Le rythme des événements s’est encore accéléré au Moyen-Orient. Le 22 juin, l’aviation américaine a bombardé plusieurs sites clés du programme nucléaire iranien. Le lendemain, une salve de missiles iraniens visait la base américaine d’Al-Udeid, au Qatar. Quelques heures plus tard, Donald Trump annonçait la conclusion d’un cessez-le-feu et « la fin » de la guerre entre Israël et l’Iran. Tout ceci est une nouvelle illustration du chaos sanglant dans lequel les impérialistes sont en train de plonger la région.
La bourgeoisie israélienne dans une impasse
La classe dirigeante israélienne est dans une impasse. La guerre d’extermination menée contre Gaza n’a atteint aucun de ses objectifs déclarés : ni la libération des otages capturés par le Hamas le 7 octobre 2023 (nombre d’entre eux ayant été tués par l’armée israélienne elle-même), ni la destruction du Hamas, qui continue de résister et de porter de coups aux troupes israéliennes à Gaza. Le 24 juin, sept soldats israéliens ont été tués dans une embuscade à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza.
Dans le même temps, cette guerre a accentué les tensions dans la région comme dans la société israélienne. Une majorité d’Israéliens s’opposent désormais à la poursuite de la guerre à Gaza ; ils veulent une négociation pour obtenir la libération des derniers otages.
Cependant, Benyamin Netanyahou ne veut pas mettre fin à la guerre, car cela minerait l’alliance avec les sionistes les plus radicaux dont dépend son gouvernement. Ceux-ci veulent que la guerre continue et s’étende, car ils souhaitent en profiter pour expulser autant de Palestiniens que possible et annexer un maximum de terres palestiniennes, à Gaza comme en Cisjordanie. Or, si Netanyahou perd le pouvoir, il risque de faire face à la Justice israélienne pour de nombreuses affaires de corruption. Il cherche donc à tout prix à prolonger la guerre et à l’étendre à d’autres pays.
Son armée a transformé la bande de Gaza en un champ de ruines, mène des incursions sanglantes en Cisjordanie, a bombardé le Liban pendant des mois et, depuis décembre dernier, occupe des portions de la Syrie. Tout cela s’est opéré avec le soutien des impérialistes occidentaux, et en particulier de l’administration américaine de Joe Biden. Sans l’appui militaire américain, le massacre des Palestiniens aurait été impossible.
Netanyahou cherche aussi à provoquer une guerre régionale contre l’Iran et à y entraîner les Etats-Unis. Bien avant le 13 juin dernier, il a multiplié les provocations meurtrières contre Téhéran : les services secrets israéliens ont assassiné un dirigeant du Hamas en pleine capitale iranienne ; l’aviation israélienne a bombardé l’ambassade d’Iran à Damas. Jusqu’ici, les ripostes iraniennes étaient toujours restées relativement limitées, ce qui avait privé Netanyahou d’un prétexte pour déclencher une guerre à grande échelle.
Sur la question de l’Iran, les intérêts personnels de Netanyahou rejoignent ceux de la classe dirigeante israélienne dans son ensemble. Le pouvoir de celle-ci dépend du maintien d’une rhétorique guerrière permanente, pour empêcher toute polarisation de classe en Israël et maintenir sa domination sur les travailleurs israéliens. L’agitation belliciste contre l’Iran – présentée comme une « menace existentielle » pour Israël – est donc un élément central de la propagande du régime sioniste.
C’est d’autant plus vrai que l’Iran a été renforcé, ces dernières années, par les débâcles subies par l’impérialisme américain en Irak, en Afghanistan et en Syrie, ainsi que par son rôle dans la lutte contre l’Etat islamique. L’Iran représente aujourd’hui le principal rival potentiel de l’impérialisme israélien dans la région. La possession de l’arme nucléaire par Tel-Aviv est un élément central de sa domination militaire à l’échelle régionale. Voilà pourquoi le programme nucléaire iranien cause des nuits blanches aux dirigeants sionistes.
