Le 16 octobre dernier, les députés du PS ne votaient pas la censure du gouvernement Lecornu et de son budget austéritaire. Dans la foulée, de nombreux sympathisants de la FI appelaient Mélenchon et ses camarades à « rompre avec le PS ».
Non seulement le PCR approuve ces appels, mais nous pensons que dans l’intérêt de la lutte contre tous les partis de droite, la FI doit rompre aussi avec les Verts et le PCF. Nous expliquerons ici pourquoi – et en quoi doit consister cette rupture.
Crise et polarisation
Mais il faut d’abord replacer la situation de la « gauche » française dans son contexte global.
La spectaculaire ascension de la FI, en 2017, fut une expression de la polarisation politique engendrée par la crise mondiale de 2008 et l’austérité permanente, dont nous ne sommes toujours pas sortis. En rejetant la « vieille gauche » [1] et en défendant un vaste programme de réformes sociales progressistes, Mélenchon et la FI ont suscité l’enthousiasme de millions de jeunes et de travailleurs.
Résultat : 19,6 % des voix pour Mélenchon en avril 2017, puis 22 % en avril 2022 – contre 6,4 % pour Benoît Hamon, puis 1,7 % pour Anne Hidalgo. Rappelons qu’en 2017 le « socialiste » Hamon était soutenu par les Verts, sans grand succès. En 2022, les Verts ont plafonné à 4,6 %, le PCF à 2,3 %. Bref, des millions d’électeurs désertaient la « vieille gauche » discréditée au profit de la FI.
Il est vrai qu’une fraction de l’électorat traditionnel du PS – surtout dans les classes moyennes – s’est déportée vers le macronisme, et non vers la FI. Mais cela confirme le caractère de classe du processus : c’est dans la classe ouvrière, et notamment sa jeunesse, que la FI a trouvé l’essentiel de sa base sociale et électorale.
Cependant, cette polarisation (par définition) ne s’est pas seulement exprimée sur la gauche de l’échiquier politique, mais aussi sur sa droite. Le FN a recueilli 17,9 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2012. En avril 2017, le RN recueillait 21,3 % des voix, puis 23,1 % en 2022. En 2024, les élections européennes et législatives ont été marquées par une accélération de cette ascension du RN.
Dans quelles classes sociales le RN a-t-il progressé ? Dans diverses couches de la petite bourgeoisie, mais aussi et surtout dans la classe ouvrière. Toutes les études le confirment. Il n’y a rien d’étonnant à cela, car on retrouve le même phénomène à l’échelle internationale : sur fond de crise économique et de régression sociale permanente, la démagogie « anti-système » du populisme de droite (RN, Trump, AFD, etc.) trouve un écho dans une fraction croissante des masses exploitées et opprimées.
A gauche, ce phénomène est souvent mal compris. Des militants en tirent des conclusions très pessimistes : « le niveau de conscience des gens régresse ; ils regardent trop CNews », etc. C’est un point de vue très superficiel et qui ne tient pas compte d’un facteur central dans l’ascension du RN : les trahisons systématiques de « la gauche » au cours des dernières décennies.
Depuis 2002 (pour ne pas remonter au-delà), le PS, les Verts et le PCF se sont massivement discrédités – au profit du parti de Marine Le Pen. Et désormais, les erreurs droitières de la FI elle-même sont un facteur non négligeable dans la progression du RN. En particulier, l’alliance formelle de la FI avec les partis de la « vieille gauche » – sous la forme de la Nupes, puis du NFP – était l’exact contraire de ce qui était requis pour miner l’ascension du RN et gagner une partie significative des abstentionnistes.
C’est bien simple : les alliances de la FI avec trois vieux partis du « système » ne peuvent susciter aucune adhésion chez des millions de pauvres et de travailleurs qui brûlent de haine contre ce même « système ». Si la FI renouvelle cette erreur à l’occasion d’élections législatives anticipées, dans les mois qui viennent, elle ouvrira un boulevard au RN.
La confusion de Mélenchon
Depuis la fondation de la Nupes, en mai 2022, Jean-Luc Mélenchon s’efforce de défendre ce virage droitier de la FI. Après avoir déploré la dislocation de la Nupes, il déplore celle du NFP. Le 23 octobre dernier, sur son blog, il fustigeait les dirigeants du PS et leur refus de censurer Lecornu, puis affirmait que « ce nouveau tournant sur l’aile les a rendus radioactifs dans d’amples secteurs populaires ». Il ajoutait : « toute la dynamique créée par le NFP est clouée au sol, paralysée et se décompose dans la méfiance populaire ».
A elles seules, ces trois lignes de Mélenchon prouvent que « l’unité de la gauche » lui est montée à la tête au point d’y semer une grande pagaille.
Premièrement, cela fait de nombreuses années que le PS et ses dirigeants sont « radioactifs dans d’amples secteurs populaires ». Le score d’Hidalgo en avril 2022 (1,7 %) l’a bien démontré. Autrement dit, le rejet du PS par la masse des jeunes et des salariés venait d’atteindre des sommets lorsque les dirigeants de la FI ont pris la décision, en mai 2022, de constituer une alliance formelle avec le parti de François Hollande et d’Olivier Faure.
