Nous avons reçu ce courrier d'une lectrice de notre journal Révolution. Les pages de ce journal sont ouvertes aux contributions écrites de tous ses lecteurs. Nous voulons que s’y reflètent les conditions de vie des jeunes et des travailleurs, mais aussi leurs colères, leurs aspirations, les questions qu’ils se posent – et, de manière générale, leurs points de vue sur la société, sur la vie politique, sur les événements (petits ou grands) qui les marquent.
Vous voulez dénoncer le comportement de votre patron ? Vos conditions de travail sont insupportables ? Les propos d’un politicien ou d’un journaliste vous ont révolté ? Vous avez été témoins d’une injustice flagrante ?
Écrivez-nous pour en témoigner. Cela peut être long ou court : peu nous importe. L’essentiel est que cela vous tienne à cœur.
Écrivez-nous à :
Je travaille chez Alliade Habitat, le plus grand bailleur social de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Officiellement, notre mission est de garantir un logement décent pour les ménages modestes. Mais ce que j’observe chaque jour contredit cette prétention.
Dans nos logements, les locataires précaires ne sont pas seulement écrasés par des loyers devenus difficilement supportables. Ils subissent aussi des régularisations annuelles de charges démesurées, parfois de 2 000 à 3 500 € ! Beaucoup découvrent ces sommes sans avertissement, avec des délais de paiement courts. Derrière ces factures exorbitantes, on trouve souvent des dysfonctionnements connus mais négligés : fuites d’eau non réparées, compteurs défectueux, relevés anormaux.
Pourquoi ? Parce que chercher une fuite coûte de l’argent. Alors même si les locataires signalent les problèmes, les interventions sont rares, bâclées ou inexistantes. Quant aux prestataires extérieurs, comme les fournisseurs de compteurs, leur objectif principal est de maximiser leurs profits. Pour cela, ils emploient le moins de techniciens possible, ce qui nuit à la qualité du service. En parallèle, ils généralisent les contrats de location de compteurs aux usagers, ce qui leur permet d'encaisser des revenus réguliers. Enfin, ils produisent des rapports remplis à la chaîne pour faire croire que tout est sous contrôle.
Quand les locataires n’arrivent pas à régler ces sommes, le bailleur enclenche rapidement des procédures d’expulsion, sans égard pour la réalité sociale de ces familles. Pourtant, ces charges excessives ne relèvent pas d’un « défaut de paiement » mais bien d’un système qui tolère des pratiques injustes au nom de la rentabilité.
Ce mépris touche aussi les salariés d’Alliade habitat. Les salaires sont bas, le SMIC est la norme pour beaucoup. La direction refuse les hausses significatives, même pour les plus anciens. Or, ces collègues expérimentés, indispensables au bon fonctionnement des services, partent un par un. Leur départ aggrave la charge de travail de ceux qui restent et baisse la qualité du service rendu aux locataires.
Le turnover permanent empêche toute stabilité : logements vacants mal gérés, retards d’intervention, promesses non tenues... C’est la spirale bien connue de l’épuisement professionnel dans le social.
Lors des dernières négociations annuelles obligatoires, les syndicats avaient demandé une revalorisation de 2 % pour tous, et davantage selon l’ancienneté. La direction a concédé une « prime d’ancienneté » ridicule de 1 %... tout en sachant que peu de salariés sont concernés, vu le turnover. La prise en charge entière de la mutuelle a été refusée. Et les augmentations proposées ne compensent pas l’inflation.
Plusieurs syndicats – FO, CFTC et UNSA – ont d’abord accepté les propositions de la direction. Mais quelques semaines plus tard, face à l’insuffisance flagrante des mesures (1 % de prime d’ancienneté, refus de la prise en charge intégrale de la mutuelle, indemnités de transport partielles…), ces syndicats ont appelé à la grève.
Malgré cette relance combative, la CGT a choisi de freiner la mobilisation ! À travers un tract, elle a appelé les salariés à ne pas faire grève, sous prétexte que l’accord avait déjà été signé et que « la parole donnée devait être tenue ». Plutôt que de renforcer l’élan naissant, elle a préféré calmer le jeu et préserver ses relations avec la direction.
Mais cette attitude a semé le doute et la colère chez de nombreux collègues. Certains disaient : « Les syndicats ne sont même pas d’accord entre eux ».
Une collègue a même exprimé sa frustration en rappelant que l’année précédente, la CGT avait déjà joué ce rôle de frein, empêchant une grève pourtant très attendue. Elle m’a dit : « pourtant l’an dernier déjà, j’étais bien motivée pour faire grève ».
Même des collègues peu politisés s’interrogent. Ils constatent que les syndicats ne mènent pas une bataille commune, que les stratégies s’opposent, et que certains syndicats copinent avec la direction, pendant que d’autres appellent à la lutte. Cette ambiguïté mine la confiance des salariés, et renforce le désengagement syndical.
Chaque année, notre bailleur continue de construire de nouveaux logements, ce qui est souvent mis en avant comme une réussite. Mais les embauches ne suivent pas. On remplace au compte-goutte les départs, mais on n’augmente pas les effectifs. Les équipes s’épuisent, les services se dégradent, et la précarité devient structurelle, des deux côtés du guichet – pour les locataires comme pour les salariés.
Tant que le logement social restera soumis à la logique de rentabilité capitaliste, il ne pourra jamais répondre à l’intérêt général. Les prestataires cherchent le profit, les directions rognent sur les salaires. Les syndicats doivent préparer la lutte ! Pour que le logement soit un droit pour tous, et non une marchandise : renversons le capitalisme !