La politique de Donald Trump
De son côté, Donald Trump a été élu sur la promesse de mettre fin aux « guerres éternelles » dans lesquelles l’impérialisme américain s’est embourbé depuis le 11 septembre 2001. Cela correspond aussi à sa volonté de retirer le maximum de forces du Moyen-Orient et de l’Europe pour les concentrer sur la lutte contre la Chine et sur la domination de son pré carré traditionnel, le continent américain.
Avant même son retour officiel à la Maison-Blanche, Trump avait contraint Netanyahou à accepter un cessez-le-feu à Gaza, début janvier. Mais en mars, le Premier ministre israélien a saisi la première occasion de relancer la guerre, tout en continuant ses provocations contre l’Iran.
En 2015, le gouvernement Obama avait signé un accord sur le programme nucléaire iranien. Il prévoyait que le régime des Mollahs cesserait d’enrichir du combustible au niveau nécessaire pour produire une arme nucléaire, en échange d’une levée des sanctions économiques qui frappent très durement l’Iran. Le régime iranien avait globalement respecté cet accord, supervisé par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), jusqu’à ce que Donald Trump y mette fin de manière unilatérale, en 2018.
Aujourd’hui, Trump a besoin de stabiliser la région pour s’en désengager autant que possible. Il a donc commencé par chercher à conclure avec l’Iran un accord… similaire à celui qu’il avait lui-même annulé en 2018. Des négociations ont débuté entre Américains et Iraniens, au grand dam des dirigeants israéliens.
La guerre déclenchée par Netanyahou contre l’Iran, mi-juin, a placé Donald Trump dans une situation difficile. Le Président américain semble vouloir aboutir à un compromis global avec les Iraniens, mais il ne peut pas abandonner Israël, qui reste le plus solide allié de l’impérialisme américain dans la région. Donald Trump s’est donc résolu à bombarder l’Iran, pour donner démonstrativement satisfaction à son allié israélien, avant de lui imposer un cessez-le-feu.
Défaite israélienne
Si l’on en croit les « experts » des médias français, toujours prompts à chanter les louanges de l’Etat sioniste, tous ces événements marqueraient une victoire éclatante pour les Israéliens. Le 23 juin, un journaliste du Monde écrivait qu’Israël « s’est imposé en Iran » et proclamait l’avènement d’une « Pax hebraica » au Moyen-Orient. En réalité, cette guerre a été une humiliation pour l’impérialisme israélien. L’Iran a pu frapper les principales villes d’Israël, sans que ni le « Dôme de fer » israélien, ni les puissances impérialistes venues au secours de l’Etat sioniste ne parviennent à l’en empêcher.
Les Israéliens ne sont pas davantage parvenus à mettre fin au programme nucléaire iranien. En 1981, lorsque l’Irak de Saddam Hussein avait tenté de développer un programme nucléaire militaire avec l’appui de la France, des bombardiers israéliens avaient détruit le réacteur nucléaire « Osirak », qui était construit sous la supervision d’ingénieurs français du CEA. Ce seul raid aérien avait suffi à réduire à néant les projets nucléaires irakiens.
Aujourd’hui, le programme nucléaire iranien est beaucoup trop avancé et trop bien protégé pour être anéanti en une seule vague de bombardements, aussi puissants soient-ils. Des rapports du renseignement américain révélés par CNN et le New York Times signalent qu’au moins une partie des centrifugeuses et des importantes réserves d’uranium enrichi sont encore utilisables.
En fait, les attaques israéliennes et américaines constituent une incitation supplémentaire, pour le régime iranien, à intensifier ses efforts pour se doter de l’arme nucléaire. Après tout, si l’Iran avait effectivement possédé la bombe atomique, il est probable que ni Israël, ni les Américains n’auraient pris le risque de l’attaquer.