La radioactivité du PS n’était pas retombée, dans les « secteurs populaires », lors de la constitution du NFP en juillet 2024. Aux Européennes de juin 2024, les 13,8 % de Raphaël Glucksmann (que soutenaient les « socialistes ») ne marquaient pas une progression du PS dans l’électorat « populaire » ; ils marquaient l’instabilité d’une fraction de l’électorat petit-bourgeois des macronistes et des Verts. Ces derniers ont perdu la plupart des voix gagnées par Glucksmann, sur fond d’abstention massive (48,5 %). Rien de plus.
Deuxièmement, la « dynamique créée par le NFP » est une vue de l’esprit de Mélenchon, dès lors qu’on la rapporte à la dynamique du RN. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les résultats du premier tour de la présidentielle de 2022 avec ceux du premier tour des législatives de 2024. En avril 2022, les partis du futur NFP (FI, PS, Verts et PCF) ont recueilli un total de 10,7 millions de voix ; en juillet 2024, le NFP a recueilli 9 millions de voix. De son côté, le RN a recueilli 8,1 millions de voix en avril 2022 ; en juillet 2024, l’alliance RN-Ciotti en a recueilli 10,1 millions.
Bilan : 1,7 million de voix en moins pour le NFP, contre 2 millions de voix en plus pour le RN. Le différentiel est de 3,7 millions de voix. Dans l’électorat « populaire », la dynamique était du côté du RN, et non du NFP. Mais le plus important, c’est de saisir le lien entre les deux côtés de ce processus global : la progression du RN s’est faite au détriment du NFP – précisément parce que ce dernier était « radioactif » aux yeux de larges fractions des masses.
Quelle rupture ?
Nous l’avons dit : notre parti, le PCR, appelle la FI à rompre non seulement avec le PS, mais aussi avec les Verts et le PCF.
Considérons le tableau d’ensemble qu’offrent les partis politiques. Les Verts et le PCF sont étroitement liés au PS, lequel se tourne vers les macronistes, qui eux-mêmes s’appuient sur Les Républicains, qui se tournent vers le RN. La Nupes et le NFP ont soudé la FI à cette longue chaîne des alliances et des complicités qui constitue le « système » politique français – pourri jusqu’à la moelle. C’est d’autant plus dommageable que Marine Le Pen, en bout de chaîne, peut se prévaloir d’une posture « anti-système », proclamer qu’elle est la seule à ne soutenir aucun autre parti que le sien, aucun autre intérêt que celui du « peuple français », etc. Cette démagogie bénéficie d’un autre avantage : le RN n’a jamais été au pouvoir.
Pour miner l’ascension du RN et gagner de nouvelles couches des masses exploitées, la FI doit s’extraire de cette chaîne, c’est-à-dire rompre avec tous les autres partis du NFP, qui en constituent l’aile droite.
Premièrement, face à la possibilité d’élections législatives anticipées, la FI doit s’engager à présenter des candidats de son mouvement dans toutes les circonscriptions. Plus d’alliances au premier tour avec le PS, les Verts et le PCF ! Entre les deux tours, aucun soi-disant « front républicain contre l’extrême droite », ces alliances avec la droite qui renforcent le RN et sa posture « anti-système » ! [2] Pour le reste, lorsque la FI ne sera pas en tête de « la gauche » à l’issue du premier tour, elle pourra éventuellement se désister, au deuxième, afin de battre la droite. Ceci dit, il est vain de spéculer sur les différents scénarios du deuxième tour, car l’essentiel est que la FI adopte une politique offensive et indépendante au premier tour – et qu’elle rejette fermement le « front républicain contre l’extrême droite ».
Deuxièmement, cette rupture formelle avec l’aile droite du réformisme doit s’accompagner d’un virage à gauche de la FI sur le plan programmatique. Nous ne demandons pas aux dirigeants de la FI d’adopter notre programme, celui du marxisme révolutionnaire. Mais en défendant vigoureusement une série de mesures s’attaquant au pouvoir de la classe dirigeante – comme la nationalisation des banques, des transports, de l’énergie et de la grande industrie –, la FI susciterait beaucoup d’enthousiasme dans la jeunesse et le salariat. Au passage, cela jetterait le RN sur la défensive, car les dirigeants de ce parti bourgeois jusqu’au bout des griffes seraient obligés de prendre nettement position contre les nationalisations, ce qui sèmerait le trouble dans l’électorat ouvrier du RN.
Troisièmement, la FI doit cesser de s’enfermer dans le cirque du Palais Bourbon, où les postures et les manœuvres en tous genres sombrent dans une cacophonie absurde, grotesque, dont le peuple se détourne avec dégoût. La FI doit appeler l’ensemble du mouvement ouvrier – et d’abord la CGT – à construire une puissante mobilisation dans les rues, les entreprises, les facs et les lycées, avec comme objectif central d’en finir avec Lecornu, Macron et leur politique d’austérité drastique. Mélenchon et ses camarades doivent jeter toutes leurs forces et toute leur autorité dans cette bataille.
A ces trois conditions, il est encore possible que la FI brise la dynamique ascendante du RN. A défaut, la FI aidera Marine Le Pen et ses sbires à faire un pas de plus vers le pouvoir.
[1] Cette formule est – ou plutôt, était – de Mélenchon lui-même. Elle désignait le PS, les Verts et le PCF.
[2] Sur cette question, lire notre article : « Critique du “front républicain” contre l’extrême droite », sur marxiste.org.

	