Durant sa visite au Royaume-Uni début juillet, Emmanuel Macron a signé un accord sur la politique migratoire avec Keir Starmer, le Premier ministre britannique. Selon ce nouvel accord, tout migrant arrivant clandestinement au Royaume-Uni depuis la France sera renvoyé dans l'Hexagone. En « compensation », pour chaque renvoi vers la France, un demandeur d’asile disposant d’un dossier valide ou de liens familiaux au Royaume-Uni pourra être acheminé légalement vers le territoire britannique. Et, une fois arrêtés et renvoyés en France, les migrants ayant effectué la traversée illégalement ne pourront plus déposer de demande d’asile en Grande-Bretagne.
Sous prétexte de « briser les réseaux de passeurs » et de « réduire les flux mortels », l’accord prévoit également un renforcement des actions coercitives contre les embarcations de migrants. Les autorités sont désormais autorisées à les intercepter en haute mer, ce qui cautionne implicitement les méthodes de plus en plus violentes utilisées par les douanes, et ne fera qu'augmenter le nombre de décès de migrants dans la Manche.
Conditions de vie inhumaines
Depuis les accords du Touquet en 2003, les contrôles douaniers britanniques sont externalisés sur le sol français, à Calais. En échange, le Royaume-Uni participe au financement des dispositifs de surveillance en France. À l’époque, Londres avait aussi exigé la fermeture du centre que gérait la Croix-Rouge à Sangatte, près du terminal du tunnel sous la Manche.
Cette politique de stricte fermeture de la frontière a conduit à la concentration de migrants sur les côtes françaises, dans des camps informels aux conditions de vie indignes – comme la fameuse « Jungle de Calais ».
Depuis 2016, la France applique une politique dite de « zéro point de fixation », qui consiste pour la police à démanteler les abris des migrants toutes les 48 heures, souvent de façon violente, pour tenter d’empêcher l’apparition de campements permanents. Les policiers utilisent régulièrement du gaz lacrymogène sur les migrants, y compris sur des enfants et parfois même lorsqu'ils sont endormis. Ils n’hésitent pas non plus à détruire les tentes et les abris des migrants, qui se retrouvent sans protection face à la pluie ou au froid.
Sur la côte d’Opale, l’accès à l’eau potable est très limité pour les migrants, avec en moyenne moins de 5 litres par jour et par personne, soit bien en-deçà des 15 litres recommandés par les normes sanitaires. La préfecture du Pas-de-Calais ordonne régulièrement la confiscation des cuves d’eau installées par les associations humanitaires. Les distributions d’eau, de nourriture et d’aide humanitaire sont fréquemment interrompues par la police.
À cela s’ajoute le harcèlement constant exercé par des groupes de militants d’extrême droite, français ou britanniques, qui viennent dans la région de Calais pour intimider et menacer les migrants. En juin 2024, dans un campement à Loon-Plage, près de Dunkerque, un liquide bleu vif à l’odeur mentholée, rappelant un produit ménager, a été découvert dans une cuve d’eau potable. Il s’agissait sans doute d’une tentative d’empoisonner les migrants de ce campement.
Mourir dans la Manche
Faute de voies légales pour rejoindre le Royaume-Uni, les exilés sont poussés à tenter la traversée de la Manche, au péril de leur vie, à bord d’embarcations de fortune surchargées. On estime qu’au moins 17 personnes sont mortes dans la Manche depuis le début de l’année. En 2024, un nombre record de décès a été enregistré — entre 53 et 69 selon les sources — contre 12 à 15 en 2023. C’est de loin l’année la plus meurtrière depuis le début des enregistrements en 2018.
Le gouvernement affirme que c’est l’augmentation du nombre de migrants qui explique celle du nombre de morts. Les traversées ont en effet augmenté de 25 % entre 2023 et 2024, atteignant 36 816 personnes, mais cette hausse ne suffit pas à expliquer l’explosion de la mortalité. L’année 2022 avait par exemple connu un nombre record de traversées (45 774), mais « seulement » 5 décès recensés.
Cette hausse dramatique des morts dans la Manche s’explique en réalité par le durcissement des pratiques des douanes françaises et britanniques, ces dernières années : sabotage des bateaux à l’aide de couteaux, y compris en pleine mer ; manœuvres dites de « pushbacks » (qui consiste à créer des vagues pour déstabiliser les embarcations) ; voire même collisions volontaires. Toutes ces méthodes sont extrêmement dangereuses et officiellement illégales, mais pratiquées aujourd’hui régulièrement par les douaniers.
Les enjeux de l’accord nouvellement signé dépassent largement la simple « régulation des flux migratoires ». À Londres, le gouvernement espère réduire les dépenses liées à l’hébergement des migrants, un poste budgétaire estimé à plus de 4 milliards de livres sterling par an. Le Premier ministre travailliste — qui a fait l’éloge de la politique migratoire de Giorgia Meloni — cherche aussi à afficher sa « fermeté » contre les migrants pour tenter de contenir l’ascension du parti d’extrême droite Reform UK dirigé par Nigel Farage, tout en continuant à bénéficier d’une main-d’œuvre immigrée qui est essentielle à l’économie du pays. Côté français, la logique est identique : en tapant sur les migrants qui fuient la misère et les guerres impérialistes, Emmanuel Macron espère couper l’herbe sous le pied du Rassemblement National, quitte à entériner des pratiques policières de plus en plus meurtrières. En France comme en Grande-Bretagne, ce sont les migrants qui paient de leurs vies les frais de la crise politique de la bourgeoisie.