Instabilité croissante
La succession des aventures militaires d’Israël – contre Gaza, le Liban, la Syrie, l’Iran et le Yémen – inquiètent beaucoup les classes dirigeantes de la région. Les masses d’Arabie Saoudite et de Jordanie sympathisent avec les souffrances des Gazaouis. Elles sont révulsées par les crimes des Israéliens. La passivité et la complicité de leurs dirigeants leur sont de plus en plus intolérables. Chaque nouveau massacre à Gaza, chaque nouvelle provocation de Netanyahou accroît la pression qui s’exerce sur les régimes réactionnaires de la région et sape les efforts entrepris par le gouvernement israélien, avant le 7 octobre 2023, pour normaliser ses relations diplomatiques au Moyen-Orient.
Le fait que les Etats-Unis semblent incapables de contenir Israël pousse aussi ces régimes à s’éloigner de Washington, ce qui ouvre la voie à des rivaux de l’impérialisme américain. L’Arabie Saoudite s’est ainsi rapprochée de la Chine, ces dernières années. La semaine dernière, Vladimir Poutine a proposé de jouer les intermédiaires pour un cessez-le-feu entre Israël et l’Iran.
Cette guerre a aussi été une nouvelle indication de la complète marginalisation des impérialistes européens sur la scène internationale. Le 21 juin, les ministres des Affaires étrangères du Royaume-Uni, de la France et de l’Allemagne, ainsi que la cheffe de la diplomatie de l’Union européenne, Kaja Kallas, rencontraient leur homologue iranien pour tenter d’obtenir un cessez-le-feu. A ce moment-là, les bombardiers B-2 avaient déjà décollé des Etats-Unis pour frapper l’Iran, ce qui rendait d’avance caduc tout ce qui aurait pu être négocié par Kallas et ses comparses. Il est difficile d’imaginer plus grande humiliation pour les impérialistes européens, qui sont renvoyés à leur véritable place : celle de puissances de second ordre.
Chaos impérialiste
Il est impossible de prévoir avec précision quelle sera la suite des événements. L’accumulation des contradictions qui pèsent sur tous les acteurs – à commencer par Trump et Netanyahou – rend la situation particulièrement instable.
Comme Trump, le régime iranien est favorable à un cessez-le-feu et à une reprise des négociations. Mais ce n’est pas le cas de Netanyahou, qui est de plus en plus désespéré et pourrait chercher à relancer le conflit, comme il l’a déjà fait à Gaza, sans que Washington ne parvienne à l’en empêcher. L’affaiblissement relatif des Etats-Unis dans la région les rend toujours plus dépendant de leur allié israélien, et donne donc davantage de marges de manœuvre à Netanyahou et aux dirigeants sionistes, qui sont prêts à déclencher une conflagration régionale pour tenter de s’extraire de l’impasse dans laquelle ils se sont eux-mêmes plongés. Le jour même du cessez-le-feu avec l’Iran, l’aviation israélienne a mené une série de frappes meurtrières dans le sud du Liban. La guerre avec l’Iran peut donc reprendre tôt ou tard.
Par ailleurs, le massacre des Gazaouis et la poursuite de la colonisation en Cisjordanie placent tous les gouvernements de la région dans des contradictions inextricables. En Syrie, le nouveau régime d’Ahmed al-Charaa ne pourra pas rester éternellement passif devant l’occupation d’une partie du Golan par les Israéliens. A terme, cela ne peut que saper son autorité déjà fragile. En Jordanie, la complicité de plus en plus flagrante de la monarchie avec Israël nourrit une colère croissante parmi les masses, qui peut déboucher à n’importe quel moment sur un soulèvement révolutionnaire. Une situation similaire existe dans de nombreux pays de la région.
L’instabilité et le chaos qui ravagent le Moyen-Orient sont la conséquence de la crise du capitalisme mondial et des manœuvres des puissances impérialistes. Les capitalistes sont prêts à mettre la région à feu et à sang pour défendre leurs profits. Seule la lutte des classes et la révolution socialiste peuvent offrir aux travailleurs du Moyen-Orient une issue hors de la guerre et de la barbarie.