre l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.
Divisions et unité de la classe ouvrière
En dernière analyse, les oppositions entre « libéraux » et « conservateurs » au sein de la classe dirigeante ne sont pas motivées par des questions de principe, mais par des considérations tactiques. Ces deux ailes de la classe dirigeante défendent au final les seuls intérêts de leur classe. Face à la crise, tous s’accordent pour faire peser l’austérité sur les épaules des travailleurs – et les couches les plus opprimées en sont toujours les premières victimes. De plus, tous sont prêts à utiliser les LGBT comme bouc émissaire facile pour diviser la classe ouvrière et détourner la colère des masses.
La classe dirigeante a un intérêt objectif à perpétuer l’oppression des LGBT. A l’inverse, la classe ouvrière a besoin de la plus grande unité pour mener la lutte contre le système capitaliste. Elle doit donc rejeter toute tentative de monter une fraction du salariat contre les autres, que cette division adopte le visage hideux de l’oppression ou le masque souriant de la « discrimination positive ». Quand les travailleurs LGBT sont défavorisés dans l’accès au logement, à l’emploi, aux études ou aux soins de santé, ce n’est pas à cause d’un soi-disant « privilège » de leurs collègues hétérosexuels et cisgenres, mais parce que les capitalistes orchestrent la pénurie pour s’assurer un maximum de profits. L’oppression d’une partie des travailleurs ne profite jamais aux autres travailleurs, et toute manœuvre de division affaiblit la classe ouvrière.
L’oppression des LGBT n’existe pas dans un monde à part : elle fait partie intégrante du système dans lequel les travailleurs sont exploités, les femmes sont maltraitées, et des peuples entiers périssent sous les bombes. Le mouvement ouvrier doit se placer à la tête de toutes les luttes contre les oppressions, sur la base du mot d’ordre « une attaque contre l’un d’entre nous est une attaque contre nous tous ». Pour l’emporter, le combat pour l’émancipation des LGBT devra être mené sur la base de l’unité absolue de la classe ouvrière, dans le cadre d’une lutte pour le renversement révolutionnaire du capitalisme.
[1] Voir notre article, « Les origines de l’oppression des femmes »