Après l’effondrement de quatre banques aux Etats-Unis et en Suisse, mi-mars, les marchés financiers cherchent avec inquiétude quel pourrait être le prochain maillon faible. Le 24 mars, c’est la Deutsche Bank qui a contemplé l’abîme : ses actions ont chuté de 13 %.

Cette situation est une nouvelle illustration du fait qu’aucun des problèmes fondamentaux de l’économie mondiale n’a été réglé depuis la grande crise de 2008. De fait, tout concourt à préparer une crise encore plus profonde qu’en 2008.

Quand plus rien n’est « sûr »

Mi-mars, une banque régionale américaine, la Silicon Valley Bank (SVB), s’est effondrée après que ses clients – des entreprises, pour l’essentiel – en ont massivement retiré leurs fonds. Ce faisant, ils ont eux-mêmes précipité la faillite qu’ils redoutaient. Tel fut le point de départ d’une réaction en chaîne qui a poussé deux autres banques au bord du gouffre : la Signature Bank et la First Republic. Pour tenter d’éteindre l’incendie, la Banque centrale américaine (la « Réserve fédérale ») a été contrainte de « garantir » les avoirs de tous les clients.

Ces faillites ont été précipitées par le changement récent de la politique monétaire de la Réserve fédérale. Après la crise de 2008, les banques centrales – aux Etats-Unis comme ailleurs – ont injecté des quantités inédites d’argent sur les marchés, notamment en rachetant de grandes quantités de titres de dettes publiques (les obligations d’Etat), ce qui avait pour effet de garantir de faibles taux d’intérêt sur ces titres.

Jusqu’à récemment, les obligations d’Etat représentaient un investissement « sûr », pour les banques, précisément parce que ces obligations étaient garanties par la politique de rachat des banques centrales. La plupart des banques ont donc acheté de grandes quantités d’obligations. Ce processus était d’ailleurs encouragé par les réglementations introduites après la crise de 2008, qui visaient à imposer aux banques de disposer d’une certaine proportion d’actifs « sûrs ». Le problème est que ces obligations, autrefois « sûres », ne le sont plus autant aujourd’hui.

En arrosant les marchés de liquidités, les banques centrales ont évité un effondrement de l’économie mondiale, mais elles ont aussi puissamment contribué à l’inflation galopante qui s’est manifestée dès l’automne 2021. En réaction à la crise inflationniste, les banques centrales ont dû opérer un virage brutal. Alors que leurs taux d’intérêt étaient longtemps restés très bas, elles les ont augmentés à un rythme inédit depuis le début des années 1980. Par exemple, le taux directeur de la Réserve fédérale américaine était de 0 % en mars 2022 ; il frôle aujourd’hui les 5 %.

L’objectif des banques centrales était d’enrayer la hausse de l’inflation en mettant les marchés au régime sec. Mais le risque, évidemment, était de déstabiliser un système financier drogué aux liquidités gratuites.

Comme beaucoup d’autres banques, la SVB disposait d’une importante réserve d’obligations d’Etat accumulées au fil des années, lorsque les taux d’intérêt étaient très bas. Le problème s’est posé lorsque la banque a voulu vendre ces obligations pour couvrir les retraits opérés par ses clients. En effet, qui voudra acheter une obligation d’Etat ne rapportant que 1 % d’intérêt, alors que le gouvernement américain en vend désormais à des taux d’intérêt proches de 4 % ? En conséquence, la SVB a dû vendre ces obligations à perte, ce qui a renforcé les inquiétudes sur sa solvabilité et a donc poussé davantage ses clients à retirer leurs fonds. La banque a plongé dans un cercle vicieux qui l’a très rapidement propulsée vers une faillite pure et simple. Le même scénario s’est répété pour la Signature Bank et la First Republic. Il a fallu l’intervention de la Réserve fédérale américaine pour sauver ces banques, c’est-à-dire les renflouer et garantir les dépôts de leurs clients.

La même semaine, le Credit Suisse – un géant bancaire helvétique – s’est effondré à son tour au terme d’un processus globalement similaire à celui que nous venons de décrire. Là encore, l’Etat suisse est intervenu. Pour éviter un « effet domino » sur les marchés, le gouvernement suisse a obligé la banque UBS, principale rivale du Credit Suisse, à racheter ce dernier, fut-ce à perte. Et tant pis pour la « main invisible » du marché !

Entreprises « zombies »

Contrairement aux banques américaines en faillite, le Credit Suisse est l’une des 30 plus grandes banques au monde. Sa faillite effective, sans « sauvetage », aurait eu un gros impact à l’échelle mondiale.

Un élément qui pousse les banques centrales à intervenir consiste précisément dans le développement de la concentration bancaire depuis trois décennies. En 1992, les trois plus importantes banques américaines contrôlaient environ 10 % de ce secteur. Aujourd’hui, ce chiffre est monté à 40 %. La concentration est encore plus importante dans le reste du monde. Dans la plupart des pays, les trois premières banques contrôlent entre 60 et 80 % du secteur bancaire. De ce fait, l’impact de la faillite d’une seule de ces banques ne peut pas manquer d’entraîner une réaction en chaîne. Les gouvernements doivent donc – encore et toujours – renflouer les banques en difficulté pour éviter une crise générale.

