« Il n’y a pas de grand pays sans agriculture forte », déclarait Macron, le 18 mai 2021, devant un parterre de représentants patronaux du monde agricole. Cinq mois plus tard, le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, précisait la signification d’une « agriculture forte » : il annonçait un plan d’investissement de deux milliards d’euros dans une « troisième révolution agricole », laquelle est censée reposer sur le triptyque : « numérique », « robotique » et « génétique ».

En bref, une « agriculture forte » ne se préoccupe pas de santé publique, de biodiversité ou d’alimentation de qualité ; elle se préoccupe exclusivement du maintien de la compétitivité de l’agriculture française – autrement dit, des profits de l’agro-business. Tous ceux qui s’opposent à cette politique sont considérés comme des passéistes, des arriérés qui ne comprennent pas les bienfaits de la « modernisation agricole » (entendre : le capitalisme agricole).

Le gouvernement « consulte »

Des responsables associatifs et des élus locaux en ont récemment fait les frais. Fin 2019, le gouvernement a édicté de nouvelles règles d’épandage des pesticides. Or ces règles ont été contestées devant le Conseil d’Etat par le « Collectif des maires anti-pesticides » et par un collectif d’associations (1) qui les jugeaient dangereusement insuffisantes pour la sécurité des riverains et des travailleurs. Le Conseil d’Etat est allé dans leur sens. Il a donné six mois au gouvernement pour revoir sa copie et a formulé trois exigences : 1) imposer une distance d’au moins 10 mètres entre les habitations et les zones d’épandage ; 2) informer les riverains en amont de l’utilisation de pesticides ; 3) prévoir des mesures de protection pour les personnes travaillant à proximité d’une zone d’utilisation de pesticides.

Grand prince, le gouvernement a répondu en lançant une de ces « consultations publiques » dont il est passé maître. Celle-ci s’est déroulée en décembre 2021 et janvier 2022 – et, comme les précédentes « consultations publiques », elle a accouché d’une souris. Sur les mesures visant à imposer une distance minimale entre les habitations et les zones d’épandage : rien. Sur l’information du public en amont des épandages, rien non plus – ou plutôt si, pardon : le gouvernement renvoie aux « chartes d’engagements départementales », lesquelles sont rédigées par... les industriels eux-mêmes. L’affront est d’autant plus cinglant que le Conseil d’Etat avait déjà alerté le ministère de l’Agriculture sur les conditions « contraire[s] au principe d’égalité » de ces chartes.

Concernant le troisième point, le gouvernement considère les lieux de travail comme des « habitations », ce qui revient à dire que ces lieux seront soumis aux mêmes règles que celles censées protéger les riverains… qui s’organisent justement pour en dénoncer l’insuffisance. C’est donc le serpent qui se mord la queue, au point qu’on en vient à se demander si les partisans de la « modernisation agricole » ne prennent pas un malin plaisir à mépriser ces « passéistes » qui s’inquiètent pour leur santé.

Ravages sanitaires

Inquiétude des plus légitimes : le 25 juin 2021, l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) dressait un bilan des connaissances sur le sujet à travers une analyse de plus de 5300 documents issus de la littérature scientifique internationale (2). Les conclusions sont sans équivoques : l’expertise confirme la « présomption forte » d’un lien entre l’exposition aux pesticides et six pathologies graves, dont le cancer de la prostate, la maladie de Parkinson et la bronchite chronique.

Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que l’utilisation des pesticides est en constante augmentation. 4,1 millions de tonnes de substances actives de pesticides sont épandues chaque année dans le monde, contre 2,3 millions en 1990. Un quasi-doublement qui s’est accompagné d’une hausse spectaculaire du nombre de cas d’empoisonnements graves causés par les pesticides : il atteindrait 385 millions chaque année, contre 25 millions de cas estimés par l’OMS en 1990, soit une augmentation de 1440 % en 30 ans.

Face aux politiques criminelles des partisans d’une « agriculture forte » (c’est-à-dire « numérique, robotique et génétique »), nous devons expliquer que l’agriculture est une chose trop sérieuse et trop importante pour être laissée au capitalisme, c’est-à-dire aux capitalistes. Il faut rompre le lien entre l’agrochimie et l’agro-business, lien qui ne cesse de s’approfondir et de nous empoisonner. La gauche et le mouvement ouvrier doivent lutter pour l’expropriation des grands capitalistes du secteur agricole – et pour une planification rationnelle, démocratique, de l’agriculture. Contre l’actuel modèle toxique, il faut poser les bases d’une agriculture compatible avec la santé publique, une alimentation saine et le respect des écosystèmes. 


1) Alerte des Médecins sur Les Pesticides, Collectif Victimes pesticides de l’Ouest et du Nord, Eau et Rivières de Bretagne, France Nature Environnement, Générations Futures, UFC Que Choisir, Vigilance OGM 16

2)  Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données. INSERM, Editions EDP Sciences, 2021