Aline est aide-soignante à l’hôpital psychiatrique de Villejuif, au sein du groupe hospitalier Paul Guiraud. Syndiquée à Sud Santé Sociaux, elle travaille depuis vingt ans en psychiatrie. D’abord agente de service, elle est aide-soignante depuis 2021.
En quoi consiste le travail d’une aide-soignante en hôpital psychiatrique ?
Mon travail, c’est d’abord d’accueillir les patients et d’être à leur écoute. La psychiatrie, c’est un quotidien difficile, qui demande des compétences spécifiques. Beaucoup de patients sont en grande détresse, ont des angoisses ou peuvent-être très agités… Certains sont bipolaires, d’autres schizophrènes, en dépression ou encore toxicomanes. Et malheureusement, il y a beaucoup de jeunes… Ça en dit long sur la détresse de la jeunesse dans cette société.
Concrètement, certains patients ont des hallucinations visuelles ou auditives, d’autres se sentent persécutés ou ont des délires paranoïaques. Ils peuvent aussi avoir des troubles de l’humeur, passer d’une phase maniaque à une phase de tristesse. Et parfois, on est amenés à les mettre à l’isolement pour les apaiser : quand la crise est trop forte, ils peuvent se mettre en danger ou mettre en danger les autres. Bien sûr, on se remet souvent en question… On se demande si on a fait le bon choix, parce qu’on se met à la place du patient. C’est un travail éprouvant, surtout sur le plan mental.
Parfois, la détresse est trop forte, trop insupportable, et certains tentent de mettre fin à leurs jours. Il y a quelques mois, une patiente a tenté de se suicider en prenant une grosse dose de morphine pendant la nuit. On a découvert son état pendant les visites du matin… On a réagi rapidement, on lui a fait un massage cardiaque, on l’a oxygénée, puis on lui a administré un antidote contre la morphine.
Cet incident nous a vraiment marqués parce qu’il était inattendu : on pensait que son état psychique s’améliorait. Elle semblait aller de mieux en mieux, elle disait au médecin qu’elle allait mieux. Mais en réalité, elle était toujours suicidaire… Ce genre de cas reste rare, parce que les médecins mettent en place un suivi spécifique pour les patients suicidaires. Mais ça peut arriver, et il faut être prêt à réagir.
Comment s’organise concrètement ta journée de travail ?
On travaille en services de 12 heures. On fait des gardes de 12h sur deux ou trois jours, puis on a deux ou trois jours de repos. Les horaires varient : parfois je commence à 6h45 et je finis à 18h45, d’autres fois c’est de 9h15 à 21h15. Tout ça pour un salaire qui va de 1700 euros en début de carrière à 2400 en fin de carrière.
Un service, c’est en général trois infirmières, trois aide-soignantes, un médecin et un interne. On doit prendre en charge dix-sept patients. Ça, c’est quand « tout va bien », mais on est souvent en sous-effectif. Parfois, on n’est que deux aide-soignantes. Il m’est même arrivé d’être seule. C’est rare, mais ça arrive. Et dans ces cas-là, on est obligés de faire des heures supplémentaires.
On dit souvent qu’une infirmière ne tient que trois ans dans ce métier. Oui, ça s'explique par une surcharge de travail et pas assez de personnel… Et même quand les équipes sont au complet, on n’a pas le temps de soigner correctement les patients. Ils ont besoin de parler, d’être écoutés. C’est important de prendre le temps avec eux, d’être bienveillant… Mais avec toutes ces difficultés, la pression, et le fait de ne pas pouvoir exercer correctement son métier, beaucoup d’infirmières ou d'aides soignantes finissent par partir.
Peux-tu expliquer les conséquences du manque de personnel et de l'austérité dans la santé ?
Depuis des années, les gouvernements suppriment des lits, ce qui réduit nos capacités d’accueil. Ça retarde les diagnostics et la prise en charge. Aux urgences, les patients sont classés par ordre de priorité. On priorise les patients en fonction de ce que les gens disent ressentir et non pas sur une évaluation médicale sérieuse. Certains peuvent attendre très longtemps alors qu’ils doivent être traités rapidement. Aux urgences de l’hôpital de Villeneuve Saint George (Seine et Marne) une patiente a attendu 10 heures avant d’être prise en charge… puis elle est décédée. On lui avait donné des antalgiques pour calmer la douleur, et c’est tout. Ce qu’il lui fallait, c’était des examens, une prise en charge rapide… Mais il n’y avait pas assez de personnel. Il y une augmentation de ce genre de drame : c’est une conséquence directe du manque de personnel et de la fermeture des lits. Aussi, pour transférer un patient des urgences vers un service psychiatrique comme le nôtre, il faut qu’un lit soit disponible. Ça peut prendre beaucoup de temps, et pendant ce temps-là, ça bloque les urgences. Tout est saturé.
Peux-tu nous parler d'autres attaques concrètes contre vos conditions de travail ? Est-ce qu'il y a eu des mobilisations ?
Je me souviens d’une grosse mobilisation en 2014, quand ils ont voulu passer les horaires de 8 heures à 7h36. On voulait garder les 8 heures, parce que cette réforme touchait nos salaires et supprimait un RTT. Et bien sûr, il fallait faire les mêmes tâches en moins de temps. Plusieurs syndicats – SUD-Santé, la CGT, FO – se sont opposés et sont allés voir la direction pour expliquer que le personnel n’était pas d’accord. Mais la direction ne voulait rien entendre. On est restés en grève pendant six ou sept mois. Certains collègues dormaient même à l’hôpital. C’était une grosse grève, très suivie. Mais au final, on a perdu. On est passés à 7h36. Ça nous a beaucoup affectés.
Il y a deux ans, on est passés aux services de 12 heures cette fois, pour pallier le manque de personnel. Il n’y avait pas assez de soignants pour organiser des rotations sur des horaires plus courts. Mon syndicat, SUD-Santé, s’est opposé à ce changement. Moi aussi je suis contre, mais je n’ai pas eu d’autre choix que de passer à 12 heures. Sauf que ça ne règle rien : on est toujours en sous-effectif. La seule solution, c’est d’embaucher.
Récemment, on a fusionné avec la Fondation Vallée, qui s’occupe des enfants avec des pathologies psychiques. Maintenant les protocoles sont mélangés, alors qu’il devrait y avoir des pratiques bien distinctes entre enfants et adultes. Les syndicats s’y sont opposés, mais là encore, ils n’ont pas réussi à empêcher la fusion.
En réalité, les grèves des soignants ont un impact limité, parce qu’on est obligés d’assurer la continuité des soins – donc de continuer à travailler. C’est pour ça qu’on a besoin que les travailleurs des autres secteurs luttent et fassent grève pour défendre l’hôpital. Il faut qu’on arrête de faire du profit sur le dos des malades. L’hôpital n’est pas une entreprise, c’est fait pour soigner les gens. Aujourd’hui, les riches peuvent se soigner mieux que les pauvres. Des soins de qualité devraient être accessibles à tout le monde.