Le soir du mardi 9 décembre, un cas de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) était confirmé dans l’élevage de deux frères installés aux Bordes-sur-Arize, en Ariège. Le lendemain, cet évènement avait déjà une portée nationale : venus de tout le pays, des centaines d’agriculteurs se rassemblaient devant la ferme en solidarité avec les deux éleveurs, mais aussi pour bloquer l’accès aux vétérinaires chargés d’abattre les 207 têtes qui composaient leur troupeau. En effet, pour limiter la diffusion du virus, les réglementations européennes imposent l’abattage du troupeau où se trouvent des animaux contaminés.

Depuis, des mobilisations paysannes ont éclaté dans de nombreuses villes et villages de France, notamment sous la forme de blocages d’axes routiers, tandis qu’une répression policière intense s’est abattue sur les manifestants rassemblés aux Bordes-sur-Arize. Après l’annonce de nouveaux cas en France et l’abattage de 3300 bovins, des appels à poursuivre et élargir le mouvement ont fleuri sur les réseaux sociaux, bien au-delà des seules organisations agricoles. Comment comprendre la situation – et quel programme pour répondre à la crise ?

La responsabilité de l’Etat

La dermatose nodulaire contagieuse est un virus intransmissible à l’homme, mais dangereux pour les bovins, pouvant aller jusqu’à la mort de l’animal. Pour les éleveurs, les symptômes de la DNC impliquent en outre une baisse de la production laitière, une altération de la peau et du cuir, et la perte de poids de leur bétail. Le virus peut donc avoir de lourdes conséquences économiques, bien que la consommation de produits issus d’animaux malades ne présente aucun risque pour l’homme.

La DNC se transmet par des piqûres d’insectes - les taons, les moustiques, et certaines espèces de mouches. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) précise que le virus « peut également se propager par contact direct entre animaux » mais ajoute que « cette voie reste secondaire ». C’est pourtant sur ce mode de contamination qu’insiste le ministère de l’Agriculture : un communiqué de presse en date du 12 décembre déroule longuement sur « le respect strict des interdictions et des restrictions de mouvements de bovins », par exemple dans le cadre de foires agricoles. Le même communiqué fait la morale aux éleveurs, écrivant carrément que « les manquements de quelques-uns sont susceptibles d’anéantir les efforts consentis par nombre d’agriculteurs depuis le début de l’épidémie. » 

En somme, l’Etat dit à ces exploitants : « Votre troupeau est malade ? C’est de votre faute… ou bien celle du voisin ! ». A la ville comme à la campagne, les travailleurs connaissent bien cette petite musique, qui nous appelle à « faire des efforts » et nous monte les uns contre les autres pendant que, vautrés dans l’opulence, les principaux responsables ne bougent pas le petit doigt.

En l’occurrence, l’Etat nie sa part de responsabilité dans la contamination à la DNC : pourtant, depuis le 15 octobre, le département des Pyrénées-Orientales ainsi qu’une partie de l’Aude et de l’Ariège sont intégrés à une « zone réglementée », qui implique une surveillance accrue des troupeaux, après la détection de foyers de DNC en Espagne. Depuis le 15 octobre, donc, les autorités savaient qu’un risque de DNC existait dans une zone qui incluait une partie de l’Ariège. 

Par ailleurs, dans un communiqué en date du 12 décembre, la Confédération Paysanne écrit « depuis plus d'un mois, la profession demandait l'élargissement de la vaccination pour l'ensemble des départements 09 [Ariège], 11 [Aude] et 66 [Pyrénées-Orientales]. » Mais le syndicat agricole ajoute que « cette demande consensuelle et responsable a essuyé un refus méprisant de la part du gouvernement » : la suite était courue d’avance. Dans ce même communiqué, la Confédération Paysanne rappelle que ce refus du gouvernement a reçu l’appui des dirigeants de la FNSEA, le syndicat majoritaire dans l’agriculture, intimement lié au grand patronat : son président, Arnaud Rousseau, est multi-millionnaire.

