Les salariées d'Antinea Emplois Familiaux – une association qui assiste des personnes âgées et en situation de handicap à Paris – sont en grève reconductible depuis juin 2025 pour dénoncer leurs conditions de travail indignes. Leur direction refuse obstinément de répondre à leurs revendications. Nous avons discuté avec Sophie, l’une des grévistes.
Des conditions de travail indignes
En 2017, une nouvelle direction a été nommée à la tête de l’association. Depuis, les salariées sont soumises à des emplois du temps intenables, et notamment à des délais trop courts pour se déplacer entre les domiciles des différents patients. Les temps de trajet entre les missions ne sont pas rémunérés alors même que la direction imposait des déplacements absurdes : « On pouvait nous demander d’aller du 20ᵉ au 16ᵉ arrondissement pour deux heures, puis de revenir dans le 20ᵉ », explique Sophie. « Ce qui fait qu’on pouvait partir à 8 h du matin et rentrer à 19 h pour seulement six heures de travail. Et après avoir travaillé, porté des choses lourdes ou des personnes, c’est difficile de marcher sur de longues distances à plus de 55 ou 60 ans. »
Les travailleuses ont demandé à plusieurs reprises une réduction des trajets et un aménagement des plannings, en particulier pour les plus âgées d’entre elles. La direction n’a même pas accepté de les recevoir. Et depuis janvier 2024, leurs abonnements aux transports (88 euros par mois) ne sont même plus pris en charge !
À cela s’ajoutait une situation administrative gravissime : l’association n’est affiliée à aucun service de santé au travail, privant les salariées de tout suivi médical obligatoire ; la direction ne fournissait même plus les bulletins de salaire ni les soldes de tout compte en cas de licenciement – des documents pourtant indispensables pour accéder aux prestations sociales ; enfin, les cotisations à l’URSSAF n’étaient plus versées depuis 2024, ce qui exposait les salariées à une absence de couverture sociale en cas d’accident du travail.
Une grève offensive
Les salariées ont décidé de se mettre en grève. Elles ont d’abord organisé deux piquets de grève ponctuels les 21 et 22 mai, avant de se mettre en grève reconductible, à partir du 18 juin. Sur quinze employées, six y participaient, et un septième collègue les a rejoint récemment.
Les grévistes se sont aussi tournées vers les syndicats : « Les deux délégués syndicaux CGT d’Antinea n’ont jamais répondu à nos sollicitations. En même temps, l’un d’eux est à la direction de l’association… Par contre, la CGT Infirmiers Tenon nous a donné une enveloppe pour nous soutenir. C’est le syndicat Sud Santé qui nous accompagne : ils nous ont aidées à mener les démarches en justice, à réclamer nos bulletins de salaire et à organiser des manifestations. » La caisse de grève a aussi reçu plusieurs dons importants, notamment de la France insoumise, et des associations ont organisé des collectes alimentaires pour les grévistes et leurs familles.
Le directeur de l’association est injoignable depuis le début de la grève. La situation est devenue grotesque : certaines salariées ont reçu des convocations à des entretiens de licenciement… auxquels le directeur ne s’est pas présenté !
La justice a nommé un mandataire chargé d’examiner les comptes de l’association, mais Sophie doute qu’il reste encore des fonds disponibles : « c’est le directeur qui gérait les comptes et les caisses étaient pleines. Qu’il nous dise pourquoi elles sont vides maintenant. On continue la grève parce qu’il faut que quelqu’un nous réponde. En plus, on refuse de reprendre le travail avec les conditions de travail actuelles. »
Cette situation est une démonstration concrète des conséquences du sabordage des services publics, au profit d’une galaxie d’associations et de prestataires comme Antinéa, souvent motivés uniquement par la quête de profits : « Il faudrait qu’on soit intégrées directement comme employées de la mairie », explique Sophie, « et qu’on soit payées à l’heure et non à la mission. »
Pour mettre fin à l’exploitation éhontée des travailleurs d’Antinea, mais aussi à celle qui touche tout le secteur de l’aide à la personne, il faut étendre la grève en s'adressant aux travailleurs d’autres associations et entreprises. C’est la perspective que devraient défendre les grandes organisations du mouvement ouvrier et syndical.
Plus largement, cette situation révèle la nécessité de construire un système de santé et d’aide à la personne véritablement public, placé sous le contrôle démocratique des travailleurs – les seuls à même de garantir à la fois un service de qualité et des conditions de travail dignes.

