Pierre Broué nous a quitté dans la nuit du 25 au 26 juillet 2005. Le marxisme révolutionnaire a ainsi perdu l’un de ses plus grands représentants. Pierre a consacré sa vie entière à la cause des opprimés de ce monde et à la défense des idées du marxisme.

Résistant contre l’occupant nazi pendant la seconde guerre mondiale, Pierre était membre du Parti Communiste. En 1943, Staline ordonna la dissolution de l’Internationale Communiste, consacrant ainsi l’abandon de l’internationalisme et la politique réactionnaire du « socialisme dans un seul pays. »

Opposé à la politique nationaliste et réformiste adoptée par les partis communistes sous la pression du régime stalinien de Moscou, Pierre se tourna vers la Quatrième Internationale, qui avait été fondée en 1938 par l’Opposition de Gauche, dirigée par Trotsky. La nouvelle internationale se basait sur la théorie, les principes et le programme de l’internationalisme révolutionnaire, tout comme l’Internationale Communiste jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Staline, en 1924.

Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, Pierre Broué, devenu un écrivain et un historien accompli, a fait plus que quiconque en France pour défendre et promouvoir les idées internationalistes du marxisme authentique, que les staliniens voulaient enterrer sous une montagne de calomnies et de mensonges. Le fait d’avoir rassemblé, traduit et publié les écrits de Trotsky, et de les rendre ainsi accessibles aux nouvelles générations de révolutionnaires, était en soi une oeuvre monumentale. Mais en outre, les écrits de Pierre sur l’histoire de l’Internationale Communiste, sur la résistance héroïque à la dégénérescence stalinienne de l’URSS, et sa biographie de Trotsky, constituent un trésor qui profitera grandement à tous ceux qui aspirent à comprendre le passé pour mieux lutter au présent contre le capitalisme.

J’ai rencontré Pierre Broué pour la première fois en août 2003. A ce moment-là, le petit-fils de Léon Trotsky, Esteban Volkov, séjournait chez moi, à Paris, au retour de notre conférence internationale à Barcelone. Pour Esteban, il était impensable de venir en France sans rendre visite à Pierre. Nous sommes donc allés ensemble à Grenoble, où nous l’avons retrouvé dans son appartement aux abords de la ville.

Cette première rencontre fut pour moi un événement tout à fait mémorable. Pierre avait été malade, et n’était évidemment pas au meilleur de sa forme. Et pourtant, on ne pouvait qu’être impressionné par son allure. Bel homme, grand et élégant, son visage exprimait de la dignité, de l’intégrité et du courage intellectuel.

Jusqu’à quelques mois avant cette première rencontre, Pierre n’avait que peu de connaissance directe des idées et du travail de notre mouvement international. C’est dans le cadre de ses recherches sur la lutte de l’Opposition de Gauche que l’on attira son attention sur un article d’Alan Woods traduit et publié par La Riposte. Il s’agissait d’A la mémoire de Valéry Sabline, qui racontait la véritable histoire de la mutinerie qui avait inspiré le film A la poursuite d’Octobre Rouge. La lecture de cet article incita Pierre à faire plus ample connaissance avec les idées et les orientations de La Riposte, ainsi qu’avec les écrits de Ted Grant et Alan Woods publiés sur le site international In Defence of Marxism. De sorte que, lors de notre rencontre à Grenoble, il s’était déjà fait une opinion assez nette de notre démarche.

Pierre était très enthousiaste à notre sujet. Il était particulièrement impressionné par les écrits de Ted Grant, qui se battait jusqu’aux années 60 pour défendre l’héritage théorique de Lénine et Trotsky contre les dérives de la « Quatrième Internationale », avant de rompre définitivement avec elle. Pierre considérait que ses propres idées coïncidaient avec celles défendues par In Defence of Marxism sur toutes les questions fondamentales, et voulait que l’on travaille ensemble sur la base de ces idées communes. Il fut convenu qu’il rencontrerait Alan Woods dès que possible. Malheureusement, peu de temps après notre première visite à Pierre, sa santé se dégrada sérieusement, et la rencontre avec Alan ne put avoir lieu que deux mois plus tard.

La visite d’Alan Woods, le 9 octobre 2003, marqua le véritable début de notre travail commun. Pierre était sur son lit d’hôpital, dans une clinique isolée sur les hauteurs surplombant Grenoble. Il s’exprimait avec précision en Français comme en Anglais. Il accueillit chaleureusement notre « Projet Léon Trotsky », qui consiste à publier, dans plusieurs langues, les oeuvres principales de Trotsky, et accepta immédiatement d’écrire la préface du premier ouvrage à paraître dans la série (Ma Vie, l’autobiographie de Trotsky). Alan a enregistré une interview de Pierre, dans laquelle il adressait un message à Ted Grant, qui venait de fêter son 90e anniversaire.

Depuis cet entretien, Pierre Broué se considérait et se comportait comme un membre de notre mouvement international. Sa revue, Le Marxisme Aujourd’hui, a régulièrement publié nos textes. Il suivait avec attention notre intervention dans la révolution vénézuélienne - et notamment notre succès dans la lutte pour la nationalisation sous contrôle ouvrier de Venepal. Il se réjouissait, également, des soutiens que nos idées rencontraient à Cuba. Il écrivit la préface du deuxième livre publié dans le cadre du « Projet Léon Trotsky », Not Guilty, - le Rapport de la Commission Dewey (1937) traitant des procès de Moscou. En juillet 2004, il envoya un message à notre conférence internationale : « A vous, mes amis et camarades, j’envoie mon affection et admiration pour votre travail ... Vous êtes l’un des meilleurs instruments pour préparer l’avenir de l’humanité, sans doute le meilleur. Merci d’exister, de lutter, et pour l’aide que vous apportez aux militants de notre classe à travers le monde. » Pour notre part, nous étions fiers de compter Pierre parmi nos camarades, fiers de son soutien et de son amitié.

Je lui ai rendu visite pour la dernière fois en avril 2005, accompagné cette fois-ci d’un autre camarade de La Riposte, Jérôme Métellus. Son ami et camarade Jean-Pierre Juy était également présent. Nous avions trouvé Pierre vivace et enjoué. Sa santé s’était considérablement améliorée. Au cours de notre conversation il nous montrait tour à tour livres, textes et coupures de presse.

Jean-Pierre m’a écrit pour me faire part de la mort de Pierre. Il m’a dit qu’il était parti paisiblement, sans souffrance. La disparition de ce grand camarade est une terrible perte. Mais Pierre Broué vivra toujours dans le cœur de ceux qui l’ont connu et aimé, et surtout dans l’esprit de la génération actuelle de révolutionnaires, qui doit maintenant poursuivre son combat et porter les idées et le programme du marxisme authentique. C’est ainsi que nous pouvons rendre véritablement hommage à cet homme remarquable. La réalisation du socialisme sera aussi son œuvre et sa victoire.

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