Au-dessus des plans sociaux et des fermetures d’entreprises qui se multiplient, les rapaces tournent, prêts à fondre sur la moindre source de profit. Le groupe ACI (Alliance pour les Compétences Industrielles) en est un bon exemple : ce spécialiste du rachat de sous-traitants industriels en difficulté est aujourd’hui en redressement judiciaire, ce qui met en péril 1450 emplois.
L’édifice financier que constituait ce groupe apparaît ainsi comme une vaste machine destinée à enrichir son PDG et actionnaire principal, Philippe Rivière, ainsi que ses collaborateurs, sur les ruines de la crise industrielle.
Une pyramide de Ponzi industrielle
Fondé en 2019, ACI connaît une croissance rapide par acquisitions successives, jusqu’à contrôler plus d’une quarantaine d’entreprises dans l’aéronautique, l’automobile, le nucléaire civil et l’armement.
Sa stratégie de développement ressemble diablement à une « pyramide de Ponzi » : à chaque acquisition, ACI siphonnait la trésorerie de l’entreprise rachetée pour financer l’achat de la suivante, tout en augmentant la cadence des rachats et la taille des entreprises concernées. Alors qu’il avait commencé par acquérir des entreprises de quelques dizaines de salariés, le groupe rachète ainsi en mars 2025 les Fonderies Hachette et Driout en Haute-Marne, une entreprise de 274 salariés et 37 millions d’euros de chiffre d’affaires.
La méthode est à chaque fois identique : 2,8 millions d’euros sont retirés chez Fralsen à Besançon et 11 millions chez Enerflux à Blois. Plusieurs entreprises se retrouvent dans l’incapacité de fonctionner.
Samy Tabti, délégué CGT chez Roche Meca Tech dans la Loire, décrit la situation dans Le Monde (édition du 8 décembre) : « Après le rachat, ça a été tout de suite catastrophique [...] Pour fonctionner, il nous faut un fonds de roulement conséquent. Mais eux, ils ont immédiatement siphonné notre trésorerie. »
Les comptes 2024 d’ACI montrent une dette totale de 55,7 millions d’euros. Sentant que le château de cartes vacillait, Philippe Rivière répétait depuis mars 2025 qu’un fonds d’investissement américain, Fortuna, s’apprêtait à injecter 80 millions d’euros dans le groupe. Mais l’argent promis n’est jamais arrivé et les comptes ont continué à décliner.
A la fin de l’été, les autres actionnaires ont commencé à paniquer et ont commandité un audit. Celui-ci a révélé de graves problèmes financiers ainsi que de nombreux flux financiers injustifiés. On y trouve notamment des paiements pour des véhicules de luxe, des voyages en jet privé, un devis frôlant le million d’euros pour un bateau à Porto-Vecchio, ainsi que des virements d’une valeur totale de 2,175 millions d’euros sur les comptes de la société personnelle de Philippe Rivière. Le 25 septembre, ACI a été placé en redressement judiciaire et Rivière a été mis en examen pour abus de biens sociaux.
Crise industrielle
L’exemple d’ACI est d’autant plus frappant que Philippe Rivière écumait les plateaux de télévision depuis des années en se faisant le grand défenseur de la « souveraineté industrielle ». Il était encensé par la classe dirigeante : Marc Ferracci, alors ministre de l’Industrie, le décrivait comme un « entrepreneur qui séduit, en promettant de reconstituer des chaînes de valeur entières » et, le 20 juin 2025, Le Figaro qualifiait une de ses interviews de « leçon de patriotisme économique ».
Le gouvernement connaissait parfaitement sa « méthode » – mais continuait à lui verser de l’argent public. Comme le rappelle Samy Tabti dans Le Monde : « Depuis 2020, on a écrit au préfet, au président de région Laurent Wauquiez, au procureur de la République, à Bercy, on a écrit partout, et personne ne nous a pris au sérieux ». Le gouvernement et les élus locaux étaient ravis que ces entreprises échappent à la fermeture, quelles qu’en soient les conditions, tout en se vantant d’avoir trouvé un repreneur « made in France ».
Le 9 décembre dernier, la CGT a publié un nouveau rapport soulignant l’ampleur de la crise de l’industrie française : 483 plans de licenciements ont été recensés entre septembre 2023 et décembre 2025. Plus de 300 000 emplois directs et indirects sont menacés.
Dans ce contexte, comment s’étonner que des charognards comme ACI cherchent à faire le maximum de profits sur le dos de la crise. ACI ne vole plus mais d’autres rapaces, parfois bien plus gros, planent toujours. La seule façon de préserver les emplois et l’outil industriel passe par les méthodes de la lutte des classes.
Les directions politiques et syndicales du mouvement ouvrier – à commencer par les secteurs les plus combatifs de la CGT – doivent passer à l’offensive contre les licenciements. Il faut réclamer l’ouverture complète des comptes de toutes les entreprises qui licencient : les travailleurs doivent connaître leur véritable situation financière, pour montrer comment les profits servent à gaver les actionnaires ou à financer voitures de luxe, voyages en jets privés et autres dépenses parasitaires.
Sur cette base, le mouvement ouvrier doit défendre l’occupation des sites par les travailleurs dès l’annonce d’une fermeture, et revendiquer la nationalisation de l’entreprise sous le contrôle direct de ceux qui y travaillent. Tous les parasites qui s’enrichissent sur la misère de la classe ouvrière doivent être expropriés, sans la moindre compensation.