Les banques citées ci-dessus se sont révélées être des maillons faibles, mais elles sont loin d’être les seules candidates à la faillite. Dans un article du Financial Times du 21 mars, l’économiste britannique Martin Wolf affirmait que la plupart des banques du monde souffrent du même problème : si elles devaient vendre leurs actifs, ceux-ci perdraient une grande part de leur valeur, au point de rendre ces banques de facto insolvables. Chaque banque placée dans cette situation serait donc inexorablement entraînée vers la faillite. Pour éviter un effet domino sur les marchés, les banques centrales seraient donc amenées à garantir les dépôts de ces banques, comme l’a fait la Réserve fédérale américaine.

Cette politique de renflouement systématique a des conséquences très concrètes. Elle maintient en vie des banques qui devraient faire faillite, normalement. D’après la logique absurde et anarchique du marché capitaliste, les crises et les faillites sont censées jouer un rôle de « sélection naturelle » entre les différentes entreprises. Or ce processus ne fonctionne plus, car pour éviter une crise générale, les gouvernements et les banques centrales sont constamment en train de renflouer des entreprises en difficulté. Ce faisant, elles créent des entreprises « zombies » qui perdent continuellement de l’argent, mais sont maintenues artificiellement en vie grâce au crédit et aux aides publiques. Loin de garantir la solidité du marché, cette politique multiplie les bombes à retardement boursières.

La hausse des taux d’intérêt des 18 derniers mois devait justement mettre un terme à cette situation. Mais dès que la perspective d’une crise générale est apparue – avec toutes ses conséquences politiques et sociales – les banques centrales et les Etats ont renoncé au fameux « laissez faire » du « libre marché ».

Tout ceci, bien sûr, ne règle aucun des problèmes fondamentaux – et les aggrave même. En garantissant ainsi les dépôts, les banques centrales se lient à des entreprises en crise et se mettent donc elles-mêmes en danger. Elles risquent de transformer la crise du système bancaire privé en une crise des banques centrales – autrement dit, en une crise financière générale du système capitaliste.

D’une crise à l’autre

Il est remarquable que les gouvernements américain et suisse ont tous deux lourdement insisté sur le fait que les banques et les actionnaires allaient devoir contribuer au sauvetage de la SVB, de First Republic ou encore du Credit Suisse. Ces gouvernements sont bien conscients de l’impact, sur la conscience des travailleurs, qu’aurait le spectacle de nouveaux chèques en blanc donnés aux banquiers, après plus d’une décennie d’orgie boursière et de dividendes records.

Après la crise des obligations d’Etat en 2011, la crise économique provoquée par le Covid et l’effondrement des emprunts britanniques, en septembre dernier, nous assistons aux prémisses de la quatrième importante crise financière depuis 2008. Malgré cette succession de crises, de nombreuses entreprises se portent très bien en termes de profits. L’année dernière, les entreprises du CAC 40 ont engrangé des profits records. Total Energies a réalisé les plus gros profits de son histoire. LVMH, Vinci, L’Oréal et BNP Paribas ont annoncé des résultats impressionnants. Problème : ces profits exceptionnels et les milliards d’euros de dividendes versés aux actionnaires sont une véritable insulte aux travailleurs qui peinent à joindre les deux bouts à cause de l’inflation et de la crise énergétique, après quinze ans de contre-réformes et de politiques d’austérité.

Voilà ce qui explique les discours de « fermeté » des gouvernements, qui font mine de menacer les actionnaires de pertes sèches. C’est surtout de la communication à l’attention des masses. Le nœud du problème, c’est que les investisseurs vendent parce qu’ils craignent de perdre de l’argent. Et ce n’est pas en les menaçant de pertes sèches que les gouvernements vont les rassurer ! Au contraire : cela pourrait multiplier les risques d’une panique et d’une contagion de faillites.

Bien sûr, si le problème se limitait à quelques banques, il serait tout à fait possible de mettre les capitalistes à contribution sans menacer l’équilibre des marchés. Mais c’est l’ensemble du système bancaire qui est sous pression. Une autre banque ne tardera pas à connaître les mêmes déboires que la SVB et le Credit Suisse. Et au final, c’est bien à la classe ouvrière que les gouvernements demanderont de payer le prix des sauvetages bancaires – du moins jusqu’à ce que les travailleurs y mettent un terme en prenant le pouvoir et en nationalisant l’ensemble de ce secteur.

Dans l’immédiat, les principales banques centrales s’efforcent de lutter contre l’inflation en élevant leurs taux d’intérêt directeurs – au risque d’aggraver sans cesse les tensions sur le marché bancaire. Il n’y a pas de solution paisible à ce problème. Une crise comparable à celle de 2008 ne peut pas être exclue à court terme ; elle est inévitable à plus long terme.

Après de nombreuses années de politiques d’austérité et de contre-réformes, l’impact politique et social d’une nouvelle crise majeure serait bien plus rapide qu’après la crise de 2008. Face à des fermetures d’entreprises, des licenciements, l’augmentation du chômage, de nouvelles hausses d’impôts et de nouvelles coupes budgétaires, les travailleurs ne resteront pas longtemps passifs. Ils lutteront massivement pour défendre leurs salaires, leurs emplois et leurs conditions de vie.

Ces mobilisations ne pourront pas toujours être contenues par les dirigeants réformistes du mouvement ouvrier. L’année dernière, l’inflation a été la cause directe d’un soulèvement révolutionnaire au Sri Lanka. Où éclatera le suivant ? Il est impossible de le prédire, mais il est clair que les prémisses de telles explosions révolutionnaires mûrissent dans tous les pays du monde.