Enfin, le vendredi 12 décembre, la Chambre d’agriculture du Gers et une Intersyndicale – regroupant les Jeunes Agriculteurs, la Confédération paysanne et la Coordination rurale – ont déposé à la préfecture du Gers une proposition de protocole pour endiguer l’épidémie. Celui-ci préconise l’abattage ciblé des seuls animaux testés positifs, une surveillance hebdomadaire pendant quatre à six semaines, le renforcement du contrôle vétérinaire, une enquête sur l’origine de la contamination, ainsi que la mise en place d’une zone de protection et de surveillance renforcée de cinq kilomètres autour des foyers. Ce protocole préconise enfin et surtout : « une vaccination massive, rapide et efficace au-delà des zones réglementées ».

Lundi 15 décembre, Annie Genevard, la ministre de l’Agriculture, a pourtant affirmé maintenir l’abattage systématique des troupeaux et n’élargir la zone de vaccination dans le Sud-Ouest que de 600 000 à 1 million de bovins – une mesure très loin de constituer une vaccination massive. Et c’est précisément là que le bât blesse pour le gouvernement et la FNSEA : tous deux s’opposent à la généralisation de la vaccination pour des raisons purement économiques, liées à la protection des profits des grandes firmes agricoles. 

Abattage des troupeaux : une question de profits

Vacciner une grande partie – voire l’ensemble – du cheptel bovin français (près de 16 millions de têtes) reviendrait, selon eux, à reconnaître que le virus pourrait circuler dans n’importe quel élevage. La France risquerait alors de perdre son statut de « pays indemne » – c’est-à-dire officiellement exempt de certaines maladies animales – et ne pourrait plus exporter de bovins vivants, conformément aux directives européennes.

Or la France est le premier exportateur mondial d’animaux vivants. Chaque année, des millions de veaux naissent sur le territoire, sont envoyés en Espagne ou en Italie pour y être engraissés à moindre coût, avant de revenir en France pour y être abattus et consommés. L’ensemble de ce circuit est contrôlé par les grandes firmes de l’agro-industrie. Même lorsque les veaux sont élevés par de petits éleveurs, ils sont rachetés par ces groupes, qui décident ensuite des destinations, des volumes et des prix.

Pour ne pas avoir à enrayer cette logique absurde, uniquement dictée par la recherche du profit, le gouvernement préfère ordonner l’abattage massif et sans distinction des cheptels des petits exploitants, quitte à anéantir le travail de toute une vie. Ce faisant, le gouvernement des riches accomplit la tâche qui est la sienne : défendre les profits de l’agrobusiness. Comme le résume le Syndicat CGT des gardiens de troupeaux (SGT-CGT) : « Les abattages sans discernement se poursuivent pour sauvegarder les intérêts des grandes filières qui concentrent toujours plus les cheptels. »

Une colère très profonde

L’abattage d’un troupeau bovin dans un village d’Ariège aurait pu être traité comme un fait divers. Mais dès son annonce, les deux éleveurs ont reçu un soutien massif : des centaines d’agriculteurs se sont rassemblés devant leur ferme ; des blocages ont eu lieu dans toute la région, et même ailleurs en France ; les élèves – et les enseignants – des lycées agricoles de Pamiers (Ariège) et d’Auzeville-Tolosane (Haute-Garonne) ont bloqué leur établissement, appelant tous les élèves de l’enseignement agricole à faire de même, dans des vidéos qui cumulent plusieurs centaines de milliers de vues sur les réseaux sociaux.

