Le 26 octobre, après un siège de 18 mois, El-Fasher, plus grande ville du Darfour dans l’ouest du Soudan, est tombée entre les mains des miliciens des Forces de Soutien Rapide. Celles-ci se sont déchaînées contre la population civile. Alors que 36 000 personnes ont fui de la région vers les camps de réfugiés, on ne sait pas ce qu’il est advenu du reste des 200 000 habitants de la ville.

Ce carnage est le dernier épisode en date de la guerre civile qui oppose depuis 2023 deux armées également réactionnaires : les Forces Armées Soudanaises (FAS) et les Forces de Soutien Rapide (FSR). Des centaines de vidéos et de témoignages montrent l’ampleur des exécutions sommaires, des tortures et des viols commis par les deux belligérants. Les violences sont particulièrement intenses au Darfour, dans l’ouest du pays contrôlé majoritairement par les FSR, alors que les FAS dominent la capitale Khartoum et l’est du pays. Cette guerre a causé 150 000 morts et poussé 12 millions de personnes à fuir leurs foyers. Selon l’ONU, 21 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire.

Deux ailes de la contre-révolution

Cette situation est la conséquence directe de la défaite de la révolution soudanaise de 2018-2019. En avril 2019, après des mois de mobilisation déclenchées par l’augmentation des prix de la farine et de l’essence, les masses soudanaises avaient provoqué la chute du régime du dictateur Omar al-Bashir, au pouvoir depuis plus de trente ans.

La mobilisation révolutionnaires des masses avait plongé la classe dirigeante soudanaise et la clique au pouvoir dans une profonde panique. Pour sauver leur propre pouvoir, les dirigeants de l’armée régulière ont préféré sacrifier le président al-Bashir. Ils s’étaient alors placés à la tête d’un « Conseil militaire de transition » et avaient fait de vagues promesses de « démocratisation ». Mais cela n’avait pas convaincu les masses soudanaises qui s’étaient opposées à cette « confiscation » de la révolution par les militaires. Des grèves et des manifestations s’étaient développées dans tout le pays. Mais les réformistes et les démocrates bourgeois qui s’étaient retrouvés placés à la tête de la révolution – faute d’une autre direction – s’acharnaient à tenter de conclure un compromis avec les militaires. Or, ceux-ci se préparaient à écraser la révolution.

Puisque des soldats avaient commencé à fraterniser avec les manifestants, les chefs de l’armée avaient fait appel aux FSR, dirigées par Mohamed Hamdan Dogolo, mieux connu sous le nom de Hemedti. Ces groupes paramilitaires étaient les héritiers des miliciens Janjawid qui, aux ordres d’al-Bashir, avaient écrasé dans le sang le soulèvement du Darfour dans les années 2000. Après avoir fait massacrer entre 100 000 et 400 000 personnes, Hemedti s’était payé « sur la bête » en prenant le contrôle des mines d’or de Jebel Amir. Ce « mélange des genres » n’est pas propre aux FSR : l’armée régulière, les FAS sont le principal actionnaire d’une des plus grandes banques du pays, et détient des sociétés d’import-export, d’agroalimentaires et de logistique.

Le 3 juin 2019, Hemedti a lâché ses milices contre les manifestants. Des centaines de personnes ont alors été massacrées. Loin de démoraliser les masses, cela avait au contraire provoqué une grève générale, qui aurait pu balayer l’ensemble du régime. Il aurait notamment été possible d’en appeler aux soldats du rang dans l’armée régulière pour qu’ils désobéissent à leurs officiers. Malheureusement, les dirigeants réformistes du mouvement ont préféré mettre fin à la grève générale qui prenait de l’ampleur et conclure un accord de partage du pouvoir avec les chefs de l’armée.

Un gouvernement de compromis – dirigé par l’économiste Abdallah Hamdok – a été instauré. Il a refusé de rompre avec les vieilles cliques dirigeantes du pays et a mené une politique d’austérité sous la direction du Fond Monétaire International. Plusieurs années de ce régime ont démoralisé une large partie des masses qui s’étaient mobilisées en 2019 mais n’avaient pas vu leur situation s’améliorer avec le nouveau régime, au contraire.

En octobre 2021, estimant que la situation était mûre, le général al-Burhan, chef de l’armée régulière, et son allié Hemedti ont renversé le gouvernement provisoire. Après avoir gouverné (et pillé) le pays en commun pendant quelques temps, Hemedti et al-Buhran ont fini par s’affronter en avril 2023, chacun des deux voulant être le seul maître du Soudan. La sanglante guerre civile qui oppose aujourd’hui leurs milices respectives est donc la conséquence directe de l’échec de la révolution. Ces deux forces armées rivales représentent deux ailes de la contre-révolution. Au passage, ces deux bourreaux entendent aussi écraser définitivement toute volonté révolutionnaire parmi la population civile, devenue la proie des exactions de leurs soudards.

Un massacre préparé par les impérialistes

Pays riche en ressources situé à un emplacement crucial entre le Moyen-Orient et l’Afrique centrale, le Soudan a toujours été un pays stratégique pour les impérialistes. De nombreuses puissances impérialistes sont impliquées dans le conflit. Les FSR bénéficient ainsi du soutien sans faille des Emirats Arabes Unis, qui leur fournissent de l’argent et des armes. Les Emirats sont le quatrième plus gros investisseur en Afrique. Ils comptent sur le Soudan pour conserver l’accès à leurs marchés et leurs terrains d’investissements, qui s'étendent de l’Egypte au Kenya. Grâce aux mines soudanaises contrôlées par les FSR, les Emirats sont aussi devenus le deuxième exportateur d’or au monde.

De leur côté, les FAS reçoivent l’appui de l’Egypte, de l’Arabie Saoudite, de la Turquie et de l’Iran. La Russie a d’abord armé les FSR de Hemedti, qui coopéraient avec les mercenaires du groupe Wagner actifs dans la République Centrafricaine voisine. Mais, depuis près d’un an, Moscou soutient les FAS. La Russie espère en effet construire une base navale à Port Soudan – une ville contrôlée par les FAS – ce qui lui donnerait une plus grande capacité d’intervention dans la Mer Rouge, mais aussi dans l’Océan Indien.

Le Ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, a déclaré début novembre que « la France ne détourne pas le regard » des atrocités commises au Soudan. La réalité est que les FSR ont reçu le soutien de l’Union Européenne pendant près d’une décennie avant la révolution de 2018-2019. Les miliciens de Hemetti étaient financés et entraînés par l’UE pour intercepter les migrants qui passaient par le Soudan pour atteindre l’Europe. La France ne voyait alors aucun problème à entraîner les bourreaux du Darfour, futurs étrangleurs de la révolution soudanaise.

Durant la révolution, les impérialistes ont fait tout leur possible pour enrayer la mobilisation des masses et assurer le pouvoir des généraux réactionnaires. En décembre 2022, soit plus d’un an après le coup d’Etat qui avait renversé Hamdok et porté al-Buhran et Hemedti au pouvoir, une coalition appelée cyniquement « groupe des Amis du Soudan » avait été créée autour du Canada, du Japon, de l’Arabie Saoudite et de plusieurs pays européens, dont la France. Son seul rôle a été d’essayer de convaincre les dirigeants survivants du mouvement de 2019 de signer un accord avec les militaires et d'entériner le règne de al-Buhran et d’Hemetti. Pour les impérialistes, un gouvernement démocratique des masses et des travailleurs apparaissait comme une menace pour la « stabilité » et l’« ordre » qui leur est nécessaire pour piller et exploiter le Soudan.

Malgré la réaction sanglante dans laquelle le Soudan est aujourd’hui plongé, l'expérience de la révolution de 2019 est une nouvelle démonstration de la puissance des masses. Elles ont réussi à balayer le dictateur sanguinaire Omar el-Bechir et à placer tout son régime dos au mur. Elles n’ont pas manqué d'énergie, ni de dévouement, mais d’une direction révolutionnaire. Au moment crucial, les dirigeants réformistes – encouragés par les impérialistes – ont capitulé et laissé le pouvoir entre les mains des bourreaux du peuple soudanais. Cette leçon doit être retenue par les jeunes et les travailleurs de la région et du monde : sans une direction prête à mener la lutte jusqu’au bout, la révolution sera toujours vaincue.

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