La situation a pris une ampleur nationale, que certains commentateurs ne parviennent pas à expliquer. Ces messieurs ont l’air d’oublier que le monde agricole subit une tension colossale depuis des années. Rien qu’en 2024, plusieurs pays d’Europe – dont la France – ont connu de grandes révoltes de paysans. A l’époque de ces mobilisations, nous écrivions : « La masse des petits agriculteurs est écrasée par l’agro-industrie, la grande distribution et les banques. Elle est exposée à la concurrence internationale et aux aléas du changement climatique, lésée par un système de subventions qui favorise les plus gros exploitants, confrontée à une double inflation : celle des frais de production et celle des biens de consommation courante. »

Presque deux ans plus tard, il n’y a pas un mot à changer. Dans l’élevage bovin, le prix carcasse  - le prix moyen payé par l’abattoir à l’éleveur - ne cesse d’augmenter à cause de la hausse des coûts de production (alimentation animale, énergie, transports…) : en septembre dernier, il était 30 % plus haut qu’en 2024. Cela renforce la concurrence internationale entre éleveurs, et précarise davantage les petits exploitants. Bien sûr, la hausse du prix carcasse signifie aussi la hausse du prix de la viande en magasin : se nourrir correctement, avec des produits de qualité, est devenu un luxe.

La colère qui s’est exprimée après le 9 décembre a des causes plus profondes que l’abattage d’un troupeau en particulier, ou telle ou telle mesure sanitaire : elle exprime le ras-le-bol du monde paysan, après des décennies d’attaques en tous genres. 

Renverser le capitalisme

Les organisations du mouvement ouvrier doivent intervenir dans la lutte des agriculteurs sur la base d’un programme radical qui s’attaque à la racine des problèmes et permette d’unir les travailleurs et les paysans pauvres dans une lutte commune contre le capitalisme. Dans un texte de 1935 intitulé « Du plan de la CGT à la conquête du pouvoir », Léon Trotsky écrivait : « Tout le monde proclame la nécessité d’améliorer la situation des paysans, mais il y a beaucoup de malins qui voudraient préparer pour les paysans une omelette sans casser les œufs du grand capital. Cette méthode ne peut être la nôtre. » 90 ans plus tard, la situation est exactement la même : la crise de l’agriculture ne pourra être résolue que sur la base d’un programme d’expropriation et de nationalisation des banques, de l’énergie, de la grande distribution et des géants de l’agro-alimentaire – sous le contrôle démocratique des travailleurs eux-mêmes. 

Ceci suppose l’instauration d’un gouvernement des travailleurs, qui garantirait aux petits paysans des conditions de crédit, de production et de débouchés leur permettant de vivre dignement de leur travail, mais aussi une réelle prise en charge vétérinaire du bétail. Dans le même temps, un gouvernement ouvrier donnerait aux petits exploitants tous les moyens de se regrouper en coopératives agricoles, ce qui marquerait une étape dans la généralisation de l’agriculture collectivisée – laquelle démontrera sa supériorité sur la petite production privée. Pour en finir avec l’agrobusiness, la maltraitance des animaux et des agriculteurs, la malbouffe et la précarité, renversons le capitalisme !

Le Parti Communiste Révolutionnaire n’est soutenu par aucune grande fortune et ne touche pas de subventions publiques. Nos ressources financières proviennent intégralement de nos militants, de nos sympathisants et de nos lecteurs.

En achetant nos livres, nos brochures et notre matériel politique, vous soutenez directement notre activité et nos idées.

Commandez dès maintenant !

Tu es communiste ? Rejoins-nous !

Un membre du PCR s'implique directement dans le travail du parti. Cela signifie recruter d'autres communistes et les organiser dans des cellules communistes, tout en étudiant la théorie marxiste et en diffusant les idées communistes dans le mouvement. Le parti fournira des ressources politiques, des conseils et des outils pour t'aider dans cette activité.

Un soutien du PCR contribue à la construction du parti en payant une cotisation mensuelle, et n'est pas obligé de participer activement au travail quotidien du parti. Tu recevras un abonnement PDF au journal mensuel du parti, Révolution.

Nous sommes entièrement autofinancés. L'argent récolté nous permet de financer nos locaux, de développer notre maison d'édition et notre journal, d'imprimer des affiches et des tracts. En mettant en place une cotisation mensuelle, tu nous aideras à construire un authentique Parti Communiste Révolutionnaire !